ANGEL, LA TRILOGIE : cinéma de minuit

Célébrer sur support dvd et blu-ray les grandes heures de l’ère VHS : tel est le credo de la fameuse « Midnight Collection » de Carlotta Films. Après The Exterminator (aka Le Droit de tuer – pas le Joel Schumacher, le Glickenhaus), À armes égales (pas le Ridley Scott, le Frankenheimer), Maniac Cop (pas le Xavier Dolan, le Lustig) ou encore Frankenhooker (du seul et unique Henenlotter), c’est au tour de la saga Angel de rejoindre cette furieuse anthologie. Durant les glorieuses 80’s (et à l’instar du Ms .45 de Ferrara), la trilogie de Robert Vincent O’Neil et Tom DeSimone a su féminiser un genre d’ordinaire très viril : le vigilante movie. Alors ne perdez pas de temps et venez vite faire la connaissance de l’intrépide Angel (pas le vampire, la justicière). 


BONNE ÉLÈVE LE JOUR, BONNE P… LA NUIT

Le Pitch. Molly Stewart (Donna Wilkes), 15 ans, mène une double vie. Lycéenne modèle le jour, elle devient à la nuit tombée Angel, une prostituée officiant sur Hollywood Boulevard. Alors qu’un dangereux tueur en série fait son apparition dans les rues de Los Angeles, assassinant sauvagement deux de ses amies, Angel refuse de céder à la peur… Source : Carlotta Films.

Avec son concept particulièrement gratiné (lycéenne le jour, prostituée la nuit), Angel s’annonce comme une pure péloche d’exploitation. Surprise, ce polar urbain distribué aux States par New World Pictures (l’une des boîtes fondées par Roger Corman) n’est pas du genre à se livrer au racolage. Au lieu d’explorer les contours les plus sordides de son sujet, Robert Vincent O’Neil préfère capter sur le vif la faune des rues chaudes de L.A. Également créateur de la série Lady Blue (un « Dirty Harry » au féminin animé par la rouquine Jamie Rose), le réalisateur s’attache à faire vivre une bande de marginaux hauts en couleur. Autour de notre tapineuse encore mineure (Donna Wilkes, Jaws 2) s’agitent un vieux cowboy d’opérette (Rory Calhoun, Le Colosse de Rhodes), un trav n’ayant pas sa langue dans sa poche (Dick Shawn, Les Producteurs) et une logeuse déglinguée (Susan Tyrrell, Conte de la folie ordinaire). La solidarité règne au sein de cette famille de déclassées usant leurs godasses sur les étoiles du « Walk of Fame ». Mais Hollywood ne fait plus rêver grand monde, à part peut-être les touristes… Ne cachant pas son affection pour ses losers magnifiques, Robert Vincent O’Neil prend le temps de caractériser chaque personnage (et de diriger ses comédiens, tous formidables). Surtout, il n’élude en rien les circonstances qui peuvent mener une gamine de 15 ans sur le trottoir. Toutefois, Angel ne peut se résumer à un drame psychologique et touchant. Cet aspect s’amalgame parfaitement avec les interventions plus brutales d’un tueur en série bien vicelard (John Diehl, Deux flics à Miami). Un psychopathe mutique et glacial qui fait flirter l’ensemble avec le thriller extrême (façon New York, deux heures du matin), voire le film d’horreur (à la Maniac). En plus d’être un revenge movie inhabituel, Angel peut aussi s’enorgueillir d’une musique extra et d’une photo sensas (la première est signée Craig Thief Safan, la seconde Andrew Sale temps pour un flic Davis). Pas besoin d’être un ange pour apprécier le résultat.

Angel. De Robert Vincent O’Neil. États-Unis. 1983. 1h29. Avec : Donna Wilkes, Susan Tyrrell, Rory Calhoun…


ANGEL EST DE RETOUR… POUR SE VENGER !

Le Pitch. Désormais étudiante en droit, Molly Stewart (Betsy Russell) a définitivement tiré un trait sur son passé de prostituée. Son seul lien avec cette époque révolue est le lieutenant Andrews, l’homme qui lui a sauvé la vie il y a quatre ans et dont elle est restée très proche. Lorsque ce dernier se fait assassiner en service, Molly décide de partir à la recherche du meurtrier sous les traits d’Angel… Source : Carlotta Films.

N’y allons pas par quatre chemins : Angel 2 : la vengeance est une suite offrant la plus jubilatoire des prolongations. Robert Vincent O’Neil et son coscénariste Joseph M. Cala ont veillé à ce que le charme de l’original opère encore. Avec les mêmes qualités d’écriture, les auteurs recréent la dynamique du premier volet tout en cédant sans complexe aux sirènes du « bigger and louder ». Car cet Avenging Angel (en VO) démarre fort, très fort. Sur un morceau électrisant de Bronski Beat (« Why ? » interprété par Jimmy Somerville), des hommes de main déboulent dans un appart pour trouer leurs cibles à coups de fusil à pompe. Le rythme musical, la puissance de feu à la Peckinpah et le montage sans chichis convoquent le meilleur du B des 80’s. Plus d’action donc, mais aussi plus d’humour. Ce qui s’avère tout de suite plus casse-gueule. N’ayez crainte, ce nouvel ingrédient s’intègre naturellement au reste. Si les genres se complètent aussi harmonieusement, c’est parce que les protagonistes d’Angel sont (presque) tous de retour. Parmi nos laissés pour compte favoris, Rory Calhoun (alors en fin de carrière) demeure certainement le plus allumé, le plus attachant. En simili Bronco Billy faisant chanter ses tromblons comme au temps du Far West, le Harry Weston de La Rivière sans retour émeut autant qu’il file la banane. Avec lui, et ses autres camarades de jeu, affleure l’idée que le monde change en laissant pas mal de gens sur le carreau et aux mains d’individus toujours plus crapuleux. En réalité, La Vengeance de l’ange (autre titre français) prend fait et cause pour les déshérités de L.A et sonde le fossé social les séparant de ceux qui les exploitent (les charognards sont ici des gangsters pleins aux as s’accaparant les biens immobiliers du quartier). Ah, j’oubliais : entretemps, Angel a changé de visage. Plus sexy et moins enfantine que Donna Wilkes (le producteur Sandy Howard a préféré remplacer cette dernière plutôt que de l’augmenter), la très convaincante Betsy Russell (future régulière de la saga Saw) prouve à son tour que la Cité des Anges n’a jamais aussi bien porté son nom.

Avenging Angel. De Robert Vincent O’Neil. États-Unis. 1984. 1h30. Avec : Betsy Russell, Rory Calhoun, Susan Tyrrell…


ELLE A PRIS GOÛT À LA VENGEANCE

Le Pitch. Molly Stewart (Mitzi Kapture) est installée à New York où elle est photographe. Lors d’un vernissage, elle croit reconnaître parmi la foule sa mère disparue. Après avoir obtenu quelques informations sur cette Gloria Rollins, Molly décide de la confronter et s’envole pour Los Angeles. Sa mère lui apprend que Michelle, sa petite sœur dont elle ignorait l’existence, court actuellement un grand danger. Le soir même, Gloria est retrouvée morte… Source : Carlotta Films.

Tôt ou tard, il fallait bien que la franchise se casse la binette, que la magie s’étiole, que nos espoirs s’envolent. Avec Angel 3 : le chapitre final (c’est faux, il y en aura encore un quatrième), tout ce qui faisait le sel des opus précédents n’est plus de mise. Le regard singulier du duo O’Neil/Cala s’efface au profit d’un polar tristement impersonnel. L’absence de cœur, de truculence et de folie se fait cruellement sentir, tout comme celle des amis freaks de Molly « Angel » Stewart. D’outsiders folklos, les personnages deviennent chez Tom DeSimone (le nouveau réalisateur/scénariste) des archétypes fadasses (mention spéciale au flirt de l’héroïne, un sidekick sans intérêt). La continuité étant brisée, on ne reconnaît plus notre ange de la vengeance (on la retrouve photographe de presse alors qu’elle était sur le point de devenir avocate dans Avenging Angel). Rouillé dans ses moindres ressorts, le script sort de son chapeau troué une maman et une frangine. S’ensuit une enquête routinière débutant dans le milieu du porno (l’occasion d’apercevoir le minou, euh… je veux dire le minois, d’Ashlyn Gere) et s’achevant en plein trafic de femmes. La mise en scène purement fonctionnelle de Tom DeSimone (Garnier ? « Ça m’est égal » répond Fabienne) donne l’impression de se mater un épisode de Rick Hunter. Le plaisir éprouvé à la découverte de son Hell Night (1981), un chouette slasher avec Linda Blair, n’est donc pas au rendez-vous. Ce qui n’empêche pas DeSimone de faire un peu d’auto-promo dans Angel 3 : l’affiche de son hallucinant Reform School Girls (1986) décore le mur de l’un des intérieurs du film… Et quid de Mitzi Kapture, la troisième Angel ? Si la comédienne des Dessous de Palm Beach ne s’en sort pas si mal, elle peine cependant à faire oublier ses devancières. Également présents au générique de ce « final chapter » mensonger, Maud Adams (Rollerball), Richard Roundtree (Shaft) et Dick Miller (l’acteur fétiche de Joe Dante) ne parviennent pas davantage à sauver les meubles. Encore un coup de ces fichus Gremlins…

Angel III : The Final Chapter. De Tom DeSimone. États-Unis. 1988. 1h39. Avec : Mitzi Kapture, Maud Adams, Richard Roundtree…

TRILOGIE VICE ACADEMY : c’est presque pareil !

À la question « Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ? », ces grands malades de chez Pulse Vidéo ont répondu par un coffret blu-ray de Vice Academy 1, 2 et 3. Une saga culte aux États-Unis, comptant six péloches au total et détenant quelques armes de séduction massive : Ginger Lynn (l’étoile la plus brûlante du porno US, ex aequo avec Traci Lords), Linnea Quigley (l’une des plus fameuses Scream Queens de la vallée des plaisirs) et Elizabeth Kaitan (une autre souveraine du Bis des années 80/90 et non des moindres). Les téléspectateurs français se souviennent peut-être d’une diffusion sur « La Cinq » d’un certain Sexy Academy. Il s’agissait en réalité du premier Vice Academy ! Aujourd’hui, ces comédies potacho-policières jouissent d’une restauration exceptionnelle et vous donnent rendez-vous au poste le plus proche. Alors, prêt à revêtir (et à dévêtir) l’uniforme ?


WHERE NICE GIRLS BECOME VICE GIRLS

Comme son titre l’indique, Vice Academy est un rip-off sexy de Police Academy. Si, question humour, les deux films partagent la même « finesse », il n’en est pas de même lorsqu’on lâche le mot « standing ». À l’instar de ses collègues Fred Olen Ray, Jim Wynorski, David DeCoteau et Christophe Honoré, Rick Sloane (également auteur d’un sous-Gremlins intitulé Hobgoblins) donne dans le cheap décomplexé du soutif et compense le manque de brouzoufs en faisant jaillir devant nos délicates mirettes les délices les plus déviants. Certes, la fameuse académie de police ne comprend qu’une dizaine d’élèves (dont un seul mec, une tête de gland), les flingues ont l’air de jouets provenant d’un magasin GiFi (le plastoc, c’est fantastoc !) et la musique synthétique ferait passer Orelsan pour Jean-Sébastien Bach (tout en restant plus écoutable que du Orelsan). Mais grâce à la splendide copie de Pulse Vidéo, Vice Academy bénéficie d’une patine visuelle plus que correcte (les séquences tournées en extérieur et de nuit profitent joliment des lumières de la ville). En revanche, on ne peut qu’être déçu par la place secondaire laissée à Ginger Lynn. Pas de duo chic et choc avec Linnea Quigley, pas de buddy movie avant de faire ses prières du soir. Cela n’empêche pas les deux starlettes de rivaliser de charme. L’atomique Ginger s’avère remarquable en fille à papa, formidable en chipie incendiaire, fantastique en garce qu’on aime haïr. Quant à l’adorable Linnea, elle rend son espièglerie absolument irrésistible… Les voir intégrer la « vice squad » (dans des conditions toutefois moins rudes que chez Gary Sherman), cette brigade des mœurs jadis fréquentée par la « flic » Edwige Fenech et infiltrée par Max Pécas, demeure assez réjouissant. N’oublions pas non plus la performance topless de la brune Karen Murder Weapon Russell. Qu’on se le dise : pour détourner l’attention d’un type qui vous tient en joue, rien n’est plus efficace qu’une poitrine voluptueuse…

Vice Academy. De Rick Sloane. États-Unis. 1989. 1h29. Avec : Linnea Quigley, Ginger Lynn (ou Ginger Lynn Allen), Karen Russell


TWICE THE COMEDY, TWICE THE VICE 

Seul opus de la saga à être sorti chez nous en VHS, Vice Academy 2 est à Vice Academy 1 ce que Le Parrain, 2ème partie est au premier Parrain : une suite qui surpasse l’original, une œuvre épique et monumentale, un pan de l’histoire du cinéma. J’en fais trop ? Sans doute. Mais si c’est un petit pan pour l’Homme, c’est aussi un grand pan pour Rick Sloane ! Avec cet épisode plus fun et mieux charpenté, celui qu’on ne peut confondre avec Coppola corrige les défauts du film précédent et ne commet pas deux fois la même erreur : Ginger Lynn se voit enfin confier un rôle aussi important que celui de Linnea Quigley. Contraintes de faire équipe malgré leurs différends, la Trashy Lady et l’Hollywood Chainsaw Hooker s’associent pour combattre le crime dans les faubourgs de L.A. Plus affriolantes que Tango et Cash, nos deux flics « amie-amie » pas si « nulles » que ça vont devoir unir leurs forces pour contrecarrer les plans machiavéliques de Spanish Fly. Une méchante en cartoon, sorte d’effeuilleuse burlesque échappée d’une prod Troma. Mais avant de céder à la franche rigolade, sachez que la bougresse menace d’empoisonner toute l’eau de la « cité des anges » ! Pour écarter un tel danger, l’aide de BimboCop (la frangine fauchée de RoboCop) ne sera pas de trop. Un engin « mi femme, mi machine, 100% camelote » campé en chair et en toc par la culturiste Teagan Clive (l’androïde intersidéral, et sidérant, d’Alienator). Cependant, la bonne humeur ne serait pas aussi contagieuse sans ce dialogue immortel pondu par le Prévert d’Hollywood Boulevard : « – Spanish Fly, prépare-toi à rencontrer le Créateur ! – Jean-Paul Gaultier est là ? ». À cet échange qui tue, ajoutons les étincelles provoquées par le couple Lynn/Quigley, des « Charlie’s angels » du Bis capables d’émoustiller un mur en béton armé et de faire marrer un condamné à mort. Des nanas aguichantes et poilantes mais qui ne se laissent pas marcher sur les pieds : elles ridiculisent au passage un collègue macho, un gros mytho dont les attributs tiennent davantage de la « saucisse cocktail » que de la « grosse matraque ». Girl powa’ !

Vice Academy Part 2. De Rick Sloane. États-Unis. 1990. 1h33. Avec : Linnea Quigley, Ginger Lynn, Jayne Hamil


FOR A GOOD TIME… CALL A COP !

Ce troisième volet ne perd pas de temps pour justifier l’absence de Didi (Mrs. Quigley. L’Australienne ?). Dès la première séquence, on nous apprend qu’elle « vole désormais de ses propres ailes ». Heureusement, le père Sloane a plus d’un tour dans son sac et fait aussitôt apparaître Candy (Elizabeth Kaitan)… la sœur de Didi ! Et vous savez quoi ? C’est aussi une « vice cop » ! Par la moustache de Charles Bronson ! L’Hongroise Elizabeth Kaitan (vue dans Slave Girls from Beyond Infinity, Assault of the Killer Bimbos, Roller Blade Warriors et autres friandises chères à Thierry Frémaux et Pierre Lescure) joue ici les ravissantes idiotes avec un indéfectible sens du devoir (et une bonne dose de second degré). Le sourire éclatant et le gun bien en pogne, la Kaitan continuera à « protéger et servir » dans les Vice Academy suivants. Ce qui ne sera pas le cas de Ginger Lynn. Ce numéro trois constitue donc sa dernière enquête au sein de la police des mœurs. Dommage. Pour l’heure, notre Ginger s’infiltre en taule le temps d’une intro rendant hommage aux « Women In Prison flicks » (avec lesbienne/camionneuse peu commode et matonne sévère) et, une fois sortie de cette galère, s’envoie une ribambelle de fions avec Elizabeth Kaitan (certaines réparties sont très amusantes). Mais si Vice Academy Part 3 parvient à atteindre des sommets d’excentricité, c’est parce qu’il n’hésite pas à flirter avec le « comic book movie » de seconde zone. Bad girl à la tignasse verte, Malathion ressemble à la sœur cachée et ultra flashy du Joker (ou à une Harley Quinn de chez « The Asylum », au choix). Un rôle tenu par Julia Parton (la cousine de Dolly, la chanteuse de country, pas la brebis clonée) avec la sobriété exemplaire de Jim Carrey et Tommy Lee Jones dans Batman Forever. Planquez vos miches : Malathion sera de retour dans Vice Academy 4 ! Quant à Vice Academy 3, y a pas à dire, c’est quand même autre chose que L’Arme Fatale 3

Vice Academy Part 3. De Rick Sloane. États-Unis. 1991. 1h28. Avec : Ginger Lynn, Elizabeth Kaitan, Julia Parton

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Los Angeles, Ca 90048

FAIR GAME : trois hommes à abattre

Fair Game ? C’est le huis clos dans lequel une nana est enfermée avec un mamba ? Non, pas celui-là. La prod Joel Silver où l’explosion d’un cargo est à deux doigts de griller le popotin de Cindy Crawford et William Baldwin ? Non plus. Hum… peut-être le thriller politique avec le couple Naomi Watts/Sean Penn confronté aux mensonges de l’administration Bush ? Pas davantage. En fait, notre Fair Game se déroule en plein désert australien et relate le cauchemar vécu par Jessica (Cassandra Delaney). Responsable d’une réserve naturelle, la miss a le malheur de croiser un trio de chasseurs de kangourous. Des viandards dégénérés pour qui la jeune femme représente une « proie » de choix. Mais celle-ci ne compte pas se laisser canarder aussi facilement… Trois contre un : il n’y a rien d’équitable dans ce jeu du chat et de la souris s’achevant en jeu de la mort. S’écartant des sentiers battus du rape and revenge, le film de Mario Andreacchio décrit l’épreuve de force engagée par la victime d’un harcèlement sexiste. De provocations en représailles, d’humiliations en coups fourrés, l’agressée déclare la guerre à ses agresseurs et les expose à un retour de flamme bien mérité. Le deux camps ennemis se traquent mutuellement, ce qui contraint l’action à se déplacer constamment d’un point A (la ferme où crèche l’héroïne) vers un point B (les alentours où rôdent les sales types), et inversement. Géographiquement parlant, Fair Game se montre donc plutôt ludique (comme le titre l’indique). Bien entendu, rendre coup pour coup n’est pas une distraction anodine. Riposter demeure pour Jessica l’unique moyen de sauver sa peau. Tuer n’est pas jouer.

Nuit froide et bleutée façon Razorback, phares rouges d’un véhicule surgissant des ténèbres, plan fixe d’un kangourou touché par une bastos, écran scarifié par une typo écarlate : dès le générique d’ouverture, le spectacle s’annonce percutant, cruel, agressif. Bref, bien nasty comme il faut. En quelques minutes, ce survival en provenance du pays de George Miller montre qu’il a méchamment de la gueule. Il en a aussi sévèrement sous le capot, ce que prouve la suite des hostilités. Osons donc l’Ozploitation, le cinéma populaire des antipodes à l’heure des années 70/80. Ou l’Australie dans ce qu’elle a de plus vénère, excentrique, sexy, musclée, insolente, vicieuse. Un ADN que partage bien évidemment ce redoutable Fair Game, modèle de série B capable de faire des miracles avec peu de moyens. Quand on fait appel à des techniciens compétents, la charpente ne peut qu’être solide. Ce qui se vérifie avec la présence du regretté Andrew Lesnie au poste de chef op. Le futur collaborateur de Peter Jackson sur Le Seigneur des anneaux, King Kong, Lovely Bones et Le Hobbit (ça calme, hein ?) fignole une esthétique nourrie de fulgurances nocturnes et d’éclats diurnes, irradie l’outback d’une chaleur faisant suer la rétine. Question bourrinage, ça déménage pas mal aussi. Glenn Boswell, l’un des membres de la stunt team de Mad Max 2 (ça calme toujours, pas vrai ?) orchestre ici une course-poursuite motorisée que n’aurait pas reniée le road warrior (peu découragé par la vitesse excessive, un acteur/cascadeur sort de sa bagnole pour rejoindre celles situées en tête). Surnommé la « bête » par ses propriétaires, le pick-up des chasseurs semble d’ailleurs avoir été customisé à la mode post-apo…

Spectaculaire, Fair Game l’est d’autant plus qu’il ne manque pas d’idées folles (pour se défendre contre ses assaillants, Jessica utilise un tracteur sur lequel est fixé… une lame de scie circulaire !) et exploite jusqu’à la dernière goutte de sans-plomb tout son potentiel de destruction (le climax transforme la propriété de cette dernière en champ de bataille). Impressionnant, surtout quand on ne bénéficie pas du confort d’une grosse production et que le tournage se déroule au fin fond du bush australien. Ça, c’est de l’authentique ! Ce bout du monde, arène idéale pour un réveil dans la terreur, libère des échos constitués de synthés furibards et de batteries pilonnantes, BO hautement efficace signée Ashley Irwin. Du rythme, le réalisateur Mario Andreacchio (Fair Game reste l’œuvre la plus notable de son CV) et son monteur Andrew Prowse (un lien de parenté avec David ?) savent également en donner, soucieux qu’ils sont – comme le reste de l’équipe – de livrer le film le plus performant qui soit. Et pour cela, les gars peuvent également compter sur la comédienne Cassandra Delaney (sept ans plus tard, elle tâtera les biceps de Carl Weathers dans Hurricane Smith). Belle, blonde et bronzée (la « lady hotblood » nous offre une échappée incandescente lorsqu’elle s’étend à oilpé sur son lit et laisse l’air du ventilo caresser son divin joufflu), Cassandra/Jessica est surtout une guerrière qui s’ignore. Elle s’en prend plein la gueule mais se relève, rend au centuple ce que les trois salopards lui ont fait subir. Convaincante dans son goût du combat, la Delaney fait une action woman du tonnerre (elle se situe même au-delà du dôme). Et puis, tout le monde n’accepterait pas d’être attachée topless sur le capot d’un véhicule pour endurer un rodéo périlleux…

Évoluant dans des contrées reculées où personne ne vous entend crier, Fair Game interroge les rapports entre l’être humain et la nature. Pour celle qui tente de sauver la faune de ceux qui la détruisent, la loi du plus fort s’avère la seule issue puisque les autorités sont incapables de maintenir l’ordre (le shérif du coin ne sert à rien, sauf à remettre en cause la parole de Jessica…). Lorsque les hommes deviennent des prédateurs traquant leurs semblables, il n’y a plus de civilisation qui tienne. En réalité, la société telle qu’elle devrait être, c’est-à-dire plus juste (la protection des animaux et de notre habitat commun), s’oppose ici au chaos que sèment des rednecks guidés par leur bestialité. De prime abord, la lutte paraît s’effectuer à armes inégales. Quand l’ange de la brousse monte à cheval et se défend avec les moyens du bord, les fumiers à ses trousses utilisent de nombreux shotguns et circulent en auto ou en moto… Pourtant, à l’instar du Long Weekend de Colin Eggleston, les profanateurs de l’environnement, les fossoyeurs du vivant, les pilleurs de la biodiversité semblent avoir oublié qu’ils sont peu de chose au regard de l’immensité terrestre. Sous la forme d’un backlash sans pitié, notre planète leur rappelle qui est le boss… Face à l’enfer mécanique et la sinistre artillerie des flingueurs de marsupiaux, le monde s’allie à la ténacité d’une femme seule contre tous. Pour préserver la richesse et la singularité d’un paysage aussi âpre que fabuleux, il faut parfois se frotter aux pires rebuts de notre espèce… La sentence est sans appel mais cohérente avec cet affrontement sauvage et poisseux, tellement bien foutu et grisant que Coralie Fargeat saura s’en souvenir pour son bien nommé Revenge.

Fair Game. De Mario Andreacchio. Australie. 1986. 1h26. Avec : Cassandra Delaney, Peter Ford, David Sandford…

EXTRA SANGSUES : si vous criez, vous êtes mort !

Quelque part dans le cosmos. De drôles d’extraterrestres (des gnomes imberbes au faciès de poupon hideux) poursuivent l’un d’entre eux dans les coursives d’un vaisseau spatial. Avant qu’un rayon laser ne lui crame le derche, le renégat du lot chope une mystérieuse capsule et la bazarde dans les étoiles. Le projectile s’écrase sur Terre, plus précisément dans les bois nord-américains, durant l’année 1959. Contemplant le ciel nocturne tranquillement assis dans leur bagnole, Johnny et Pam – des amoureux en plein rencard – assistent à la scène. Le premier se rend sur le lieu du crash et tombe sur la fameuse capsule qui lui envoie dans la bouche un « corps étranger ». La seconde, quant à elle, se fait occire à la hache par un serial killer échappé d’un asile psychiatrique… 1986, dans le même bled. Chris (Jason Lively) et son meilleur ami J.C. (Steve Marshall) acceptent de se faire bizuter pour pouvoir intégrer la fraternité étudiante de leur campus. Leur défi consiste à dérober un cadavre à la morgue et à le déposer devant la porte de la confrérie voisine. Les deux compères s’emparent alors d’un macchabée, mais pas de n’importe lequel : celui, cryogénisé, du pauvre Johnny. Problème, le refroidi se réchauffe et libère des sangsues du troisième type. Ainsi commence l’invasion des zomblards d’outre-espace…

Ce pitch joyeusement foutraque et facétieusement psychotronique s’inscrit dans une tendance bien particulière du cinoche horrifique. Au mitan des fantastiques années 80, le genre s’adresse de plus en plus aux ados (bien aidé en cela par l’émergence du slasher) et développe au passage son sens de l’humour (faisons table rase des tumultueuses années 70 et place à la grosse marrade !). L’un des péchés mignons de l’horror comedy est de mettre la jeunesse en avant, voire de s’acoquiner avec les ressorts du teen movie (c’est à cette époque que John Hughes, un maître en la matière, souffle seize bougies pour Sam, envoie le Breakfast Club en retenue et fabrique une créature de rêve). Le public cible peut alors s’identifier au sympathique puceau de Vampire, vous avez dit vampire ? (Tom Holland, 1985) et ce malgré le caractère surnaturel de ses nuits d’effroi. Lycéen ordinaire et fan de série B d’épouvante, Charley Brewster nous ressemble et nous vivons à travers lui une aventure extraordinaire. Dans Extra Sangsues, ce cinéphile passionné par l’imaginaire qui tache n’est autre que Fred Dekker lui-même. Son film transpire l’amour du Bis, rend un vibrant hommage aux péloches des drive-ins, mixe allègrement les concepts les plus azimutés. En gros, le bonhomme a casé dans son premier long-métrage tout ce qui le fait triper.

Irruption d’aliens parasites, contamination gluante et zombiesque, slasher estudiantin, love story post-pubère, potacherie décomplexée, film noir rétro : si le programme des réjouissances s’avère copieux, il s’intègre parfaitement dans un tout cohérent et ne fait jamais souffrir l’entreprise d’un trop-plein d’influences. Et encore, pas un seul des célèbres monstres de la Universal ne daignent montrer ici leur bobine (normal, Dekker leur dédiera l’année suivante son deuxième long, The Monster Squad). Dans Night of the Creeps, le mélange des genres s’accompagne d’un feu d’artifice de clins d’œil adressés aux fantasticophiles avertis. Alors que la faculté Corman vous ouvre ses portes (imaginez-vous le cul posé sur ses bancs, potassant un vieux Mad Movies d’une mirette et reluquant un sosie de Julie Strain de l’autre), chaque rôle (ou presque) jouit d’un patronyme qui vous dira certainement quelque chose : Carpenter, Romero, Cameron, Cronenberg, Raimi, De Palma, Hooper, Dante, Landis, Klapisch… N’en jetez plus (ne trouvait-on pas aussi un Romero et un Cronenberg parmi la faune de New York 1997 ?) ! Homme de goût, Fred Dekker n’a pas non plus oublié d’offrir une séquence à l’immense Dick Miller, figure incontournable des bandes cormaniennes et acteur fétiche de l’ami Joe. Rien de tel pour illuminer une soirée !

Si les spectateurs d’aujourd’hui sont habitués au postmodernisme, à la mise en abyme ou à toute autre approche méta, c’était un peu moins le cas du temps de Night of the Creeps. L’exercice peut vite se révéler vain et superficiel si le metteur en scène ne croit pas à ce qu’il raconte et ne pense qu’à faire le malin. Ce n’est absolument pas le cas du père Dekker, un type sincère qui n’a rien d’un foutu poseur. Son film, le pote de Shane Black ne le prend jamais de haut, lui donne chair et émotion. Le regard tendre qu’il pose sur ses jeunes héros est aussi là pour en témoigner. L’immaturité des nerds Chris et J.C. dissimule en fait un réel sens de l’amitié (le second fait tout pour que le premier puisse rencontrer la fille dont il est totalement in love, quitte à s’effacer un brin). C’est dire combien ces deux crétins sont attachants, préfigurant en quelque sorte le duo Simon Pegg/Nick Frost de Shaun of the Dead. Comme ce glorieux rejeton, La Nuit des sangsues (titre VHS) ne constitue en aucune façon une parodie mais plutôt un pastiche. Bien que Dekker s’amuse avec les poncifs de l’horreur pop, il le fait sans jamais recourir à une quelconque moquerie. Non seulement ses « parasite murders » se montrent fun et généreux, mais en plus ils sont d’une humilité à toute épreuve. Une qualité rare.

Il est donc d’autant plus rageant de constater que ce cinéaste prometteur n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Doté d’un point de vue, d’une personnalité, d’une âme, Fredo est bien davantage qu’un simple fanboy. Son premier effort aurait dû le mener jusqu’au firmament, là où siègent Sam Raimi et Peter Jackson. Malheureusement, aucun des trois longs de sa trop courte filmo n’a brillé au box-office (notre homme ne se relèvera jamais de la bérézina RoboCop 3…). Des rendez-vous manqués en somme, même si The Monster Squad et Extra Sangsues sont à présent considérés comme cultes aux États-Unis. Chez nous, Night of the Creeps a été présenté au festival d’Avoriaz en 1987, avant de tomber dans les oubliettes. Mieux vaut tard que jamais : l’éditeur Elephant Films a remis dernièrement le film à l’honneur via une rondelle bourrée de bonus. Une occase en or pour se rendre compte à quel point cette péloche a elle aussi inspiré son petit monde (Hidden, Braindead, Horribilis leur doivent tous quelque chose). Pour s’apercevoir qu’elle ne joue pas seulement la carte du gore rigolard mais aussi celle de la suggestion (voir comment, dans un premier temps, le réalisateur ne cadre que les pieds ou les mains de ses agresseurs putrescents…). Ou encore pour s’ébahir devant ses « monstrueux » effets de maquillage (le plus beau : un psychopathe cadavérique digne des revenants de Lifeforce !).

Mais parmi les nombreux agréments offerts par Night of the Creeps, il y en a un qui bat tous les records et contribue grandement à la bonne humeur générale : Tom Atkins. Plus qu’un second couteau, une lame d’exception, un acteur robuste, une trogne inoubliable. Les aficionados du fantastique des 80’s lui sont à jamais reconnaissants : Fog, New York 1997, Creepshow, Halloween 3 : le sang du sorcier, Maniac Cop… Du Carpenter, du Romero, du Lustig. Qui dit mieux ? Chez Dekker, Atkins livre certainement sa prestation la plus jubilatoire (sa préférée même, selon ses dires). En flic coincé dans les années 50 et tourmenté par son passé, il fait de sa cool/badass attitude une arme de poilade massive. On lui doit à ce propos la réplique la plus hilarante du film : « J’ai de bonnes et de mauvaises nouvelles, les filles. La bonne nouvelle est que vos copains sont venus. Et la mauvaise ? Ils sont morts. » Ou encore celle qui résume à merveille toute cette fichue pagaille : « Des morts-vivants ? Des têtes qui explosent ? Des sangsues qui rampent ? On pourrait avoir un petit problème. » Bref, si notre moustachu grisonnant ne parvient pas à vous filer une pêche d’enfer, je m’envoie l’intégrale Camping paradis ! Mais arriver à une telle extrémité devrait être inutile. Si Le Retour des morts-vivants ou Killer Klowns from outer space vous émoustillent, alors vous atteindrez sûrement l’orgasme avec la bombinette festive et touchante de Dekker le maudit.

Night of the Creeps. De Fred Dekker. États-Unis. 1986. 1h29. Avec : Tom Atkins, Jason Lively, Jill Whitlow…

ULTIME VIOLENCE + NINJA lll : the way of the Cannon part 2

« SEUL UN NINJA PEUT VAINCRE UN NINJA ! »

Fini de rigoler ! Après un Implacable Ninja (1981) sympathique mais franchement perfectible (et, quoi qu’il en soit, très rentable pour les Go-Go Boys), l’art du ninjutsu peut enfin exploser à l’écran avec Ultime Violence (aka Revenge of the Ninja, 1983). Une suite qui fait opérer à la trilogie Ninja de Cannon Group un bond qualitatif des plus substantiels. Première bonne idée : remplacer un Franco Nero peu crédible en émule de Chuck Norris par un Shô Kosugi promu tête d’affiche et sachant réellement lever la jambe. Deuxième bonne idée : reléguer Menahem Golan au seul poste de producteur et engager le plus inspiré Sam Firstenberg à la mise en scène. Troisième bonne idée : couper les ponts narratifs avec le précédent épisode, modifier les personnages et s’inscrire uniquement dans une continuité thématique. Voilà comment Ultime Violence parvient à réparer les erreurs de son aîné et à lui mettre la misère…

Au Japon, des ninjas sans foi ni loi abattent froidement hommes, femmes et enfants. Tous des proches d’un autre ninja, Cho Osaki (Shô Kosugi). Avec son fils Kane (Kane Kosugi, fils de), le seul survivant du massacre, Cho s’exile aux États-Unis afin de rompre la chaîne de la violence. Une fois là-bas, il bosse dans la galerie d’art de son pote Braden (Arthur Roberts) et semble enfin avoir trouvé la paix. Jusqu’au jour où, fatalement, les hostilités reprennent… Le film commence très fort, avec en guise d’ouverture un carnage hallucinant, celui dont est victime la quasi-totalité de la famille du héros. La sauvagerie inouïe de cette intro (même les gamins ne sont pas épargnés), démontre d’emblée toute la force de frappe d’Ultime Violence. Résultat : nous sommes déjà sur le derche alors que le film vient à peine de commencer. Accrochez-vous car le reste est du même tonneau.

Faut dire que Sam Firstenberg n’est pas Menahem Golan, le réalisateur d’Enter the Ninja. Là où le second ne sait pas vraiment mettre en valeur ses vedettes d’un nouveau genre, le premier ne fait pas de ses ninjas des figures secondaires et les dévoile dans toute leur splendeur, cadrant leurs techniques de combat en plan large, avec des angles variés et un montage dynamique. Les bastons gagnent alors en lisibilité, ce qui ajoute énormément au plaisir du spectateur. D’autant plus que les morceaux de bravoure étonnent de par leur jusqu’au-boutisme et ne sont jamais bâclés malgré le budget modeste alloué à l’entreprise. Outre le fameux prologue et une course-poursuite entre le Shô et les proprios d’un van roulant à tombeau ouvert, la folle énergie et l’extrême générosité de Revenge of the Ninja culminent lors du face-à-face final entre Kosugi et un ninja diabolique au masque argenté (belle idée visuelle).

Se déroulant sur le toit d’un immense building de Salt Lake City, ce climax épique (presque quinze minutes au compteur) déploie tous les artifices du ninja et bien plus encore : bombinettes à fumée, mini lance-flammes dissimulés dans les poignets (!), mannequins en mousse pour tromper l’ennemi (!!)… C’est carrément de la prestidigitation ! Lui aussi un peu magicien, Shô Kosugi met toutes ses compétences martiales au service d’un B aussi fantaisiste que redoutable et s’impose, à travers des scènes d’action kamikazes et inventives, comme la nouvelle star du genre. Il se paye même le luxe d’offrir à son perso une dimension tragique, celle d’un homme constamment rattrapé par la violence où qu’il soit… De quoi faire pardonner un rôle féminin peu gratifiant campé par la blonde Ashley Ferrare, également aperçue en 1984 dans un épisode de la série L’Homme au Katana avec Lee Van Cleef et… Shô Kosugi.

Ce Ninja III aurait pu se la couler douce, raconter encore et encore la même histoire, sans prendre de risques et engranger pépère un maximum de recettes. Seulement voilà, le Bis a ses raisons que la raison ignore et s’hasarde parfois dans des concepts merveilleusement improbables. L’hybridation à l’œuvre dans ce troisième volet semble être née d’une expérience contre nature. Si, à l’instar d’Ultime Violence, cette suite ne reprend ni l’histoire ni les personnages de son prédécesseur, de ninja il en est toujours question, avec ce qu’il faut de pirouettes endiablées, de cascades de ouf et de coups de nunchaku bien placés. Là où les choses se corsent, c’est que ce projet subit l’influence inattendue d’un film ayant rapporté pas mal de brouzoufs en 1983 : Flashdance ! Et ce n’est pas tout puisque, à ce plat déjà bien relevé, s’ajoute une bonne louche de… L’Exorciste ! Autant dire que Ninja III : The Domination verse carrément dans le fantastique le plus débridé. Et heureusement, la tambouille s’avère loin d’être indigeste…

Dans le désert de l’Arizona, tous les flics de la région se lancent à la poursuite du « black ninja » (David Chung) et finissent par le cribler de balles. Ce dernier, mal en point, a toute de même suffisamment de force pour s’enfuir. Dans son agonie, il croise la route de Christie (Lucinda Dickey), une employée des télécoms, également prof d’aérobic. Avant de succomber à ses blessures, le « black ninja » transfert son esprit dans le corps de la jeune femme. Son plan : se servir d’elle pour se venger des policiers qui l’ont flingué… Shô Kosugi parvient à se greffer à ce pitch via un flashback nippon où le fameux ninja noir lui crève un œil. Ce qui motive le Shiro Tanaka de Rage of Honor à s’amener aux States pour aider Christie à se débarrasser du démoniaque squatteur d’âme. Un rôle presque secondaire mais utile au récit. Avec un bandeau de pirate sur la face, l’acteur a en outre tout le loisir de s’exprimer dans de grands moments de joutes pelliculées (cf. cette bagarre dans un temple que n’aurait pas renié le Tsui Hark de Zu, les guerriers de la montagne magique).

Reprenant le cadre urbain du deuxième épisode (avec quelques décors désertiques en plus) ainsi que son implacable thème musical (qui donne envie d’effectuer des roulés-boulés aériens dans les bois voisins), Ninja III rivalise avec Ultime Violence niveau entertainment shooté à l’adrénaline. Avec le retour du très doué Sam Firstenberg aux commandes, il ne pouvait en être autrement. Il suffit de voir les préliminaires dantesques qu’il nous réserve pour s’en convaincre. Si l’on accepte de fermer les yeux sur quelques raccords rock’n’roll, impossible de ne pas rester bouche bée devant les exploits d’un « black ninja » quasi increvable, butant à lui tout seul une armada de flics, sautant sur le toit d’une voiture de patrouille filant à toute allure, s’agrippant à un hélico en plein vol et se faisant au final trouer comme une passoire avant de déclarer forfait. Le spectacle est copieux, jouissif, total. Même avec peu de moyens, le film ne se refuse pas la démesure ni ne recule devant les trouvailles les plus barrées.

Mais ce qui fait toute la singularité frappadingue de ce dernier Ninja demeure la possession subie par l’héroïne et dont les effets surnaturels à la Poltergeist (ou à la S.O.S fantômes) se manifestent jusque dans sa chambre à coucher (le mobilier bouge tout seul, tout comme le katana du « black ninja » qui se met à briller dans la nuit). On a même le droit à une séance d’exorcisme éclairée façon Mario Bava et animée par James « Lo Pan » Hong ! Ultra fun, au même titre que ces instants de grâce où Lucinda Dickey rend hommage à Véronique et Davina (toutouyoutou style sur fond de tubes pop 80’s !). Remarquée dans les « breakdance movies » de la Cannon (les deux Breakin’), la comédienne ne démérite pas et s’impose dans un emploi aussi physique que nawakesque. Par ailleurs, voir une femme en lieu et place du traditionnel héros viril a quelque chose de révolutionnaire pour l’époque, surtout dans le cadre d’une prod Golan/Globus. L’une des nombreuses qualités d’une joyeuseté purement Bis et, osons le dire, carrément culte…

Alors que L’Implacable Ninja et Ultime Violence cassent la baraque, le public répond beaucoup moins présent à l’invitation lancée par Ninja III. Un échec que ce gougnafier de Menahem impute au premier rôle féminin et non à l’imagination farfelue d’une mixture un peu trop délirante pour les spectateurs des années 1980… Pas grave, Cannon Group embraye sur un autre cycle ninja, toujours empaqueté (à quelques exceptions près) par le fidèle Firstenberg et incarné cette fois-ci par Michael Dudikoff (la série des American Ninja, Avenging Force…). Le genre s’essouffle lorsque le phénomène JCVD impose une nouvelle mode avec Bloodsport (1988), une affaire lucrative qui remet temporairement à flot la firme de Golan et Globus. Après Ninja III, Shô Kosugi tourne une dernière péloche pour la Cannon, Nine Deaths of the Ninja (1985); et renfile sa combinaison d’assassin d’élite dans un diptyque signé Gordon Hessler, Prière pour un tueur (1985) et La Rage de l’honneur (1987). Puis, hors Cannon, les choses dégénèrent pour nos amis les ninjas. En témoignent les Z psychotroniques de Godfrey Ho (l’inénarrable Ninja Terminator, 1985) ou les aberrations familiales type Les Tortues Ninja (1990) et Ninja Kids (1992). C’est la fin d’une époque. Il faut attendre le crépuscule des années 2000 pour voir débouler le digne successeur d’une bombe comme Ultime Violence : le sobrement nommé Ninja (Isaac Florentine, 2009). Du B movie bien gaulé et sans chichis auquel il faut adjoindre sa très bonne suite, Ninja 2 : Shadow of a Tear (Florentine again, 2013). Dans ce dernier, on retrouve au générique un certain Kane Kosugi. La boucle ninja est bouclée.

Revenge of the Ninja. De Sam Firstenberg. États-Unis. 1983. 1h29. Avec : Shô Kosugi, Arthur Roberts, Ashley Ferrare…

Ninja III : The Domination. De Sam Firstenberg. États-Unis. 1984. 1h32. Avec : Lucinda Dickey, Shô Kosugi, Jordan Bennett…

L’IMPLACABLE NINJA : the way of the Cannon part 1

« DE TOUS LES ARTS MARTIAUX, SEUL LE NINJUTSU CONDUIT À LA MORT… »

Ils étaient déjà là en 1967 dans le James Bond On ne vit que deux fois, en 1975 dans le Tueur d’élite de Sam Peckinpah et en 1980 dans La Fureur du Juste avec Chuck Norris. Discrétos et sans se faire pécho, ils ont tranquillement infiltré le cinoche occidental sans que celui-ci ne les remarque. Normal puisque « Ils » désigne… les Ninjaaas !!! Des as du camouflage venus du Japon féodal et rompus aux arts martiaux ! Des super espions et des machines à tuer qui se retrouvent, en 1981, au centre du premier grand succès de Cannon Group : L’Implacable Ninja. Cette œuvre séminale est à l’origine de la ninja mania qui déferle sur les écrans du monde entier durant les turbulentes 80’s; et relance par la même occase l’intérêt du public pour la baston exotique. Après des débuts difficiles au sein d’une Cannon acquise en 1979 (le bide du musical BIM Stars aka The Apple), Menahem Golan et Yoram Globus se font enfin des couilles en or et s’imposent d’emblée comme les rois de la série B qui débourre. L’accueil plus que favorable reçu par L’Implacable Ninja justifie l’existence d’au moins deux suites : Ultime Violence (Revenge of the Ninja, 1983) et Ninja III (Ninja III : the Domination, 1984). Deux autres titres formant une trilogie excentrique, décomplexée, réjouissante. Des témoins d’une autre époque, du temps où une compagnie indépendante faisait la nique aux majors hollywoodiennes, à (re)découvrir le cul posé sur son tatami, le katana bien en pogne. Chose rendue possible grâce à l’indispensable coffret dvd/blu-ray concocté par ESC Éditions et dispo depuis 2017 chez votre marchand de saïs (tel est le nom donné aux petits « tridents » d’Elektra).

Tout juste sacré ninja par ses pairs japonais, Cole (Franco Nero) débarque aux Philippines pour rendre visite à son pote Frank Landers (Alex Courtney). Ce dernier gère avec son épouse Mary Ann (Susan George) une exploitation agricole dans les environs. Problème : leurs terres sont convoitées par Venarius (Christopher George), un businessman véreux faisant pression sur les Landers pour qu’ils lui vendent leur propriété. Mais Cole s’interpose et rétame la tronche de tous les sbires de Venarius. Pour se débarrasser du redresseur de torts, le malandrin n’a donc plus d’autre choix que de dégainer son arme absolue : Hasegawa (Shô Kosugi). Un ninja, lui aussi, mais plutôt du genre malfaisant et qui, en plus, en veut personnellement à Cole…

Quand un justicier défend les innocents d’une petite ville contre les abus d’un despote local : un pitch que l’on connaît par cœur et qui n’est rien d’autre que le concept de L’Agence tous risques, la série de notre enfance. Mais aussi d’un nombre incalculable de péloches. Citons pour le fun, le bien balancé Road House dans lequel le regretté Patrick Swayze inflige à son ennemi un arrachage de larynx à main nue. Sans être aussi extrême, L’Implacable Ninja (Enter the Ninja en VO, clin d’œil évident au cultissime Enter the Dragon avec Bruce Lee) contient lui aussi ses petits instants de tendresse, rassurez-vous. Notamment lorsqu’un porte-flingue se reçoit une dizaine de shurikens sur la gueule (un effet gore qui resservira d’ailleurs pour les besoins du deuxième opus).

Pour le reste, le film résulte d’une méthode ayant fait les beaux jours du cinéma populaire, celui du métissage entre deux cultures ou plusieurs genres différents. Ici, l’art du ninjutsu se déguste à la sauce occidentale. Cependant, le spectacle conserve sa part d’exotisme, dégage même une atmosphère particulière, tournage à Manille oblige. Sentiment renforcé par la séquence d’ouverture d’Enter the Ninja où, dans une jungle silencieuse, le ninja blanc Franco Nero affronte des ninjas rouges et un big boss vêtu entièrement de noir, le tout dans une nature à dominante verte. Des motifs colorés mêlés à de jolies acrobaties, et s’épanouissant sur une bande-son vierge de tout dialogue, qui font démarrer le long-métrage de Menahem Golan sous les meilleurs auspices.

Malheureusement, il faudra attendre le climax pour que des ninjas repointent le bout de leur cagoule, les guerriers de l’ombre se faisant finalement plutôt rares dans le coin. Un comble. La plupart du temps, Franco Nero combat en « civil », à visage découvert. Un choix peu judicieux tant le moustachu ne se montre pas franchement à l’aise en artiste martial. Logique puisque celui-ci ne possède aucune aptitude dans ce domaine et a dû remplacer à la dernière minute un certain Mike Stone, ex-champion de karaté et auteur du script à l’origine de L’Implacable Ninja. Jugé inapte à jouer la comédie une fois arrivé sur le plateau, ledit Stone est relégué à la chorégraphie des combats. Et, sans rancune, accepte de devenir la doublure du Keoma d’Enzo G. Castellari…

Si retrouver le grand Franco Nero relève toujours du plaisir de cinéphile, force est de constater que son manque d’assurance handicape sérieusement l’entreprise. Conséquence : le cadrage et le montage sont contraints de masquer en permanence la doublure de l’italien, ce qui rend les empoignades pas toujours crédibles et lisibles… Le vent tourne lorsque la révélation Shô Kosugi, un authentique pro du sport de combat, intervient dans le récit et offre au film ses meilleurs moments (l’incendie de la plantation des Landers, l’affrontement final avec Nero). L’athlète nippon s’impose comme le vrai bad guy de l’histoire, évinçant sans peine un Christopher Frayeurs George plus cabotin que réellement intimidant…

Niveau casting, impossible de passer à côté de la rayonnante et toujours inspirée Susan George, la Amy de l’enragé Straw Dogs (1971) et la détentrice d’une filmo qui ne se limite pas au chef-d’œuvre de Peckinpah (Die Screaming Marianne de Pete Walker, Far West Story de Sergio Corbucci, Larry le dingue, Mary la garce de John Hough, Mandingo de Richard Fleischer…). Si, dans Enter the Ninja, la comédienne britannique n’échappe pas au traditionnel rôle de faire-valoir, elle parvient néanmoins à lui apporter force et caractère (la blonde empoigne son shotgun quand le danger rôde et se montre plus robuste que son mari dépressif et alcoolo). Un bon point dans la besace de la toute première bande d’action estampillée Cannon et dont le geste encore un peu hésitant sera corrigé par le monstrueux Revenge of the Ninja

Enter the Ninja. De Menahem Golan. États-Unis. 1981. 1h39. Avec : Franco Nero, Susan George, Shô Kosugi…

L’ENFER DE LA VIOLENCE : judge, jury and executioner

1984. Le faste des années 1960/1970, celui des Il était une fois dans l’Ouest, Les Collines de la terreur, Mr. Majestyk ou encore Le Bagarreur, est déjà loin pour Charles Bronson. De son côté, Hollywood s’est choisi de nouveaux héros, plus spectaculaires, plus triomphants et surtout plus jeunes (Rocky, Indiana Jones, Superman, Luke Skywalker, Rambo et Conan squattent alors les écrans). Mais si l’acteur vieillit, fait partie de ces stars d’une autre ère, il n’a pas pour autant dit son dernier mot. Il en a même encore sous le capot, comme le prouve son face-à-face avec Lee Marvin dans le formidable Chasse à mort (1981). Si son contrat avec la Cannon relance momentanément sa carrière, celui-ci le cantonne à la série B et capitalise essentiellement sur l’image de vigilante qui lui colle à la peau depuis le succès du premier Death Wish (1974). Au cours des années Reagan, Bronson fait donc le job en s’illustrant dans quelques polars hargneux, brutaux, extrêmes (et parfois fun) que les adeptes du bon goût et du politiquement correct ont toujours réprouvé. Car au fil du temps, des péloches comme Un Justicier dans la ville 2 (1982), Le Justicier de minuit (1983), Le Justicier de New York (1985) et La Loi de Murphy (1986) ont acquis une petite dimension subversive devenue beaucoup plus rare de nos jours… Quoi qu’il en soit, à l’époque, le public n’a pas encore lâché notre moustachu et continue à l’applaudir dans les salles lorsqu’il fait le ménage à sa façon. Pour fuir cette routine infernale, Charlie accepte en 1986 d’être à contre-emploi dans le téléfilm Act of Vengeance (derrière ce titre trompeur se cache en réalité un biopic sur le syndicaliste Jock Yablonski) et livre en 1991 une prestation bouleversante dans The Indian Runner de Sean Penn. Des sorties de route remarquables mais échouant à faire oublier que « dans l’exécution de la justice, il n’y a pas de meilleur exécuteur que BRONSON ! »

Bien qu’il en ait tout l’air, L’Enfer de la violence (The Evil that men do en VO, les fans d’Iron Maiden apprécieront) ne sort pas du larfeuille de Menahem Golan et Yoram Globus. Pour autant, le film ne s’écarte pas de la formule qui marche et offre au « Machine-Gun Kelly » de Roger Corman du sur mesure. Dans ces circonstances, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le fidèle J. Lee Thompson s’occupe une nouvelle fois de la mise en scène (de 1976 à 1989, il a dirigé Bronson à neuf reprises, de Monsieur St. Ives à Kinjite, sujets tabous). Pas plus surprenant de retrouver à la production un certain Pancho Kohner, le propre agent de l’acteur, ni Jill Ireland, Madame Bronson à la ville. Côté script, c’est également du tout cuit : Holland (Charles the great), un ex-tueur professionnel, sort de sa retraite pour « s’occuper » du Dr Molloch (Joseph Maher, vu aussi dans… J’ai épousé une extra-terrestre), un tortionnaire œuvrant pour les dictatures sud-américaines. Ce qui permet à L’Enfer de la violence de frapper très fort dès sa séquence d’ouverture : devant un parterre de généraux, le bon médecin dispense un cours sur la torture et se sert d’un opposant au régime pour passer de la théorie à la pratique (le pauvre hère reçoit des décharges électriques dans les burnes). Une entrée en matière assez glauque qui instille le malaise et annonce le torture porn avec vingt ans d’avance. Le malaise se poursuit quelques minutes plus tard avec le témoignage vidéo des victimes de Molloch dont les propos, très éprouvants, glacent le sang. Si l’horreur se fait aussi palpable, c’est qu’elle s’inspire d’une sinistre et révoltante réalité, celle des sévices commis par les juntes militaires d’Amérique latine avec le concours de la CIA. Une toile de fond politique qui apporte un plus non négligeable à l’ensemble et n’est pas anodine à l’heure où un cowboy réac siège à la Maison Blanche…

Bien que ce contexte particulier le distingue sans peine du tout-venant, The Evil that men do n’a pourtant pas la prétention de vouloir marcher sur les pas d’un Costa-Gavras ou d’un Oliver Stone. Néanmoins, voir une pure bande d’exploitation manipuler des thèmes aussi graves que controversés, donne un caractère résolument trash à ce « mal que font les hommes » (et ce sans toutefois nager dans les mêmes eaux crapoteuses qu’un Ilsa, She Wolf of the SS). Le point culminant est atteint lors d’un climax sauvage où la vindicte populaire s’exprime sans détour… Assurément l’un des grands moments d’une œuvre peu avare en prouesses borderlines et autres fulgurances typiques de l’entertainment malpoli des eighties. Car, dans l’application de sa tâche, Bronson met du cœur à l’ouvrage, notamment lorsqu’il balance dans le vide l’un des sbires de Molloch avec un tuyau d’incendie autour du cou (le pendu n’est autre que Jorge Luke, acteur mexicain ayant également fréquenté La Chèvre de Francis Veber et La Vengeance du serpent à plumes de Gérard Oury !). Hallucinant aussi ce passage dans lequel le père Buchinsky tord littéralement la bite d’un grand dadais un peu trop entreprenant avec le premier rôle féminin (Theresa Saldana, jadis épatante dans le Crazy Day de Zemeckis, se retrouve ici à jouer les sidekicks). Troublante cette scène où le même se planque sous le lit de la frangine de Molloch alors que cette dernière s’apprête à batifoler avec une autre nana (le monteur coupe juste avant que l’étreinte n’ait lieu, dommage). Marrante celle voyant notre justicier caresser la pogne d’un mec porté sur le libertinage afin de l’attirer dans un plan à trois en forme de guet-apens (et hop, un poignard dans la gorge). Des petites choses qui font la différence et font souffler un vent de folie sur cette production pas si classique que ça.

Mais là où L’Enfer de la violence marque des points, c’est lors de son dernier acte situé en plein désert. Les très beaux extérieurs mexicains transforment un polar transgressif en western racé à la Sam Peckinpah (toute proportion gardée). Des membres corrompus de l’ambassade américaine se lancent aux trousses du duo Bronson/Saldana et finissent avec une bastos de fusil à pompe dans le buffet (John Glover, le milliardaire du deuxième Gremlins, est l’un des infortunés). Les conséquences d’un magnifique duel dans un bar miteux, instant de grâce bien sec et violent comme il faut. Le regard magnétique du grand Charles et la sentence qui l’accompagne méritent de figurer parmi les hauts faits du cinoche hard boiled. La preuve que le comédien et son metteur en scène peuvent encore susciter l’enthousiasme, ce qui n’a pas toujours été le cas durant leur collaboration (cf. le mollasson Le Messager de la mort, 1988). Signe qui ne trompe pas, Bronson fait même référence à l’un de ses personnages les plus fameux, le Bishop de l’excellent Le Flingueur, en lui empruntant ici sa faculté de lire sur les lèvres. Quant à J. Lee Thompson, il mène sa barque avec efficacité mais sans jamais vraiment chercher à insuffler du style à son travail. Pourtant, le bonhomme en est capable : à l’occasion du slasheresque Le Justicier de minuit, il avait su faire preuve de dynamisme dans la composition de ses plans. Malgré tout, The Evil that men do reste un bon B frontal et sulfureux, pas exempt de tout reproche (des défauts techniques et autres maladresses sont à noter de-ci de-là), mais vraiment sympa à redécouvrir. Il serait donc temps de réhabiliter certains exploits bronsoniens des furieuses 80’s qui, à force de flatter les bas instincts des spectateurs (comment oublier le jusqu’au-boutisme destructeur de Death Wish 2 et 3 ?), ont trop longtemps été rejetés par les cinéphiles…

The Evil That Men Do. De J. Lee Thompson. États-Unis. 1984. 1h30. Avec : Charles Bronson, Theresa Saldana, Joseph Maher…

L’INVINCIBLE KID DU KUNG FU : petit mais costaud !

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Alors que les James Bond ne servent plus qu’à placer des produits de luxe ou la saga Mission : impossible à flatter l’ego de Tom Cruise, il est temps – mesdames et messieurs – de revenir à nos fondamentaux. À plus d’émerveillement, d’insolite, d’extravagance. Et surtout à davantage de tolérance. Car mesurer près de 80 cm ne devrait pas nous interdire de jouer les super espions et de sauver le monde ! Un homme, petit par la taille mais grand par la bravoure, est parvenu à réaliser cet exploit. Son nom est Weng, Weng Weng. Il est l’agent 00, l’arme fatale d’Interpol, celui qu’on appelle quand la situation devient carrément merdique. Dans L’invincible kid du kung fu, the spy from Manille doit contrer les plans de l’infâme Mr. X, un terroriste d’extrême gauche rançonnant de riches businessmen afin de dédommager les classes laborieuses. Le faviez-vous (comme le dirait notre Sophie nationale) ? Cette intrépide aventure constitue en réalité le dernier volet d’une tétralogie entamée avec Agent 00 (1981) et poursuivie avec For y’ur height only (1981) et D’Wild Wild Weng (1982).

Ces pastiches bondiens, tous emballés par un certain Eddie Nicart, ont permis à son acteur lilliputien de devenir une véritable star aux Philippines. Et pourtant, la filmographie de Weng Weng – de son vrai nom Ernesto de la Cruz, né en 1957 dans la banlieue pauvre de Manille – ne comprend qu’une dizaine de films (et encore, la plupart sont considérés comme perdus). Sa carrière débute lorsque son instructeur de karaté le présente à celui qui va exploiter au cinéma son physique hors-norme : le producteur Peter Caballes. La légende Weng Weng est en marche. Au fil du temps, de folles rumeurs vont courir à son sujet (participation à des péloches pornos, rapprochement avec le dictateur Ferdinand Marcos…). Comme Elvis, on affirme qu’il n’est pas mort. Et pourtant, il semble qu’il le soit bel et bien : le plus petit acteur principal au monde (selon le Guinness des records) décède le 29 août 1992 à l’âge pas franchement vénérable de 34 ans. Ce monde trop petit pour lui, il le quitte dans la dèche, parmi les siens mais en laissant une trace dans les cinoches de quartier, les magnétoscopes rouillés et la tête de nombreux cinéphages aventureux.

Si Agent 00 est toujours invisible (contrairement au Double Zéro d’Éric et Ramzy dont le visionnage douloureux pousse les spectateurs à se décrasser les yeux à la javel), For y’ur height only a pour sa part rayonné à l’international grâce au distributeur Dick Randall (producteur, entre autres, de l’inénarrable Bruce contre-attaque, sommet de la bruceploitation diffusé jadis sur l’ex-Cinq…). Dans ce deuxième opus de la saga de l’espion court sur pattes, Weng Weng emprunte le jetpack de Sean Connery dans Opération Tonnerre et se frite avec un mystérieux bad guy dénommé Mr. Giant, un autre nain expert en coups de tatane. C’est pas chez Xavier Dolan qu’on verrait ça. Quant au westernien D’Wild Wild Weng (splendide titre rendant hommage à la série mythique Les Mystères de l’Ouest), il faut voir notre ami jouer de la mitrailleuse Gatling comme dans La Horde sauvage de Peckinpah ou pousser la chansonnette façon Joselito, l’enfant à la voix d’or. Ne cherchez pas, vous ne trouverez rien de semblable dans Mommy ou Tom à la ferme. Ces instants de grâce nawakesques étant visibles sur YouTube, vous n’avez aucune excuse pour ne pas réviser vos classiques du 7ème art.

Également dispo sur le média social ayant fait de Norman et consorts les grands penseurs de notre temps, L’invincible kid du kung fu peut également s’apprécier en mode replay sur le site d’Arte (la classe) ou en dvd chez Bach Films dans la collection Freaksploitation (dont vous auriez tort de vous priver, ne serait-ce que pour l’intervention de Christopher Bier en bonus). Plus fort encore : le film est même sorti en salle chez nous (en septembre 1983, selon IMDb) et plus tard en VHS sous le titre 007 ½ : rien n’est impossible. Et effectivement rien n’est impossible pour Weng Weng, « the impossible kid » dans la langue de Christopher Lee (qui, hormis l’anglais, en parlait sept autres couramment. Comment ça, je digresse ?).

Tout l’intérêt (et la folie) d’une telle entreprise est de voir comment la magie du cinéma parvient à faire de ce mini James Bond le plus fort des barbouzes. La suspension d’incrédulité a beau être mise à rude épreuve (pour ne pas dire complètement réduite en miettes), les péripéties de cet Invincible kid du kung fu valent leur pesant de M&M’s. Dès la séquence d’ouverture, Weng Weng se cache derrière une bouche d’incendie pour ne pas être repéré par ses ennemis. Être haut comme trois pommes lui permet aussi d’être à la bonne hauteur pour castagner les castagnettes des fripouilles moustachues en chemise bariolée. Autre bricole ayant ses avantages : le montage. Celui-ci a la lourde tâche de nous faire croire à une course-poursuite de ouf alors que la mini moto de l’agent 00 peine à dépasser les 20 km/h (spoiler : il n’y arrive pas vraiment). Mais ne vous moquez pas trop vite. Car ce p’tit diable à la coiffe de playmobil est aussi un Bruce Lee de poche capable de ratatiner quatre, cinq inconscients venus se frotter à lui au dojo du coin. Il joue même les funambules et ce bien avant Joseph Gordon-Levitt dans The Walk. Saute du haut d’un building avec une couverture en guise de parachute. Et fait tomber toutes les nénettes au passage. N’en jetez plus ! Bien qu’il reste inexpressif tout du long, Weng Weng ne rechigne jamais à donner de sa personne quand il s’agit de combattre les forces du mal. Il laisse son corps parler à sa place et faire le show. Car à l’évidence, le résultat n’aurait pas été aussi fun avec dans le rôle principal un simple clone de Roger Moore…

Entre deux morceaux de bravoure improbables mais réjouissants, L’invincible kid du kung fu peine à dérouler son intrigue et semble même l’oublier en cours de route (qu’advient-il du « génie du crime » à la cagoule blanche pointue ?). Pas grave, on n’est pas chez John le Carré ou Tom Clancy. Heureusement, ce script mal fichu ne nous empêche pas de profiter d’un spectacle aussi atypique que celui-ci… Plus qu’une perle pour amateurs de nanars exotiques ou bissophiles curieux, Bruce Linito : Agente 003 y ½ (en espagnol) peut également se voir comme l’un des vestiges décadents d’une autre époque, celle d’un cinoche populaire n’ayant peur de rien, surtout pas de s’achever sur le plan subliminal d’une maquette de yacht explosant en mille morceaux… Alors il ne nous reste plus qu’à reprendre en chœur la chanson du générique de fin : « Weng Weng, I love you my Weng Weng, come to me and kiss me, I love you Weng Weng ! ».

The Impossible Kid. De Eddie Nicart. Philippines. 1982. 1h21. Avec : Weng Weng, Romy Diaz, Nina Sara…

CYBORG (Albert Pyun, 1989)

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Dévastée par l’anarchie sociale et la peste, l’Amérique du 21ème siècle est plongée dans un cauchemar barbare. Seul Pearl Prophet, une magnifique mi-humaine/mi-robot, a les connaissances nécessaires pour développer un vaccin. Mais Pearl est capturée par des pirates cannibales qui veulent garder l’antidote pour eux… et dominer la Terre ! Seuls les talents de combattant de Gibson Richenbaker peuvent la sauver. Et, avec elle, le reste de la civilisation. Source : madmovies.com

À la fin des glorieuses 80’s, la Cannon – célèbre machine à séries B qui débourrent – se retrouve sous perfusion. Néanmoins, le succès de Bloodsport (1988) permet au duo Golan/Globus de sortir un peu la tête de l’eau. Jean-Claude Van Damme a aussi de quoi se réjouir : sa carrière est lancée. La firme accompagne alors le Belge dans son rêve américain et lui propose ensuite le rôle principal de Cyborg (un job prévu au départ pour Chuck Norris). Un long-métrage bâtit sur les ruines de Masters of the Universe 2, projet avortée dont les décors et les costumes vont resservir pour l’occasion. Albert Pyun, le réalisateur rattaché à la suite des aventures de Musclor (et d’un Spider-Man qui ne se fera jamais), se console avec ce mal nommé Cyborg. Mal nommé parce que la chose n’a rien d’un Terminator ou d’un RoboCop, même si un androïde – ou plutôt une androïde – se promène bien dans les parages. Dans la peau synthétique de Pearl Prophet, Dayle Haddon se la joue sauveuse de l’humanité et ce malgré sa nature d’automate en acier (elle dévoile même les fils et les câbles qu’elle planque sous son crâne grâce à une animation bien désuète). Ne cherchez pas, l’histoire ne recèle pas d’autres robots de ce type. Pas de quoi provoquer le soulèvement des machines, donc… En revanche, le film ressemble bel et bien à un post-apo et s’inscrit plus particulièrement dans la droite lignée des deux premiers Mad Max, surtout le second. À l’instar de Mad Max 2 : le Défi, le futur atomique selon Pyun semble avoir fait régresser la civilisation jusqu’au Moyen Âge (la peste est ici à l’origine de la fin du monde et le méchant porte fièrement sa cotte de mailles). Dans un même ordre d’idées, impossible de ne pas penser au western, genre dans lequel règne bien souvent la loi du plus fort. Le passage le plus mémorable de Cyborg fait d’ailleurs référence à l’immense Il était une fois dans l’Ouest. Au détour d’un souvenir âpre et douloureux, le cinéaste hawaïen revisite à sa manière ce moment mythique où le jeune Harmonica ne peut empêcher la pendaison de son frère, le tout sous le regard cruel de Fonda. Toujours sous l’influence du classique de Leone, les bribes du traumatisme de Gibson Richenbaker (Van Damme) s’étalent en flashback tout au long du récit et atteignent leur acmé lors d’une explosion libératrice prenant la forme d’une crucifixion spectaculaire. La barbarie du passé donne au protagoniste la rage nécessaire pour péter avec son talon la croix en bois sur laquelle il est attaché. Digne de Ken le Survivant ! Pour le reste, si cette prod Cannon parvient à faire illusion avec ses modestes décors (une usine désaffectée, ça le fait toujours), ses débordements graphiques (frayant souvent de façon maladroite avec le hors-champ, dommage) et les jolis coups de tatane de JCVD (parfois au ralenti et toujours bien cadrés), l’ensemble s’avère tout de même un brin mollasson et vite expédié. Avec 500 000 dollars et 23 jours de tournages, Albert Pyun fait ce qu’il peut et torche même quelques belles images. Mais le spectateur ne peut que rester dubitatif devant l’inanité du sidekick féminin (Deborah Richter, assez transparente mais le scénario ne l’aide pas vraiment), le score cheapos de Kevin Bassinson (bontempi style) et le cabotinage du bad guy campé par un Vincent Point Break Klyn au physique néanmoins impressionnant (ses lentilles de couleur turquoise évoquent celles d’Ivan Rassimov dans Toutes les couleurs du vice). Lors du combat final avec l’ami Jean-Claude, ce dernier menace même de faire tomber le film dans le nanar avec ses hurlements de bœuf sous stéroïdes (au bout de quinze « Beuargh ! », ça commence par devenir embarrassant). Dans ces circonstances, difficile de totalement réhabiliter ce Cyborg, même avec une bonne dose de nostalgie cannonienne. Hier comme aujourd’hui, le post-nuke d’Albert Pyun demeure très sympatoche mais, faute de réelle conviction, n’atteint jamais l’aspect jouissif de certains de ses camarades (pour rester chez nos compères israéliens, on prend quand même davantage son pied en matant les jusqu’au-boutistes Death Wish 3, Invasion USA ou Cobra). Alors en pleine ascension vers la gloire, Van Damme n’est pas à blâmer et semble même croire à son personnage. Ce qui n’est pas toujours le cas quand on se penche sur la filmo du roi du grand écart…

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Cyborg. D’Albert Pyun. États-Unis. 1989. 1h26. Avec : Jean-Claude Van Damme, Deborah Richter et Vincent Klyn. Maté à la téloche le 23/06/18.