En novembre 2020, l’éditeur Tamasa nous livrait un imposant coffret dvd/blu-ray dédié à la Hammer des années 70. Les films ? Les Cicatrices de Dracula, Les Horreurs de Frankenstein, Dr. Jekyll et Sister Hyde, La Momie sanglante, Sueur froide dans la nuit, Les Démons de l’esprit et Une Fille pour le Diable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque ces titres feront l’objet d’une rétrospective dans les salles le 27 octobre prochain (si tout va bien). Cet été, des chanceux ont pu assister à quelques avant-premières. L’occasion de mater en copie restaurée des films tournés à une époque où la Hammer connaît de sérieuses difficultés financières et subit de plein fouet la concurrence de l’horreur moderne. Pour remonter la pente et attirer le public, il ne reste plus que deux mots magiques : sex & blood ! La preuve par trois, juste ci-dessous.
FRANKENSTEIN S’EST REBOOTÉ !
Le Pitch. Après avoir sciemment provoqué la mort de son père, Victor Frankenstein (Ralph Bates), jeune homme manipulateur et séducteur, reprend le flambeau et se livre à son tour à quelques expériences macabres. Il engage un pilleur de tombes pour lui fournir les matériaux nécessaires à son travail… Source : dossier de presse Tamasa.
Réalisé et coécrit par un pilier de la Hammer (Jimmy Lust for a Vampire Sangster), Les Horreurs de Frankenstein est ce qu’on appellerait aujourd’hui un reboot. Il constitue par conséquent un épisode autonome, une parenthèse dans la saga initiée par Terence Fisher en 1957. Si L’Empreinte de Frankenstein (Freddie Francis, 1964) opérait déjà une rupture avec ses prédécesseurs, il conservait néanmoins l’interprète du Baron : le légendaire Peter Cushing. The Horror of Frankenstein le remplace par un acteur plus jeune, Ralph Bates. Une star montante de la Hammer du début des 70’s. La relève, en somme. Et le Dr. Jekyll de Roy Ward Baker et Brian Clemens ne démérite pas, tant il compose un Victor Frankenstein digne de son aîné. Un aristo cynique, arrogant et d’une froideur inflexible, doublé d’un savant fou prêt à tout pour aller au bout de son expérience. Refrain connu mais relevé par la succulente performance de Bates (ses répliques, sarcastiques à souhait, font mouche plus d’une fois). Mais c’est encore par son ton que le film de Sangster se démarque le plus. Bien loin du premier degré propre aux bandes gothiques des 60’s, Les Horreurs de Frankenstein cède à la comédie. À la comédie noire, évidemment. Le château sert ainsi de décor à un vaudeville macabre où les témoins gênants disparaissent les uns après les autres (et au nez et à la barbe de la police qui mène son enquête). Quant à la créature incarnée par Dave « Dark Vador » Prowse (une sorte de néandertalien musculeux), elle écarte toute tentation parodique pour mieux s’adonner à l’irrévérence (sa rencontre avec une gamine curieuse et imperturbable est l’occasion de railler la naïveté des classiques de James Whale). La conclusion ironique de cette sale blague prométhéenne rompt avec la tradition du climax spectaculaire et nous abandonne sur une note franchement inattendue. Trop peut-être pour les spectateurs de l’époque qui boudèrent le film…
The Horror of Frankenstein. De Jimmy Sangster. Royaume-Uni. 1970. 1h35. Avec : Ralph Bates, Kate O’Mara, Veronica Carlson…
« HELLO DOCTEUR JEKYLL ! MON NOM EST HYDE, SISTER HYDE »
Le Pitch. Londres, époque victorienne. Le Dr Jekyll (Ralph Bates) tente de créer un élixir d’immortalité en utilisant des hormones féminines prélevées sur des cadavres frais. Mais dès qu’il boit le sérum, Jekyll se transforme en une femme aussi séduisante que démoniaque, Mrs. Hyde (Martine Beswick)… Source : dossier de presse Tamasa.
Le titre annonce la couleur : le nouvel opus hammerien de Roy Ward Baker (après, entre autres, le splendide The Vampire Lovers) ne sera pas une adaptation fidèle du roman de R. L. Stevenson. Une certaine Sister Hyde s’est substituée au Mr Hyde original. Un cas encore plus étrange mais surtout plus sexy, ce qui convient mieux à la firme britannique en ces années 70 naissantes… Le script, ô combien malin, de Brian Clemens (producteur et scénariste de Chapeau melon et bottes de cuir) ose même aller plus loin en amalgamant le docteur Jekyll avec la figure de Jack l’éventreur et en convoquant les résurrectionnistes Burke et Hare (un duo aussi authentique – et sinistre – que le tueur de Whitechapel). Un régal d’hybridation pop auquel il faut ajouter les contours « transgenres » de cette version audacieuse d’un classique de la littérature. Les troubles et les ambivalences liées à l’identité sexuelle se retrouvent donc au centre de Dr. Jekyll et Sister Hyde. Plus obsédé par ses recherches que par les femmes, le doc fait l’objet de doute quant à ses préférences amoureuses. Son double féminin le pousse ainsi à embrasser sa véritable nature, à exprimer des désirs que la société victorienne réprouve. L’hypocrisie de cette dernière est aussitôt débusquée par le pouvoir de séduction de Mrs. Hyde. Face à la tentation, les notables oublient vite leurs bonnes manières et deviennent des queutards comme les autres… Londres et sa part de laideur se manifestent aussi à travers son décor, des bas-fonds entièrement reconstitués aux studios d’Elstree. Ce cloaque recouvert d’un linceul de brume est le témoin sordide d’un combat que se livre les deux locataires d’une même chair. Pour traduire visuellement ce duel à mort, Roy Ward Baker joue avec les reflets d’un miroir, déforme les visages, brise les lignes séparant le masculin du féminin. Mieux encore, il fait de l’envoûtante Martine Beswick un vampire au regard hypnotique, une sorcière à laquelle personne ne résiste. Seule la Hammer pouvait rendre les « monstres » aussi désirables…
Dr. Jekyll and Sister Hyde. De Roy Ward Baker. Royaume-Uni. 1971. 1h37. Avec : Ralph Bates, Martine Beswick, Gerald Sim…
SATAN BOUCHE UN COIN
Le Pitch. Excommunié, le père Michael (Christopher Lee) fonde une secte satanique. Il convainc un homme d’offrir l’âme de sa fille Catherine (Nastassja Kinski) pour qu’elle devienne l’incarnation du diable sur Terre à ses 18 ans. À l’approche du jour fatidique, le père de Catherine demande à un spécialiste en sciences occultes de l’aider à sauver sa fille. Source : dossier de presse Tamasa.
Un Hammer tardif et pour cause : Une Fille pour le diable est l’avant-dernier long-métrage produit par le studio (suivra en 1979 The Lady Vanishes, un remake du Big Hitch). Celui-ci devra attendre près de trente ans pour côtoyer à nouveau le grand écran (mais sans renouer avec les fastes de son âge d’or…). Pour l’heure, la firme complètement « marteau » prend ses distances avec l’esthétique gothique d’antan pour mieux s’approprier les tendances horrifiques du moment. Cofinancé avec les Allemands de la Terra Filmkunst, To the Devil… a Daughter s’inspire d’un bouquin de Dennis Wheatley (un auteur déjà à l’origine d’un autre Hammer, Les Vierges de Satan). Une bonne occaz pour prendre le train en marche, celui conduit par le Polanski de Rosemary’s Baby et le Friedkin de L’Exorciste. Bien entendu, l’entreprise ne peut rivaliser avec ses modèles : Une Fille pour le diable peine à faire naître l’effroi tandis que le scénario apparaît un brin confus. Heureusement, à l’image des « diableries » made in Italy (L’Antéchrist, La Maison de l’Exorcisme), le film de Peter Sykes (également réalisateur de Demons of the Mind) se rattrape en nous offrant quelques fulgurances bien épicées. Entre une orgie des plus démonstratives, les caresses visqueuses d’un « evil baby » et le nu intégral d’une Nastassja Kinski pas encore majeure, les hammerophiles peuvent au moins se réjouir d’assister à un spectacle plus vicelard et transgressif qu’un Conjuring… En outre, To the Devil… a Daughter a le bon goût d’opposer deux immenses comédiens. À ma gauche, un Richard Widmark encore vert malgré ses cheveux blancs. À ma droite, un Christopher Lee toujours aussi magnétique lorsqu’il s’agit de flirter avec le Mal. Alors à ses débuts, la toute jeune Nastassja n’est pas en reste et marque déjà les esprits. Son regard presque lascif en fin de bobine laisse planer un soupçon d’ambiguïté et vient nuancer in extremis un ensemble plutôt manichéen. Le doute : l’une des grandes leçons du cinéma de William Friedkin…
To the Devil… a Daughter. De Peter Sykes. Royaume-Uni/Allemagne. 1976. 1h33. Avec : Richard Widmark, Christopher Lee, Nastassja Kinski…