CHROMOSOME 3 : les gènes de la terreur

Selon Michel Cymes, « nous pouvons agir sur notre destin génétique ». David Cronenberg n’a pas attendu le diagnostic du toubib du PAF pour explorer les pouvoirs extraordinaires du corps humain. À la différence près que, chez le cinéaste canadien, il n’est pas question de santé, de bien-être, d’équilibre alimentaire mais plutôt de cauchemar biologique, d’horreur organique, de psycho-frousse. Ce qui rend tout de suite la chose plus passionnante qu’un prime time pépère sur France 2… Chromosome 3. Je le précise pour celles et ceux qui ont séché l’école des fans et pour les p’tits plaisantins comme votre oncle Roger (« Je n’ai jamais vu Chromosome 1 et 2. C’est bien ? ») : non, il ne s’agit pas du troisième volet d’une quelconque saga. À l’instar de Police Puissance 7, Assault on Precinct 13 ou Appelez-moi Johnny 5, c’est un film autonome. Cela dit, même si le titre français est un peu à côté de la plaque (préférez son blaze original, le plus approprié The Brood que l’on peut traduire par la portée, la couvée), le chromosome 3 existe. En voici la définition retrouvée parmi les archives du très instructif Pif Gadget : « Le chromosome 3 constitue l’une des 23 paires de chromosomes humains. C’est l’un des 22 autosomes. » J’arrête ici le cours de sciences. Place à la leçon de cinéma. Celle de Maître Cronenberg n’a rien perdu de sa modernité, de son audace, de son pouvoir de réflexion et de fascination. La preuve avec Chromosome 3, son opus le plus personnel et sans doute le plus flippant…

Le fraîchement divorcé Frank Carveth (Art Hindle) partage la garde de sa fille Candice (Cindy Hinds) avec son ex-épouse Nola (Samantha Eggar). Cette dernière suit une thérapie alternative à la clinique du controversé Docteur Raglan (Oliver Reed). Alors qu’il lui fait prendre son bain, Frank découvre dans le dos de sa gamine des ecchymoses. Il suspecte alors Nola mais Raglan empêche quiconque d’approcher sa patiente et d’interférer dans ses soins. Au même moment, de mystérieux meurtres ébranlent l’entourage de la famille Carveth… En partie autobiographique, Chromosome 3 tire sa source du propre divorce de David Cronenberg. Une sale histoire dans laquelle notre homme a été contraint de sortir sa môme des griffes de son ancienne compagne, celle-ci projetant d’entraîner leur progéniture dans une secte… Le sixième long-métrage de l’auteur de Dead Zone tente d’exorciser cette mauvaise expérience conjugale et de trouver un exutoire à ses angoisses de père. Le résultat – atrabilaire, agressif, déstabilisant – peut se voir comme une version « gore » de Kramer contre Kramer, mélo sorti lui aussi en 1979 et abordant des problèmes similaires (un rapprochement effectué, avec amusement, par Cronenberg lui-même). Bien qu’il représente l’antithèse du film de Robert Benton et s’enfonce progressivement dans les abîmes d’un imaginaire torturé, The Brood est aussi un drame intimiste et psychologique, le récit ordinaire (mais qui ne le reste pas longtemps) d’un géniteur inquiet voulant seulement protéger son enfant…

Pour nous faire croire à l’incroyable, David Cronenberg s’appuie sur des bases solides : le quotidien. Le quotidien, ce n’est pas seulement le réel dans ce qu’il a de plus banal. C’est aussi ce que les apparences recèlent de plus effroyable. Dans Chromosome 3, tout commence avec un cas de maltraitance infantile. Le script suggère que ces sévices pourraient se transmettre de génération en génération, comme une maladie héréditaire. Ce mal que l’on appelle violence est en nous, dans notre esprit, dans notre chair. Il agit tel un virus contre lequel il n’existe aucun remède et contamine vos proches, insidieusement, inéluctablement (en 2005, Cronenberg distillera à nouveau ce venin intrafamilial dans le fort justement nommé A History of Violence). Le danger ne provient plus de l’extérieur mais de l’intérieur (il se cache même dans la matrice). Le foyer n’est plus un lieu sûr (ce n’est pas un hasard si les premières victimes sont trucidées dans une cuisine ou une chambre à coucher). Plus rien ne nous protège du monde. Les sacro-saintes valeurs du mariage, de la maternité et de l’éducation (l’école n’apporte plus la sécurité à ses élèves et ses institutrices) ne sont pas seulement remises en cause : elles sont carrément pulvérisées. Et je ne parle même pas de la figure de l’enfant qui prend ici la forme de petits freaks sanguinaires, grands frères du poupon zigouilleur de It’s Alive (aka Le Monstre est vivant de Larry Cohen) et lointains cousins des têtes blondes du Village des damnés. Faites des gosses qu’ils disaient…

À l’instar des plus fameuses transgressions horrifiques des 70’s (Le Dernier zombie sur la gauche, La Tronçonneuse a des yeux, Les Dents de l’exorciste), Chromosome 3 nous file les jetons parce qu’il vient heurter nos certitudes, brouiller nos repères, ravager nos modes de vie. Depuis ses débuts placés sous le signe de l’expérimental (les courts Transfer, 1966; From the Drain, 1967), de l’underground (Stereo, 1969; Crimes of the Future, 1970) et du shocker subversif (Frissons, 1975; Rage, 1977), le Roi David ne cesse d’aiguiser ce regard puissamment anticonformiste. Avec The Brood, la maîtrise de son art est indiscutable. Juste avant l’explosif Scanners (1981) et le visionnaire Vidéodrome (1983), celui qui fera de Jeff Goldblum une mouche à taille humaine s’impose déjà comme la référence de l’horreur corporelle (ou body horror). Ce qui se cache derrière la « dangerous method » du psy Raglan (Oliver Reed, parfait d’ambiguïté) dépasse l’entendement. Ce qui vient matérialiser en fin de bobine nos peurs les plus profondes relève de la plus sublime des épouvantes. Portant sur son ventre les stigmates d’une somatisation extrême et inimaginable, Nola Carveth (Samantha Eggar, impressionnante) dévoile sa « nouvelle chair » à des spectateurs médusés. Lorsqu’elle lèche, tel un animal, le sang sur la tête de son nouveau-né, l’effroi rejoint l’extase en un coup de langue. « Savez-vous de quoi est capable votre esprit ? » nous demandait la jaquette du dvd de Chromosome 3. La réponse apportée par Cronenberg n’a pas fini de nous faire cauchemarder…

The Brood. De David Cronenberg. Canada. 1979. 1h32. Avec : Art Hindle, Oliver Reed, Samantha Eggar…

LES DAMNÉS : black leather, black leather, kill, kill, kill

Parmi les trésors de la Hammer que les mordus de « british terrors » peuvent débusquer chez ESC, il y en a un qui sort du lot : Les Damnés. Bien entendu, il ne s’agit pas du premier volet de la trilogie allemande de Visconti mais plutôt du film homonyme de Joseph Losey. Encore une fois, l’édition vidéo permet de (re)découvrir dans des conditions optimales une pièce rare et oubliée. On ne s’en privera pas, d’autant plus qu’il est ici question d’une œuvre atypique. Atypique parce qu’en totale rupture avec les monstres gothiques en technicolor qui ont fait la renommée de la société anglaise. Et surtout, atypique parce qu’un cinéaste étranger à la série B horrifique se retrouve derrière la caméra. Comme vous le savez, Losey n’est pas un habitué des studios de Bray (contrairement à Terence Fisher, par exemple). Après avoir frayé avec Hollywood (le temps, entre autres, de nous présenter son Garçon aux cheveux verts, 1948), le bonhomme se fait blacklister pour ses penchants communistes et s’exile au pays de Peter Cushing. Le court-métrage A Man on the Beach (1956) signe alors la première collaboration entre l’expatrié et la Hammer. Il aurait même pu enchaîner avec une autre production de cette dernière (X the Unknown), si son acteur principal (l’anti-rouge Dean Jagger) ne l’avait pas fait virer du projet… Heureusement, Joseph Losey prend sa revanche avec Les Damnés, un film de commande bien moins impersonnel qu’il n’y paraît…

Simon Wells (Macdonald Carey), un touriste américain, se promène tranquillou à Weymouth, une station balnéaire du sud de l’Angleterre. Lorsque ses yeux se posent sur Joan (Shirley Anne Field), il cède à la tentation. Ce qui n’est pas du goût du frère possessif de la nénette, King (Oliver Reed). Un chef de bande, un malfaisant qui, au coin d’une rue, tabasse le pauvre Simon. Malgré la rouste qu’il s’est pris, ce dernier s’enfuit avec Joan. En voulant semer King et son « motorcycle gang », le couple tombe sur une installation militaire et rencontre des gosses pour le moins étranges… The Damned évolue d’une manière plutôt inattendue. Le film commence comme un drame social sur fond de délinquance juvénile, trace les contours d’une idylle impossible et laisse son argument fantastique dans l’ombre avant de le faire exploser lors du dernier acte. L’introduction électrisée par la chanson pop « Black Leather Rock » (un titre composé par un James Bernard plus habitué à l’épouvante symphonique) semble inscrire l’entreprise dans la sous-culture des blousons noirs popularisée par L’Équipée sauvage (1953). Les « teddy boys » sur lesquels règne un « roi » impétueux et sardonique (Oliver Reed, écrasant de présence) et le duo romantique Simon/Joan entretiennent une rivalité qui ne sert en aucun cas de bouche-trou scénaristique. La traque des seconds par les premiers permet surtout au récit de faire le lien avec ce qui se cache derrière les clôtures d’une base secrète appartenant à l’armée de Sa Majesté…

The Damned. Un titre qui fait de l’œil à Village of the Damned (1960). Et pour cause : la Hammer compte bien profiter du succès de cette péloche assaillie par une horde de blondinet(te)s flippant(e)s. Le roman adapté par Losey (The Children of Light de H.L. Lawrence, 1960) est lui-même déjà inspiré du bouquin à l’origine du Wolf Rilla (The Midwich Cuckoos de John Wyndham, 1957). Pour autant, le réalisateur de Modesty Blaise ne fait pas de ses gamins des êtres malveillants. Mais les victimes d’une nouvelle ère, celle de la bombe atomique qui, en cette période de guerre froide, menace de tout (re)faire péter. Afin de ne pas trop spoiler, je ne rentrerai pas dans les détails. Sachez seulement que Losey en profite pour lancer un cri d’alarme contre le péril nucléaire, dénoncer l’inconscience de ces « maîtres de l’ombre » s’approchant dangereusement du « point limite ». Dans cette histoire, les véritables « salauds » ne ressemblent pas à des petits voyous vêtus de cuir mais à des « adultes » en costard ou en uniforme pour qui la raison d’État prime sur tout le reste. En creux, Joseph Losey dresse un portrait peu flatteur de la perfide Albion, se montre peu amène envers ses institutions. Autant dire que la fameuse « éducation à l’anglaise » en prend un sacré coup, la jeunesse voyant ici leur avenir compromis à cause de leurs aînés… Avant que la Terre ne prenne feu, quelques questions méritent d’être posées : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? Les générations futures s’échoueront-elles sur le « dernier rivage » ?

Avec Les Damnés, celui qui connaîtra la consécration avec The Servant (1963), transcende son sujet, incite à la réflexion et ce sans donner de leçons. Celui qui remportera une palme d’or pour Le Messager (1971) et des césars pour Monsieur Klein (1976) détourne une bande de SF pour en faire une parabole sur l’innocence bafouée. Une démarche qui ne témoigne d’aucune naïveté, comme l’attestent la lucidité implacable et le nihilisme glaçant des dernières images (on a rarement vu un dénouement aussi sombre dans une prod Hammer). Chez Losey, la peur émane du réel, vampires et autres loups-garous ne pesant pas lourd face à la folie des hommes et au pouvoir destructeur de l’atome… Engagé contre les politiques bellicistes mais pessimiste quant au devenir de l’humanité, Les Damnés ne met pas pour autant de côté son sens de l’esthétique. La beauté du noir et blanc (cadré, qui plus est, en « hammerscope » : la classe !) et des décors naturels (les falaises côtières du Dorset) adoucit la mélancolie ambiante sans faire oublier l’imminence d’un probable cataclysme… L’apocalypse se devine également à travers les créations de Freya, l’artiste jouée par une remarquable Viveca Lindfors. Ses sculptures évoquent des corps calcinés, ce qui n’a rien de fortuit… Et maintenant, il faut que je vous cause de la sublime Shirley Anne Field. Dans The Damned, son si doux visage atomise le falot Macdonald Carey et irradie les fêlures de son personnage, une fragile sirène rêvant d’un autre monde. Pas de doute, cette Shirley Anne Field est à se damner…

The Damned. De Joseph Losey. Royaume-Uni. 1962. 1h32. Avec : Shirley Anne Field, Oliver Reed, Viveca Lindfors…

BONUS

Comment vendre un objet aussi singulier ? C’est la question à laquelle la Hammer n’a pas su répondre. Résultat, la promotion de The Damned a été négligée… et les salles désertées. Pourtant, le magazine Film Review avait tout misé sur la renversante Shirley Anne Field. Dans un monde parfait, cette couv aurait fait flamber le box-office…

J’ai fait la connaissance de Shirley Anne Field dans les pages du Hammer Glamour de Marcus Hearn (en couverture : Madeline The Vampire Lovers Smith). Un ouvrage de référence dédié aux plus grandes actrices de la firme au marteau. La photo de la miss, par ailleurs prise sur le set de The Damned (la plage de Chesil ?), m’avait littéralement subjugué (voir ci-dessous)…

Si Shirley Anne Field a été imposée à Losey (qui ne voulait pas d’elle), force est de constater que sans cette comédienne Les Damnés ne serait pas tout à fait le même… On peut aussi admirer cette Anglaise née le 27 juin 1938 (ou 1936 selon les sources) dans plus de soixante-dix rôles, au cinéma comme à la télévision. Sa carrière débute en 1955 et s’étale jusqu’au mitan des années 2010.

La filmo de Shirley Anne Field ne se limite pas à The Damned. Dotée d’un parcours professionnel assez riche, elle a eu pour partenaire Michael Gough (Crimes au musée des horreurs, 1959), Karlheinz Böhm (Le Voyeur, 1960), Laurence Olivier (Le Cabotin, 1960), Christopher Lee (Beat Girl, 1960), Steve McQueen (L’Homme qui aimait la guerre, 1962), Yul Brynner (Les Rois du soleil, 1963), Michael Caine (Alfie, 1966) ou encore Daniel Day-Lewis (My Beautiful Laundrette, 1985)…

À l’instar de Barbara Shelley, Yvonne Monlaur, Ingrid Pitt, Caroline Munro, Valerie Leon, Yutte Stensgaard, Yvonne Romain, Martine Beswick, Marie Devereux, Linda Hayden, Susan Denberg, Veronica Carlson, Dana Gillespie, Victoria Vetri ou les sœurs Collinson, Shirley Anne Field a contribué à rendre les ténèbres hammeriennes encore plus flamboyantes…

TRAUMA : le secret derrière la porte

Tout d’abord, un constat : Trauma fait partie des grands sacrifiés du fantastique. Chez nous, il a été ignoré par les salles de cinéma (Giscard lui-même ne s’en est jamais remis), exposé dans les vidéo-clubs comme un B lambda (mais avec un visuel signé Melki) et flanqué d’un dvd « pirate » bien dégueulasse (1 € chez Auchan, 1 !). Lors de sa sortie aux States en 1976, le film de Dan Curtis n’est pas accueilli avec davantage d’enthousiasme par le public local. Pour le consoler, on lui refile quelques Saturn Awards, l’élan solidaire s’étendant même jusqu’en Espagne où le festoche de Sitges lui décerne d’autres récompenses. Aujourd’hui, une édition digne de ce nom a enfin vu le jour au pays de Rosy Varte. Il s’agit bien entendu du combo dvd/blu-ray conçu avec tendresse et passion par Rimini (avec en prime, l’indispensable livret signé Marc Toullec). C’est donc le moment idéal pour découvrir dans de bonnes conditions ce Burnt Offerings (en VO) et pour le hisser à la place qu’il mérite, c’est-à-dire au panthéon des classiques modernes de l’épouvante. Rien que ça.

Marian Rolf (Karen Black, déjà dans La Poupée de la terreur du même Curtis) et Ben Rolf (Oliver Reed, entre Les Diables et Chromosome 3), ainsi que leur rejeton David (Lee Montgomery, ami des rats dans Ben), visitent une demeure victorienne dans l’espoir d’y passer leurs vacances d’été. Quelque peu délabré, l’édifice n’en est pas moins immense et possède à coup sûr le charme de l’ancien. Les proprios des lieux, Roz Allardyce (Eileen Heckart, barmaid dans Le Maître de guerre) et son frangin Arnold (Burgess Meredith, la même année que Rocky), acceptent de louer leur baraque à un prix très attractif. Seule condition : cohabiter avec maman Allardyce et lui monter tous les jours son plateau repas. La vieille dame, paraît-il très discrète, ne sort jamais de sa chambre située sous les combles… Si Ben ne le sent pas trop, Marian, elle, est plutôt conquise… Les Rolf débarquent alors dans leur résidence estivale en compagnie de tante Elizabeth (Bette Davis, quatre avant Les Yeux de la forêt). Sur place, Marian s’occupe de l’énigmatique dame du grenier en laissant de quoi becter devant une porte toujours close. Mais que se passe-t-il quand la maison de vos rêves devient celle de vos pires cauchemars ?

Le saviez-vous ? Les droits d’adaptation du roman The Hoods de Harry Grey appartenaient au départ à Dan Curtis. Ce qui, à l’époque, avait bien foutu dans la mouise un certain Sergio Leone, grand amoureux de cette histoire de gangsters new-yorkais. L’un des collaborateurs du maestro, le producteur Alberto Grimaldi, propose alors un deal à Curtis : l’échange desdits droits contre le financement du projet de son choix. Ainsi naquirent Burnt Offerings et… Il était une fois en Amérique, l’ultime monument de Leone. Comme le second, le premier trouve lui aussi son inspiration dans un livre : Notre vénérée chérie de Robert Marasco (1973). De l’horreur subtile et prenante qui n’a pas non plus laissé indifférent Stephen King. Dans la logique des choses, on ne sera donc pas étonné de trouver des similitudes entre Trauma et le Shining de Stanley Kubrick. L’auteur de Marche ou crève a-t-il pensé à Notre vénérée chérie lorsqu’il a rédigé les tourments de l’enfant lumière ? Le réalisateur de Lolita s’est-il souvenu du film de Curtis lorsqu’il a shooté les spectres de l’Overlook ? Peut-être.

Non pas que Burnt Offerings puisse rivaliser avec la puissance formelle du Shining de 1980. Cela dit, les deux œuvres ont indubitablement quelques idées visuelles et narratives en commun. Notamment une intro (on découvre les Rolf dans leur bagnole, direction la maison du diable) et une conclusion identique (je n’en dis pas plus), sans parler de cette scène où Oliver Reed s’en prend inexplicablement à son fiston en tentant de le noyer dans la piscine. Tout comme les Torrance, la famille de Trauma subit l’influence néfaste de son foyer et voit ses liens se désagréger (les résidents malchanceux de The Amityville Horror en savent également quelque chose). Mais là où Dan Curtis fait preuve d’originalité, c’est dans le caractère inédit de sa demeure maudite. Pas de fantôme ou de démon ici, seulement une « maison de chair » (comme dans le bouquin de Masterton), un être vivant se nourrissant des malheurs de ses occupants (les fleurs de la serre en reprennent des couleurs), une entité malveillante muant tel un animal (elle se régénère façon Christine, la possessive Plymouth Fury de King et Carpenter). Un véritable problème lorsqu’il faut rester confiné chez soi…

Si, d’une certaine façon, Burnt Offerings annonce Shining, il s’inscrit surtout dans la lignée de The Haunting de Robert Wise. Refusant l’artillerie lourde du film de trouille, Curtis se repose entièrement sur son script, prend le temps de poser son sujet, respecte le crescendo. Il s’appuie sur sa mise en scène, suggère plus qu’il ne montre. Autant dire que celles et ceux qui ne jurent que par les cache-misères contemporains (CGI envahissants, sound design assourdissant, jump scares intempestifs) pourront ici passer leur chemin. Les autres, en revanche, apprécieront la manière dont le créateur de Dark Shadows (célèbre feuilleton des sixties) maîtrise ses effets. En semant ça et là moult détails inquiétants. En laissant le mal s’insinuer dans la psychologie des personnages. En orchestrant un suspense de dingue autour de la présence avérée ou non de Mme Allardyce. En faisant intervenir à plusieurs reprises un boogeyman échappé d’un souvenir d’enfance. Là, Trauma ne vole pas son titre. Car les apparitions de ce chauffeur de corbillard pâle et ricanant foutent vraiment les jetons (des parenthèses morbides et oniriques animées par Anthony James, vu chez Eastwood dans L’Homme des hautes plaines et Impitoyable). Tout cela nous conduit inexorablement jusqu’à un dénouement si désespéré (putain de twist !) qu’il cloue le spectateur sur place, avant de le commotionner durablement.

Sobre, efficace et hautement insidieux, Trauma peut également compter sur la qualité de l’interprétation pour distiller l’angoisse jusqu’au malaise. Dominant un casting de premier ordre, Oliver Reed et Karen Black forment à l’écran un couple crédible. Le loup-garou de Terence Fisher rend sa détresse paternelle et conjugale palpable, son impuissance face aux forces du mal tangible. La kidnappeuse de Complot de famille manie magistralement l’ambivalence de Marian, une femme séduite par l’esprit pervers d’une bâtisse gothique (un fabuleux décor que l’on doit d’ailleurs au vétéran Eugène Lourié). Qu’il œuvre pour la télévision ou pour le cinéma (avec un très net avantage pour le premier), l’auteur de remarquables fictions cathodiques telles que Dracula et ses femmes vampires ou La Malédiction de la veuve noire se révèle être un solide raconteur d’histoires doublé d’un véritable amateur de fantastique. Dommage que son Burnt Offerings ne soit pas davantage cité lorsque l’on cause de maison hantée. Il s’agit pourtant d’un fleuron de l’enfer immobilier sur pellicule, à l’instar des tout aussi méconnus et formidables La Maison des damnés (John Hough, 1973), La Sentinelle des maudits (Michael Winner, 1977) et L’Enfant du diable (Peter Medak, 1980). Des rendez-vous avec la peur à noter sur votre carnet de cinéphage…

Burnt Offerings. De Dan Curtis. États-Unis/Italie. 1976. 1h51. Avec : Karen Black, Oliver Reed, Bette Davis…