SELLE D’ARGENT : they died with their boots on

Un gosse voit son fermier de père se faire flinguer par l’homme de main de Richard Barrett, un propriétaire terrien cupide et sans scrupules. Dans la foulée, le fiston tire sur le meurtrier et lui pique sa selle d’argent… Des années plus tard, le jeune orphelin est devenu un chasseur de primes du nom de Roy Blood (Giuliano Gemma). Lorsqu’on lui propose de liquider l’un des membres du clan Barrett, il se dit prêt à faire le job gratuitement. Mais le jour J, Blood ne peut se résoudre à remplir son contrat : sa cible n’est encore qu’un enfant, un p’tit gars prénommé Thomas (Sven Valsecchi). Au fil des événements, le « bounty hunter » va prendre fait et cause pour ce dernier… En France, Selle d’argent sort pour la première fois en 2018 grâce à l’éditeur vidéo Artus Films. Le dvd/blu-ray confectionné avec soin (comme toujours) par l’ours noir (ou blanc) permet enfin de découvrir dans nos contrées cet opus méconnu de Lucio Fulci. Quarante ans après son exploitation dans les salles italiennes, on peut dire qu’il était temps ! L’heure est donc venue de sauter en selle pour mater le troisième (et ultime) western du réalisateur de Murderock… Rappel des faits. En 1966, les colts chantèrent la mort et ce fut… Le Temps du massacre, chevauchée avec le diable lancée en plein âge d’or du western européen. En 1975, Les 4 de l’apocalypse sèment le chaos et se laissent étreindre par le crépuscule jusqu’à l’étouffement. En 1978, Selle d’argent opère une rupture radicale avec ses tumultueux prédécesseurs. Ce film « tout public » est censé faire renouer Fulci avec le succès, ses derniers longs ayant tous essuyé un bide (même le formidable L’Emmurée vivante). Malheureusement, Sella d’argento (rien à voir avec Dario, c’est juste le titre en VO) ne parvient pas davantage à séduire les spectateurs transalpins…

À la fin des seventies, le western all’italiana tire ses dernières cartouches. Keoma (1976) règle ses comptes sous un ciel de plomb, la « brute » de Sergio Leone dresse une longue file de croix pour Les Impitoyables (1976), Mannaja (1977) manie sa hache comme un Apache… Star du genre depuis les « Ringo » de Duccio Tessari, Giuliano Gemma garde toujours un doigt sur la gâchette. Il vient d’arpenter les grands espaces d’Adios California (1977) et n’hésite pas à remettre son Stetson pour Lucio Fulci. Dans Sella d’argento, le soldat déserteur du Texas de Tonino Valerii (transposition dans l’Ouest sauvage de l’assassinat de JFK) campe un dur au cœur tendre, un charismatique redresseur de torts. En enfilant ce cache-poussière taillé sur mesure, Gemma retrouve instantanément son panache d’antan. Comme à la grande époque du Dollar troué (le Blood adulte fait d’ailleurs son apparition à travers un clin d’œil au film de Giorgio Ferroni), cet ancien cascadeur bondit comme un félin, dégaine avec classe, distribue les bourre-pifs et fait chanter les bastos. Le long-métrage est à l’image de son héros : dynamique, généreux, attachant. Il n’y a donc aucun cynisme dans Selle d’argent. Ce qui fait de lui un western à l’ancienne, presque anachronique dans sa volonté d’ignorer les évolutions du genre. Le classicisme (pour ne pas dire l’élégance) de la mise en scène prouve que le talent de Fulci ne se limite pas à ses capacités d’adaptation (qui mieux que lui peut passer d’un univers à l’autre sans broncher ?). Son savoir-faire, il le met au service d’une péloche qui se tourne progressivement vers la lumière…

À la vendetta que laissait présager une intro sèche et brutale, le script d’Adriano Bolzoni (l’un des scénaristes de Pour une poignée de dollars) préfère se focaliser sur la relation père/fils qui se noue entre Roy Blood et Thomas Barrett Jr. L’âme de Selle d’argent se niche dans cette tendresse inattendue, ces sentiments qui naissent sur une terre aride, cruelle, impitoyable. Au contact du bambin, la colère de Blood s’étiole et son désir de vengeance s’estompe (un parcours similaire à celui de Josey Wales, « hors-la-loi » retrouvant son humanité au gré de ses rencontres). Pour autant, pas question pour l’auteur de Frayeurs d’expurger son récit de toute violence. Comme il l’avait déjà fait dans ses deux Croc-Blanc, le maestro recule les limites du film « familial » et n’aseptise en rien son propos. Les impacts de balles font jaillir l’hémoglobine (un aperçu de La Guerre des gangs qui s’annonce) et même cette tête blonde de Sven Valsecchi n’est pas épargnée (on l’engueule, on le baffe, on le fouette). Bref, on est bien chez Lulu (ou Fufu) ! Ce que confirme la présence de son chef-op’ fétiche, Sergio Salvati, et du trio musical derrière les sept notes en noir de L’Emmurée vivante, « Bixio-Frizzi-Tempera ». Le premier orne ses images d’un éclat diurne inhabituel, les seconds composent pour l’occasion une splendide ballade (le morceau Silver Saddle, chanté par le folkeux Ken Tobias). Celle qui sera l’énigmatique non-voyante de L’Au-delà (la rayonnante Cinzia Monreale) se distingue aussi parmi les seconds couteaux, tout comme l’affûté Geoffrey Lewis (truculent en charognard loqueteux surnommé « Two-Strike Snake »)… Moins traumatisant et tourmenté que les efforts les plus réputés de Fulci, Selle d’argent n’en reste pas moins une œuvre touchante et pleine d’espoir. Une petite pause avant l’ouverture imminente des sept portes de l’enfer…

Sella d’argento. De Lucio Fulci. Italie. 1978. 1h34. Avec : Giuliano Gemma, Cinzia Monreale, Geoffrey Lewis

LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME + L’EMMURÉE VIVANTE : Fulci lives ! Part 2

Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. La tension monte au sein de cette petite communauté et les habitants commencent à désigner des coupables. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent. Pitch : les Films du Camélia.

Et si on tenait là l’un des plus grands films de Lucio Fulci ? Son plus noir, son plus dérangeant, son plus remuant ? Le sentiment de malaise qu’il suscite nous oblige à répondre par l’affirmative à cette question. Car rarement portrait de nos contemporains n’aura été aussi féroce que celui dépeint dans La Longue nuit de l’exorcisme (titre français à côté de la plaque dû à un distributeur opportuniste souhaitant surfer sur le succès de L’Exorciste). L’Italie profonde décrite par Fulci est soumise aux superstitions archaïques et dominée par un catholicisme dans ce qu’il a de plus néfaste et hypocrite. Même avec une autoroute défigurant le paysage, la modernité ne parvient pas à s’implanter dans ces terres reculées où l’obscurantisme a depuis longtemps détruit les cerveaux et les âmes. La civilisation ne veut plus rien dire lorsque la Justice se montre impuissante face à la vindicte populaire et aux actes les plus vils. Le passage à tabac subi par l’envoûtante Florinda Bolkan en constitue un exemple des plus choquants (un supplice d’une brutalité estomaquante, ironiquement accompagné par la chanson romantique « Quei giorni insieme a te », interprétée par Ornella Vanoni). S’articulant autour des agissements d’un tueur d’enfants, l’enquête policière ne laisse pas non plus insensible. Mais malgré leur jeune âge, lesdits enfants ne s’avèrent pas plus innocents que leurs parents (voir cette scène où un gamin au sourire sadique bute un lézard pour passer le temps, comme quoi la cruauté n’est pas l’apanage des adultes). Du début jusqu’à la fin, Non si sevizia un paperino (en VO, c’est mieux – traduction : « on ne torture pas un petit canard ») sent le soufre et s’épanouit dans un climat délétère et crasseux où les apparences se révèlent non seulement trompeuses mais aussi mortelles. De par son décor rural parfois shooté à la façon d’un documentaire et le regard nihiliste de son auteur, le film dépasse de loin le cadre du simple giallo. En témoigne également cette séquence culte où la fantasmatique Barbara Bouchet se fout de la gueule d’un p’tit puceau en l’aguichant à oilpé. Une note transgressive et vicieuse sur une partition en forme de coup de boule.

Non si sevizia un paperino. De Lucio Fulci. Italie. 1972. 1h49. Avec : Florinda Bolkan, Barbara Bouchet, Tomás Milián…

Virginia Ducci a des prémonitions. Elle sait que l’un des murs de la maison de son défunt mari abrite un cadavre. Avec l’aide d’un spécialiste en paranormal, elle explore la bâtisse en ruines et ne tarde pas à découvrir un squelette. Mettre au jour ce terrible secret va s’avérer un geste funeste pour Virginia. Pitch : les Films du Camélia.

Entre la comédie sexy On a demandé la main de ma sœur (1976, avec la grande Edwige Fenech dans son rôle le plus hot) et le western tardif Selle d’argent (1978, dispo chez Artus Films), Lulu (pour les intimes) revient au giallo avec L’Emmurée vivante, aka Sette note in nero. Un opus dénué, à quelques exceptions près, des excès érotico-gores propres au genre. J’en vois déjà qui tire la tronche mais ne vous inquiétez pas, le film n’en souffre jamais, Fulci maîtrisant son sujet comme personne (de toute façon, ce serait une erreur de réduire le bonhomme à son goût pour l’horreur qui tache). Le sujet en question est par ailleurs très fulcien, puisqu’il invoque l’esprit sombre et macabre d’Edgar Allan Poe (le réalisateur de La Guerre des gangs livrera d’ailleurs sa propre adaptation du Chat noir au début des années 1980). Formidablement agencée, l’intrigue de ce thriller psychologique s’appuie entièrement sur les visions obsédantes et cauchemardesques de son héroïne, Virginia Ducci (excellente Jennifer O’Neill, également confrontée à d’autres tourments psychiques dans le Scanners de Cronenberg). Mais les choses se compliquent lorsque l’argument fantastique vient brouiller les pistes au lieu de se contenter de faire progresser l’enquête. Fulci s’évertue alors à éclater la mémoire de sa médium, à fragmenter son esprit comme un puzzle et à donner aux images qui l’assaillent un sens caché. Comme dans tout thriller transalpin qui se respecte, les faux-semblants tissent une toile opaque autour d’une vérité dangereuse à débusquer. La musique du trio Frizzi/Bixio/Tempera participe également aux investigations tortueuses de L’Emmurée vivante, les « sept notes en noir » du titre original ayant leur importance lors d’un climax tendu et étouffant (et sont magnifiquement exploitées durant le tout dernier plan du film, je n’en dis pas plus). Une bande-son aussi entêtante que ces gros plans incessants sur le visage de son actrice principale et ces inserts sur ses yeux. Comme pour souligner que, dans ces limbes giallesques, savoir interpréter ce que l’on voit demeure une question de vie ou de mort.

Sette note in nero. De Lucio Fulci. Italie. 1977. 1h40. Avec : Jennifer O’Neill, Gabriele Ferzetti, Marc Porel…

PERVERSION STORY + LE VENIN DE LA PEUR : Fulci lives ! Part 1

Le réchauffement climatique, le dernier Christian Clavier, les disparitions de Rutger Hauer et George Hilton... Il fallait bien une rétrospective Lucio Fulci pour nous remonter le moral. Dans des copies flambant neuves, "Les Films du Camélia" projettent actuellement sur nos toiles blanches quatre poèmes noirs du maestro : Perversion Story, Le Venin de la peur, La Longue nuit de l'exorcisme et L'Emmurée vivante. Les délicieuses frayeurs d'un cinéaste qui, à la fin des 60's et au début des 70's, n'était pas encore étiqueté "roi du gore"...

À San Francisco, un médecin dont la femme est morte après une longue maladie remarque dans un cabaret une strip-teaseuse qui lui ressemble étrangement. Pitch : les Films du Camélia.

1966. Après avoir emballé une flopée de comédies épaisses pour le duo Franco et Ciccio, Lucio Fulci amorce un nouveau cap avec un western plein de bruit et de fureur : Le Temps du Massacre. 1969. Le même tâte du giallo pour la première fois avec Perversion Story et confirme sa volonté de transcender son cinéma et de devenir un auteur à part entière (ce que prouve également une autre péloche du maestro sortie la même année : le sublime et tragique Beatrice Cenci). Une porte s’ouvre donc dans la carrière de Fulci. Et si ce n’est pas encore celle qui mène aux zombies infernaux et à l’au-delà, elle marque déjà l’avènement d’un nouveau style, d’une nouvelle voie, celle qui perturbe les sens à coups de saillies viscérales et décapantes… Pour ses débuts dans le thriller à l’italienne, le cinéaste s’appuie sur une base solide en convoquant le Vertigo d’Hitchcock. Il va même jusqu’à reprendre le même décor : San Francisco. Bien avant Brian De Palma, Lucio Fulci rend hommage à son prestigieux aîné, mais ne se contente pas de le citer, il le transforme à son image, en prolonge les thèmes avec une audace bien plus démonstrative (libération des mœurs oblige). Car une évidence s’impose : la love story aux relents nécrophiles narrée par Big Hitch s’intègre parfaitement avec les obsessions chères à Fulci. Ainsi, lorsque Jean Sorel (acteur français ayant beaucoup fréquenté le giallo durant les 60’s, 70’s) s’envoie en l’air avec le sosie de sa défunte épouse, son esprit est assailli par des flashs de celle-ci couchée sur son lit de morte. Le gazier n’ayant jamais été du genre fidèle, ces visions d’un passé funeste pourraient être aussi bien le fruit d’une culpabilité que d’une déviance. Quoi qu’il en soit, le motif du double (personnifié ici par une Marisa Mell brune et blonde mais atomique en toutes circonstances) permet au réalisateur de Conquest de chorégraphier, sur les envolées jazzy de Riz Ortolani, une danse sépulcrale et lascive entre Eros et Thanatos. La mort que Fulci commence à observer d’un œil cru (cf. ce gros plan sur la figure décomposée d’un cadavre à la morgue). Et le sexe qu’il caresse avec une inventivité psychédélique que n’aurait pas renié le Jess Franco des Inassouvies (cadrage oblique, caméra portée, angle surréaliste). Bref, Una sull’altra (que l’on peut traduire par « une sur l’autre ») est un grand film érotique, doublé d’un suspense à tiroirs que son auteur s’amuse à faire rebondir jusqu’à l’ultime seconde. Sexy, sinueux, sensationnel.

Una sull’altra. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1969. 1h50. Avec : Marisa Mell, Jean Sorel, Elsa Martinelli…

Carol Hammond, fille d’un célèbre avocat, est la victime d’hallucinations étranges où elle imagine des orgies sexuelles sous LSD organisées par sa voisine, la belle Julia Durer, une actrice à la vie sulfureuse et débridée. À la mort de cette dernière dans des conditions mystérieuses, Carole voit son monde s’écrouler et les mains de la police se refermer sur elle. Arrivera-t-elle à contenir sa folie et ses désirs sexuels insatisfaits ? Pitch : les Films du Camélia.

Après un Perversion Story déjà remarquable, Lucio Fulci explose le cadre du giallo classique avec Le Venin de la peur. Un film fou qui, dès ses fascinantes préliminaires, nous précipite dans un univers cauchemardesque dévoré par des pulsions refoulées et des instincts meurtriers. Le cinéaste romain brouille les frontières entre rêve et réalité tout en plongeant une femme dans un chaos mental et létal. Le sol se dérobe sous ses pieds, et sous les nôtres, les mécanismes retors et insidieux du scénario semant le doute sur la nature même des événements. Pour matérialiser la démence semblant gagner progressivement Florinda Bolkan, Fulci s’autorise les idées les plus dingues (un cygne géant s’échappe d’un tableau de Dali et étend son ombre menaçante sur sa protagoniste) et les scènes choc les plus déstabilisantes (la découverte de chiens éventrés, et encore vivants, dans le labo d’une clinique). Tout l’imaginaire onirico-morbide de son auteur nous éclate alors en pleine tronche. Les concepts fulgurants et saisissants disséminés dans Una Lucertola con la pelle di donna sont le produit d’une mise en scène aussi libre (pour ne pas dire expérimentale) que sophistiquée (la caméra bouge, zoom, recadre et s’arrête le temps d’un split screen ou d’un plan oblique). Cette descente aux enfers schizo et parano digne d’un Polanski sous acides, prend une tout autre signification lors du coup de théâtre final. Un virage à 180 degrés qui ne constitue pas seulement une énorme surprise narrative. Il révèle aussi toute la misanthropie d’un Fulci scrutant avec ironie un Swinging London décadent dans lequel bourgeois et hippies rivalisent de duplicité. Un regard cinglant (et sanglant) qui sait aussi mettre en valeur l’élégance, la sensualité et la beauté froide de l’exceptionnelle Florinda Bolkan. Ses étreintes brûlantes et fantasmagoriques avec Anita Strindberg, accompagnées par la BO atmosphérique et éthérée de Morricone, suffisent à faire de ce « lézard à la peau de femme » l’un des efforts les plus vertigineux et sidérants de Lucio Fulci.

Una Lucertola con la pelle di donna. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1971. 1h42. Avec : Florinda Bolkan, Jean Sorel, Anita Strindberg…

LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME (Lucio Fulci, 1972)

3760147490597La longue nuit de l’exorcisme (titre original : Non si sevizia un paperino). De Lucio Fulci. Italie. 1972. 1h48. Avec : Florinda Bolkan, Barbara Bouchet et Tomas Milian (dans l’une de ses partitions sobres). Genre : giallo/thriller. Sortie dvd/blu-ray : 15/06/2017 (Le chat qui fume). Maté en blu-ray le lundi 24 juillet 2017.

De quoi ça cause ? Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. La tension monte au sein de cette petite communauté et les habitants commencent à désigner des coupables. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent. (source : lechatquifumedvd.com)

Mon avis Télé Z : Comme son titre français – complètement bidon – ne l’indique pas, Non si sevizia un paperino n’a rien à voir avec L’exorciste de William Friedkin. Il est plutôt question de petits canards (vilains ou pas) que l’on ne devrait pas torturer. Et plus précisément de ce Donald Duck en plastique dont la tête s’est brutalement détachée du reste de son corps. Le symbole d’une enfance à l’espérance de vie très limitée. Et pour cause : nos chères têtes blondes sont ici la cible privilégiée d’un mystérieux assassin. Un sujet bien évidemment inabordable de nos jours. Heureusement, les tabous n’ont jamais fait peur aux glorieuses 70’s. Non si sevizia un paperino ose même l’impensable en confrontant un gamin à la nudité d’une interlocutrice aguicheuse. Il faut voir la fantasmatique Barbara Bouchet – totalement à oilpé – allumer un petit puceau avant que celui-ci ne soit rappelé par sa mère… Troublante et sulfureuse, cette séquence ô combien marquante (en réalité tournée en deux temps, afin d’éviter la rencontre entre l’actrice et son jeune partenaire) laisse pantois mais n’a rien de gratuite. Elle permet surtout de montrer le caractère hautain d’une bourgeoise issue de la ville, prenant un malin plaisir à dominer un garçon frustré par sa condition de fils de villageois. L’occasion pour Lucio Fulci d’opposer deux mondes, l’Italie du Nord et l’Italie du Sud, de confronter le progrès à l’obscurantisme, la modernité à la superstition. Le cinéaste ne prend parti ni pour l’un ni pour l’autre. Quelle que soit leur origine, chaque protagoniste possède ses tares et personne n’échappe à la misanthropie et au pessimisme de l’auteur de Frayeurs. Pas même ce mioche qui – au début du long-métrage – bute un lézard avec son lance-pierre, histoire de tromper son ennui. La cruauté n’attend pas le nombre des années et l’humanité semble gangrenée par la violence dès le plus jeune âge… Thriller rural, Don’t torture a duckling (titre d’exploitation américain) plonge dans l’enfer d’un bled perdu au fin fond de la botte transalpine. Optant pour une véracité flirtant parfois avec le documentaire, Fulci s’imprègne de la tristesse du fait divers. Le ton est grave, le climat étouffant, l’environnement délétère, les actes sordides. Le générique d’ouverture démarre sur une interminable autoroute qui surplombe le village d’Accendura. Le paysage, ainsi défiguré, annonce l’horreur qui va se déchaîner dans les environs, tout en reflétant l’âme hideuse de ses habitants. La justice n’arrivant à rien dans ces lieux où seules prévalent les vieilles traditions, la vindicte populaire finit par s’exprimer de la plus choquante des manières. Plus de quarante après, le lynchage subit par la magnétique Florinda Le venin de la peur Bolkan secoue toujours autant. La brutalité des coups portés et la froideur des assaillants mènent une danse impitoyable située dans un cimetière en ruine. L’utilisation d’une chanson sirupeuse comme musique de contrepoint déstabilise encore plus le spectateur, témoin d’un calvaire dont la frontalité et la viscéralité ne laissent pas indifférent (les saillies gores des futurs Fulci sont déjà présentes, voir notamment L’enfer des zombies, 1979). Le pire est atteint lorsqu’une voiture de vacanciers feint de ne pas voir la victime alors qu’elle est en train d’agoniser au bord de la route… Une preuve supplémentaire du regard féroce que le réalisateur italien porte sur ses contemporains. Égoïstes, ignorants, lâches. Il subsiste dans Non si sevizia un paperino un sentiment d’impuissance face à l’injustice, l’idée que rien ne changera jamais ou ne sauvera l’humanité de sa propre déchéance. Et puis certaines choses ne peuvent se pardonner. À l’image du supplice éprouvant enduré par le personnage de Bolkan, une marginale que l’on surnomme la “sorcière” mais qui n’est rien d’autre qu’une femme incomprise et brisée. La magie noire qu’elle pratique n’est pas plus répréhensible que les fadaises catholiques auprès desquelles s’abreuvent ses concitoyens. Les secondes s’avèrent même bien plus toxiques et dangereuses que la première. Sans en dire davantage, on aura compris que Angustia de silencio (titre espagnol, pour changer) dépasse les limites du simple giallo. Ce qui n’empêche pas Fulci d’orchestrer un modèle de manipulation en jouant admirablement sur la notion de point de vue (le montage s’amuse à nous diriger vers des fausses pistes). Une mécanique solidement charpentée et brillamment stylisée (cadrages obliques, plans truqués grâce à la technique du split screen) qui sert à merveille un discours d’une noirceur insondable mais d’une honnêteté incontestable. Chef-d’œuvre terrassant et d’une audace folle, La longue nuit de l’exorcisme (allez, je vais l’utiliser au moins une fois, ce foutu titre) porte bien la marque de Lucio Fulci, un génie tourmenté qui n’a jamais eu peur de se noyer dans les abysses. 6/6 

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Dans les bois où l’on torture les petits canards, la « sorcière » Florinda Bolkan laisse poindre un sourire équivoque.