BACCHANALES SEXUELLES : les drôles d’orgies de monsieur Gentil

Début des années 70. Les poèmes de Jean Rollin dédiés aux créatures de la nuit ne rencontrent pas leur public et ne satisfont pas davantage la critique. Et pourtant, Le Viol du vampire (un premier long sorti en plein mai 68), La Vampire nue (1970), Le Frisson des vampires (1971) et Requiem pour un vampire (1972) relèvent de l’avant-garde la plus inspirée et s’approprient avec respect le mythe du suceur de sang. S’il veut à nouveau tourner, le « rêveur égaré » n’a pas d’autre choix que d’accepter des commandes qui correspondent aux modes du moment. Sous le pseudo de Michel Gentil ou de Robert Xavier, il s’essaie alors à la fesse soft via Jeunes filles impudiques (1973) et notre péloche du jour, Bacchanales sexuelles (1974). Dans la foulée, il surfe même sur la vague porno, emballant sans rougir (enfin si, un peu) une dizaine de polissonneries (s)explicites (citons pour le plaisir, l’aventure qui marque en 1977 la première rencontre entre Rollin et Brigitte Lahaie : Vibrations sexuelles). De quoi se refaire une petite santé financière. Cependant, malgré les contraintes commerciales, Monsieur Jean n’a jamais coupé les ponts avec le royaume des ombres. Une certitude : son cœur ne bat qu’aux frontières de l’aube. Dans ses œuvres les plus personnelles, la vie et la mort ne font qu’un, le surréalisme se teinte de romantisme noir, les ténèbres n’empêchent nullement l’amour de se manifester. La beauté éthérée, la puissance fantasmagorique, la mélancolie envoûtante de La Rose de fer (1973), La Nuit des traquées (1980) ou La Morte vivante (1982) ont offert à notre « Baron Vampire » une place unique au sein du fantastique hexagonal.

Écrit par Jean Rollin et sa fidèle collaboratrice Natalie Perrey, le scénario de Bacchanales sexuelles relate la lutte opposant l’exquise Valérie (Joëlle Cœur) à la sadienne Malvina (Brigitte Borghese). La première veut délivrer son amie Sophie (Marie-France Morel, La Grande culbute) des griffes de la seconde, grande prêtresse de la secte des « adorateurs de la chair fraîche » ! Bien loin des contes sépulcraux chers au réalisateur de Fascination (1979), ce bel exemple d’érotisme à la française reste néanmoins habité par l’esprit de son auteur. À la grosse marrade grivoise façon Max Pécas/Philippe Clair/Richard Balducci/Nicole Garcia, Jean Michel Rollin Roth Le Gentil (nom complet) préfère s’amuser avec ses références, son univers. D’ailleurs, Bacchanales sexuelles a été en partie tourné dans son propre appart. L’affiche conçu par Druillet pour Le Frisson des vampires sert d’agrément mural (une déco très tendance chez les amoureux de Sandra Julien), des tonnes de bouquins débordent des étagères (sur lesquelles la belle comme un Cœur prélève le fameux Classiques du cinéma fantastique de Jean-Marie Sabatier) et les pipes de son fumeur de metteur en scène se dévoilent au détour d’un plan, hélas, coupée au montage. Dans ce logement, la place importante occupée par les livres n’est pas anodine. Elle rappelle que le regretté Rollin fut également écrivain et directeur de collection. Mais aussi un expert en littérature populaire à qui l’on doit notamment un essai sur Gaston Leroux publié dans les pages de Midi-Minuit Fantastique. Bref, un homme cultivé, éclairé, le Jeannot. Qui côtoya Bataille dans sa prime jeunesse, travailla avec Duras sur l’inachevé L’Itinéraire marin

Intitulé Tout le monde il en a deux lorsqu’il sort une première fois dans nos cinoches (le 4 août 1974), Bacchanales sexuelles (titre utilisé pour la ressortie du film, le 2 octobre de la même année) témoigne du penchant de Rollin pour l’insolite, l’étrange, le bizarre. Les sœurs jumelles Catherine et Marie-Pierre Castel (inoubliables visages traversant presque toute la filmo rollinienne) agissent comme des souris d’hôtel dont le look (cagoule et combinaison moulante) évoque les « anges du mal » des feuilletons de Feuillade (on songe inévitablement à Musidora, ensorcelante Irma Vep des Vampires de 1915). Pour sa part, l’insatiable dominatrice campée par Brigitte Borghese (Britt Anders au générique) semble s’être échappée des cases d’une sulfureuse BD des éditions Elvifrance (petits formats pour adultes, disponibles en kiosque de 1970 à 1992). Dans son repaire (un manoir apportant à l’ensemble une touche gothique bienvenue), la pauvre Sophie se fait flageller par un bourreau masqué et vêtu de rouge, réincarnation du Mickey Hargitay de Vierges pour le bourreau (aka Il boia scarlatto, le bourreau écarlate, 1965). Le tout sous le regard vicelard d’un couple de larbins surexcités ! Cette ragoûtante pincée de délire SM vient pimenter un spectacle parfois à la limite du hard (nous sommes au mitan des 70’s et la pornographie s’apprête à déferler sur les écrans français). Pour autant, rien ne justifie le futur titre VHS de Tout le monde il en a deux/Bacchanales sexuelles : Des putes oui… mais de Tanzanie !!!

Pour nous entraîner sur la voie du dévergondage, la bande-annonce de Bacchanales sexuelles n’hésite pas à nous promettre « un film dont la sexualité érotique fera monter votre « tension ». Il faut bien avouer que l’hyperventilation nous menace devant un gros plan en contre-plongée d’une Joëlle Cœur léchouillant le téton de son amante. Il faut bien reconnaître que le p’tit déj coquin de la même Jo – elle se badigeonne les mamelons, le nombril et le bas-ventre avec de la confiote – a de quoi couper le souffle des scopophiles. Mais celle qui se pare de l’étoffe de nos désirs ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle lance un regard caméra lorsque l’extase la possède, se déhanche sur un air funky en nous envoyant un baiser (autre précieuse scène coupée). Pour Rollin, notre jolie Cœur a également été « jeune fille impudique » et naufrageuse « démoniaque ». Une déesse du Bis au même titre que l’adorable Annie Belle (c’est un mot qu’on dirait inventé pour elle). Sous son véritable nom, Annie Brilland (celui qui vient de dire Dany Brillant est prié de s’immoler sur-le-champ), fait ici ses débuts à l’écran alors qu’elle n’a pas encore dix-huit printemps. Son apparition tardive mais ô combien céleste s’apparente à la naissance de Vénus. Un an plus tard, Annie qui aime les sucettes à l’anis illuminera l’opus le plus poignant de Rollin : Lèvres de sang… La qualité hors-norme du blu-ray griffé par Le Chat qui Fume prouve que ces « bacchanales » méritent leur place dans l’imaginaire du grand Jean Rollin, l’amant des Muses de la plage de Pourville-les-Dieppe.

Bacchanales sexuelles. De Michel Gentil (Jean Rollin). France. 1974. 1h42. Avec : Joëlle Cœur, Brigitte Borghese, Annie Belle

LES WEEK-ENDS MALÉFIQUES DU COMTE ZAROFF : belles, blondes et clamsées

Businessman roulant en Peugeot 404 Coupé, le Comte Boris Zaroff (Michel Lemoine) ne se contente pas de potasser ses dossiers, de les signer et de les refiler à sa secrétaire. Tous les week-ends, il part rejoindre son château pour satisfaire ses penchants sadiens. Avec la complicité de son majordome Karl (Howard Vernon), ce vicelard de Zaroff se repaît de sexe et de sang, perpétuant ainsi une longue tradition familiale. Mais lorsque le fantôme d’Anne de Boisreyvault (Joëlle Cœur) se met à le tourmenter, le prédateur de ces dames commence sérieusement à perdre la boule… Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff vu, à l’époque, par ces faux-culs de la commission de censure : « Ce film présente, sous couvert d’un appel à l’étrange et au surréel, une panoplie complète de moments de sadisme, de cruauté, d’érotisme voire de nécrophilie qui ne sont tempérés ni par la moindre poésie, ni par l’humour. Il ne saurait être vu que par des adultes ». Des propos rances qui laissent deviner le sort réservé à l’œuvre de Lemoine sur notre territoire. Je vous le donne en mille ? Classement X et interdiction de séjour dans les salles… Plus clairvoyante, l’Espagne lui décerne en 1977 sa médaille d’or au festoche de Sitges. Dans notre beau pays, il faut attendre la décennie suivante et l’avènement de la VHS pour enfin découvrir ces week-ends licencieux sous le titre de Sept femmes pour un sadique

Après avoir traîné sa bobine de jeune premier devant les caméras de Guitry (Le Diable boiteux, 1948), Duvivier (La Fête à Henriette, 1952) ou Le Chanois (Le Village magique, 1955), Michel Lemoine (1922-2013) bifurque vers le Bis à l’orée des sixties. Il accomplit ainsi La Vengeance du Masque de Fer (Francesco De Feo, 1961), devient Le Monstre aux yeux verts (Romano Ferrara, 1962), assiste au choc Hercule contre Moloch (Giorgio Ferroni, 1963)… Jouer pour José Bénazéraf (L’Éternité pour nous, 1963), Mario Bava (Arizona Bill, 1964) et Jess Franco (Necronomicon, 1968) lui donne bientôt des envies de mise en scène. En tant que cinéaste, il se spécialise dans l’érotisme gaulois et dévoile les charmes de son épouse Janine Reynaud. Des titres ? Les Désaxées (1972), Les Chiennes (1973), Les Confidences érotiques d’un lit trop accueillant (1973) et Les petites saintes y touchent (1974). Mais il n’y a pas que la fesse dans la vie. Il y a aussi le fantastique. Midi-minuiste convaincu, féru de cinoche de quartier, défenseur de la série B, Lemoine écrit, réalise et interprète Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff. Un cauchemar « gothiconcupiscent » qui trahit l’amour de son auteur pour l’horreur (Boris Zaroff ne sonne-t-il pas comme Boris Karloff ?) et s’offre même le luxe d’une descendance que les cinéphages connaissent bien (Les Chasses du Comte Zaroff, 1932). Et hier comme aujourd’hui, ce type de proposition détonne au sein d’un 7ème art hexagonal peu porté sur l’imaginaire transgressif…

Si les poèmes de Jean Rollin vous touchent, si les contes immoraux de Jess Franco vous chatouillent les sens, alors vous serez ici comme à la maison. Avec le premier, Michel Lemoine partage un goût prononcé pour les répliques littéraires (les mots résonnent comme un écho lointain, sans se soucier du moindre réalisme) et les cimetières délabrés (le monde des morts est une prison attirant dans ses murs les vivants). À l’instar du second, il revisite le mythe zaroffien (cf. les chefs-d’œuvre de l’Espagnol fou : La Comtesse perverse et son « remake » Tender Flesh) et emploie l’exquis Howard Vernon (en serviteur du Comte Boris, il fait preuve d’une duplicité qui confine au sublime). Lemoine sait aussi tirer parti de ses décors naturels (verte prairie, lac de brume), tout en mettant en valeur les ressources extérieures et intérieures de son château (voir cette chambre aux miroirs, source de plaisirs insoupçonnés…). Le soin apporté au cadrage (les leçons du maestro Bava ont bien été retenues) et à la photo (Philippe Théaudière n’est pas un manchot) montre que tourner un long en deux ou trois semaines n’accouche pas forcément d’un résultat mal branlé. Malgré son budget riquiqui, Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff n’a (pratiquement) jamais l’air fauché. Lemoine pose un véritable regard de cinéaste sur ce qu’il shoote, bichonne son atmosphère de cauchemar baroque et sexy, expérimente sans jamais tomber dans l’essai arty. Bien que son scénar soit aussi dépouillé que celui d’un slasher, le Michel compense en donnant de la chair à la forme.

Plutôt doué pour mettre le meurtre dans le lit de la luxure, celui qui a dirigé la brûlante Olinka dans une poignée de pornos (dans les 80’s et sous le pseudo de Michel Leblanc) se démarque de l’exploitation lambda à travers quelques séquences à l’émoustillante créativité. Sylphide habituée aux bandes coquines des seventies (celles de Lemoine mais aussi de Pallardy, Davy et Bénazéraf), la peu frileuse Martine Azencot se tord d’extase au contact d’un boa en plumes bleues et se déchaîne lors d’une danse tribale provoquant la transformation d’une statue en homme (le culturiste Manu Pluton). Des instants insolites et affriolants qui voisinent avec des fulgurances empreintes d’un romantisme à la Edgar Allan Poe. Fantôme d’amour en robe blanche, la magnifique Joëlle Cœur (dans un rôle pour lequel a postulé Sylvia Kristel) resplendit d’une grâce intemporelle, use de ses reflets ténébreux pour nous offrir une dernière valse, fait de l’au-delà un éden. Belle comme un cœur (révélateur), l’impudique et démoniaque Joëlle nous fend encore plus le palpitant en désertant les écrans en 1976… Plus étonnant encore, ces week-ends maléfiques frayent aussi avec l’humour noir. Voulant visiter la chambre des tortures du père Zaroff, le couple Nathalie Zeiger/Robert de Laroche paye sa curiosité au prix fort (les pauvres petits finissent en sandwich gore…). Ballotté entre fantasme et réalité, le film joue habilement avec les ruptures de ton et immortalise l’étrange faciès d’un Lemoine esclave de ses pulsions et lentement dévoré par sa part de monstruosité. Dommage que celui-ci n’ait pondu qu’une seule péloche fantastique…

Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff. De Michel Lemoine. France. 1974. 1h25. Avec : Michel Lemoine, Howard Vernon, Joëlle Cœur…