Deuxième long de Claude Mulot, La Rose Écorchée (1970) n’est pas le premier film qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque la grande carrière d’Anny Duperey. D’aucuns citeraient plus volontiers Stavisky (1974), Un Éléphant ça trompe énormément (1976) ou encore Les Compères (1983). L’intéressée elle-même n’a jamais fait grand cas de sa participation à cette « fleur du mal » des cinoches de quartier. Peut-être l’a-t-elle reniée à l’instar de la Mathilda May de Lifeforce, honteuse d’avoir joué les vampires de l’espace pour Tobe Hooper ?
Quoi qu’il en soit, la délicieuse Anny n’a pas à rougir de sa prestation. Dans La Rose Écorchée, elle a déjà tout d’une grande et dépasse allègrement son statut de débutante. Démarré en 1965, son CV compte cinq ans plus tard huit rôles pour le grand écran, cinq pour le petit et trois sur les planches. Pas mal pour une actrice de seulement 22 berges. Si jeune et déjà (entre autres) un Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1967), trois polars (dont Jerk à Istanbul, 1967) et de l’aventure (Sous le signe de Monte-Cristo, 1968) à son actif…
La Rose Écorchée ne constitue même pas sa première incursion dans le domaine du fantastique puisque notre brune faisait déjà partie du casting d’Histoires Extraordinaires (1968). Un film à sketches adapté de Poe et codirigé par Vadim, Malle et Fellini. En 1971, la Miss Duperey renoue avec le genre (à la TV cette fois), dans une sorte d’X-Files à la française : La Brigade des Maléfices (elle incarne une Vénusienne blonde dans l’épisode Voir Vénus et mourir). Sans oublier le plus tardif Le Démon dans l’île de Francis Leroi, primé à Avoriaz en 1983.
Chez Mulot, Anny Duperey s’appelle Anne et vit le grand amour avec un châtelain tourmenté (emploi tenu par l’ex-jeune premier des années 50, Philippe Lemaire). Ce dernier, également peintre, fait poser sa nouvelle muse dans le plus simple appareil (la comédienne a déjà été modèle nu dans Les Femmes, tourné un an plus tôt). Malheureusement, Anne est victime d’un terrible accident qui la laisse défigurée. Seul un chirurgien au passé louche (l’horrible Docteur Howard Vernon) peut lui redonner un profil angélique. Pour cela, de la peau doit être prélevée sur des donneuses pas franchement consentantes…
Ce cruel revirement du destin contraint Anny Duperey à jouer les « yeux sans visage » (l’influence du classique de Franju est ici évidente). Dès lors, sa performance devient essentiellement vocale. Le ton est acrimonieux, la souffrance palpable. À l’image, une vision subjective aux contours flous épouse son regard. Et quand la suppliciée Duperey retrouve son corps, c’est pour apparaître entièrement recouverte et clouée sur un fauteuil roulant. Sa trombine ravagée, dévoilée en fin de bobine, inspire davantage la pitié que la terreur.
Il y a une forme d’ironie dans ce subterfuge qui consiste à nous priver de la grâce juvénile de son actrice principale. Mais rien n’y fait. Impossible d’oublier la splendeur de la future animatrice télé des Malheurs d’Alfred. Aussi foudroyante qu’un éclair de lune, Anny Duperey peut donc s’enorgueillir de sa présence dans La Rose Écorchée. Le temps d’une fulgurance, elle dompte les ténèbres comme une Barbara Steele. C’est dire à quel point la Française porte si bien le masque du démon.
Anne, cette amante maudite aspirée par la nuit, mérite de figurer parmi les rôles les plus marquants de la mère de Sara Giraudeau. Claude Mulot dirige comme il se doit sa dark lady, l’accompagne avec tristesse et élégance jusqu’au tréfonds de l’âme. Appliqué, inspiré, passionné, le cinéaste nous convie au bal des damnés, là où les rêves pleurent des larmes de sang. La Rose Écorchée : sans doute la love story la plus tragique de l’horreur gothique, le conte noir le plus désespéré du Bis hexagonal.
Pour la petite histoire, sachez que le personnage interprété ici par Philippe Lemaire se nomme Frédéric Lansac. Comme le pseudo utilisé par Mulot lorsqu’il bifurque vers le X au milieu des 70’s (La Femme-Objet, c’est lui). Sachez également que La Rose Écorchée est également fréquenté par Élizabeth Teissier (Frustration de Bénazéraf), Michèle Perello (Morgane et ses nymphes de Gantillon), Valérie Boisgel (Sexuellement vôtre de Pécas) et Jacques Seiler (Les Bidasses s’en vont en guerre de Zidi). Plutôt cool, non ?
Pour conclure, petite question à vingt-mille piastres. Quel autre film avec Anny Duperey compte également à son générique l’inquiétant Howard Vernon ? Vous avez trouvé ? Non ? Vous donnez votre langue au chat qui fume ? Très bien. La réponse est De l’enfer à la victoire (aka Contro 4 bandiere, 1979), bande guerrière signée Umberto Lenzi. Avec aussi George Peppard, George Hamilton, Horst Buchholz, Capucine, Sam Wanamaker, Ray Lovelock, Jean-Pierre Cassel et Lambert Wilson. Pas dégueu, hein ?