LA BÊTE DE GUERRE : l’enfer est pour les héros

« Il y a vraiment de quoi taper du poing et des pieds sur la table. Chef-d’œuvre absolu du film de guerre non belliqueux, La Bête de guerre est rejeté par le public. » L’édito de Marc Toullec paru dans le numéro 17 du magazine Impact (octobre 1988) fustige l’indifférence du public envers le film de Kevin Reynolds. Un sort injuste compte tenu de l’immense valeur de ce dernier. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Au sein du paysage hollywoodien des 80’s, La Bête de guerre constitue une superbe anomalie. Il n’est pas revanchard pour un sou. Il n’encourage pas à la consommation de pop-corn. Je ne céderai pas à la facilité de cracher sur Rambo III pour mieux valoriser son rival. Dans le même papier, l’excellent Toullec précise d’ailleurs : « On peut délirer sur le film de Kevin Reynolds et aimer Rambo III; cela n’a rien d’incompatible. » Bien d’accord. Abordant le même conflit (la guerre d’Afghanistan), tournées en partie dans les mêmes décors (au désert de Néguev, en Israël), sorties dans les salles à un mois d’intervalle (au cours du second semestre de l’année 88), les deux péloches s’opposent mais ne s’annulent aucunement. On peut donc apprécier le show plus grand que nature de l’ami Sly et la trempe viscérale et désenchantée du réal de Robin des Bois, prince des voleurs.

Autre point qui distingue La Bête de guerre de la concurrence : ses origines théâtrales. Après avoir vu un reportage sur l’Afghanistan dans lequel un char écrasait les mains d’un enfant, William Mastrosimone part clandestinement sur place, passe huit jours avec les rebelles et interroge des réfugiés au Pakistan voisin. Cette expérience lui inspire une pièce qu’il crée en 1984 : Nanawatai (terme offrant le droit d’asile à quiconque en fait la demande, selon le code éthique des Pachtounes). Auteur d’un premier essai passé inaperçu (la production Amblin Fandango, 1985), le cinéaste Kevin Reynolds s’empare de Nanawatai pour en faire son deuxième effort. Avec le concours de Mastrosimone au scénario, The Beast of war peut renvoyer aux années Reagan toute leur laideur. Car, autre singularité, il n’y a pas une once de patriotisme (pourtant très à la mode durant la décennie 80) dans ce long-métrage distribué par une major, à savoir la Columbia. Bonus : vous ne croiserez pas non plus un seul américain dans cette histoire. Seulement des Russes et des Afghans. Quand les premiers occupaient la terre des seconds. Le film débute en 1981, deux ans après le début des hostilités (elles ne s’achèveront qu’en 1989). En plein désert, des tanks soviétiques rasent tout un village « ennemi ». Lorsqu’ils rentrent au bercail, les Moudjahidines découvrent un charnier. Pour se venger, les « guerriers saints » se lancent aux trousses des bouchers de l’armée rouge et ne trouvent qu’un char s’étant égaré en chemin…

« Quand, blessé et gisant dans la plaine afghane,
Tu vois bondir la femme afghane coupeuse d’entrailles,
Saisis ton fusil, fais-toi sauter la cervelle,
Et rends-toi à Dieu en soldat. »

Cette citation extraite du poème The Young British Soldier de Rudyard Kipling précède l’ouverture de The Beast of war. Ouverture qui donne le ton et montre la guerre telle qu’elle est : abjecte et barbare. À bord de leurs monstres d’acier, les suppôts de l’URSS bombardent, mitraillent, brûlent tout ce qui bouge, civils comme résistants, femmes comme enfants. La violence aveugle et estomaquante de ces exactions convoque le regard cru et sans concession du Vieux fusil ou de Requiem pour un massacre. Des corps méconnaissables et fumants, du sable mêlé de cendres : les stigmates d’un carnage innommable. Après avoir fait saigner et pleurer le désert, Reynolds se focalise sur l’affrontement entre une poignée de combattants afghans et un blindé coco perdu en plein merdier. La grande Histoire glisse vers la petite, un face-à-face entre l’homme et la machine s’annonce. À l’aide d’un lance-roquette providentiel, David traque Goliath et compte bien lui faire sauter ses chenilles mécaniques. Broyant les chairs et vomissant la mort, la « bête » amène avec elle l’apocalypse, protégée par son armure de toute conscience humaine. Avec une maîtrise digne de John McTiernan, le réalisateur passe aisément de l’intérieur étroit dudit tank aux grands espaces naturels, décor aride et somptueux où l’horizon infini s’apparente à l’au-delà. Souvent cadré en contre-plongée ou avec la caméra posée sur le canon, le char d’assaut possède même l’aura malfaisante du poids lourd de Duel. Avec en plus, le look de tas de ferraille à l’agonie des camions à nitro de Sorcerer. Car, à force de tuer et de rouler, la bête est mise à rude épreuve et laisse des traces d’huile sur son passage…

Si le film prend fait et cause pour les envahis et dénonce sans détour les outrages des envahisseurs, il le fait sans schématisme aucun, en prenant soin de nuancer les deux camps en présence. Les Russes ne se résument donc pas à des brutes sanguinaires. Parmi les recrues du char de combat T-55, on trouve le mitrailleur mariole Kaminski (Don Harvey), le canonnier pleutre Golikov (Stephen Baldwin), l’interprète anxieux – et afghan – Samad (Erick Avari), le pilote intello Koverchenko (Jason Patric) et leur chef à tous, le commandant tyrannique Daskal (George Dzundza). Entre les deux derniers, le torchon brûle, l’humanisme de l’un se frottant à la cruauté de l’autre. Tandis que Koverchenko, fatigué et révolté, remet en cause les décisions iniques prises par son supérieur, celui-ci use de son autorité pour commettre l’irréparable. Officier intraitable et insensible, boule de haine aveuglée par l’uniforme, Daskal est un trompe-la-mort, un homme né pour se battre et qui, à huit ans, jetait des cocktails Molotov sur des panzers lors de la bataille de Stalingrad (la tirade de Dzundza, terrassante comme du Milius, prouve que Reynolds a bien coécrit le script du magnifique L’Aube rouge). « Qui sont les nazis, maintenant ? » finit par demander Koverchenko à Daskal. Autrement dit : comment les héros d’hier peuvent-ils devenir les tortionnaires d’aujourd’hui ? Une fatalité puisque de toute façon : « on ne peut pas être un bon soldat dans une sale guerre ».

Côté Moudjahidines, alors que certains profitent de la situation pour voler, faire du bizness, d’autres se sentent davantage concernés par les événements. C’est le cas de Taj (Steven Bauer), un jeune homme prêt à tout pour faire payer ses crimes à l’agresseur soviet. Engagé dans une lutte inégale contre un engin a priori indestructible, Taj risque non seulement sa vie mais aussi celle des siens en plongeant la tête la première dans les abîmes de la vengeance. Dans cette société afghane profondément patriarcale, une autre injustice se dessine : celle reléguant au second plan des femmes qui, elles aussi, ont perdu un époux, un père, des sœurs, des frères, des enfants. Bannies des champs de bataille, elles n’en sont pas moins courageuses, submergées par la douleur et pleines de fureur; souffrent au même titre que les hommes et plus encore (il existe une arme de guerre qui les vise tout particulièrement : le viol). Dans un geste féministe inattendu, La Bête de guerre fait le choix d’offrir à ces survivantes l’occasion d’exprimer leur colère (le visage sanguinolent et extatique de Sherina, jouée par la saisissante Shoshi Marciano, demeure l’une des images les plus marquantes du film). Mieux encore, leur rôle s’avère d’une importance cruciale et décisive, alors que tout au long du récit elles semblent suivre une trajectoire parallèle, marginale. Les lions du désert ne seraient rien sans leurs lionnes.

Plus qu’un film de guerre, The Beast of war est un film sur la guerre. Si Reynolds exploite toutes les ressources offertes par sa chasse au tank en milieu hostile (dans le genre survival, ça se pose là), le spectacle sert avant tout un propos. Évoquant en filigrane les fantômes du Vietnam, l’auteur des très bons 187 code meurtre et La Vengeance de Monte Cristo montre comment la folie belliciste mène les plus fanatiques à leur perte. Guerroyer jusqu’à l’absurde, exécuter bêtement les ordres, zigouiller son prochain pour une idéologie : quel sens cela peut-il encore avoir lorsque la fin est proche ? Lorsque ceux qui vous envoient servir de chair à canon sont à des milliers de kilomètres ? À l’orgueil d’un Daskal résolu à aller au bout de l’enfer, et ce quoi qu’il en coûte, s’opposent les doutes d’un Koverchenko. La remise en question de tout ce bordel l’amène à reconsidérer son adversaire, à mieux le connaître, voire même à le défendre. C’est grâce au mot « nanawatai » que Koverchenko sauve sa peau lorsqu’il tombe, à mi-parcours, entre les mains des Afghans. La clé réside dans l’échange, le dialogue, la culture. Voilà ce qui relient les êtres humains, au-delà de toute politique, de toute religion, de toute frontière. Deux ans avant le Danse avec les loups dirigé par Kevin Costner (avec l’aide officieuse de Reynolds, soit dit en passant), La Bête de guerre prône la paix entre les peuples et le fait avec intelligence, sans pathos. L’un des nombreux arguments de ce film grandiose, épique et poignant.

The Beast of war. De Kevin Reynolds. États-Unis. 1988. 1h51. Avec : Jason Patric, George Dzundza, Steven Bauer…

LE MERDIER : au commencement était l’enfer vert…

1968. John Wayne envoie ses bérets verts au Vietnam pour soutenir les troupes de l’oncle Sam. Patriote jusqu’au bout du stetson, le « Duke » n’attend pas la fin du conflit pour casser du coco. La boucherie ne se terminera que sept ans plus tard mais, pour le moment, il s’agit encore d’entretenir la grande illusion. Dix ans après The Green Berets (premier film à traiter de la guerre du Vietnam, rappelons-le), l’Amérique tire la gueule et Hollywood relaie cet état d’esprit. Le retour au pays ne se fait pas sans traumatisme ni contestation de l’interventionnisme et du bellicisme (Coming Home de Hal Ashby). Les chasseurs de daims voyagent jusqu’au bout de l’enfer et s’explosent la tronche en jouant à la roulette russe (The Deer Hunter de Michael Cimino). Face à l’horreur, l’horreur, l’horreur, la folie transforme la guerre en cauchemar de fin du monde (Apocalypse Now de Joseph Zito. Mais non, Francis Ford Coppola, c’était pour voir si vous suiviez). En 1978, Le Merdier témoigne lui aussi de cette désillusion et pose un regard ô combien critique sur le sujet. Mais avec le temps, le film de Ted Post a été quelque peu oublié, voire carrément squeezé au profit des chefs-d’œuvre de Cimino et Coppola. Les futurs Platoon (1986) et Full Metal Jacket (1987) n’ont pas non plus aidé à la reconnaissance de cette péloche digne d’intérêt. Comme le soulignait Stéphane Burne dans l’un de ses « Secrets d’histoire » (non, non, je déconne), Le Merdier est d’ailleurs le titre français de The Short Timers, le roman à l’origine du FMJ (et non JMJ) de Kubrick.

Je me souviens avoir découvert Le Merdier un dimanche soir, en deuxième partie de soirée sur… TF1. C’était il y a fort longtemps puisque, de nos jours, la chaîne de Bouygues ne s’emmerde plus à diffuser de « vieux » films comme celui-ci (les cinéphiles ont depuis appris à aller voir ailleurs, sur Arte par exemple). Ce que je vous raconte là n’est pas des plus passionnants, je sais. En conséquence de quoi, je vais plutôt revenir à mes moutons en laine camouflage. Et commencer par vous dire que le titre original Go Tell the Spartans est une référence à la bataille des Thermopyles et à ses 300 Spartiates décimés par les Perses. Dans sa version longue, et en français, ça donne : « Étrangers, dites aux Spartiates que nous demeurons ici par obéissance à leurs lois ». Une inscription qui, dans Le Merdier, orne l’entrée d’un cimetière dans lequel repose les dépouilles des soldats français de la guerre d’Indochine. Le film se déroule d’ailleurs dix ans après la fin de celle-ci, en 1964, et relate les prémices qui aboutiront au durcissement des hostilités. Pour l’heure, l’entrée en guerre des États-Unis n’est pas encore officielle. Il s’agit seulement de prendre la température d’une situation a priori sous contrôle. Le commandant Asa Barker (Burt Lancaster) dirige quelque part au Sud-Vietnam une équipe de conseillers militaires et se voit confier une mission exhalant une certaine fragrance fécale : installer avec des moyens dérisoires une garnison à Muc Wa, un village fantôme à l’intérêt stratégique discutable (signe qui ne trompe pas, Muc Wa est en fait un lieu fictif dont le nom a été créé à partir de « muck war » que l’on peut traduire par « guerre embourbée »). Une simple formalité pour l’état-major mais le début de la fin pour nos G.I.’s…

À l’époque, monter un projet comme Go Tell the Spartans n’a pas été une mince affaire. Deux années seulement après le retour des « boys » au bercail, Hollywood n’ose pas encore regarder la (triste) vérité en face. Il a fallu le soutien d’une star comme Burt Lancaster pour que le script de Wendell Mayes (d’après un roman de Daniel Ford, Incident at Muc Wa) soit enfin transposé à l’écran. Un an avant, le « Lawman » de Michael Winner avait déjà accordé son crédit à l’excellent L’Ultimatum des trois mercenaires (aka Twilight’s Last Gleaming, 1977), un autre brûlot anti-guerre du Vietnam, signé cette fois-ci Robert Aldrich. Retrouver cet acteur engagé en tête d’affiche du Merdier n’est donc pas un hasard. Car l’heure n’est plus à la propagande mais à la remise en cause d’une politique meurtrière. Le réalisateur de Magnum Force analyse ici les signes avant-coureurs du désastre à venir. Les erreurs de jugement de l’armée US vis-à-vis d’une guerre qu’elle pense remporter haut la main (à l’inverse de ces foutus Français), son aveuglement face aux réalités du terrain (on a déjà fait la Corée, on nous la fait pas) et la véritable nature de ses ennemis (l’art de la dissimulation des vietcongs réserve de bien mauvaises surprises aux forces américaines), se font la chronique d’une défaite annoncée. À ce manque de discernement (pour ne pas parler d’arrogance), s’adjoint un manque évident de ressource et un bataillon composé essentiellement de bleus bites. Parmi ceux-ci, on trouve notamment le patriote et l’humaniste dont les certitudes ne survivront pas à cette amère expérience. Mais être rompu au combat ne met pas davantage à l’abri de nombreuses tentations telles que l’arrivisme, le racisme ou le sadisme. Dans ces conditions, impossible de ne pas perdre la tête. Au sens propre comme au figuré. Bref, avec ce tableau tout sauf reluisant, la bannière étoilée perd inévitablement de son éclat…

Dommage que cet anti-triomphalisme saisissant pâtisse quelque peu du manque d’envergure de la mise en scène. Faisant ce qu’il peut avec un budget modeste, Ted Post doit composer avec un tournage en Californie, ce qui n’est peut-être pas le lieu idéal lorsqu’on situe l’action en Asie du Sud-Est (on se croirait parfois dans un épisode des Têtes brûlées, série d’ailleurs shootée au même endroit). Si un certain statisme se dégage de l’ensemble (Lancaster prend un temps fou avant de sortir de son QG), la forme télévisuelle de Go Tell the Spartans apporte néanmoins un aspect minimaliste, voire série B (et c’est un compliment), qui n’est pas incompatible avec la noirceur de son fond. Et le long-métrage bénéficie tout de même d’un casting franchement pas dégueu. En témoigne la présence du mateur de Body Double (Craig Wasson), de Dar l’invincible en personne (Marc Singer), du coéquipier de Dirty Harry dans La Dernière cible (Evan C. Kim) ou encore du diabolique Lo Pan de Big Trouble in Little China (James Hong). Des gueules auxquelles s’ajoute celle de Burt Lancaster, impeccable en vieux briscard placardisé à cause de son caractère frondeur et d’une curieuse histoire de… fesse (l’anecdote vaut le détour). S’autorisant parfois quelques répliques rentre-dedans, ce rôle de dur à cuire peut faire penser à celui de Clint Eastwood dans le jubilatoire Heartbreak Ridge (1986). Sauf que l’issue tragique de ce Merdier n’incite pas vraiment à la rigolade. Abrupt et choquant, le final montre que les vertus de l’héroïsme font partie intégrante d’une propagande n’engendrant que la mort et rien d’autre. Une mort sans éclat, sans gloire, sans dignité. Le film se termine et « 1964 » apparaît en grand sur l’écran. Et dire que le pire est encore à venir…

Go Tell the Spartans. De Ted Post. États-Unis. 1978. 1h54. Avec : Burt Lancaster, Craig Wasson, Marc Singer…

OVERLORD : Herbert West chez les nazis

4863506.jpg-r_1240_1240-f_jpg-q_x-xxyxx

ATTENTION : UN PEU DE SPOIL, BEAUCOUP D’AMOUR

Le nazi zombie n’a jamais été représenté aux Césars, ce qui est bien dommage. Pourtant, imaginez un peu. Cérémonie des Césars 1981. Jeanne Moreau est sur scène, devant son pupitre, sort le petit bulletin blanc de son enveloppe et annonce au gratin du cinéma français : « …et le César du meilleur film est attribué à… Le lac des morts-vivants ! ». Explosion de joie dans la salle, Jeanne saute dans la fosse comme au Hellfest, Jean-Claude Brialy ne peut retenir ses larmes et se met à hurler : « Promizoulin ! Promizoulin ! ». Bref, c’est le tourbillon de la vie. Si ce moment de grâce absolue ne peut exister dans une réalité non alcoolisée, le nazi zombie, sous-genre de l’horreur tendance Bis, a toujours eu une place de choix dans le cinoche d’exploitation. La tendance s’est même accélérée dans les années 2000, 2010 avec les Outpost, Dead Snow et autre Frankenstein’s Army. Contrairement à ses petits camarades, Overlord atterrit directement dans les salles et non en dvd ou vod. Oui, vous avez bien lu : une pure série B peut encore se savourer dans les multiplexes. Rare par les temps qui courent. Pour une fois, on va pouvoir profiter du spectacle sur grand écran. Ça tombe bien, celui proposé par cette production J.J. Abrams vaut franchement le détour.

Le titre Overlord fait bien entendu référence à l’opération du même nom. Les héros du film de Julius Avery appartiennent aux troupes alliées débarquant sur les plages normandes le 6 juin 1944. Et même un peu avant puisque lesdits héros, des parachutistes de l’oncle Sam, ont une mission bien précise : faire péter une antenne située au sommet d’une église squattée par les suppôts d’Hitler. L’enjeu est de taille car s’ils échouent, l’ennemi vert-de-gris pourrait capter l’arrivée des forces anglo-saxonnes et changer le cours de l’Histoire. Et comme si la situation n’était pas assez compliquée, un autre danger menace et prend forme dans les ténèbres d’un village occupé… Dès son époustouflante séquence d’intro, Overlord nous plonge dans le vif du sujet et caractérise ses personnages en quelques plans et deux, trois répliques. Dans la carlingue d’un avion prêt à lâcher ses soldats américains sur les côtes françaises, nous découvrons l’humaniste et timoré Boyce (Jovan Adepo), cette grande gueule de Tibbet (John Magaro, vu dans Orange is the New Black) ou encore le Caporal Ford (Wyatt Russell, le fiston de Snake Plissken), une obscure tête brûlée qu’il ne vaut mieux pas titiller. Et puis soudain, les enfers se déchaînent : les balles transpercent la carcasse de l’avion, les bombes font des trous béants dans l’appareil, les hommes sont largués précipitamment dans les airs au milieu des explosions. La caméra suit de très près ces combattants jetés en pâture aux flammes et livrés au chaos. Le résultat est aussi immersif qu’impressionnant.

0789940.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Du début jusqu’à la fin, Overlord demeure une péloche guerrière de première bourre. Voir le film en salle permet de se prendre en pleine poire la puissance de feu libérée par son jeune et inspiré cinéaste (dont c’est ici le deuxième long après un Son of a Gun sorti chez nous en 2015, mais seulement sous forme de rondelle digitale). À l’écran, les mitrailleuses défouraillent sec, éclatent les chairs et font vrombir les sièges ! Grisant ! D’un point de vue narratif, la mission cruciale de notre commando d’expendables n’est jamais écartée et ce même quand le fantastique se tape l’incruste et impose des enjeux supplémentaires. Et parce que l’action se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, il y a forcément du bad guy teuton à l’horizon. Chaque membre de la Wehrmacht a la gueule belliqueuse de l’emploi, c’est-à-dire celle du gars qui a laissé la tendresse au vestiaire. Le plus sauvage d’entre tous reste l’officier Wafner. Un faux gentleman et un vrai sadique, un psychopathe capable de faire un baise-main à une nana et de lui foutre son luger dans la bouche si elle n’est plus très coopérative. Une ordure d’anthologie campée par le danois Pilou Asbæk (ne vous fiez pas à son prénom, le gazier en impose vraiment un max). Vous avez certainement déjà croisé sa bobine avenante dans Game of Thrones (il y est Euron Greyjoy, un autre type délicat, sensible et attachant).

Comme vous le savez, Overlord n’est pas un film de guerre comme les autres. À ce genre, il en ajoute un autre, celui de l’horreur. Il le fait d’ailleurs de façon progressive, en semant d’abord des indices louches sur le parcours des GI’s et en intégrant ensuite l’inimaginable au récit. Et le plus beau dans ce délire, c’est que ce métissage « monstrueux » n’entame pas la crédibilité de l’ensemble. Petite précision : Avery n’emprunte pas vraiment la voie du zombie flick à la Romero ou The Walking Dead. Point de horde de revenants du IIIe Reich ici mais plutôt des expériences scientifiques menées par un savant fou sur des patients pas franchement consentants. Si les morts reviennent à la vie, c’est surtout à la manière d’un Re-Animator. À la différence près que ce docteur Maboul d’Herbert West n’a jamais eu l’intention de créer une armée de super troufions… À ce propos, certaines visions ont de quoi refiler des cauchemars et n’auraient pas déplu au Stuart Gordon des 80’s (surtout celle d’une tête sans corps tentant malgré tout d’appeler à l’aide…). La touche gothique suggérée par ce décor sinistre et effrayant (un gigantesque labo planqué dans les sous-sols d’une église) évoque la folie des vieux serials fréquentés par le rire sardonique et le regard méphistophélique d’un Bela Lugosi. Mais en plus sérieux toutefois et avec une bonne dose de gore en prime.

Avant de vous lâcher la grappe, juste un petit mot sur la révélation féminine d’Overlord. Elle s’appelle Mathilde Ollivier (avec deux « l », normal pour un ange), joue les femmes d’action et non les faire-valoir, a le charme fou d’une Léa Seydoux et s’apprête comme cette dernière à tutoyer les étoiles. Une bonne raison (une de plus) pour payer son ticket et s’envoyer ce show extrêmement bien gaulé où le plaisir du spectateur n’est jamais ignoré.

4916631.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx

Overlord. De Julius Avery. États-Unis. 2018. 1h50. Avec : Jovan Adepo, Wyatt Russell, Mathilde Ollivier…

GOLSHIFTEH FARAHANI, LA FILLE DU SOLEIL

1266095_jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

La magnifique Golshifteh Farahani fait partie de ces rares et précieuses comédiennes qui, par leur seule présence, éblouissent les ténèbres. Elle est un astre. Assurément une fille du soleil. Elle est l’aurore, l’aube immuable qui se lève encore et toujours, même quand l’humanité se déchire et se meurt. Dans le film d’Eva Husson, les rayons lumineux peinent à traverser l’écran de fumée noircissant le ciel. Les collines sont là, et le resteront bien après nous, indifférentes au combat que les femmes sont contraintes de mener contre les fous d’Allah. Parfois, le vent se lève et souffle sur les souvenirs du passé, instants brisés d’une existence qui ne sera plus jamais la même. Souvent, il apporte avec lui le chaos, la douleur, la mort. Soit les maîtres-mots des barbares du sinistre état islamique dont le seul but est d’anéantir la femme, la vie, la liberté.

Le regard de Golshifteh Farahani raconte une histoire. Il est le monde et son reflet le plus lucide. Il traduit toute l’horreur d’un conflit et s’impose comme une forme inaltérable de résistance. La tristesse, la fatigue, la colère mais aussi la force, le courage, la révolte se lisent dans ses yeux. Un seul plan suffit à l’actrice franco-iranienne pour posséder, percer puis rétamer le cœur du spectateur. Son visage vaut tous les discours. En cristallisant et en sublimant l’enfer qui l’entoure, Golshifteh Farahani nous emporte avec elle dans sa lutte. Une lutte soutenue par des femmes qui ont un jour décidé de ne plus être des victimes, ont pris les armes pour que la peur change enfin de camp. En face, les djihadistes font dans leur froc puisque – selon leurs croyances – être tué par une femme empêche l’accession au paradis. Le symbole est fort : les fanatiques les plus misogynes voient leur volonté d’expansion contrariée par celles qu’ils considèrent comme des êtres inférieurs…

L’héroïne de Syngué sabour – Pierre de patience constitue donc le choix idéal pour le rôle de Bahar, ancienne avocate que de tragiques événements transforment en guerrière d’exception. Un modèle pour son bataillon surnommé « Les Filles du Soleil », des combattantes kurdes rescapées des exactions commises par l’EI. Le sujet du film renvoie au calvaire subi par le peuple yézidi lors des massacres survenus en août 2014 à Sinjar, une région du Kurdistan irakien. Les hommes sont exécutés en pleine rue, les jeunes garçons kidnappés en vue d’en faire de futurs kamikazes, les femmes et leurs gamines réduites à l’esclavage sexuel. S’ensuit la bataille de Sinjar à l’issue de laquelle les forces kurdes et la coalition parviennent à reprendre le territoire aux barbus. Cette victoire a lieu un 13 novembre 2015, au moment où l’engeance islamiste frappe le Bataclan et les terrasses de café…

En s’inspirant de ces faits, Eva Husson intègre le récit de ces soldates dans la grande Histoire. La bravoure et le sacrifice de ces femmes ne peuvent être enterrés sous les gravats. Leurs exploits ne doivent pas se perdre dans l’oubli. Faire face à la cruauté des extrémistes religieux est un acte héroïque. L’œil de la réalisatrice est résolument engagé, humaniste, féministe. Elle se fait le témoin des atrocités perpétrées au nom de dieu et célèbre la détermination de ces lionnes des montagnes à faire reculer l’obscurantisme. Photographiant la vérité au péril de sa vie, Mathilde – la correspondante de guerre jouée par Emmanuelle Bercot – traduit à l’écran cette volonté de révéler au monde entier ce qu’il se passe loin de chez nous. Informer et raconter, regarder en face pour mieux faire réagir à défaut de pouvoir réellement changer les choses, telle est la mission de ces journalistes à jamais marquées par leurs reportages. Sur ce thème, Les Filles du Soleil rejoint des longs-métrages comme Under Fire (Roger Spottiswoode, 1983), Salvador (Oliver Stone, 1986) ou encore Harrison’s Flowers (Elie Chouraqui, 2000).

Les cicatrices physiques et psychologiques de ses protagonistes se manifestant également dans le feu de l’action, Husson n’oublie pas de livrer avec sa dernière œuvre un authentique film de guerre. Elle s’attarde sur les divergences stratégiques opposant Bahar à ses collègues masculins. Elle montre l’ennemi prêt à se faire sauter la tronche en sortant d’un tunnel, une école prise en otage et un môme hésitant à se servir de sa kalash. La guerre, c’est l’irruption de la mort, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment. Le plus beau dans Les Filles du Soleil, c’est encore cette rage de vivre qui subsiste au milieu des flammes, cette volonté implacable de ne pas céder un seul pouce de terrain aux salauds en noir. La voix off du générique de fin, celle de Mathilde, résonne d’ailleurs bien au-delà du film et ne peut que nous bouleverser. Les Filles du Soleil : un hommage vibrant à toutes les combattantes, sans exception. Indispensable.

thumb_59342_media_image_926x584

Les Filles du Soleil. D’Eva Husson. France/Belgique/Géorgie. 2018. 1h51. Avec : Golshifteh Farahani, Emmanuelle Bercot, Zübeyde Bulut…

« Chacune de nous doit se demander : « combien de temps vais-je tenir ? Si un ennemi vient, serais-je capable d’appuyer sur la détente ? ». La réponse est oui. Vous êtes capable de tout. Votre seule présence ici est une victoire. Le seul fait de refuser l’oppression est une victoire. Se battre est une victoire. C’est à l’ennemi d’avoir peur de nous. Car nous n’avons peur de personne ! Quand ils entendent nos voix de femmes, ils ont peur. Nous avons connu le pire. Qu’est-ce qui peut être pire ? C’est la seule chose qu’ils aient réussi à tuer : notre peur. Pour chaque sœur capturée, une guerrière est née. C’est ça qu’ils ne pourront jamais saisir : notre rage de vivre. – Qu’allons nous faire aujourd’hui ? – NOUS BATTRE ! – Qu’allons nous faire aujourd’hui ? – NOUS BATTRE ! – La victoire ou la victoire ! – LA VICTOIRE OU LA VICTOIRE ! – Qui va montrer l’exemple ? – NOUS ! Ensemble, nous serons plus forte que la peur ! La Femme, la Vie, la Liberté ! – LA FEMME, LA VIE, LA LIBERTÉ ! »

Golshifteh Farahani face à ses soldates dans Les Filles du Soleil.

DE L’OR POUR LES BRAVES (Brian G. Hutton, 1970)

pYqpf6M9NTXm3RUhPA9aUCnjxeN

Pendant la Seconde Guerre mondiale, près de Nancy, Kelly, un lieutenant américain, découvre que son prisonnier, un colonel allemand des renseignements, est en possession de deux lingots d’or. Celui-ci avoue qu’ils proviennent d’un trésor de guerre caché dans une banque derrière les lignes ennemies. Il décide de devancer les troupes américaines pour s’emparer du magot, recrutant pour ce faire quelques alliés pittoresques au sein du régiment… Source : arte.tv/fr

Alors que les États-Unis s’enlisent dans le merdier vietnamien, De l’or pour les braves se moque des discours bellicistes et patriotards qui produisent de la chair à canon. Imperméables à toute cette propagande, les « héros » de Kelly préfèrent les lingots d’or aux médailles en toc. Risquer sa peau à un prix et ce n’est pas celui fixé par l’oncle Sam. Amoraux les troufions ? Libertaires surtout. Suffit de voir ces conducteurs de chars semblant sortir tout droit de Woodstock (à leur tête : un Donald Sutherland savoureusement déjanté !). L’influence du mouvement hippie sur la péloche de Brian G. Hutton se fait sentir, comme s’il s’agissait de pacifier le film de guerre hollywoodien. La chanson pop Burning Bridges remplace la marche militaire attendue et sonne à elle seule comme une note d’intention. Si De l’or pour les braves ne se prend pas au sérieux (au détour d’une séquence, on a même le droit à un pastiche des westerns de Leone), c’est pour mieux tourner en ridicule une armée américaine franchement pas glorieuse. L’introduction donne le ton en montrant des yankees se faire bombarder la tronche par… d’autres yankees ! En temps de guerre, l’erreur est humaine ! Ayant toujours un train de retard, l’état-major ne brille guère par sa perspicacité. De manière très ironique, un général pontifiant (un Carroll O’Connor en mode burlesque) profite même du braquage effectué par les « braves » pour faire une avancée non négligeable derrière les lignes ennemies. Quand une bande de canailles change le cours de l’Histoire ! Malgré tout, ces bidasses en folie nous apparaissent comme bien sympathiques. Ces derniers ont beau être de sacrés frondeurs, ils n’en sont pas moins animés d’un certain sens du partage et de l’entraide (ils sont plusieurs à participer à cette mission et à se répartir le magot). L’issue du dernier combat laisse même entrevoir une possible réconciliation fraternelle entre des hommes de bords différents, mais au final tous logés à la même enseigne. Sous les obus et les gravats, l’utopie du « peace and love » tente de se frayer un chemin… Comédie irrévérencieuse et pittoresque, De l’or pour les braves prend aussi la forme d’une authentique bande d’aventure dans laquelle il est question de chasse au trésor et d’obstacles à contourner avant d’arriver jusqu’à lui. Comme avec l’excellent Quand les aigles attaquent (spy movie situé pendant la Seconde Guerre mondiale), Hutton mélange les genres et ne reste pas confiné dans les limites imposées par son contexte historique (dans lequel se greffe le film de casse, ce qui est assez original). Réalisateur solide et compétent, le bonhomme mène sa barque avec savoir-faire et se montre particulièrement à son aise dans les passages les plus spectaculaires. Les morceaux de bravoure sont emballés avec panache, comme le montre notamment l’affrontement final entre un tank allemand et nos braqueurs de banque. Les visions subjectives adoptant le point de vue d’un canon ou ces travellings balayant des tireurs placés côte à côte, sont des preuves du dynamisme visuel de ce Kelly’s Heroes. Et puis il y a aussi ce casting de gueules taillées pour la grande bagarre. Entre deux étapes décisives pour sa carrière (la trilogie du dollar et le premier Dirty Harry), Clint Eastwood s’impose tranquillement dans le paysage du cinéma américain. Il prête son imposante silhouette au Kelly du titre original, sans crever l’écran mais avec une belle assurance. Après avoir été l’un des douze salopards du père Aldrich, Telly Savalas est encore une fois remarquable en vieux briscard des champs de bataille. N’oublions pas le génial Donald Sutherland déjà cité plus haut, qui la même année a aussi fréquenté le satirique M.A.S.H de Robert Altman. Bref, tous des pointures qui, plus tard, inspireront Bébel dans Les Morfalous (Henri Verneuil, 1984) et George Clooney dans Les Rois du désert (David O. Russell, 1999).

00a287918914499be2f531b1c70bfe38--kellys-heroes-kelly-s

Kelly’s Heroes. De Brian G. Hutton. États-Unis/Yougoslavie. 1970. 2h24. Avec : Clint Eastwood, Telly Savalas et Donald Sutherland. Maté à la téloche le 28/01/18.