LA MOGLIE PIÙ BELLA et NORTH COUNTRY : seule contre tous

Il faut une bonne dose de courage pour s’élever contre l’injustice. Surtout lorsqu’on fait partie des opprimées. Être une femme, issue de surcroît de la classe laborieuse, fait de votre vie un combat permanent. Si vous trimez là où la mafia terrorise son prochain, vous devenez la candidate idéale au mariage forcé (Ornella Muti dans La Moglie più bella aka Seule contre la mafia). Si vous bossez dans une mine pour pouvoir gagner votre croûte, les hommes vous font comprendre que vous n’êtes pas à votre place (Charlize Theron dans North Country aka L’Affaire Josey Aimes). La Moglie più bella et North Country : une péloche italienne des 70’s et une américaine des années 2000. Deux films, deux origines, deux époques, mais la même histoire vraie : celle d’une femme défiant seule contre tous un système inique et patriarcale.

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La diffusion sur France 3 de Seule contre  la mafia nous rappelle que la programmation du « Cinéma de Minuit » est à surveiller de près, sous peine de passer à côté d’une petite perlouze. Ça serait tout de même dommage de louper un Damiano Damiani, non ? Si on lui doit le western zapatiste El Chuncho ou le deuxième opus de la saga Amityville, le cinéaste s’est surtout spécialisé dans le polar à forte connotation politique et sociale. Avec en prime un thème récurrent, celui de la mafia et de ses influences néfastes sur la société italienne. Des titres comme La Mafia fait la loi, Confession d’un commissaire de police au procureur de la république ou encore Perché si uccide un magistrato s’inscrivent dans cette tendance. Sans oublier, bien entendu, Seule contre la mafia.

Ce film de Damiani n’est donc pas seulement une fiction. Il s’inspire du calvaire enduré dans les années 1965-66 par Franca Viola, une jeune femme originaire d’Alcamo en Sicile. De condition modeste, elle se fiance à un mafieux du coin mais finit par rompre son engagement envers lui. Pour contraindre Franca au mariage, ledit mafieux la kidnappe et la viole. Mais la victime n’en reste pas là : elle porte plainte, fout un procès au derche de son ravisseur et l’envoie en tôle. Ce « fait divers » a connu en son temps un fort retentissement en Italie. Contre vents et marées, Franca Viola s’est opposé à la tradition sicilienne autorisant les hommes à enlever les femmes qu’ils veulent épouser. Elle a refusé de se marier avec le type qui l’a violée. Elle a rejeté l’idée absurde selon laquelle son honneur serait bafoué si elle ne se laissait pas passer la bague au doigt par celui qui l’a déflorée. Il y a des conventions sociales qui ne peuvent être tolérées…

Dans Seule contre la mafia, Damiano Damiani décrit une société gangrenée par la misère, le crime organisé et les vieilles coutumes bien rances. Il montre sa protagoniste, Francesca (une toute jeune mais déjà remarquable Ornella Muti), suer sang et eau pour quelques kopecks et vivre dans une déprimante cité ouvrière. Il dénonce l’arrogance d’une petite frappe de la « Cosa nostra », Vito Juvara (une enflure avec la gueule d’ange d’Alessio Orano) qui dispose comme bon lui semble de l’existence d’une jeune femme. Il révèle les mentalités d’une Italie profonde intolérante au moindre changement, que ce soit du côté de la population (cf. la terrible séquence où les « mammas » rossent une ado prenant fait et cause pour Francesca) ou de celui des institutions (les Carabiniers traitent la même Francesca avec beaucoup de condescendance lorsque celle-ci vient faire sa déposition).

Chronique sociale et pamphlet féministe, La Moglie più bella croise le drame féroce et engagé avec les conventions du poliziesco, l’autre nom du néo-polar à l’italienne (« Hier, j’ai vu un poliziesco » fera à coup sûr son petit effet lors de votre repas de noël, pensez-y). Même si le Damiani n’appartient pas à la veine trash et hard-boiled du genre (qui s’est pris dans les gencives un Roma a mano armata ou un Big Racket sait de quoi je cause), on a tout de même le droit à la rivalité opposant deux familles de gangsters et des assassinats chelous commis en pleine rue. Et le tout sur une musique du grand Ennio Morricone, ce qui reste une inestimable plus-value artistique. Quant à la divine Ornella, la femme la plus belle du titre original, elle tient ici son premier rôle au cinéma. Peut-être son plus beau, son plus fort, ex æquo avec celui de Cass, l’ange brisé du sublime Conte de la folie ordinaire… Modèle de cinoche populaire aux préoccupations sociales et humanistes, Seule contre la mafia ne peut laisser de marbre et rend compte du long chemin qu’il reste (encore) à parcourir pour atteindre la liberté, l’égalité et la sororité/fraternité.

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En 1975, Lois Jenson est l’une des rares femmes à bosser dans une mine américaine. Pendant de nombreuses années, elle encaisse l’hostilité de ses collègues masculins qui lui font subir un bizutage des plus avilissants. En 1984, elle entame une longue bataille judiciaire contre son employeur, la Eveleth Taconite Company dont l’inertie profite clairement à ses agresseurs. S’ensuit un recours collectif (ou « class action » en anglais), procédure permettant à un groupe de personnes de poursuivre son entreprise (entre autres). Si le verdict n’est rendu qu’en 1998 (mieux vaut tard que jamais), Lois Jenson remporte néanmoins le procès dont l’issue a permis de mieux encadrer les questions liées au harcèlement sexuel au travail et, surtout, de protéger les femmes pouvant en être victimes.

Dans le film de Niki Caro (réalisatrice néo-zélandaise à qui l’on doit The Zookeeper’s Wife avec Jessica Chastain), Lois Jenson s’appelle Josey Aimes et prend les traits de la charismatique Charlize Theron. La Furiosa de Mad Max : Fury Road nous livre ici une performance remarquable, preuve s’il en est que la comédienne fait partie de celles qui s’investissent totalement dans leur rôle. Sa beauté sert aussi son personnage (joué plus jeune par Amber Heard) puisque la Miss Aimes se voit reprocher d’attirer les mecs et d’avoir une vie sentimentale instable (comme si être séparée d’un conjoint brutal et se retrouver seule avec deux gosses était de sa faute). Charlize n’a donc pas besoin de s’enlaidir pour rendre crédible cette nana qui, pour joindre les deux bouts, accepte un job qui l’expose à l’intolérance et à la bêtise crasse de ses contemporains.

Insulte, intimidation, menace, moquerie : voilà le quotidien d’une femme qui n’a pas voulu rester à sa place et faire un « taf de femme ». Sans parler des remarques et des comportements salaces qui n’ont qu’un seul but : rabaisser Josey Aimes et lui enlever toute dignité. Ce qu’elle supporte est proprement révoltant et correspond bien à un certain état d’esprit, celui d’une Amérique tellement profonde qu’elle reste clouée à des schémas sociaux archaïques. En plantant sa caméra dans une bourgade du Minnesota, Niki Caro offre un cadre rugueux et authentique à son histoire, n’hésitant pas à montrer en plan large des montagnes neigeuses convergeant toutes vers la mine du coin, monstre industriel jurant avec le paysage. La population locale est en bonne partie à l’image de cette usine : figée, glaciale et indifférente à ce qui l’entoure.

Outre les attaques sexistes essuyées par son héroïne, le plus choquant dans North Country reste encore la loi du silence régnant sur cette petite ville des États-Unis. Josey Aimes comprend bien vite que changer les choses n’est pas sans conséquences. Elle est incomprise, rejetée, isolée. Mais l’émotion du long-métrage provient aussi de son acharnement à vouloir gagner sa place dans la société (très belle séquence que celle où elle plaide sa cause dans une salle pleine de beaufs en colère). Œuvre militante et jamais manichéenne (les hommes n’y sont pas tous des connards), L’Affaire Josey Aimes mêle adroitement le drame humain au film de prétoire (avec en guise de conclusion un twist révélant une fêlure cachée dans l’âme de sa protagoniste) et approche son sujet avec beaucoup de conviction. Le film à voir pour comprendre ce que représentent réellement les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre du travail.

La Moglie più bella. De Damiano Damiani. Italie. 1970. 1h48. Avec : Ornella Muti, Alessio Orano, Tano Cimarosa…

North Country. De Niki Caro. États-Unis. 2005. 2h06. Avec : Charlize Theron, Frances McDormand, Woody Harrelson… 

GOLSHIFTEH FARAHANI, LA FILLE DU SOLEIL

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La magnifique Golshifteh Farahani fait partie de ces rares et précieuses comédiennes qui, par leur seule présence, éblouissent les ténèbres. Elle est un astre. Assurément une fille du soleil. Elle est l’aurore, l’aube immuable qui se lève encore et toujours, même quand l’humanité se déchire et se meurt. Dans le film d’Eva Husson, les rayons lumineux peinent à traverser l’écran de fumée noircissant le ciel. Les collines sont là, et le resteront bien après nous, indifférentes au combat que les femmes sont contraintes de mener contre les fous d’Allah. Parfois, le vent se lève et souffle sur les souvenirs du passé, instants brisés d’une existence qui ne sera plus jamais la même. Souvent, il apporte avec lui le chaos, la douleur, la mort. Soit les maîtres-mots des barbares du sinistre état islamique dont le seul but est d’anéantir la femme, la vie, la liberté.

Le regard de Golshifteh Farahani raconte une histoire. Il est le monde et son reflet le plus lucide. Il traduit toute l’horreur d’un conflit et s’impose comme une forme inaltérable de résistance. La tristesse, la fatigue, la colère mais aussi la force, le courage, la révolte se lisent dans ses yeux. Un seul plan suffit à l’actrice franco-iranienne pour posséder, percer puis rétamer le cœur du spectateur. Son visage vaut tous les discours. En cristallisant et en sublimant l’enfer qui l’entoure, Golshifteh Farahani nous emporte avec elle dans sa lutte. Une lutte soutenue par des femmes qui ont un jour décidé de ne plus être des victimes, ont pris les armes pour que la peur change enfin de camp. En face, les djihadistes font dans leur froc puisque – selon leurs croyances – être tué par une femme empêche l’accession au paradis. Le symbole est fort : les fanatiques les plus misogynes voient leur volonté d’expansion contrariée par celles qu’ils considèrent comme des êtres inférieurs…

L’héroïne de Syngué sabour – Pierre de patience constitue donc le choix idéal pour le rôle de Bahar, ancienne avocate que de tragiques événements transforment en guerrière d’exception. Un modèle pour son bataillon surnommé « Les Filles du Soleil », des combattantes kurdes rescapées des exactions commises par l’EI. Le sujet du film renvoie au calvaire subi par le peuple yézidi lors des massacres survenus en août 2014 à Sinjar, une région du Kurdistan irakien. Les hommes sont exécutés en pleine rue, les jeunes garçons kidnappés en vue d’en faire de futurs kamikazes, les femmes et leurs gamines réduites à l’esclavage sexuel. S’ensuit la bataille de Sinjar à l’issue de laquelle les forces kurdes et la coalition parviennent à reprendre le territoire aux barbus. Cette victoire a lieu un 13 novembre 2015, au moment où l’engeance islamiste frappe le Bataclan et les terrasses de café…

En s’inspirant de ces faits, Eva Husson intègre le récit de ces soldates dans la grande Histoire. La bravoure et le sacrifice de ces femmes ne peuvent être enterrés sous les gravats. Leurs exploits ne doivent pas se perdre dans l’oubli. Faire face à la cruauté des extrémistes religieux est un acte héroïque. L’œil de la réalisatrice est résolument engagé, humaniste, féministe. Elle se fait le témoin des atrocités perpétrées au nom de dieu et célèbre la détermination de ces lionnes des montagnes à faire reculer l’obscurantisme. Photographiant la vérité au péril de sa vie, Mathilde – la correspondante de guerre jouée par Emmanuelle Bercot – traduit à l’écran cette volonté de révéler au monde entier ce qu’il se passe loin de chez nous. Informer et raconter, regarder en face pour mieux faire réagir à défaut de pouvoir réellement changer les choses, telle est la mission de ces journalistes à jamais marquées par leurs reportages. Sur ce thème, Les Filles du Soleil rejoint des longs-métrages comme Under Fire (Roger Spottiswoode, 1983), Salvador (Oliver Stone, 1986) ou encore Harrison’s Flowers (Elie Chouraqui, 2000).

Les cicatrices physiques et psychologiques de ses protagonistes se manifestant également dans le feu de l’action, Husson n’oublie pas de livrer avec sa dernière œuvre un authentique film de guerre. Elle s’attarde sur les divergences stratégiques opposant Bahar à ses collègues masculins. Elle montre l’ennemi prêt à se faire sauter la tronche en sortant d’un tunnel, une école prise en otage et un môme hésitant à se servir de sa kalash. La guerre, c’est l’irruption de la mort, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment. Le plus beau dans Les Filles du Soleil, c’est encore cette rage de vivre qui subsiste au milieu des flammes, cette volonté implacable de ne pas céder un seul pouce de terrain aux salauds en noir. La voix off du générique de fin, celle de Mathilde, résonne d’ailleurs bien au-delà du film et ne peut que nous bouleverser. Les Filles du Soleil : un hommage vibrant à toutes les combattantes, sans exception. Indispensable.

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Les Filles du Soleil. D’Eva Husson. France/Belgique/Géorgie. 2018. 1h51. Avec : Golshifteh Farahani, Emmanuelle Bercot, Zübeyde Bulut…

« Chacune de nous doit se demander : « combien de temps vais-je tenir ? Si un ennemi vient, serais-je capable d’appuyer sur la détente ? ». La réponse est oui. Vous êtes capable de tout. Votre seule présence ici est une victoire. Le seul fait de refuser l’oppression est une victoire. Se battre est une victoire. C’est à l’ennemi d’avoir peur de nous. Car nous n’avons peur de personne ! Quand ils entendent nos voix de femmes, ils ont peur. Nous avons connu le pire. Qu’est-ce qui peut être pire ? C’est la seule chose qu’ils aient réussi à tuer : notre peur. Pour chaque sœur capturée, une guerrière est née. C’est ça qu’ils ne pourront jamais saisir : notre rage de vivre. – Qu’allons nous faire aujourd’hui ? – NOUS BATTRE ! – Qu’allons nous faire aujourd’hui ? – NOUS BATTRE ! – La victoire ou la victoire ! – LA VICTOIRE OU LA VICTOIRE ! – Qui va montrer l’exemple ? – NOUS ! Ensemble, nous serons plus forte que la peur ! La Femme, la Vie, la Liberté ! – LA FEMME, LA VIE, LA LIBERTÉ ! »

Golshifteh Farahani face à ses soldates dans Les Filles du Soleil.

MUSTANG (Deniz Gamze Ergüven, 2015)

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C’est le début de l’été. Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues. La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger. Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées. Source : allocine.fr

Tout commence par le geste délateur d’un œil bigot. Ça continue avec le visage austère de la grand-mère et la sévérité de l’oncle. Très vite, la mécanique de l’oppression se met en marche. Après une courte intro où la jeunesse semble vivre ses derniers moments d’insouciance, la transition avec le sort mortifère réservé aux sœurs de Mustang est des plus brutales. On assiste, impuissant et choqué, au cauchemar bien réel qui s’abat sur ces filles dont la seule faute est d’être nées femmes. Les libertés s’amenuisent jusqu’à l’absurde, le domicile familial devenant une véritable taule pour nos jeunes héroïnes. Le conservatisme le plus avilissant, celui directement issu d’un islam rigoriste et sexiste, agit comme un poignard qui laboure la chair et l’âme. Le corps des prisonnières appartient désormais à leurs geôliers. Le summum de l’humiliation est atteint avec ces tests de virginité où la parole des femmes est sans cesse remise en cause, où leur position n’est guère plus enviable que celle d’un animal. Les traditions imposent avec froideur un esclavage qui ne dit pas son nom et participent de cette horreur ordinaire qui s’immisce dans le quotidien des adolescentes. Les mariages arrangés possèdent ce caractère inéluctable qui fait bien souvent de la mort la seule porte de sortie. Le cercueil a des barreaux aux fenêtres, les vieux ont de la merde dogmatique plein les yeux, les enfants attendent un destin sordide en étouffant leurs cris. Le passage à l’âge adulte n’est plus qu’un long crépuscule, les prémisses d’un asservissement prenant fin dans une fosse commune à toutes les femmes victimes de l’obscurantisme. Mais la force de Mustang, c’est de rester solaire et vibrant malgré la noirceur de ce qu’il dénonce. Deniz Gamze Ergüven se rattache constamment à l’envie de vivre de ces jeunes femmes tenaces. À l’écran, le soleil tente toujours une percée dans le décor (la photo capte la lumière à merveille) et se fait le témoin de la résistance qui se met en place dans l’intimité des chambres (cellules) closes. Face à l’injustice et la cruauté de la situation, la révolte gronde et parsème l’ensemble d’instants cocasses et bouleversants où tous les moyens sont bons pour se faire la malle. La référence à L’Évadé d’Alcatraz, classique absolu du film de prison et d’évasion signé Don Siegel, s’avère d’ailleurs des plus pertinentes (le coup des fausses têtes en plâtre et en papier mâché inspire ici nos ados séquestrées). S’échapper ou mourir : il n’y a pas d’autre choix pour des « mustang girls » aussi indomptables que les chevaux sauvages de The Misfits, le chef-d’œuvre funèbre de John Huston. L’énergie qui traverse tout le film est un appel à défendre une liberté si vulnérable qu’elle peut disparaître en un clin d’œil, s’envoler dans la nuit comme des feuilles mortes. Le compositeur Warren Ellis pose quelques discrètes notes mélancoliques sur cette fragilité et la sublime comme il l’avait fait lors de ses précédentes collaborations avec Nick Cave (The Proposition et L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford en tête). Saluons également la justesse exceptionnelle et le naturel désarmant de ces cinq jeunes comédiennes dont la conviction, la fraîcheur et la fougue constituent un gigantesque doigt d’honneur aux tartuffes du patriarcat. La direction d’actrice et le soin apporté aux images (on est pas prêt d’oublier ces très beaux panoramas d’Istanbul) font de la talentueuse Deniz Gamze Ergüven une révélation à suivre de très près (notamment à l’occasion de son prochain long, Kings, avec Halle Berry et Daniel Craig). Son éclatant Mustang est bien plus qu’un Virgin Suicides turc, c’est une œuvre d’utilité publique, le témoin précieux d’une dégénérescence, celle impulsée par la gouvernance néfaste du pacha Erdogan. Pendant qu’on bâillonne les femmes, les salauds dorment en paix.

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Mustang. De Deniz Gamze Ergüven. Turquie/France/Allemagne. 2015. 1h33. Avec : Günes Sensoy, Doga Zeynep Doguslu et Elit Iscan. Maté en dvd le 06/02/18.

SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE (Atiq Rahimi, 2012)

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Au pied des montagnes de Kaboul, un héros de guerre gît dans le coma; sa jeune femme à son chevet prie pour le ramener à la vie. La guerre fratricide déchire la ville; les combattants sont à leur porte. La femme doit fuir avec ses deux enfants, abandonner son mari et se réfugier à l’autre bout de la ville, dans une maison close tenue par sa tante. De retour auprès de son époux, elle est forcée à l’amour par un jeune combattant. Contre toute attente, elle se révèle, prend conscience de son corps, libère sa parole pour confier à son mari ses souvenirs, ses désirs les plus intimes… Jusqu’à ses secrets inavouables. L’homme gisant devient alors, malgré lui, sa « syngué sabour », sa pierre de patience – cette pierre magique que l’on pose devant soi pour lui souffler tous ses secrets, ses malheurs, ses souffrances… Jusqu’à ce qu’elle éclate ! Source : allocine.fr

Âpre et sublime, le dialogue sur lequel repose Syngué Sabour n’a rien d’ordinaire. Tout d’abord parce qu’il s’agit davantage d’un monologue et que celui-ci devient, au fur et à mesure des mots et des émotions, une révolution aussi intime qu’universelle. De confidence en confidence, une injustice lacère, un cri éclate et une révolte émerge. Contrainte à survivre en pleine zone de guerre, l’héroïne – dans tous les sens du terme – d’Atiq Rahimi trouve dans la léthargie de son mari l’occasion d’être enfin écoutée. La parole qu’elle prend sans jamais la lâcher est le premier pas vers une possible évasion. Le corps et l’esprit se révèlent et se projettent au-delà des barbelés, là où être une femme n’est plus une punition. Si vivre sous les bombes est difficile, ça l’est encore plus sous une burqa… Entre quatre murs menaçant à tout moment de s’effondrer, un jeu dangereux mais vital permet à une femme invisibilisée et humiliée de prendre sa revanche sur une société patriarcale où les hommes « font la guerre parce qu’ils ne savent pas faire l’amour ». Obnubilés par leur seul plaisir, les soldats d’Allah sont incapables de satisfaire leur partenaire. Triste chair que celle imposée par des gars étrangers au désir féminin et se servant de leur bite comme d’une kalash… Dans Syngué Sabour, le personnage de Golshifteh Farahani revendique le droit de prendre son pied, de disposer de son corps comme elle l’entend. Au détour d’une étreinte aussi délicate que décisive, ses secrets inavouables se transforment en caresses bien réelles, celles d’un jeune factionnaire – atteint de bégaiement et persécuté par les siens – qu’elle guide de ses propres mains. Parmi toutes ces confessions qui résonnent comme autant de cicatrices, l’érotisme transgresse les règles d’un monde où les femmes ne sont que des bouts de viande servant avant tout à procréer. Alors que la religion tend à enfermer le personnage principal dans une réalité étouffante, la mythologie (perse et préislamique) tente plutôt de la délivrer de ses chaînes d’épouse soumise et de mère résignée. La pierre de patience du titre devient pour elle un moyen de se délester du poids des traditions et de ne pas avoir honte de ce qu’elle est. Le film joue sur l’influence – avérée ou non – du caillou magique sur les épanchements de la belle Golshifteh qui – entre lucidité et abandon – semble possédée par un démon sensuel et émancipateur. Cette ambivalence laisse poindre un soupçon de fantastique dans un contexte pas franchement enclin au merveilleux. Mais Syngué Sabour puise surtout sa force dans celle de sa protagoniste, une femme qui n’a pas peur de risquer sa peau pour une liberté aussi fragile que porteuse d’espoir. Un acte de résistance porté à bout de bras par une Golshifteh Farahani touchée par la grâce. Tout le long-métrage s’articule autour de sa performance fiévreuse et poignante. Au fil de répliques qu’elle se donne en réalité à elle-même, l’actrice franco-iranienne nous raconte l’histoire de son personnage, relate ses souvenirs, éclaire son présent et peut-être son avenir. Des révélations qui finissent par faire exploser cette lueur de vie que les dogmes les plus autoritaires ne parviennent pas toujours à éteindre. Lors d’un dernier plan d’une incandescence inouïe, Golshifteh Farahani – regard lascif, lèvres rouge vif et posture langoureuse – nous lance une invitation que l’on ne peut refuser. Et nous fait surtout passer ce message : « Femmes, soyez votre propre prophète ! ».

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Syngué Sabour. D’Atiq Rahimi. Afghanistan/France/Allemagne/Royaume-Uni. 2012. 1h42. Avec : Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan et Hassina Burgan. Maté en dvd le 03/02/18.

WE WANT SEX EQUALITY (Nigel Cole, 2010)

19637240.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxWe want sex equality (titre original : Made in Dagenham). De Nigel Cole (Saving grace avec Brenda Blethyn, Calendar girls avec Helen Mirren). Royaume-Uni. 2010. 1h53. Avec : Sally Hawkins, Geraldine James et Andrea Riseborough. Genre : comédie. Sortie France : 09/03/2011. Maté à la téloche le mercredi 8 mars 2017.

De quoi ça cause ? Au printemps 1968, un vent de contestation souffle dans l’usine Ford de Dagenham. Déclassées par la direction, les cent quatre-vingt-sept ouvrières de l’atelier de sellerie se mettent pour la première fois en grève. Sous l’impulsion du syndicaliste Albert Passingham (Bob Hoskins), la couturière Rita O’Grady (Sally Hawkins), modeste et inexpérimentée, prend les commandes de la fronde. Tenant tête aux dirigeants, elle revendique un droit au grade d’ouvrier spécialisé et l’égalité des salaires entre hommes et femmes. Malgré ses doutes, la jeune femme, entourée de ses fidèles collègues, mène une lutte acharnée. En trois semaines, les ouvrières de la banlieue londonienne paralysent l’un des principaux constructeurs automobiles mondiaux, suscitant l’attention des médias mais aussi celle du gouvernement. (source : Arte.tv/fr)

Mon avis Télé Z Modèle de comédie sociale à l’anglaise, We want sex equality nous rappelle que les acquis d’aujourd’hui sont le fruit d’une lutte menée par de courageuses pionnières. Des femmes qui ont contesté les usages sexistes d’un système qui les a relégué au second rang mais qu’elles sont parvenues à changer. Discriminée à cause de son sexe et de son milieu social, la Rita O’Grady interprétée par Sally Hawkins est une travailleuse comme les autres que les circonstances vont pousser à se battre pour toutes les autres travailleuses. Le film nous emporte avec lui dans cet élan émancipateur et soulève les difficultés rencontrées par les femmes lorsqu’il s’agit de revendiquer leurs droits (pression familiale, paternalisme, perfidie patronale). Située en cette révolutionnaire année 1968, l’histoire vraie au centre de We want sex equality est aussi celle de nos sociétés actuelles dans lesquelles l’égalité femmes-hommes et la parité salariale ne sont qu’un mythe. Les ouvrières de Dangenham ont montré la voie et prouvé que nous pouvons tout(e)s bouger les lignes. À nous maintenant de rester vigilant(e)s et de réagir lorsque nos libertés fondamentales sont menacées. Voilà le message – progressiste – que l’on pourrait retenir d’un film où tous les protagonistes sont traités avec justesse et à-propos (le syndicaliste joué par le regretté Bob Hoskins est un allié sincère du féminisme), où le trait n’est jamais appuyé (les costards-cravates de chez Ford ont beau être détestables, ils ne sont jamais caricaturaux) et où l’humour et l’émotion se côtoient dans une symbiose parfaite. Le tout soutenu par la crème des comédiennes britanniques : Sally Be happy Hawkins, Andrea Shadow dancer Riseborough, Miranda The crying game Richardson et Rosamund Gone girl Pike. Vibrant et engagé, We want sex equality donne l’envie d’adresser un gigantesque « fuck » au patriarcat et au grand capital ! 5/6

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It’s women’s turn : la sororité en action face aux injustices du monde du travail.

PUSSY RIOT : UNE PRIÈRE PUNK (Mike Lerner & Maxim Pozdorovkin, 2013)

81wfhr7x4ml__sy445_Pussy Riot : une prière punk (titre original : Pokazatelnyy protsess : Istoriya Pussy Riot/Pussy Riot : a punk prayer). De Mike Lerner et Maxim Pozdorovkin. Russie/Royaume-Uni. 2013. 1h28. Avec : Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samoutsevitch. Genre : documentaire. Sortie dvd : 04/10/2016 (Dissidenz films, en coffret avec Voïna). Maté en dvd le lundi 20 février 2017.

De quoi ça cause ? Trois jeunes femmes : Nadia, Masha et Katia. Un procès retentissant. Un scandale planétaire. Six mois durant, les réalisateurs ont filmé ce collectif artistique féministe plus connu sous le nom de Pussy Riot, dont trois des membres ont été arrêtés pour une « prière punk » perpétrée dans la cathédrale de Christ-Sauveur à Moscou. Les témoignages des trois jeunes filles incarcérées et de leurs proches ainsi que les images du procès lui-même apportent un éclairage inédit sur un fait divers devenu affaire d’État au retentissement mondial. (source : Amazon.fr)

Mon avis Télé ZUn doc indispensable pour bien comprendre l’engagement des Pussy Riot et mettre en lumière la parodie de justice dont elles ont été les victimes. Les réalisateurs ne ratent rien d’un procès aussi médiatique (terribles images que celles des trois « émeutières » mises en cage et livrées aux flashs des photographes) que partial (personne n’est dupe : les dés sont jetés bien avant le verdict). En voulant dénoncer la corruption d’un système dans lequel la séparation des pouvoirs, la laïcité, le droit au blasphème – ou tout simplement, la démocratie – n’existent pas, les Pussy Riot ont réveillé le petit monde orwellien de Poutine. Malgré l’intimidation, la répression et l’humiliation, le regard inébranlable de Nadejda Tolokonnikova montre que, si les despotes peuvent emprisonner les corps, ils ne peuvent pas emprisonner les esprits. Si les soutiens sont nombreux (les manifestants font bloc devant le tribunal et bravent les flics), l’apparition de ces orthodoxes au look de bikers font froid dans le dos. Des fanatiques avouant à demi-mot regretter le bon vieux temps où on brûlait les hérétiques… Relatant également le parcours des trois activistes, Une prière punk n’oublie pas de faire intervenir leurs parents et d’illustrer les entretiens avec de touchantes archives personnelles. Outre les extraits des chansons et des actions de nos héroïnes en colère, les rappels historiques sont les bienvenus et aident à faire le lien entre la Russie d’hier et d’aujourd’hui (la cathédrale du Christ-Sauveur a été dynamitée par les bolcheviks en 1931 et reconstruite après la dissolution de l’union soviétique). Alors que Samoutsevitch sort de taule le 10 octobre 2012, le film stoppe sa narration avant la libération d’Alekhina et de Tolokonnikova le 23 décembre 2013. Aujourd’hui, le patriarche Kirill et le tsar Poutine continuent à se lécher la rondelle comme si de rien n’était. Mais des punk féministes, des « riot grrrls », sont parvenues à faire trembler leur empire. Nos politicards à la diplomatie complaisante feraient bien d’en prendre de la graine. 5/6

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Cagoules colorées, chorégraphies hirsutes, riffs cradingues : la révolution selon Pussy Riot !