TENDER FLESH : chair pour Jess Franco

Après des débuts placés sous le signe du gothique espagnol (L’Horrible Docteur Orlof, 1962), plusieurs collaborations avec de grands producteurs du cinoche populaire (Harry Alan Towers, Robert de Nesle) et une expérience plus ou moins heureuse avec les bisseux d’Eurociné (allant du sublime La Comtesse Noire au bien Z L’Abîme des morts-vivants), Jess Franco aborde la fin des 80’s et le début des 90’s de manière beaucoup plus discrète. Les tournages frénétiques s’espacent d’année en année et el cineasta semble subir de plein fouet la fin d’une époque (triste période que celle voyant la fermeture des salles de quartier, les unes après les autres…). Mais le gaillard n’a pas l’intention de prendre sa retraite (avec ou sans points) et cherche par tous les moyens de filmer, encore et toujours. Alors que les opportunités de financement se font de plus en plus rares en Europe, une structure indé américaine (One Shot Productions) est prête à lui filer un petit coup de main. L’occasion pour l’Oncle Jess de rompre avec les commandes du style Dark Mission (1988) et de ressentir des vibrations plus personnelles. Ce projet providentiel s’intitule Tender Flesh et permet à son auteur de revisiter Les Chasses du Comte Zaroff à la façon du Marquis de Sade (ce qu’il avait déjà fait avec La Comtesse Perverse en 1974, avec dans le rôle-titre une si cruelle, si désirable Alice Arno). Le script est bien rodé : Madame et Monsieur Radeck (Lina Romay en rabatteuse et Alain Petit en « cuisinier »), un couple vicelard et plein aux as, invitent la strip-teaseuse Paula (Amber Newman) à venir prendre du bon temps dans leur résidence insulaire. En compagnie de deux autres amants dépravés, la Baronne Irina (Monique Parent) et un certain Kallman (Aldo Sambrell), la convive ne se doute pas que ses hôtes sont en réalité des prédateurs adeptes de la chair humaine…

Avec ce tardif Tender Flesh (1997, tout de même), Jesús Franco Manera semble retrouver une seconde jeunesse et avec elle la ferveur artistique. Le making of présent sur la galette artusienne (et shooté avec son handycam Hi8 par Alain Petit himself) nous le montre en train de diriger ses comédiennes, de répéter avec elles, de s’allonger par terre pour cadrer un plan en contre-plongée, de préparer avec soin telle ou telle scène. Ces images sont d’autant plus précieuses qu’elles tordent le cou aux idées reçues selon lesquelles le sadique Baron Franco ne serait qu’un vulgaire tâcheron. Mieux encore, elles confirment que l’auteur de Venus in Furs a su traverser les époques (il est dans le métier depuis les fifties), s’adapter à une nouvelle équipe technique (essentiellement composée de vingtenaires, trentenaires dévoués) et rester fidèle à lui-même (jusqu’à son ultime péloche, il restera ce punk accro au 7ème art). Néanmoins, si Tender Flesh représente un tournant dans la filmo impressionnante du p’tit Jesús, c’est aussi parce qu’il est le dernier de ses opus à profiter encore de l’usage de la pellicule. Avouons, toutefois, que le format adopté pour l’occasion, le 16 mm, n’est pas des plus gracieux (formellement parlant, ça n’arrive pas à la cheville du 35 mm d’antan). Mais ces considérations esthétiques ne pèsent pas lourd face au grand retour des obsessions franquiennes. Et pour bien faire les choses, elles débutent carrément avec une citation tirée d’Ulysse de James Joyce : « God made food, the devil the cooks » (« Dieu a fait l’aliment, le diable l’assaisonnement »). Encore que la chair tendre se déguste ici au-delà du bien et du mal, avec la liberté de jouir jusqu’au crime. Chez el siniestro doctor Franco, le divin Marquis a toujours sa place à table (le premier a d’ailleurs souvent adapté les écrits du second)…

On retrouve dans Tender Flesh, ce qui caractérise le plus le réal aux mille pseudos et en a fait un maître de l’érotisme : une manière particulière de suspendre le temps afin de caresser avec les yeux le corps de ses nymphes. Sans oublier une certaine tendance à pousser le stupre vers des rivages insolites. Ce désir trouble s’assouvit, pour notre plus grande volupté, à travers de nombreuses fulgurances bien gratinées. Notamment, le numéro scénique d’une Amber Newman tripotant jusqu’à l’orgasme les phallus démesurés de deux pantins cauchemardesques (le tout éclairé façon Café Flesh). Ou la même recevant d’innombrables coups de fouet alors que des effets kaléidoscopiques contaminent l’écran (un écho aux supplices subis par l’incandescente Marie Liljedahl dans Les Inassouvies). À ces fantasmes baroques trahissant le penchant de Franco pour l’expérimentation et l’onirisme, il faut ajouter un morceau de bravoure comme on en voit peu. À savoir celui où la soubrette Furia (Analía Ivars) se soulage la vessie dans une poêle et en fait goûter le contenu au « masterchef » Alain Petit… Dans cette joyeuse atmosphère de débauche, la légendaire Lina Romay (dont le personnage se prénomme Gorgona, ça le fait !) ne démérite pas et prend visiblement son pied à jouer les chatouilleuses méphistophéliques. Devant l’œil lubrique de son éternel compagnon, la « Rolls-Royce Baby » dévoile son sexe brillant et déclame avec gourmandise quelques répliques croquignolettes (« Pour vous Seigneur, deux garces pour le prix d’une ! »).

Outre notre Lina adorée, l’autre brune piquante du film n’est autre que la susmentionnée Analía Ivars (un ex-membre de l’escadron des panthères mené par Sybil Danning). Impossible de ne pas être submergé par la sensualité de cette insatiable Furia. Cette flor de perversión promène sa langue sur tout ce qui bouge et même sur les talons en latex de la miss Gorgona… Dans les griffes des maniaques, la mimi Amber Newman (l’une des habituées des Sex Files) passe plutôt bien de la candeur à la lascivité même si sa compatriote Monique Parent paraît plus à l’aise dans cet enfer des plaisirs. Scream Queen au CV conséquent (cent cinquante titres dont l’Hollywood Night Péchés Capitaux avec Tanya Roberts et moult travaux pour des cadors du Bis comme Wynorski, Olen Ray ou DeCoteau), « Momo » se montre hautement convaincante en aristo désaxée (pour Franco, son charisme évident et sa blondeur glaciale la rapprocheraient d’une Maria Rohm). Des actrices avec un petit slip à fleurs (ou avec une culotte transparente) parmi lesquelles se délecte ce vieux canasson d’Aldo Sambrell (une gueule du western italien, mais pas seulement, vue chez Leone et Corbucci) et le collaborateur, ami et spécialiste du Jess, Mister Petit en personne (il faut le voir chanter son mythique « La vie est une merde » dans un autre effort de l’Espagnol fou : Lady Porno aka Midnight Party, 1976).

Dans ce Carne Fresca (le titre hispanique préfère la « chair fraîche »), Jesús Franco semble prendre conscience du culte qui l’entoure et insuffle à l’entreprise une dimension méta à laquelle les producteurs et fanboys de chez One Shot ne sont certainement pas étrangers (Orson Welles est évoqué au détour d’un dialogue, comme pour rappeler que le parcours de ce dernier a croisé un jour celui de Franco). Et dans ce même élan, le second degré s’invite lui aussi à la fiesta, tout spécialement durant la traque finale (des applaudissements et des rires de sitcom couvrent cette séquence supposément dramatique). Second degré bientôt rejoint par ce si chère (chair ?) humour noir (pour ne pas dire macabre) qui, pour sa part, relève la sauce d’un ultime plan bien corsé (les outrances du futur Hannibal de Sir Ridley ne sont pas loin). À travers l’enregistrement des ébats sulfureux par le cuistot anthropophage, le film interroge aussi le spectateur sur sa position de voyeur… Une sorte de mise en abyme, en somme.

En ce qui concerne les décors naturels offerts par la Costa del Sol, on peut dire qu’ils ont été exploités de façon fichtrement astucieuse (ou comment simuler une forêt subtropicale déserte… à quelques mètres de la circulation !). Mieux encore : sur une bande-son aussi inspirée que variée (orgue funèbre, vocalise mélancolique, rock et folk entraînants), ce sont encore une fois les femmes qui dominent le plus dangereux des jeux. À l’instar de Montserrat Prous, sacrifiée sur l’autel de la libido masculine dans Le Journal intime d’une nymphomane, les amazones de Tender Flesh savent de quoi sont capables les hommes. En conséquence de quoi, elles prennent les devants et inversent les rôles. Que l’on se souvienne également de la toute-puissante et sans pitié Shirley Eaton dans Sumuru, la cité sans hommes; de la sexorciste conquérante Pamela Stanford dans Les Possédées du diable; de Britt Nichols et Anne Libert, créatures de la nuit vivant pour l’extase, respectivement dans La Fille de Dracula et Les Expériences érotiques de Frankenstein. Longue vie à la chair !

Tender Flesh/Carne Fresca/Boccato di Cardinale. De Jess Franco. Espagne/États-Unis. 1997. 1h31. Avec : Amber Newman, Lina Romay, Monique Parent…

CRIMES DANS L’EXTASE (Jess Franco, 1971)

02

Alors que le docteur Johnson mène des recherches peu orthodoxes sur les embryons humains tout en coulant une existence heureuse auprès de sa jeune épouse, il subit les critiques d’un comité médical qui rejette ses découvertes. Ayant perdu son travail, Johnson s’ouvre les veines, laissant une veuve d’abord éplorée, puis prompte à venger le suicide de son mari. Elle décide d’attirer dans son lit chacun des membres du comité avant de les assassiner… Source : arte.tv/fr

Crimes dans l’extase, un titre sadien qui en a connu d’autres : Lubriques dans l’extase, Elle tuait dans l’extase, She Killed in Ecstasy, Sie tötete in Ekstase. Mais quel que soit le blaze qu’on lui donne, c’est surtout une œuvre précieuse, adulée, culte pour tout francophage qui se respecte. Merci donc à la chaîne Arte d’avoir encore fait preuve d’ouverture culturelle en diffusant la bête lors d’une soirée dédiée à son producteur Artur Brauner. Sur le tournage de Sie tötete in Ekstase, ce dernier peut d’ailleurs s’estimer heureux en affaires. Pour pas un rond ni une seule journée de taf en plus (ou si peu), l’ami Jess ne lui livre pas un seul film mais deux (ou plutôt deux et demi, pour être précis). Capable de bosser plus vite que son ombre et de s’adapter à un budget de misère, Franco emballe Der Teufel kam aus Akasava avec l’équipe de Crimes dans l’extase. En parallèle, il trouve même le temps de s’atteler à Juliette de Sade dont le tournage est interrompu suite à la disparition soudaine de sa vedette, Soledad Miranda. Le 18 août 1970, sa carrière est stoppée net par un accident de la route survenu au Portugal. Elle n’avait que vingt-sept ans et encore beaucoup de rêves à réaliser. Ce sale coup du destin n’a pas empêché la jeune actrice de marquer les esprits et de laisser une empreinte indélébile sur le cinéma Bis. Dans cette relecture de l’histoire de Miss Muerte, Soledad Miranda joue les anges exterminateurs en dévoilant ses charmes et ses talents de comédienne. Sous une longue cape pourpre cachant une silhouette délicieuse et impudique, elle nous fait ressentir toute la souffrance de son personnage et exprime en voix off l’immense tristesse qui l’assaille. Les yeux de Soledad traduisent intensément cette perte inconsolable de l’être aimé, ce que Franco souligne à l’aide de gros plans sur le visage de sa muse. La Comtesse Carody de Vampyros Lesbos passe constamment de la veuve éplorée à la femme fatale, du deuil impossible à la punition libératrice, des larmes d’une épouse au sang du châtiment. Pour que justice soit faite, elle traque ses proies, les envoûte et se sert du sexe pour donner la mort. Puis le récit avance, plus la señora Miranda se transforme en une sorte de spectre assassin, ombre lascive et létale délivrant une sentence à laquelle ses victimes ne peuvent échapper (une réminiscence de la vénus à la fourrure sublimée par Maria Rohm, le plus beau rôle de cette blonde autrichienne qui s’est éteinte le 18 juin dernier). Bercé par un romantisme noir aux contours déviants (l’amour fou confine ici à la nécrophilie), She Killed in Ecstasy s’achève en apothéose sur un final tragique évoquant de façon prémonitoire le triste sort de son actrice principale. Pas de happy end à la con, donc. En revanche, la musique psychédélique de Manfred Hübler et Sigi Schwab contraste avec la violence des images et le désespoir de son héroïne. Si leur bande originale n’invite pas au spleen, elle apporte tout de même à l’ensemble un supplément d’étrangeté. Cet entraînant pas de côté connaît toutefois une petite pause avec la présence assez brève d’un morceau élégiaque plus en accord avec l’esprit du long-métrage. Un extrait que l’on doit certainement au grand Bruno Nicolai, le compositeur étant également crédité au générique. Les décors participent aussi à ce décalage tonal, Franco multipliant les plans larges sur un littoral espagnol ensoleillé (Alicante, ville portuaire située au bord de la Méditerranée). Mais là encore, en marge de ces panoramas touristiques, un élément discordant vient nous rappeler qu’on est pas là pour se taper un film de vacances. La demeure hors-norme de l’architecte Ricardo Bofill, château aux formes baroques trônant au sommet d’une falaise, correspond davantage à l’excentricité et à l’avant-gardisme de l’oncle Jess (on peut revoir la bâtisse dans La Comtesse perverse et les détails de la villa dans Plaisir à trois). L’extase est aussi à chercher du côté des interprètes fétiches du cinéaste ibérique. Outre la regrettée Soledad, les gueules patibulaires d’Howard Vernon et de Paul Müller – ainsi que la bobine beaucoup plus avenante de la suédoise Ewa Strömberg – assurent une bonne partie du spectacle. Le Jess Franco acteur se joint lui aussi à la fiesta et – derrière la caméra – n’oublie pas de livrer une mise en scène aussi libre que soignée (et moins portée sur le zoom que d’habitude). Quant à Horst Tappert, futur inspecteur Derrick, c’est à lui que revient l’honneur de résumer les terribles événements de Crimes dans l’extase : « c’est affreux mais quelle belle preuve d’amour ».

03

Sie tötete in Ekstase. De Jess Franco. Allemagne/Espagne. 1971. 1h17. Avec : Soledad Miranda, Fred Williams et Ewa Strömberg. Maté à la téloche le 02/08/18.

LE DIABOLIQUE DOCTEUR Z (Jess Franco, 1966)

MV5BZGU3ZjgzOTEtY2E1OS00MGRjLTliZGYtZjMzYTgwZDY0ZjRhXkEyXkFqcGdeQXVyMTAxMDQ0ODk@._V1_SY1000_CR0,0,1476,1000_AL_

Le docteur Zimmer se livre à d’étranges expériences sur le cerveau humain. Violemment critiqué par ses confrères, il succombe à un malaise cardiaque mais fait promettre à sa fille de mener à bien ses travaux. Cette dernière entreprend une série de machinations diaboliques afin de supprimer les savants qui se sont opposés à son père. Source : dvdfr.com

« Incontestablement, Miss Muerte est un chef-d’œuvre, sans doute le meilleur film de la première période espagnole de son auteur ». Voilà comment l’érudit Alain Petit nous présente Le Diabolique Docteur Z – ou Dans les griffes du maniaque – dans son indispensable pavé, Jess Franco ou les prospérités du Bis. Impossible de le contredire tant le cinéaste se montre ici particulièrement inspiré. Grâce au producteur français Serge Silberman et à quelques pesetas venues d’Espagne, l’oncle Jess se voit confier un budget décent, ce qui n’est (et ne sera) pas toujours le cas. Au scénario, l’homme de lettres Jean-Claude Carrière élabore avec le réalisateur ibérique une histoire dont l’argument doit autant à La Mariée était en noir de William Irish qu’à L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. Du premier, le duo ne conserve que l’idée de vengeance; du second, son postulat scientifique prétendant isoler les cellules du bien et du mal. De quoi faire frémir les salles de quartier quand celles-ci étaient encore légion dans les années 1960. À cette époque, Jess Franco participe encore à l’émergence d’un fantastique à l’européenne au même titre qu’un Bava ou un Freda. Depuis L’Horrible Docteur Orloff (aka Gritos en la noche, 1962), le petit Jesús façonne une œuvre à la fois dans l’air du temps et très personnelle. Et pour montrer que ses films s’inscrivent tous dans un seul et même univers, il n’hésite pas à faire des clins d’œil à son propre travail et à renouer avec ses obsessions. Dans Le Diabolique Docteur Z, le nom d’Orloff est mentionné au détour d’un dialogue (le savant fou se paye une réputation à la Frankenstein), l’action se situe dans la ville imaginaire d’Hölfen (là où se déroulent également Gritos en la noche, Le Sadique Baron Von Klaus et Les Maîtresses du Docteur Jekyll) et l’influence principale de Gritos… – Les yeux sans visage de Franju – est encore citée (victime d’une brûlure partielle à la figure, Mabel Karr s’opère elle-même face à un miroir !). Dingue de 7ème art, Jess Franco en profite aussi pour caser ici et là quelques références cinéphagiques. La plus évidente se manifeste à travers la réplique suivante : « C’était Bresson : un condamné à mort s’est échappé ! ». Savoureux ! Mais avant toute chose, l’assistant d’Orson Welles sur Falstaff rend avec Miss Muerte un bel hommage à l’auteur de La Soif du mal. Cadrages variés et dynamiques (chouette contre-plongée totale sous un escalier en colimaçon), noir et blanc expressionniste (donnant à l’ensemble un côté film noir), parenthèses oniriques de toute beauté (Estella Blain hypnotisant Howard Vernon dans un train subitement plongé dans les ténèbres) : d’un point de vue formel, le long-métrage nous apparaît comme soigné, maîtrisé, abouti. Les décors contribuent également à rassasier les mirettes notamment lorsqu’ils convoquent le spectre de l’épouvante gothique et les délices des serials d’antan (le repaire de la fille Zimmer est un manoir abandonné qui cache dans ses souterrains un labo disposant d’un matos extravagant). À cette cuisine bien plus digeste que n’importe quelle émission façon Top Chef, l’ami Jess ajoute ses propres ingrédients, à commencer par un érotisme subtil et suffisamment évocateur pour faire son petit effet. La séquence qui introduit Estella « Miss Death » Blain en est une superbe illustration. Sur une scène de cabaret, une veuve noire en résille tisse sa toile et attire dans ses filets un mannequin, silhouette masculine envoûtée et pétrifiée par le spectacle (le genre de numéro qui en annonce bien d’autres dans la filmo de Franco). Un instant insolite et sensuel, animé par la blondeur irradiante de la merveilleuse Blain. Face à cette actrice et chanteuse disparue trop tôt (en 1982, à l’âge de 51 ans), la diabolique Mabel Karr affiche un regard dément, un faciès austère et un désir de vengeance inébranlable. Outre la présence incontournable de Monsieur Vernon, Franco lui-même et son compositeur fétiche Daniel White (qui signe ici un joli score jazzy) se distinguent au générique en campant des flics débonnaires et décontractés. Un bonhomme plein de ressources, ce Jess. Joyau étrange et lascif, fantasme fétichiste et macabre, titre marquant du midiminuisme et d’un type de cinéma malheureusement révolu, Le Diabolique Docteur Z constitue l’une des réussites majeures d’un auteur souvent incompris et qui ne mérite en aucun cas l’étiquette de tâcheron que certains esprits paresseux lui ont collé. En plus de cinquante ans de carrière, il a fait briller toutes les couleurs du Bis, tout en sublimant d’inoubliables comédiennes telles que Soledad Miranda, Maria Rohm, Rosalba Neri, Marie Liljedahl, Anne Libert, Britt Nichols, Alice Arno, Brigitte Lahaie ou encore cette très chère Lina Romay. Qui dit mieux ?

le-diabolique-docteur-Z-004-620x464

Miss Muerte. De Jess Franco. France/Espagne. 1966. 1h27. Avec : Estella Blain, Mabel Karr et Howard Vernon. Maté en blu-ray le 16/06/18.

COLOSSAL (Nacho Vigalondo, 2016)

05FICHE TECHNIQUE Colossal. De Nacho Vigalondo. Canada/États-Unis/Espagne/Corée du Sud. 2016. 1h49. Avec : Anne Hathaway, Jason Sudeikis (la barbe lui donne ici des faux airs de Chuck Norris) et Dan Stevens. Genre : fantastique. Sortie France : 27/07/2017 (e-Cinéma). Maté à la téloche le dimanche 24 septembre 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Gloria (Anne Hathaway) est une jeune new-yorkaise sans histoire. Mais lorsqu’elle perd son travail et que son fiancé la quitte, elle est forcée de retourner dans sa ville natale où elle retrouve Oscar (Jason Sudeikis), un ami d’enfance. Au même moment, à Séoul, une créature gigantesque détruit la ville, Gloria découvre que ses actes sont étrangement connectés à cette créature. Tout devient hors de contrôle, et Gloria va devoir comprendre comment sa petite existence peut avoir un effet si colossal à l’autre bout du monde… Source : allocine.fr

MON AVIS TÉLÉ Z De nos jours, on ne s’étonne plus de retrouver directement en dvd/blu-ray ou en VOD des œuvres se distinguant par leur originalité. Voir Colossal sur petit écran ne m’étonne donc pas. Ce qui ne m’empêche pas de trouver dommage que la distribution des films en salle soit aussi standardisée. Des propos qui relèvent de la vieille rengaine, me direz-vous. Cela dit, qu’un cinéaste aussi inventif que Nacho Vigalondo ait pu financer un tel projet est déjà en soi un miracle. Le long-métrage existe, il est visible et – en 2017 – c’est une victoire pour les artistes qui se contrefoutent des modes et des diktats des majors. Pourtant, à première vue, Colossal semble profiter du succès des récentes réappropriations hollywoodiennes du kaiju eiga, le film de monstre à la japonaise. Cependant, Vigalondo n’emprunte pas le même chemin que Pacific Rim ou le dernier remake de Godzilla. Le cinéaste espagnol détourne plutôt le genre pour lui donner une couleur plus intime et décalée. L’histoire commence en effet comme une (fausse) comédie romantique qui, par la suite, prend la forme d’un drame sentimentalo-surnaturel. Les relations entre les personnages s’obscurcissent lorsqu’une extraordinaire découverte révèle leur vrai visage. Une étrange autant que stimulante dichotomie s’opère alors entre le retour chaotique de la principale protagoniste dans son bled natal et les spectaculaires apparitions d’une gloumoute géante en plein Séoul. Dès lors, deux échelles interagissent entre elles, l’une humaine, l’autre… colossale, la première ayant la responsabilité de ce qui se passe dans la seconde. Une façon pour Gloria (Anne Hathaway, convaincante en girl next door), jeune femme un peu paumée et en manque de repères, de combattre ses vieux démons et de s’affirmer. Ses décisions peuvent sauver des milliers de vies à l’autre bout de la planète et l’amènent à se conduire comme une héroïne silencieuse. Face aux parasites qui ne la comprennent pas et la tirent vers le bas, nous comprenons vite que les « méchants » du film ne sont pas ceux que l’on croit. Se présentant d’abord comme un gars charmant et sympathique, Oscar (Jason Sudeikis, dans un registre qui l’éloigne de ses emplois habituels dans la comédie U.S.) n’est en fait rien d’autre qu’un type autoritaire et frustré par sa condition. Ce cliché de la romcom (au départ) se transforme rapidement en salaud ordinaire dont le sexisme latent est un défi de plus lancé à l’encontre de Gloria. Dans le même temps, celle-ci affronte sa « némésis » comme s’il s’agissait d’un vilain de comic book movie, à la différence que les super-pouvoirs sont ici détenus par leur double kaijuesque. Ne laissant rien au hasard question écriture, Vigalondo peut se reposer sur la suspension d’incrédulité du spectateur pour crédibiliser l’incroyable. Par le biais d’un flashback aux images superbement évocatrices et d’un modus operandi ludique lié aux irruptions des créatures sud-coréennes, le bonhomme parvient à livrer une œuvre fantastique dans tous les sens du terme. Le climax, aussi inattendu qu’ingénieux, en constitue une preuve supplémentaire. Pour en arriver là, le réalisateur de Timecrimes (2007) a veillé à ce que l’équilibre entre ressorts psychologiques et saillies spectaculaires reste stable. Pas de destructions massives ostentatoires dans Colossal, mais des passages aussi brefs que marquants dont le but est avant tout de servir l’histoire et non pas d’épater la galerie. Les effets visuels n’en sont pas moins soignés et rivalisent avec le plus nanti des blockbusters (sans compter la réussite que représente le design du titan de Gloria). Malgré sa visibilité réduite dans l’Hexagone, il faut donc découvrir le petit dernier de super Nacho. Pourquoi ? Parce que rares sont devenues les péloches de genre qui, tout en faisant un pas de côté salutaire et payant, témoignent d’une réelle envie de cinéma. 4,5/6

06
Dans Colossal, les problèmes d’Anne Hathaway prennent des proportions gigantesques…

SEPT MORTS SUR ORDONNANCE (Jacques Rouffio, 1975)

18463816Sept morts sur ordonnance. De Jacques Rouffio (à voir aussi : Le sucre, La passante du Sans-Souci). France/Allemagne/Espagne. 1975. 1h44. Avec : Michel Piccoli, Gérard Depardieu et Jane Birkin. Genre : thriller. Sortie France : 03/12/1975. Maté à la téloche le dimanche 28 mai 2017.

De quoi ça cause ? Après avoir exercé un temps au Maroc, le docteur Pierre Losseray (Michel Piccoli) a rejoint l’hôpital public d’une petite ville de province, où ses talents de chirurgien ont fait sa réputation. Inquiet de la baisse régulière du nombre d’opérations dans la clinique qu’il dirige d’une main de fer, le vieux professeur Brézé (Charles Vanel), entouré par ses trois fils et son gendre, voudrait le convaincre de rejoindre son établissement. Mais comme l’avait fait quinze ans auparavant l’un de ses confrères, le docteur Berg (Gérard Depardieu), Losseray résiste aux pressions du puissant mandarin. Quand, remis d’un infarctus, Losseray reprend le chemin du bloc, des doutes sur son état de santé fournissent une arme redoutable au clan Brézé… (source : Arte.tv/fr)

Mon avis Télé Z : Plus de quarante ans après sa sortie, Sept morts sur ordonnance interpelle toujours autant. S’inspirant d’un fait divers survenu à Reims dans les années 60 (le suicide de deux chirurgiens à quinze ans d’intervalle), le scénario de Georges Conchon traite d’un double cas de harcèlement moral, infligé à deux praticiens faisant de l’ombre à un notable influent. Construit comme un thriller, la structure du film met en parallèle le destin de deux hommes inconnus l’un pour l’autre, mais dont le destin tragique est amené à se répéter. Les flashbacks s’intègrent au récit de façon naturelle et abrupte, une approche très « film noir » qui décuple le suspense de l’intrigue. À ce titre, la première de ces séquences rétrospectives – d’une violence inouïe – provoque un véritable choc sur le spectateur qui s’habitue progressivement à ce chamboulement narratif (les évènements du passé ne sont pas toujours chronologiques). Dès lors, le film de Jacques Rouffio déroule sa mécanique implacable et explose lors d’une conclusion sans appel et d’une grande amertume. Le milieu hospitalier (et d’une manière générale, professionnelle) peut être cruel, surtout quand celui-ci est dirigé par un clan, une mafia dont le pouvoir abusif et les manipulations insidieuses brisent non seulement les individus mais aussi leur famille. Souffrance au travail, autoritarisme de la hiérarchie, corruption des élites : des sujets plus que jamais d’actualité, les marques d’une société vérolée de l’intérieur. Entre de mauvaises mains, la Santé tue. Et pas seulement les patients. Car Sept morts sur ordonnance fixe, sans dévier du regard, l’horrible vérité qui se cache derrière toute réalité : tandis que les braves meurent en silence, les salauds dorment en paix. La férocité et la lucidité d’un Costa-Gavras ne sont pas loin, et à l’instar du réalisateur de Section spéciale, Rouffio en profite pour convoquer les pires heures de l’histoire française (un dialogue fait référence au passé de collabo du père Brézé). Comme pour montrer que, même après la guerre, celle-ci se prolonge toujours sous une forme différente… Juste et puissante, l’interprétation fait honneur à cette œuvre frontale et engagée. Piccoli et Depardieu campe avec brio des chirurgiens dont la combativité s’étiole face la pression exercée sur eux. En face, Charles Vanel joue les patriarches obséquieux et réellement vénéneux, une vieille ordure intouchable n’hésitant pas à broyer les autres pour son propre intérêt. Et n’oublions pas la grande Jane Birkin dont l’adorable frimousse a rarement été aussi malmenée à l’écran. 5/6

jane-birkin-photo-d-exploitation-espagnole-7-morts-sur-ordonnance-3
Quand la peur recouvre d’ombres les yeux de sweet Jane.

MAMÁ (Andrés Muschietti, 2013)

MamaMamá. D’Andrés Muschietti. Espagne/Canada. 2013. 1h40. Avec : Jessica Chastain, Nikolaj Coster-Waldau (dit le Régicide) et Megan Charpentier. Genre : fantastique/épouvante. Sortie dvd/blu-ray : 01/10/2013 (Universal Pictures). Maté en blu-ray le samedi 6 mai 2017.

De quoi ça cause ? Il y a cinq ans, deux soeurs, Victoria et Lily, ont mystérieusement disparu, le jour où leurs parents ont été tués. Depuis, leur oncle Lucas (Nikolaj Coster-Waldau) et sa petite amie Annabel (Jessica Chastain) les recherchent désespérément. Tandis que les petites filles sont retrouvées dans une cabane délabrée et partent habiter chez Lucas, Annabel tente de leur réapprendre à mener une vie normale. Mais elle est de plus en plus convaincue que les deux soeurs sont suivies par une présence maléfique… (source : Dvdfr.com)

Mon avis Télé Z : Tout film avec Jessica Chastain se doit d’être vu et Mamá n’échappe pas à la règle. Deux ans avant Crimson Peak, la flamboyante rouquine se frotte à l’épouvante avec succès. Pour l’occasion, elle adopte un look punk rock qui lui sied à merveille et défend son personnage avec toute la subtilité et la grâce qu’on lui connaît. Jessica joue Annabel, une bassiste ayant peu d’affinités avec les gosses – et ne désirant pas en avoir – mais que les évènements vont pousser à protéger deux gamines perturbées par l’omniprésence d’une mère ectoplasmique. Le film oppose deux visions de la maternité. Une qui se mérite et évolue au fil de sentiments réciproques; et une autre qui s’impose de façon autoritaire, quitte à tuer pour cela. Dans un cas comme dans l’autre, devenir mère est un sacrifice, comme le montre une conclusion déchirante en forme de faux happy end. En cours de route, le premier rôle masculin (Nikolaj Coster-Waldau, très impliqué) s’efface d’ailleurs pour laisser la place au duel Annabel/Mamá. Un face-à-face entre deux trajectoires féminines différentes; l’une tournée vers la lumière et la vie, l’autre vers la folie et la mort… Tragédie maternelle et familiale, Mamá s’articule autour d’un socle émotionnel fort et s’inscrit dans la continuité des bandes fantastiques espagnoles des années 2000 (L’orphelinat en tête). Le script en reprend scrupuleusement la mécanique, sans éviter les passages obligés du genre (l’enquête du psy nous dévoilant les origines du spectre vindicatif). Si son intrigue ne sort pas vraiment des sentiers battus (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fonctionne pas), le premier long d’Andrés Muschietti (qui développe ici l’un de ses propres courts) se rattrape aisément sur le plan visuel. Jouant sur le plan fixe, le hors-vue et le hors-champ, le jeune cinéaste se sert de toutes les ressources de la mise en scène pour faire naître le frisson. Le cinéaste argentin fait preuve d’une belle imagination lorsqu’il s’agit de suggérer la présence de Mamá dans le cadre, et sait aussi tirer parti de l’obscurité pour optimiser ses effets. Même les CGI ne ruinent jamais les apparitions – souvent spectaculaire – de l’esprit vénère. Rien d’étonnant quand on a un producteur aussi attentif que Guillermo del Toro. 4,5/6

mama-movie-jessica-chastain-hair-tattoo
Quelque chose se cache dans la maison de Jessica Chastain, quelque chose de tordu et de possessif qui n’apprécie guère que l’on s’occupe des gamines à sa place…

TERREUR DANS LE SHANGHAÏ EXPRESS (Eugenio Martin, 1972)

terreur-dans-le-shanghai-expressTerreur dans le Shanghaï Express (titre original : Horror Express). D’Eugenio Martin (ou Gene Martin). Royaume-Uni/Espagne. 1972. 1h23. Avec : Christopher Lee, Peter Cushing et Helga Liné (une actrice si douce, si perverse…). Genre : fantastique. Sortie dvd : 07/02/2017 (LCJ éditions). Maté en dvd le samedi 18 février 2017.

De quoi ça cause ? En 1906, Alexander Saxton (Christopher Lee), paléontologue, découvre un homme-singe vieux de deux millions d’années fossilisé dans une région reculée d’Asie. Lors de son retour à Londres par le Transsibérien, il fait la rencontre de son rival, le Docteur Wells (Peter Cushing), qui décide d’ouvrir la fameuse caisse qui contient la créature. Celle-ci revient à la vie. (source : LCJéditions.com)

Mon avis Télé Z : Si vous vous attendiez à un proto-slasher dans lequel un psycho killer velu tue un à un les passagers d’un train, vous risquez d’être agréablement surpris. Le film d’Eugenio Martin n’est pas une péloche d’épouvante comme les autres et possède plusieurs qualités. La première : la nature évolutive du mal qui squatte le Shanghaï Express. Se présentant d’abord sous la forme d’une créature simiesque, le monstre du train se révèle ensuite bien plus malin qu’il n’en a l’air et jouit en réalité de nombreux pouvoirs. L’argument science-fictionnel dévoilé à mi-parcours et les réelles intentions de l’hibernatus sont étonnantes et déplacent les enjeux vers des préoccupations plus philosophiques (le progrès scientifique vaut-il tous les sacrifices ? Vous avez deux heures). Bénéficiant d’un bon script, Horror Express profite également de son décor en huis clos (rien de tel que l’enfermement pour diffuser l’angoisse) et de son cadre historico-géographique (le début du XXème siècle, entre la Chine et la Russie, voilà qui nous change). Pour le reste, voir Christopher Lee et Peter Cushing se donner la réplique n’a pas de prix. En scientifiques rivaux mais pas antagonistes, les gentlemen du fantastique dominent le casting de leur classe toute british. À côté de ces deux géants, la présence de la belle Helga Liné n’est pas non plus négligeable, tout comme celle d’Alberto de Mendoza, ici en illuminé chevelu et barbu façon Raspoutine. Et n’oublions pas Telly Savalas dont le personnage de cosaque se greffe tardivement (et un peu gratuitement, avouons-le) au récit. Du beau monde pour un très bon bis européen des 70’s annonçant avec dix ans d’avance The thing de John Carpenter. 4,5/6

horror-express-13
Aller sans retour à bord du Shanghaï Express pour Helga Liné. Dans ses yeux, la terreur !