BACCHANALES SEXUELLES : les drôles d’orgies de monsieur Gentil

Début des années 70. Les poèmes de Jean Rollin dédiés aux créatures de la nuit ne rencontrent pas leur public et ne satisfont pas davantage la critique. Et pourtant, Le Viol du vampire (un premier long sorti en plein mai 68), La Vampire nue (1970), Le Frisson des vampires (1971) et Requiem pour un vampire (1972) relèvent de l’avant-garde la plus inspirée et s’approprient avec respect le mythe du suceur de sang. S’il veut à nouveau tourner, le « rêveur égaré » n’a pas d’autre choix que d’accepter des commandes qui correspondent aux modes du moment. Sous le pseudo de Michel Gentil ou de Robert Xavier, il s’essaie alors à la fesse soft via Jeunes filles impudiques (1973) et notre péloche du jour, Bacchanales sexuelles (1974). Dans la foulée, il surfe même sur la vague porno, emballant sans rougir (enfin si, un peu) une dizaine de polissonneries (s)explicites (citons pour le plaisir, l’aventure qui marque en 1977 la première rencontre entre Rollin et Brigitte Lahaie : Vibrations sexuelles). De quoi se refaire une petite santé financière. Cependant, malgré les contraintes commerciales, Monsieur Jean n’a jamais coupé les ponts avec le royaume des ombres. Une certitude : son cœur ne bat qu’aux frontières de l’aube. Dans ses œuvres les plus personnelles, la vie et la mort ne font qu’un, le surréalisme se teinte de romantisme noir, les ténèbres n’empêchent nullement l’amour de se manifester. La beauté éthérée, la puissance fantasmagorique, la mélancolie envoûtante de La Rose de fer (1973), La Nuit des traquées (1980) ou La Morte vivante (1982) ont offert à notre « Baron Vampire » une place unique au sein du fantastique hexagonal.

Écrit par Jean Rollin et sa fidèle collaboratrice Natalie Perrey, le scénario de Bacchanales sexuelles relate la lutte opposant l’exquise Valérie (Joëlle Cœur) à la sadienne Malvina (Brigitte Borghese). La première veut délivrer son amie Sophie (Marie-France Morel, La Grande culbute) des griffes de la seconde, grande prêtresse de la secte des « adorateurs de la chair fraîche » ! Bien loin des contes sépulcraux chers au réalisateur de Fascination (1979), ce bel exemple d’érotisme à la française reste néanmoins habité par l’esprit de son auteur. À la grosse marrade grivoise façon Max Pécas/Philippe Clair/Richard Balducci/Nicole Garcia, Jean Michel Rollin Roth Le Gentil (nom complet) préfère s’amuser avec ses références, son univers. D’ailleurs, Bacchanales sexuelles a été en partie tourné dans son propre appart. L’affiche conçu par Druillet pour Le Frisson des vampires sert d’agrément mural (une déco très tendance chez les amoureux de Sandra Julien), des tonnes de bouquins débordent des étagères (sur lesquelles la belle comme un Cœur prélève le fameux Classiques du cinéma fantastique de Jean-Marie Sabatier) et les pipes de son fumeur de metteur en scène se dévoilent au détour d’un plan, hélas, coupée au montage. Dans ce logement, la place importante occupée par les livres n’est pas anodine. Elle rappelle que le regretté Rollin fut également écrivain et directeur de collection. Mais aussi un expert en littérature populaire à qui l’on doit notamment un essai sur Gaston Leroux publié dans les pages de Midi-Minuit Fantastique. Bref, un homme cultivé, éclairé, le Jeannot. Qui côtoya Bataille dans sa prime jeunesse, travailla avec Duras sur l’inachevé L’Itinéraire marin

Intitulé Tout le monde il en a deux lorsqu’il sort une première fois dans nos cinoches (le 4 août 1974), Bacchanales sexuelles (titre utilisé pour la ressortie du film, le 2 octobre de la même année) témoigne du penchant de Rollin pour l’insolite, l’étrange, le bizarre. Les sœurs jumelles Catherine et Marie-Pierre Castel (inoubliables visages traversant presque toute la filmo rollinienne) agissent comme des souris d’hôtel dont le look (cagoule et combinaison moulante) évoque les « anges du mal » des feuilletons de Feuillade (on songe inévitablement à Musidora, ensorcelante Irma Vep des Vampires de 1915). Pour sa part, l’insatiable dominatrice campée par Brigitte Borghese (Britt Anders au générique) semble s’être échappée des cases d’une sulfureuse BD des éditions Elvifrance (petits formats pour adultes, disponibles en kiosque de 1970 à 1992). Dans son repaire (un manoir apportant à l’ensemble une touche gothique bienvenue), la pauvre Sophie se fait flageller par un bourreau masqué et vêtu de rouge, réincarnation du Mickey Hargitay de Vierges pour le bourreau (aka Il boia scarlatto, le bourreau écarlate, 1965). Le tout sous le regard vicelard d’un couple de larbins surexcités ! Cette ragoûtante pincée de délire SM vient pimenter un spectacle parfois à la limite du hard (nous sommes au mitan des 70’s et la pornographie s’apprête à déferler sur les écrans français). Pour autant, rien ne justifie le futur titre VHS de Tout le monde il en a deux/Bacchanales sexuelles : Des putes oui… mais de Tanzanie !!!

Pour nous entraîner sur la voie du dévergondage, la bande-annonce de Bacchanales sexuelles n’hésite pas à nous promettre « un film dont la sexualité érotique fera monter votre « tension ». Il faut bien avouer que l’hyperventilation nous menace devant un gros plan en contre-plongée d’une Joëlle Cœur léchouillant le téton de son amante. Il faut bien reconnaître que le p’tit déj coquin de la même Jo – elle se badigeonne les mamelons, le nombril et le bas-ventre avec de la confiote – a de quoi couper le souffle des scopophiles. Mais celle qui se pare de l’étoffe de nos désirs ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle lance un regard caméra lorsque l’extase la possède, se déhanche sur un air funky en nous envoyant un baiser (autre précieuse scène coupée). Pour Rollin, notre jolie Cœur a également été « jeune fille impudique » et naufrageuse « démoniaque ». Une déesse du Bis au même titre que l’adorable Annie Belle (c’est un mot qu’on dirait inventé pour elle). Sous son véritable nom, Annie Brilland (celui qui vient de dire Dany Brillant est prié de s’immoler sur-le-champ), fait ici ses débuts à l’écran alors qu’elle n’a pas encore dix-huit printemps. Son apparition tardive mais ô combien céleste s’apparente à la naissance de Vénus. Un an plus tard, Annie qui aime les sucettes à l’anis illuminera l’opus le plus poignant de Rollin : Lèvres de sang… La qualité hors-norme du blu-ray griffé par Le Chat qui Fume prouve que ces « bacchanales » méritent leur place dans l’imaginaire du grand Jean Rollin, l’amant des Muses de la plage de Pourville-les-Dieppe.

Bacchanales sexuelles. De Michel Gentil (Jean Rollin). France. 1974. 1h42. Avec : Joëlle Cœur, Brigitte Borghese, Annie Belle

BENEDETTA : Virginie la défroquée

Thriller aussi tortueux que fascinant, faux « rape and revenge » déguisé en vrai satire chabrolienne, exercice de style grinçant dominé par une Huppert impériale, Elle (2016) a magistralement prouvé deux choses. 1/Que Paul Verhoeven n’a rien perdu de sa verve. 2/Qu’il a parfaitement su s’adapter à son nouvel environnement français. En réalité, il l’a carrément secoué, marquant au fer rouge le 7ème art hexagonal (les Pays-Bas et Hollywood se remettront-ils un jour de son passage ?). Aujourd’hui, Benedetta montre à son tour que le mordant, l’acuité et le culot de son auteur sont toujours intacts. Ce projet – 50% religion, 50% sexe, 100% Verhoeven – vient à point nommé pour dynamiter ces temps de politiquement correct, de cancel culture, de wokisme et d'(auto)censure tous azimuts. Car le réalisateur de RoboCop ne prend pas le spectateur pour un gland. Il le force à réfléchir, bouscule ses certitudes, heurte ses convictions. Bref, il le pousse à sortir de sa zone de confort. Dans un texte paru dans Charlie Hebdo (n° 34, 12 juillet 1971), Cavanna définissait l’humour comme « un coup de poing dans la gueule« . Il en va de même pour le cinéma de Paul Verhoeven, ce distributeur de mandales sans égal. Quand il cogne, il ne le fait jamais gratuitement. Choquer le bourgeois ou la Croisette ne l’intéresse pas. Le réduire à un simple provocateur n’a donc aucun sens… À l’instar du journal cité plus haut, l’œil acéré du Batave est plus que salutaire : il est essentiel au monde. Les pisse-vinaigres que cette liberté de ton offense peuvent aller se faire empapaouter au paradis.

Benedetta débute sous les meilleurs auspices. Des soudards échappés de La Chair et le Sang croisent la route de la toute jeune Benedetta Carlini, en partance avec ses parents pour le couvent des Théatines (situé à Pescia, en Toscane). Face aux menaces des malotrus, la gamine invoque la Sainte Vierge quand soudain… l’un des premiers se ramasse une fiente de piaf sur la figure ! D’entrée de jeu, Verhoeven contourne les attentes du public : la violence physique a priori inéluctable est évitée et la prétendue intervention divine ridiculisée. Au-delà du geste sardonique et iconoclaste, Paulo confronte le réel à celles et ceux qui l’interprètent à leur convenance : les croyant(e)s. Dès lors, tout devient une question de point de vue. Point de vue forcément ambigu lorsque seul le doute peut dévoiler les vérités cachées (Qu’est-ce que je vois ? est d’ailleurs le titre français du premier long du Hollandais, Wat zien ik !? aka Business is Business). Pas de certitudes ici, mais des interrogations, des frissons et un éblouissement aussi viscéral que vertigineux. Qui est Benedetta ? Qui est cette nonne du XVIIe siècle affirmant communiquer avec Jésus et s’adonnant aux plaisirs saphiques avec une novice libertine ? Une sainte, une pécheresse, une manipulatrice, une arriviste, une folle, une amoureuse ? Comme avec le cauchemar baroque et symbolique du Quatrième Homme et les « souvenirs à vendre » de Total Recall, Paul Verhoeven ne tranche pas mais aborde son sujet avec toute l’honnêteté intellectuelle qui le caractérise. Au spectateur de se forger sa propre opinion. C’est ainsi que certains films accèdent à l’éternité.

Si Sœur Benedetta reste insaisissable, c’est pour mieux témoigner de la complexité et de la richesse du personnage. Verhoeven n’a pas besoin de la juger ou d’en égratigner l’énigme pour en faire une nana forte et intelligente. Les contradictions de cette héroïne ambivalente servent surtout à démasquer l’hypocrisie de notre chère Église. Une institution qui condamne la sexualité, honnit le corps féminin quand ses « dignitaires » ne pensent qu’au pouvoir et en usent pour torturer son prochain (le nonce décadent joué par Lambert Wilson aurait eu sa place dans le Beatrice Cenci de Fulci). Benedetta prend alors des allures de Game of Thrones clérical, jeu mené dans l’ombre par une religieuse dont l’ascension va ébranler les fondements d’un ordre patriarcal pourri par le dogme. Dans son rapport au sacré, le film se révèle tout aussi subversif : c’est à travers sa foi que la blessed virgin atteint l’orgasme lesbien. Pour Benedetta, l’extase est une expérience autant mystique que charnelle. Ses visions lui permettent de jouir dans son délire et lui font en même temps prendre son pied ici-bas. Et pour cela, notre Néerlandais préféré n’hésite pas à érotiser le Christ sur sa croix (mais sans le slip rouge moulant de l’éphèbe du Quatrième Homme), à transformer une statuette de Marie en gode (fallait oser !). Dans Benedetta, l’irruption du trivial n’a rien de vulgos : il s’agit plutôt de relier le matériel au sublime, l’autre nom de la sensualité. Graduel et subtil puis explosif et incontrôlable, le désir se consume à la lueur d’une bougie, écho pictural à la peinture flamande (on pense au travail du chef-op’ Jan de Bont sur Katie Tippel ou Flesh + Blood).

Cinéaste organique par excellence, Verhoeven s’intéresse moins à la luxure qu’au corps dans sa globalité. Peu porté sur les mensonges cosmétiques et les simulacres du glam’, il préfère se pencher sur tous ces fluides que les tartuffes ne sauraient voir (« Voilà de quoi nous sommes faits : des tripes, de la merde et du jus gluant » écrivait Bukowski dans ses Contes de la folie ordinaire). Baiser, chier, faire gicler du lait maternel de son nibard : c’est aussi ça la vie, n’en déplaise aux apôtres du « bon goût » et autres bienséants faux-derches. Pour l’homme derrière Starship Troopers, la vérité se dissimule dans ce que le corps expulse. Par conséquent, elle se niche sous la peau (et ce même quand elle disparaît, cf. Hollow Man). Mais aussi sur la peau, lorsque celle-ci se découvre. La nudité de Virginie Efira est conquérante, puissante, intimidante. Telle Elizabeth Berkley dansant sur la scène du « Stardust » dans Showgirls ou Sharon Stone croisant/décroisant ses jambes lors de l’interrogatoire de Basic Instinct, la Sibyl de Justine Triet maîtrise son sex-appeal comme elle maîtrise son destin. Après son rôle de bigote dans Elle, Efira confirme que les obsessions verhoeveniennes lui siéent à merveille. Fiévreuse jusqu’au bout des seins, la belgo-française nous fait succomber à la tentation. Et nous rappelle à sa manière que, pour celles et ceux qui savent reconnaître l’inépuisable beauté de l’art, il n’existe ni péché ni blasphème. La toujours formidable Charlotte Rampling ne le sait que trop bien. Tout comme, bien évidemment, l’auteur de ce film-somme, miracle transgressif et flamboyant où Le Nom de la Rose s’acoquine avec la nunsploitation.

Benedetta. De Paul Verhoeven. France/Pays-Bas. 2021. 2h06. Avec : Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia…

LES WEEK-ENDS MALÉFIQUES DU COMTE ZAROFF : belles, blondes et clamsées

Businessman roulant en Peugeot 404 Coupé, le Comte Boris Zaroff (Michel Lemoine) ne se contente pas de potasser ses dossiers, de les signer et de les refiler à sa secrétaire. Tous les week-ends, il part rejoindre son château pour satisfaire ses penchants sadiens. Avec la complicité de son majordome Karl (Howard Vernon), ce vicelard de Zaroff se repaît de sexe et de sang, perpétuant ainsi une longue tradition familiale. Mais lorsque le fantôme d’Anne de Boisreyvault (Joëlle Cœur) se met à le tourmenter, le prédateur de ces dames commence sérieusement à perdre la boule… Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff vu, à l’époque, par ces faux-culs de la commission de censure : « Ce film présente, sous couvert d’un appel à l’étrange et au surréel, une panoplie complète de moments de sadisme, de cruauté, d’érotisme voire de nécrophilie qui ne sont tempérés ni par la moindre poésie, ni par l’humour. Il ne saurait être vu que par des adultes ». Des propos rances qui laissent deviner le sort réservé à l’œuvre de Lemoine sur notre territoire. Je vous le donne en mille ? Classement X et interdiction de séjour dans les salles… Plus clairvoyante, l’Espagne lui décerne en 1977 sa médaille d’or au festoche de Sitges. Dans notre beau pays, il faut attendre la décennie suivante et l’avènement de la VHS pour enfin découvrir ces week-ends licencieux sous le titre de Sept femmes pour un sadique

Après avoir traîné sa bobine de jeune premier devant les caméras de Guitry (Le Diable boiteux, 1948), Duvivier (La Fête à Henriette, 1952) ou Le Chanois (Le Village magique, 1955), Michel Lemoine (1922-2013) bifurque vers le Bis à l’orée des sixties. Il accomplit ainsi La Vengeance du Masque de Fer (Francesco De Feo, 1961), devient Le Monstre aux yeux verts (Romano Ferrara, 1962), assiste au choc Hercule contre Moloch (Giorgio Ferroni, 1963)… Jouer pour José Bénazéraf (L’Éternité pour nous, 1963), Mario Bava (Arizona Bill, 1964) et Jess Franco (Necronomicon, 1968) lui donne bientôt des envies de mise en scène. En tant que cinéaste, il se spécialise dans l’érotisme gaulois et dévoile les charmes de son épouse Janine Reynaud. Des titres ? Les Désaxées (1972), Les Chiennes (1973), Les Confidences érotiques d’un lit trop accueillant (1973) et Les petites saintes y touchent (1974). Mais il n’y a pas que la fesse dans la vie. Il y a aussi le fantastique. Midi-minuiste convaincu, féru de cinoche de quartier, défenseur de la série B, Lemoine écrit, réalise et interprète Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff. Un cauchemar « gothiconcupiscent » qui trahit l’amour de son auteur pour l’horreur (Boris Zaroff ne sonne-t-il pas comme Boris Karloff ?) et s’offre même le luxe d’une descendance que les cinéphages connaissent bien (Les Chasses du Comte Zaroff, 1932). Et hier comme aujourd’hui, ce type de proposition détonne au sein d’un 7ème art hexagonal peu porté sur l’imaginaire transgressif…

Si les poèmes de Jean Rollin vous touchent, si les contes immoraux de Jess Franco vous chatouillent les sens, alors vous serez ici comme à la maison. Avec le premier, Michel Lemoine partage un goût prononcé pour les répliques littéraires (les mots résonnent comme un écho lointain, sans se soucier du moindre réalisme) et les cimetières délabrés (le monde des morts est une prison attirant dans ses murs les vivants). À l’instar du second, il revisite le mythe zaroffien (cf. les chefs-d’œuvre de l’Espagnol fou : La Comtesse perverse et son « remake » Tender Flesh) et emploie l’exquis Howard Vernon (en serviteur du Comte Boris, il fait preuve d’une duplicité qui confine au sublime). Lemoine sait aussi tirer parti de ses décors naturels (verte prairie, lac de brume), tout en mettant en valeur les ressources extérieures et intérieures de son château (voir cette chambre aux miroirs, source de plaisirs insoupçonnés…). Le soin apporté au cadrage (les leçons du maestro Bava ont bien été retenues) et à la photo (Philippe Théaudière n’est pas un manchot) montre que tourner un long en deux ou trois semaines n’accouche pas forcément d’un résultat mal branlé. Malgré son budget riquiqui, Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff n’a (pratiquement) jamais l’air fauché. Lemoine pose un véritable regard de cinéaste sur ce qu’il shoote, bichonne son atmosphère de cauchemar baroque et sexy, expérimente sans jamais tomber dans l’essai arty. Bien que son scénar soit aussi dépouillé que celui d’un slasher, le Michel compense en donnant de la chair à la forme.

Plutôt doué pour mettre le meurtre dans le lit de la luxure, celui qui a dirigé la brûlante Olinka dans une poignée de pornos (dans les 80’s et sous le pseudo de Michel Leblanc) se démarque de l’exploitation lambda à travers quelques séquences à l’émoustillante créativité. Sylphide habituée aux bandes coquines des seventies (celles de Lemoine mais aussi de Pallardy, Davy et Bénazéraf), la peu frileuse Martine Azencot se tord d’extase au contact d’un boa en plumes bleues et se déchaîne lors d’une danse tribale provoquant la transformation d’une statue en homme (le culturiste Manu Pluton). Des instants insolites et affriolants qui voisinent avec des fulgurances empreintes d’un romantisme à la Edgar Allan Poe. Fantôme d’amour en robe blanche, la magnifique Joëlle Cœur (dans un rôle pour lequel a postulé Sylvia Kristel) resplendit d’une grâce intemporelle, use de ses reflets ténébreux pour nous offrir une dernière valse, fait de l’au-delà un éden. Belle comme un cœur (révélateur), l’impudique et démoniaque Joëlle nous fend encore plus le palpitant en désertant les écrans en 1976… Plus étonnant encore, ces week-ends maléfiques frayent aussi avec l’humour noir. Voulant visiter la chambre des tortures du père Zaroff, le couple Nathalie Zeiger/Robert de Laroche paye sa curiosité au prix fort (les pauvres petits finissent en sandwich gore…). Ballotté entre fantasme et réalité, le film joue habilement avec les ruptures de ton et immortalise l’étrange faciès d’un Lemoine esclave de ses pulsions et lentement dévoré par sa part de monstruosité. Dommage que celui-ci n’ait pondu qu’une seule péloche fantastique…

Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff. De Michel Lemoine. France. 1974. 1h25. Avec : Michel Lemoine, Howard Vernon, Joëlle Cœur…

ANGEL GUTS : RED PORNO : obsession fatale

Non, il ne s’agit pas de littérature classée X ou de 7ème hard. Le roman porno (abréviation de romanesque ou romance pornographique) est le terme utilisé par la Nikkatsu – l’un des plus fameux studios japonais – pour définir ses pinku eigas (ou films « roses » dans la langue de Mistinguett). Pour sortir de la crise financière et garder le public dans les salles (le petit écran est en train de grignoter le grand), la compagnie se lance dès 1971 dans la production d’œuvres érotiques. Des péloches rentables mais ambitieuses, tournées par des pros nullement effrayés par des plannings et des budgets serrés. Placée sous le signe de la créativité, de la liberté et de l’audace, cette tendance révèle de véritables auteurs tels que Tatsumi Kumashiro (Sayuri, strip-teaseuse, 1972), Masaru Konuma (Une femme à sacrifier, 1974), Noboru Tanaka (La Véritable histoire d’Abe Sada, 1975), Akira Katô (Prisonnière du vice, 1975) ou encore Chûsei Sone (Journal érotique d’une infirmière, 1976). Mais la parenthèse enchantée se referme aux débuts des 80’s avec l’émergence du stupre sur bande magnétique. Beaucoup plus « explicite », la vidéo pour adultes (ou AV pour Adult Video) fragilise la Nikkatsu qui se voit dans l’obligation de se mettre à la page. Sans dépasser les limites du softcore, l’entreprise se lâche davantage et attise de plus belle « le feu de l’Éros dans lequel l’extase flamboie » (pour reprendre l’une des accroches de la bande-annonce d’un classique de Kumashiro, Les Amants mouillés). La preuve avec Angel Guts : Red Porno qui sort dans les cinoches nippons le… 25 décembre 1981. Cette année-là, le père noël a fait une syncope…

Quatrième épisode d’une hexalogie s’étalant de 1978 à 1994, Angel Guts : Red Porno s’inspire de Tenshi no Harawata, un manga signé Takashi Ishii. Génial dessinateur au trait réaliste (un style appelé Gekiga), ce dernier exerce également en tant que scénariste et, à ce titre, adapte lui-même ses propres BD. Non seulement Ishii-san a rédigé le script des six Angel Guts mais il en a aussi profité pour réaliser les deux derniers (Red Vertigo en 1988 et Red Flash en 1994). Pour succéder à Sone (à la barre des deux premiers AG High School Coed, 1978/Red Classroom, 1979) et Tanaka (responsable d’un troisième volet sobrement intitulé Nami, 1979), la Nikkatsu propose le job à Toshiharu Ikeda. Pour celle-ci, le bonhomme a déjà livré le sublimement sadien Sex Hunter (1980). Après son « porno rouge », le cinéaste envoie bouler la firme (divergence artistique et manque de soutien l’ont motivé à quitter son employeur) et pond quelques années plus tard son cultissime Evil Dead Trap (1988). Un haut fait du slasher exotique et du splatter traumatique que ne laissait en rien augurer sa contribution à la saga Angel Guts. Car ces « tripes d’ange » ne jouent aucunement la carte du gore, et ce malgré un titre apte à faire saliver les fans d’horreur qui tache (à ne pas confondre, donc, avec les boyaux arrachés du fleur bleue Guts of a Virgin de Kazuo ‘Gaira’ Komizu, 1986). En réalité, comme nous l’explique l’excellent Julien Sévéon dans les bonus de la galette d’Elephant Films, les « guts » désignent dans la culture japonaise le point central de l’individu, l’endroit où se loge son âme en quelque sorte. Telle est la signification de ce mot dans l’œuvre d’Ishii et de la Nikkatsu. Ce qui n’empêche pas les tripes d’y être embrasées par les sens…

Nami (Jun Izumi) taffe dans un magasin de fringues. Pour casser la routine et se faire un peu plus de blé, l’une de ses collègues lui conseille de faire comme elle : poser pour « Red Porno », une revue de charme spécialisée dans le bondage. Nami se laisse tenter par l’aventure mais la suite des évènements lui fait regretter de ne pas s’être abstenue. Une mystérieuse silhouette se met soudainement à la suivre dans la rue, à épier ses moindres faits et gestes, la harcèle au téléphone… Qui fait de son existence un cauchemar ? Son amant, un vaurien rencontré sur son lieu de travail ? Ou est-ce ce jeune solitaire qui se paluche en zieutant les tofs cochonnes de Nami ? Selon la légende, un mois seulement aurait été nécessaire pour écrire, shooter et monter Angel Guts : Red Porno. Surprenant, même pour une prod Nikkatsu ! Si les indéniables qualités formelles du film rendent improbables un tel délai, le sentiment d’urgence reste prégnant, notamment à travers des mouvements d’appareil (faussement) heurtés. Cet aspect tournage guérilla allié à une mise en scène sophistiquée laisse une place non négligeable à l’expérimentation et à l’innovation. L’irruption du fantasme dans la réalité enflamme l’écran d’un rouge intense et fiévreux (les « Suspiriophiles » apprécieront). Calée sous une table basse chauffante (ou kotatsu, un meuble typiquement japonais), la caméra scrute l’acte masturbatoire de Nami d’une façon très osée (bruits moites à l’appui). Plus loin, Nami sort des pages d’un exemplaire de son admirateur secret et se tortille devant lui, le corps ligoté et enduit de gel. Suintant, incandescent, délirant, à l’image de cette voisine se faisant du bien avec un œuf (enveloppé d’une capote), hommage chaud bouillant à L’Empire des sens d’Oshima…

Troublant à plus d’un titre, Red Porno ne se contente pas d’étourdir le spectateur en alignant les fulgurances charnelles. Aux malheurs de son héroïne, Ikeda injecte une dose létale de suspense et fait glisser l’ensemble vers le thriller vénéneux, un peu à la manière du De Palma de Pulsions. Comme Angie Dickinson (qui, lors d’une intro mémorable, se caresse sous la douche en rêvant d’adultère), Jun Izumi voit sa vie basculer à cause d’une expérience sexuelle inédite. Toutes deux ont des désirs intimes qu’un psychopathe empêche d’assouvir. Toutes deux aspirent à une vie plus stimulante qu’un pervers ne peut tolérer. Partageant les obsessions du grand Brian, son homologue nippon place lui aussi le voyeurisme au centre des ébats. Lors d’une séquence significative se déroulant dans une chambre de love hotel, Nami et son partenaire s’envoient en l’air tout en se matant sur une putain de télé. Signe des temps, la vidéo filme le couple pour son propre plaisir et s’immisce dans sa libido… En coulisses, l’industrie du cinéma commence à voir d’un mauvais œil ce concurrent direct au 35 mm… Pour en revenir au versant « film noir » de cet Angel Guts, sachez que son cadre urbain ne fait rien pour adoucir les tourments de Nami. Dans des rues désertes et nocturnes, une ombre menaçante traque inlassablement la jeune femme; avec tout autour d’elle, des gratte-ciels qui la dévisagent et l’oppressent… La ville et la paranoïa qu’elle génère renvoient aux grandes heures du polar US des années 70/80 (Death Wish, Ms .45…). Même le shocker mythique de Lustig, Maniac, est convié lors d’une poursuite dans le métro s’achevant dans des chiottes peu accueillantes…

Malgré sa durée assez courte (un peu plus d’une heure au compteur), Angel Guts : Red Porno a pas mal de choses à dire. Notamment sur les angoisses, les frustrations et les simulacres du pays du soleil levant. Femme indépendante du Japon moderne des années 80 (elle a un boulot, un appart et n’est pas mariée), Nami constate que les mentalités masculines ne sont pas encore prêtes à accepter son penchant pour la volupté. Son image « volée » par une publication coquine, elle se retrouve à la merci des « lecteurs » et de leur concupiscence. Tandis que ces derniers se dissimulent derrière le papier glacé, les modèles se mettent à nu – au sens propre comme au figuré – et risquent leur réputation. Une situation délicate pour des nanas vilipendées par ceux qui jouissent d’elles ou divinisées par ceux qui ne le peuvent pas. Dans ce second cas de figure, on trouve un paumé complétement dingue de la Nami captive du mag « Red Porno ». Ikeda ne juge nullement ce mecton avant tout pathétique, va même jusqu’à en faire la victime du regard des autres et de la bêtise humaine. Mieux encore, le cinéaste conclut son Angel Guts comme une love story contrariée et à jamais gelée par l’amertume lors d’un ultime plan aux résonances tragiques… Ce romantisme désespéré n’aurait pas la même saveur sans la « femme aux seins percés » de Shôgorô Nishimura. À la fois belladone de la tristesse et orchidée sauvage, Jun Izumi plonge dans l’arène du vice avec la hardiesse des plus grandes. Une fleur secrète qui dompte la corde aussi bien que la reine du pinku SM : Naomi Tani (ficelée de partout et très « attachante » chez Konuma). Aussi renversante qu’un coucher de soleil au sommet du mont Fuji, l’ange Izumi n’a certainement pas à rougir de sa performance viscérale et capiteuse…

Tenshi no harawata : akai inga. De Toshiharu Ikeda. Japon. 1981. 1h07. Avec : Jun Izumi, Masahiko Abe, Kyoko Ito

TENDER FLESH : chair pour Jess Franco

Après des débuts placés sous le signe du gothique espagnol (L’Horrible Docteur Orlof, 1962), plusieurs collaborations avec de grands producteurs du cinoche populaire (Harry Alan Towers, Robert de Nesle) et une expérience plus ou moins heureuse avec les bisseux d’Eurociné (allant du sublime La Comtesse Noire au bien Z L’Abîme des morts-vivants), Jess Franco aborde la fin des 80’s et le début des 90’s de manière beaucoup plus discrète. Les tournages frénétiques s’espacent d’année en année et el cineasta semble subir de plein fouet la fin d’une époque (triste période que celle voyant la fermeture des salles de quartier, les unes après les autres…). Mais le gaillard n’a pas l’intention de prendre sa retraite (avec ou sans points) et cherche par tous les moyens de filmer, encore et toujours. Alors que les opportunités de financement se font de plus en plus rares en Europe, une structure indé américaine (One Shot Productions) est prête à lui filer un petit coup de main. L’occasion pour l’Oncle Jess de rompre avec les commandes du style Dark Mission (1988) et de ressentir des vibrations plus personnelles. Ce projet providentiel s’intitule Tender Flesh et permet à son auteur de revisiter Les Chasses du Comte Zaroff à la façon du Marquis de Sade (ce qu’il avait déjà fait avec La Comtesse Perverse en 1974, avec dans le rôle-titre une si cruelle, si désirable Alice Arno). Le script est bien rodé : Madame et Monsieur Radeck (Lina Romay en rabatteuse et Alain Petit en « cuisinier »), un couple vicelard et plein aux as, invitent la strip-teaseuse Paula (Amber Newman) à venir prendre du bon temps dans leur résidence insulaire. En compagnie de deux autres amants dépravés, la Baronne Irina (Monique Parent) et un certain Kallman (Aldo Sambrell), la convive ne se doute pas que ses hôtes sont en réalité des prédateurs adeptes de la chair humaine…

Avec ce tardif Tender Flesh (1997, tout de même), Jesús Franco Manera semble retrouver une seconde jeunesse et avec elle la ferveur artistique. Le making of présent sur la galette artusienne (et shooté avec son handycam Hi8 par Alain Petit himself) nous le montre en train de diriger ses comédiennes, de répéter avec elles, de s’allonger par terre pour cadrer un plan en contre-plongée, de préparer avec soin telle ou telle scène. Ces images sont d’autant plus précieuses qu’elles tordent le cou aux idées reçues selon lesquelles le sadique Baron Franco ne serait qu’un vulgaire tâcheron. Mieux encore, elles confirment que l’auteur de Venus in Furs a su traverser les époques (il est dans le métier depuis les fifties), s’adapter à une nouvelle équipe technique (essentiellement composée de vingtenaires, trentenaires dévoués) et rester fidèle à lui-même (jusqu’à son ultime péloche, il restera ce punk accro au 7ème art). Néanmoins, si Tender Flesh représente un tournant dans la filmo impressionnante du p’tit Jesús, c’est aussi parce qu’il est le dernier de ses opus à profiter encore de l’usage de la pellicule. Avouons, toutefois, que le format adopté pour l’occasion, le 16 mm, n’est pas des plus gracieux (formellement parlant, ça n’arrive pas à la cheville du 35 mm d’antan). Mais ces considérations esthétiques ne pèsent pas lourd face au grand retour des obsessions franquiennes. Et pour bien faire les choses, elles débutent carrément avec une citation tirée d’Ulysse de James Joyce : « God made food, the devil the cooks » (« Dieu a fait l’aliment, le diable l’assaisonnement »). Encore que la chair tendre se déguste ici au-delà du bien et du mal, avec la liberté de jouir jusqu’au crime. Chez el siniestro doctor Franco, le divin Marquis a toujours sa place à table (le premier a d’ailleurs souvent adapté les écrits du second)…

On retrouve dans Tender Flesh, ce qui caractérise le plus le réal aux mille pseudos et en a fait un maître de l’érotisme : une manière particulière de suspendre le temps afin de caresser avec les yeux le corps de ses nymphes. Sans oublier une certaine tendance à pousser le stupre vers des rivages insolites. Ce désir trouble s’assouvit, pour notre plus grande volupté, à travers de nombreuses fulgurances bien gratinées. Notamment, le numéro scénique d’une Amber Newman tripotant jusqu’à l’orgasme les phallus démesurés de deux pantins cauchemardesques (le tout éclairé façon Café Flesh). Ou la même recevant d’innombrables coups de fouet alors que des effets kaléidoscopiques contaminent l’écran (un écho aux supplices subis par l’incandescente Marie Liljedahl dans Les Inassouvies). À ces fantasmes baroques trahissant le penchant de Franco pour l’expérimentation et l’onirisme, il faut ajouter un morceau de bravoure comme on en voit peu. À savoir celui où la soubrette Furia (Analía Ivars) se soulage la vessie dans une poêle et en fait goûter le contenu au « masterchef » Alain Petit… Dans cette joyeuse atmosphère de débauche, la légendaire Lina Romay (dont le personnage se prénomme Gorgona, ça le fait !) ne démérite pas et prend visiblement son pied à jouer les chatouilleuses méphistophéliques. Devant l’œil lubrique de son éternel compagnon, la « Rolls-Royce Baby » dévoile son sexe brillant et déclame avec gourmandise quelques répliques croquignolettes (« Pour vous Seigneur, deux garces pour le prix d’une ! »).

Outre notre Lina adorée, l’autre brune piquante du film n’est autre que la susmentionnée Analía Ivars (un ex-membre de l’escadron des panthères mené par Sybil Danning). Impossible de ne pas être submergé par la sensualité de cette insatiable Furia. Cette flor de perversión promène sa langue sur tout ce qui bouge et même sur les talons en latex de la miss Gorgona… Dans les griffes des maniaques, la mimi Amber Newman (l’une des habituées des Sex Files) passe plutôt bien de la candeur à la lascivité même si sa compatriote Monique Parent paraît plus à l’aise dans cet enfer des plaisirs. Scream Queen au CV conséquent (cent cinquante titres dont l’Hollywood Night Péchés Capitaux avec Tanya Roberts et moult travaux pour des cadors du Bis comme Wynorski, Olen Ray ou DeCoteau), « Momo » se montre hautement convaincante en aristo désaxée (pour Franco, son charisme évident et sa blondeur glaciale la rapprocheraient d’une Maria Rohm). Des actrices avec un petit slip à fleurs (ou avec une culotte transparente) parmi lesquelles se délecte ce vieux canasson d’Aldo Sambrell (une gueule du western italien, mais pas seulement, vue chez Leone et Corbucci) et le collaborateur, ami et spécialiste du Jess, Mister Petit en personne (il faut le voir chanter son mythique « La vie est une merde » dans un autre effort de l’Espagnol fou : Lady Porno aka Midnight Party, 1976).

Dans ce Carne Fresca (le titre hispanique préfère la « chair fraîche »), Jesús Franco semble prendre conscience du culte qui l’entoure et insuffle à l’entreprise une dimension méta à laquelle les producteurs et fanboys de chez One Shot ne sont certainement pas étrangers (Orson Welles est évoqué au détour d’un dialogue, comme pour rappeler que le parcours de ce dernier a croisé un jour celui de Franco). Et dans ce même élan, le second degré s’invite lui aussi à la fiesta, tout spécialement durant la traque finale (des applaudissements et des rires de sitcom couvrent cette séquence supposément dramatique). Second degré bientôt rejoint par ce si chère (chair ?) humour noir (pour ne pas dire macabre) qui, pour sa part, relève la sauce d’un ultime plan bien corsé (les outrances du futur Hannibal de Sir Ridley ne sont pas loin). À travers l’enregistrement des ébats sulfureux par le cuistot anthropophage, le film interroge aussi le spectateur sur sa position de voyeur… Une sorte de mise en abyme, en somme.

En ce qui concerne les décors naturels offerts par la Costa del Sol, on peut dire qu’ils ont été exploités de façon fichtrement astucieuse (ou comment simuler une forêt subtropicale déserte… à quelques mètres de la circulation !). Mieux encore : sur une bande-son aussi inspirée que variée (orgue funèbre, vocalise mélancolique, rock et folk entraînants), ce sont encore une fois les femmes qui dominent le plus dangereux des jeux. À l’instar de Montserrat Prous, sacrifiée sur l’autel de la libido masculine dans Le Journal intime d’une nymphomane, les amazones de Tender Flesh savent de quoi sont capables les hommes. En conséquence de quoi, elles prennent les devants et inversent les rôles. Que l’on se souvienne également de la toute-puissante et sans pitié Shirley Eaton dans Sumuru, la cité sans hommes; de la sexorciste conquérante Pamela Stanford dans Les Possédées du diable; de Britt Nichols et Anne Libert, créatures de la nuit vivant pour l’extase, respectivement dans La Fille de Dracula et Les Expériences érotiques de Frankenstein. Longue vie à la chair !

Tender Flesh/Carne Fresca/Boccato di Cardinale. De Jess Franco. Espagne/États-Unis. 1997. 1h31. Avec : Amber Newman, Lina Romay, Monique Parent…

CRIMES DANS L’EXTASE (Jess Franco, 1971)

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Alors que le docteur Johnson mène des recherches peu orthodoxes sur les embryons humains tout en coulant une existence heureuse auprès de sa jeune épouse, il subit les critiques d’un comité médical qui rejette ses découvertes. Ayant perdu son travail, Johnson s’ouvre les veines, laissant une veuve d’abord éplorée, puis prompte à venger le suicide de son mari. Elle décide d’attirer dans son lit chacun des membres du comité avant de les assassiner… Source : arte.tv/fr

Crimes dans l’extase, un titre sadien qui en a connu d’autres : Lubriques dans l’extase, Elle tuait dans l’extase, She Killed in Ecstasy, Sie tötete in Ekstase. Mais quel que soit le blaze qu’on lui donne, c’est surtout une œuvre précieuse, adulée, culte pour tout francophage qui se respecte. Merci donc à la chaîne Arte d’avoir encore fait preuve d’ouverture culturelle en diffusant la bête lors d’une soirée dédiée à son producteur Artur Brauner. Sur le tournage de Sie tötete in Ekstase, ce dernier peut d’ailleurs s’estimer heureux en affaires. Pour pas un rond ni une seule journée de taf en plus (ou si peu), l’ami Jess ne lui livre pas un seul film mais deux (ou plutôt deux et demi, pour être précis). Capable de bosser plus vite que son ombre et de s’adapter à un budget de misère, Franco emballe Der Teufel kam aus Akasava avec l’équipe de Crimes dans l’extase. En parallèle, il trouve même le temps de s’atteler à Juliette de Sade dont le tournage est interrompu suite à la disparition soudaine de sa vedette, Soledad Miranda. Le 18 août 1970, sa carrière est stoppée net par un accident de la route survenu au Portugal. Elle n’avait que vingt-sept ans et encore beaucoup de rêves à réaliser. Ce sale coup du destin n’a pas empêché la jeune actrice de marquer les esprits et de laisser une empreinte indélébile sur le cinéma Bis. Dans cette relecture de l’histoire de Miss Muerte, Soledad Miranda joue les anges exterminateurs en dévoilant ses charmes et ses talents de comédienne. Sous une longue cape pourpre cachant une silhouette délicieuse et impudique, elle nous fait ressentir toute la souffrance de son personnage et exprime en voix off l’immense tristesse qui l’assaille. Les yeux de Soledad traduisent intensément cette perte inconsolable de l’être aimé, ce que Franco souligne à l’aide de gros plans sur le visage de sa muse. La Comtesse Carody de Vampyros Lesbos passe constamment de la veuve éplorée à la femme fatale, du deuil impossible à la punition libératrice, des larmes d’une épouse au sang du châtiment. Pour que justice soit faite, elle traque ses proies, les envoûte et se sert du sexe pour donner la mort. Puis le récit avance, plus la señora Miranda se transforme en une sorte de spectre assassin, ombre lascive et létale délivrant une sentence à laquelle ses victimes ne peuvent échapper (une réminiscence de la vénus à la fourrure sublimée par Maria Rohm, le plus beau rôle de cette blonde autrichienne qui s’est éteinte le 18 juin dernier). Bercé par un romantisme noir aux contours déviants (l’amour fou confine ici à la nécrophilie), She Killed in Ecstasy s’achève en apothéose sur un final tragique évoquant de façon prémonitoire le triste sort de son actrice principale. Pas de happy end à la con, donc. En revanche, la musique psychédélique de Manfred Hübler et Sigi Schwab contraste avec la violence des images et le désespoir de son héroïne. Si leur bande originale n’invite pas au spleen, elle apporte tout de même à l’ensemble un supplément d’étrangeté. Cet entraînant pas de côté connaît toutefois une petite pause avec la présence assez brève d’un morceau élégiaque plus en accord avec l’esprit du long-métrage. Un extrait que l’on doit certainement au grand Bruno Nicolai, le compositeur étant également crédité au générique. Les décors participent aussi à ce décalage tonal, Franco multipliant les plans larges sur un littoral espagnol ensoleillé (Alicante, ville portuaire située au bord de la Méditerranée). Mais là encore, en marge de ces panoramas touristiques, un élément discordant vient nous rappeler qu’on est pas là pour se taper un film de vacances. La demeure hors-norme de l’architecte Ricardo Bofill, château aux formes baroques trônant au sommet d’une falaise, correspond davantage à l’excentricité et à l’avant-gardisme de l’oncle Jess (on peut revoir la bâtisse dans La Comtesse perverse et les détails de la villa dans Plaisir à trois). L’extase est aussi à chercher du côté des interprètes fétiches du cinéaste ibérique. Outre la regrettée Soledad, les gueules patibulaires d’Howard Vernon et de Paul Müller – ainsi que la bobine beaucoup plus avenante de la suédoise Ewa Strömberg – assurent une bonne partie du spectacle. Le Jess Franco acteur se joint lui aussi à la fiesta et – derrière la caméra – n’oublie pas de livrer une mise en scène aussi libre que soignée (et moins portée sur le zoom que d’habitude). Quant à Horst Tappert, futur inspecteur Derrick, c’est à lui que revient l’honneur de résumer les terribles événements de Crimes dans l’extase : « c’est affreux mais quelle belle preuve d’amour ».

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Sie tötete in Ekstase. De Jess Franco. Allemagne/Espagne. 1971. 1h17. Avec : Soledad Miranda, Fred Williams et Ewa Strömberg. Maté à la téloche le 02/08/18.

SHOWGIRLS (Paul Verhoeven, 1995)

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Court vêtue et ultramaquillée, Nomi débarque à Las Vegas avec la rage de danser. Après s’être fait détrousser, cette jeune femme impulsive trouve une vraie amie en Molly, qui l’héberge dans son mobil-home. Habilleuse sur le show du casino Stardust, sa copine l’introduit dans les loges des danseuses. Nomi est fascinée. Pour l’instant strip-teaseuse dans un club miteux, elle ronge son frein. Cristal, la vedette du Stardust, qui a repéré sa plastique impeccable et son énergie de tigresse, se livre alors à un jeu pervers : un jour elle l’humilie, le suivant elle la fait auditionner. Bientôt, Nomi fait ses débuts en pleine lumière… Source : arte.tv/fr

Incompris et conspué à sa sortie, Showgirls est un film à réhabiliter d’urgence. L’amalgame récurrent opéré entre l’œuvre et ce qu’elle montre a encore porté préjudice à une œuvre visionnaire. Une fâcheuse manie à laquelle le réalisateur de bombes à fragmentation comme Spetters ou Starship Troopers est malheureusement habitué. Car Paul Verhoeven regarde l’humanité telle qu’elle est. Il ne se soucie guère d’une quelconque morale qui, parfois, a tendance à simplifier les choses en opposant deux camps bien distincts : le bien et le mal. Chez le cinéaste, les deux se confondent, voire s’annulent mutuellement. Alors qu’elle souhaite seulement prendre sa revanche sur une vie qui n’a pas toujours été tendre avec elle, Nomi se laisse peu à peu corrompre par Las Vegas et finit par se comporter comme une vraie garce. Le rêve américain a un prix et les places au soleil sont chères. Pour être célèbre et plein aux as, il faut accepter de perdre son âme. Devant la caméra du Batave, la ville du péché ressemble à un cloaque clinquant où le sexe est un produit comme un autre, un enfer de strass et de paillettes où la femme n’est qu’un objet asservi aux plaisirs masculins. Rares sont les cinéastes à avoir montré l’outrance et l’obscénité avec autant d’honnêteté et de radicalité. Avec Showgirls, Verhoeven met le nez de l’oncle Sam dans sa propre merde et lui renvoie sa laideur en pleine face. Mais il ne le fait pas sans son ironie coutumière : au détour d’un plan, une enseigne lumineuse annonce l’arrivée du petit Jésus (« Jesus is coming soon »). Comme quoi, au royaume du stupre, la religion a aussi sa place. Rien d’étonnant quand on pense au puritanisme d’une certaine Amérique qui prie par-devant et baise (et flingue) par-derrière. Baiser, dans le sens de s’envoyer en l’air et trahir son prochain. Car à Sin City, la duperie et l’ambivalence règnent en maître. Entre amitié et rivalité, attraction et répulsion, la relation entre la débutante Nomi et la star Cristal a un goût de venin. Une saveur viciée qui se retrouve dans les rapports entre les hommes de pouvoir, les suppôts du showbiz, les clients fortunés et ces nanas dansant à oilpé pour faire bander tout ce beau monde. Bien avant l’affaire Weinstein, le script de Joe Basic Instinct Eszterhas dévoile les abus sexuels perpétrés en coulisses par des fumiers influents. Quand ils n’incitent pas les femmes à se prostituer, ils les violent en toute impunité, n’hésitant pas à casquer pour étouffer leurs crimes. Franchement, c’est pas la classe à Vegas. Et pas davantage à Hollywood. Car, en filigrane, c’est aussi de la mecque du cinéma dont il s’agit ici, industrie qui – de la même manière – exploite les corps et brise les rêves. Le film ne se clôt-t-il pas sur un panneau directionnel annonçant Los Angeles dans tant de kilomètres ? On imagine alors Nomi tenter sa chance là-bas et surmonter encore et toujours les mêmes obstacles… Ironie du sort, Elizabeth Berkley a vu sa carrière tuée dans l’œuf suite à l’échec critique et commercial de Showgirls. Le film aurait dû la propulser sous les feux de la rampe, il la rendra tricarde auprès des studios. Une injustice qui montre bien le sexisme en vigueur dans un milieu bien plus vénal qu’artistique. Pourtant l’actrice n’a ici pas froid aux yeux et se démène comme une possédée (ses effeuillages au « Cheetah Club » embrasent les sens), ne cachant rien de son anatomie ni de son talent pour la comédie. Son jeu apporte pas mal de nuances à son personnage, une fille à l’âme fêlée mais au caractère bien trempé, une battante dotée d’une force intérieure qui l’a protégée du miroir aux alouettes, même si au passage elle s’est laissée berner par lui. Une performance à saluer, au même titre que ce film cru, frénétique et hautement corrosif. Maudit certes, mais surtout essentiel.

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Showgirls. De Paul Verhoeven. États-Unis. 1995. 2h11. Avec : Elizabeth Berkley, Gina Gershon et Kyle MacLachlan. Maté à la téloche le 22/01/18.

EROTICA (Brian Smedley-Aston, 1981)

BrigitteLahaie03FICHE TECHNIQUE Erotica (titre original : Paul Raymond’s Erotica). De Brian Smedley-Aston (l’un des photographes ayant bossé pour Paul Raymond). Royaume-Uni. 1981. 1h25. Avec : Brigitte Lahaie, Diana Cochran et Paul Raymond. Genre : érotique. Sortie dvd : 30/05/2007 (René Chateau vidéo). Maté en dvd le samedi 18 novembre 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? La belle et sensuelle Brigitte (Brigitte Lahaie) arrive à Londres, invitée par « Monsieur Sex » (Paul Raymond) pour enquêter sur les spectacles les plus « chauds » de la capitale anglaise. Elle rencontre Diana (Diana Cochran), photographe de charme du magazine « Escort », qui la fait pénétrer dans l’intimité des plus beaux mannequins londoniens, lui permettant d’assouvir tous ses désirs. Source : renechateauvideo.com

MON AVIS TÉLÉ Z Quelques temps après son ultime sarabande porno (Les Petites Écolières, 1980), Brigitte Lahaie entame une nouvelle carrière érotico-bis pleine de promesses. Si ses adieux au X gaulois coïncident avec la fin d’un âge d’or (la censure économique imposée par l’État est en train de tuer le genre, sans parler de l’arrivée d’un support vidéo qui s’apprête à le niveler par le bas), la blonde icône va pourtant continuer à embraser un cinoche plus soft mais tout aussi marquant. La preuve avec le bien nommé Erotica, « incontestablement le meilleur film érotique dans lequel Brigitte Lahaie ait tourné » selon Cédric GrandGuillot et Guillaume Le Disez, auteurs d’un bouquin définitif sur la belle, Les films de culte. Et vous savez quoi ? Les deux gus n’ont pas tort. Le concept en est même assez singulier puisque le long-métrage est conçu comme un faux documentaire où Brigitte interprète son propre rôle. Le doublage français fait même référence au père René Chateau, qui acquiert les droits d’exploitation d’Erotica en 1984 (modifiant au passage la version anglaise d’origine). La réalité et la fiction se mélangent alors, la voix off de l’héroïne évoquant le tournage de Joy et Joan (1985). Mais le but de l’entreprise est tout autre : faire la promotion du businessman Paul Raymond, propriétaire de strip club à Londres et de quelques magazines cochons tels que Men Only ou Escort. Ce qui explique que l’ensemble soit régulièrement ponctué par de jolis numéros d’effeuillage shootés au « Raymond Revuebar ». Dans des costumes et des décors variés, ces parenthèses déshabillées sont agrémentées d’un jeu de lumière soigné et font la part belle à des modèles habités par une frénésie digne des futures Showgirls de Verhoeven (avec moins de moyens toutefois, on n’est pas à Vegas). De plus, l’utilisation d’un champ-contrechamp entre la scène et le public installe d’emblée le spectateur en position de voyeur. Ne sommes-nous pas là pour nous rincer l’œil ? Entre deux danses à oilpé, nous retrouvons la reporter Brigitte en pleine découverte de cette empire du divertissement pour adultes. Interviews et séances photos se finissent systématiquement par une partie de jambes en l’air, la succube du Fascination de Jean Rollin baisant quand elle veut, où elle veut et avec qui elle veut. Avec un mec à l’arrière d’une Rolls Royce (Lahaie frotte ses seins arrosés de champagne contre les genoux de son partenaire lors d’un 69 endiablé),  une secrétaire au beau milieu d’une salle de rédaction (la caméra en devient folle et tourne presque sur elle-même), un ouvrier d’abattoir dans un camion réfrigéré contenant encore de la barbaque (l’actrice française s’y livre à de réelles acrobaties et fait monter la température), le conducteur d’un yacht naviguant sur la Tamise (au risque de causer un accident fluvial !). Et même avec sa douce mimine  lors d’une masturbation motivée par la présence d’un couple s’ébattant dans un sauna (l’occasion de voir un « robinet d’amour » en érection, une première dans l’histoire du cinoche britannique). La générosité de ce spectacle affriolant et festif constitue un fil narratif un peu maigre, certes. Mais peu importe. Parfois, mieux vaut une succession de scènes chaudes emballées avec goût et inspiration qu’une intrigue superficielle venant gâcher notre plaisir. Car au fur et à mesure du visionnage, Erotica diffuse un charme hypnotique certain. Sa structure répétitive enchaîne les séances de striptease et les exploits charnels de sa protagoniste, le tout sur une musique disco entraînante, voire addictive. Et puis le film de Brian Smedley-Aston ne serait pas le même sans l’inestimable contribution de Brigitte Lahaie. Sa beauté – conquérante, impériale, divine – déchaîne les sens. Ses vibrations sexuelles atteignent le spectateur qui ne demande qu’à traverser l’écran pour s’abandonner à la suprême jouissance. Sur son corps se lisent les plaisirs les plus fous. Insatiable, libre et gourmande, cette femme est possédée par le diable rose. Sa devise : jouir jusqu’au délire. Par un effet de montage, à la toute fin d’Erotica, Brigitte Lucie Jeanine Vanmeerhaeghe prend la place des girls de Paul Raymond et se mue en ce fantasme absolu, éternel et mythique qui – aujourd’hui encore – nous accompagne jusqu’au bout de nos rêves. 5/6

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Une photo de Francis « Emmanuelle 2 » Giacobetti visible sur la jaquette du dvd René Chateau, mais étrangère au film Erotica.

DADDY, DARLING (Joe Sarno, 1970)

sans-titreFICHE TECHNIQUE Daddy, Darling. De Joe Sarno. États-Unis/Danemark. 1970. 1h31. Avec : Helli Louise, Ole Wisborg et Gio Petré (rien à voir avec feu Alain Gillot-Pétré). Genre : érotique. Sortie dvd : 02/09/2014 (Arte éditions). Maté en dvd le samedi 28 octobre 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Katja (Helli Louise) vit seule avec son père veuf. Ils ont une profonde affection l’un pour l’autre. Lorsque son père se remarie, la vie idyllique de Katja vole en éclats. Se sentant rejetée, elle trouve d’abord refuge dans un atelier auprès d’une artiste. Puis dans les bras d’un jeune homme du quartier. Mais l’extase se transforme en cauchemar lorsque Katja surprend son père et sa belle-mère au lit. Choquée, elle se précipite à l’atelier d’art où elle découvre que sa professeure entretient une relation sexuelle avec son modèle, Tanja. Abandonnée par tous ceux qui lui sont chers, Katja projette de regagner l’attention de son père en jetant le déshonneur sur sa belle-mère. Comment va-t-elle s’y prendre, et surtout, jusqu’où ira-t-elle ? Source : boutique.arte.tv

MON AVIS TÉLÉ Z Le sujet de Daddy, Darling est ô combien délicat puisqu’il aborde un désir tabou, celui d’une jeune femme de 19 ans pour son père. Très vite, l’amour filial cède la place à des pulsions plus inavouables. Les bisous ne sont plus si innocents que ça. Les petites attentions en cachent des plus vilaines. En France, le film est sorti sous le titre de Caresses interdites, ce qui donne une idée du caractère sulfureux de l’entreprise. Joe Sarno illustre même les fantasmes de Katja lors d’une séquence onirique où le clair-obscur permet intelligemment de dissimuler l’identité du partenaire masculin. Car si le climat incestueux déconcerte rapidement le spectateur, cet amour illicite n’est jamais réciproque, encore moins consommé et se heurte constamment à l’embarras du padre (Ole Wisborg et ses faux airs d’Udo Kier). Rien de scabreux là-dedans, la morale est sauve. D’autant plus que le réalisateur se montre subtil dans l’exploration des tourments sentimentalo-sexuels de son héroïne. L’érotisme n’est ici jamais une fin en soi, il permet seulement d’aborder la psyché d’une nana en proie au doute, en manque de repères. Avec un pied dans l’enfance et un autre dans l’âge adulte, Katja est paumée et ne sait pas où elle va. En s’attachant un peu trop à son géniteur, elle trahit sa peur de grandir et d’affronter sa propre intimité. Daddy, Darling suit donc le parcours initiatique d’une lolita à la recherche d’elle-même. Sarno ne s’attarde pas seulement sur les expériences charnelles de sa protagoniste (et ce malgré les courbes affolantes d’Helli Louise), il met surtout en lumière les sentiments de celle-ci, souvent contradictoires et douloureux, et semble même compatir à son errance existentielle. La vie de Katja ressemble alors à un spleen (non pas de Paris, mais du Danemark où le long-métrage a été tourné), état mélancolique qui l’amène à se balader seule au bord de l’eau, l’esprit assailli par des images la plongeant dans la confusion la plus totale. Comme à son habitude, l’auteur du génial Le château des messes noires (dispo en dvd chez Artus Films) s’intéresse davantage au point de vue des femmes qu’à celui des hommes. Sarno admet même la supériorité des premières sur les seconds en matière de plaisir des sens. Car, comme le prouve le cunni administré à notre nymphette par une amante de passage, seules les femmes savent faire du bien aux femmes. Ce qui n’empêche pas Katja de s’effeuiller dans la pénombre de sa chambre devant un gars de son âge (les éclairages sont dus au chef op’ Mikael Salomon, qui fera carrière à Hollywood dès la fin des 80’s et passera même à la mise en scène). Un joli strip rythmé par des tam-tams envoûtants. La bande originale du film – tour à tour entraînante et désenchantée – n’est d’ailleurs pas désagréable aux oreilles (on a même le droit à un petit morceau façon Beatles, mais en plus cheapos). Visuellement, outre la lumière, Joe Sarno se sert également du montage pour se livrer à quelques expérimentations (cf. les arrêts sur images du générique d’ouverture et les flashforwards du rendez-vous avec Lars). Voilà qui rattrape l’aspect roman-photo de certains passages un peu longuets. Daddy, Darling est plus convaincant lorsqu’il scrute la libido contrariée d’Helli Louise que lorsqu’il relate la vie de famille, même si celle-ci n’a rien de modèle. Au final, pas le meilleur Sarno mais un bon Sarno tout de même. 4/6

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Helli Louise, profil tentateur pour liaison dangereuse.

ALL THE SINS OF SODOM (Joe Sarno, 1968)

05FICHE TECHNIQUE All the sins of sodom. De Joe Sarno (1921-2010). États-Unis. 1968. 1h23. Avec : Dan Machuen, Sue Akers et Maria Lease. Genre : érotique. Sortie dvd : 02/09/2014 (Arte éditions). Maté en dvd le jeudi 24 août 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Henning (Dan Machuen) est un photographe de mode animé par des rêves de gloire artistique. Il est encouragé par son agent littéraire qui l’incite à réaliser un album de nus érotiques. Il travaille donc avec son modèle fétiche, Leslie (Maria Lease), pour créer la composition parfaite. Tout semble aller pour le mieux, jusqu’à l’arrivée d’une mystérieuse jeune femme, Joyce (Sue Akers). Sombre, sensuelle et manipulatrice, Joyce joue avec l’égo du photographe, semant la discorde entre lui et Leslie tout en séduisant l’un de ses autres modèles. Aveuglé par son ambition, Henning ne voit pas la toile funeste que Joyce est en train de tisser autour de lui… Source : boutique.arte.tv

MON AVIS TÉLÉ Z Une petite rareté des 60’s signée Joe Sarno (ou Joseph W. Sarno), l’un des grands maîtres de la sexploitation. Avec All the sins of Sodom, il traite du cas d’un photographe obsédé par son art et par la quête de l’absolu. Le dénommé Henning veut immortaliser les plaisirs de Sodome dans le regard de ses modèles. En faire jaillir le désir, le péché, l’abandon. À force de vouloir capturer le diable dans une boîte à image, celui-ci ne tarde pas à pointer le bout de son nez. C’est là que Joyce apparaît, une troublante autant qu’énigmatique nymphette. La seule nana suffisamment perverse pour offrir à Henning ce qu’il cherche obstinément : l’enfer et l’extase sur pellicule. Bien entendu, ce cadeau a un prix. Le pauvre hère l’apprend à ses dépens lors d’une conclusion désespérée… Nous ne sommes pas dans un thriller et pourtant, Joyce a tout de la femme fatale. Elle avance masquée et tend inexorablement un piège au héros qui ne voit jamais le danger venir (contrairement à son entourage féminin, plus perspicace que lui). Obnubilé par ses photos, il néglige la réalité qui l’entoure et finit par se faire joliment baiser. Le genre de perdant que l’on pourrait croiser dans un roman noir de Jim Thompson… Dans All the sins of Sodom, les femmes dominent l’objectif et domptent l’écran. Leur sexualité, tantôt langoureuse tantôt agressive, ne fait qu’une seule bouchée du mâle Henning. Le bonhomme se met d’ailleurs littéralement aux pieds de ses mannequins quand il manipule son appareil. Sans qu’il ne s’en rende compte, le photographe est un homme soumis. Soumis à la beauté des femmes dont il a bien du mal à saisir l’essence. Ce que le cinéaste Sarno parvient à faire en montrant les effets de l’orgasme féminin sur des visages transcendés par la jouissance (une constante dans l’œuvre du monsieur). Pour cela, le réalisateur d’Abigail Lesley is back in town (dans lequel apparaît le regretté Sonny Predator Landham, disparu le 17 août dernier) cadre les unions charnelles de la tête à la taille, sans se soucier de ce qui se passe en dessous de la ceinture (du moins au niveau de la prise de vue). Même dans la plus stricte intimité, les individus gardent leur identité et ne se réduisent pas à de simples corps en mouvement. En 1968, le porno n’a pas encore envahi les salles et, pour le moment, c’est l’érotisme qui fixe les limites. Ce qui n’empêche pas l’ami Joe de filmer la libido de ses personnages comme il l’entend, c’est-à-dire sans jamais dénaturer ses idées de mise en scène. Car il y a dans cet All the sins of Sodom un peu de Nouvelle Vague et de Bergman, mais en version grindhouse. Le caractère indépendant – pour ne pas dire sans-le-sou – de l’entreprise est trahi par son décor quasi unique, un studio photo à l’exiguïté étouffante. Les mouvements de caméra et les plans d’ensemble sont rares, le découpage se compose essentiellement de plans fixes montés cut. Du coup, le spectateur a un peu de mal à imaginer la topographie des lieux. Du cinoche bricolé avec les moyens du bord mais sulfureux dans son propos, à l’image de la lolita Sue Akers. Avec ses faux airs de Raquel Welch jeune, l’interprète de Joyce surpasse le reste du casting. Lascive à souhait, elle apporte une bonne dose d’ambiguïté à la sensualité qui se dégage de sa simple présence. Une irrésistible tentatrice, pivot d’un drame intimiste sur l’intime et les affres de la création. All the sins of Sodom n’est peut-être pas la plus aboutie des œuvres de Joe Sarno (il faut absolument (re)voir ses films avec les merveilleuses Marie Liljedahl, Christina Lindberg, Marie Forså et Mary Mendum) mais il mérite que l’on découvre son esthétique noire et rose, ainsi que sa chair en clair-obscur. 4/6

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Une singulière partie à trois qui ne peut que mal se finir. Comme toutes les parties à trois. Surtout les singulières.