LAURIN : nous serons réunis là où la mort n’existe pas

Allemagne, 1901. Une nuit dans un village de pêcheurs. La petite Laurin (Dóra Szinetár) aperçoit à sa fenêtre un môme en train de se faire enlever. Sur un pont, Flora Andersen (Brigitte Karner) – la mère de la gamine – fait une mauvaise rencontre : le kidnappeur avec, à ses pieds, le corps inerte dudit môme… Le lendemain, la dépouille de Flora gît au bord de l’eau. Son marin de père parti pour un long voyage, Laurin ne vit désormais plus qu’avec sa grand-mère. Bientôt, c’est un autre gosse qui disparaît sans laisser de traces… Et si la fillette était la prochaine sur la liste de ce tueur d’enfants ?

Premier long-métrage de Robert Sigl, Laurin constitue également son unique offrande destinée au grand écran (du moins pour le moment). Pourtant, le CV du bonhomme n’a rien de rachitique. Des péloches super 8 au lycée (le format idéal pour se faire la main, demandez à Spielberg), deux courts à l’école de cinéma de Munich (Die Hütte et Der Weihnachtsbaum, 1981/1983), plusieurs épisodes de série TV (pour le space opera Lexx, notamment), deux slashers (les School’s Out, 1999/2001) et de l’horreur occulte (The Village, 2010) pour la petite lucarne… Mais un seul effort a suffi à Sigl pour mériter notre respect éternel : Laurin. En toute logique, une telle réussite aurait dû faire de son auteur un maître du fantastique européen de la fin des 80’s (à l’instar d’un Michele Soavi en Italie). Malheureusement, et malgré une récompense au Bavarian Film Awards, l’œuvre du Teuton a été très mal distribuée, voire carrément ignorée par des exploitants que l’imaginaire révulse. À tel point qu’elle finit par échouer avec son réalisateur dans les limbes du cinématographe… En 2017, l’éditeur allemand Bildstörung déterre le trésor caché de Sigl et le ressuscite via un blu-ray à la hauteur de l’événement. Chez nous, Le Chat qui Fume s’est récemment chargé d’offrir plus de visibilité à ce petit miracle pelliculé, faisant ainsi miauler de plaisir les cinéphages français avides de (belles) découvertes…

À seulement vingt-cinq berges, Robert Sigl part avec quelques deutschemarks en poche pour tourner Laurin en Hongrie (et faire ainsi des économies). Sur place, il recrute des acteurs locaux et les fait jouer en anglais (pour faciliter l’exportation du film). Ces contraintes commerciales, le cinéaste va les transformer en atouts. Les Magyars lui offrent le plus évocateur des cadres gothiques à travers des décors naturels saisissants (un château en ruine jouxtant un vieux cimetière au-dessus duquel semble flotter l’âme des défunts). Le ciel, la mer et la forêt – écrasantes et infinies – n’offrent qu’un horizon chimérique aux individus, panoramas tumultueux et mélancoliques échappés des toiles de John Constable et Caspar David Friedrich… Dévoués et professionnels, les comédiens du cru apportent eux aussi une authenticité supplémentaire, à commencer par la très douée Dóra Szinetár (son regard laisse deviner ce qu’il faut d’ambivalence pour trahir son attirance pour les ombres).

La contribution du directeur de la photographie Nyika Jancsó (fils du réalisateur Miklós Jancsó) contribue également à stimuler la créativité de Sigl. Le chef opérateur éclaire Laurin comme un peintre baroque du siècle d’or néerlandais (comme avant lui Jan de Bont sur le magnifique Katie Tippel de Verhoeven), sans toutefois s’interdire l’emploi de couleurs plus agressives et contrastées (impossible de ne pas penser à Mario Bava et Dario Argento, même si Robert Sigl nie avoir été influencé par les maestros). Cette esthétique se montre par ailleurs attentive aux aspérités les plus étranges et poétiques. La preuve avec cette brume sépulcrale et cafardeuse qui nimbe en permanence le bled germanique au centre du récit. Une vue qui, à elle seule, fait basculer l’ensemble dans un cauchemar aussi envoûtant que les yeux d’Isabelle Adjani dans le Nosferatu d’Herzog…

Film d’atmosphère aux images somptueuses, Laurin dispense sa virtuosité de manière discrète. Suivant les pas du Jack Clayton des Innocents et du Charles Laughton de La Nuit du chasseur, Sigl adopte un classicisme maîtrisé et privilégie la suggestion contrôlée. Diffuser son génie sans avoir besoin d’en faire des tonnes s’avère autant une preuve de talent que de maturité. Et c’est encore plus vrai lorsque l’inspiration ne provient pas seulement des références cinéphiliques mais aussi des souvenirs plus persos. Une enfance marquée par le deuil (le réalisateur a été traumatisé par le décès de sa grand-mère et de sa tante) et une vision obsédante (une jeune femme enceinte traversant un cimetière par une nuit de tempête) ont également nourri l’univers tourmenté de Laurin.

Une part intime qui, à l’écran, prend la forme d’un conte sans fées mais avec un grand méchant loup (un assassin s’attaquant aux marmots) et une enfant en danger, orpheline de mère (celle-ci avait pour nom de famille Andersen et portait une cape de grand chaperon noir), abandonnée par son père et confiée à sa mère-grand (ça ne vous rappelle rien ?). Bien avant Guillermo del Toro, Robert Sigl injecte du merveilleux dans l’horreur, confronte son héroïne prépubère à la mort et lui arrache toute innocence. Âpre et romantique, ce récit initiatique incite Laurin à plonger dans les ténèbres. Ou plus précisément, à satisfaire sa curiosité en menant sa propre enquête, quitte à risquer sa peau. Témoin malgré elle d’un meurtre et en proie à d’effrayantes hallucinations, la petite se rapproche inexorablement d’un psycho killer à l’identité secrète et au passé violent. Un canevas giallesque pour un film qui partage aussi avec le genre sa propension à dépeindre un microcosme vicié jusqu’à l’asphyxie, repaire de fanatiques et de bourreaux en puissance (confier l’éducation de nos chères têtes blondes à des tortionnaires bigots ne donne jamais de bons résultats…).

Jadis englouti dans les tréfonds de l’oubli, Laurin remonte aujourd’hui à la surface. À nous maintenant de célébrer la réapparition de cet Atlantide du 7ème art made in Germany.

Laurin. De Robert Sigl. Allemagne/Hongrie. 1989. 1h24. Avec : Dóra Szinetár, Brigitte Karner, Károly Eperjes…

AU SERVICE DU DIABLE : the flesh and the devil

Tourné en 1971 sous le titre de La plus longue nuit du diable, le film de Jean Brismée devient Au service du diable lorsqu’il sort chez nous en 1974. Et ce n’est pas tout. Histoire de surfer sur la vague polissonne des 70’s, il se fait même nommer Le Château du vice. Pour sa reprise au Brady en 1979, on l’appelle cette fois-ci non pas Trinita mais La Nuit des pétrifiés (même identité sur support VHS). Autre particularité : cette péloche appartient à la catégorie « fantastique belge » (« belgo-italien » pour être précis, mais on ne va pas chipoter), une terra quasi incognita sur laquelle seul Harry Kümel (Les Lèvres rouges, Malpertuis) semble régner. Pourtant, Au service du diable n’a pas échoué à donner un peu de relief au plat pays en s’exportant dans le monde entier (pour lui souhaiter la bienvenue, les States le baptisent The Devil walks at midnight ou The Devil’s nightmare). Singularité supplémentaire : la diablerie en question constitue l’unique long-métrage de fiction mis en scène par le sieur Brismée. Ancien prof de math et de physique (« 666 est le nombre de la Bête » répétait-il à ses élèves), cofondateur en 1962 de l’Institut national supérieur des arts du spectacle (situé à Bruxelles, non loin du lieu de naissance d’Annie Cordy), l’instit à la caméra s’est surtout spécialisé dans le documentaire historico-scientifique à destination de la petite lucarne… Du didactisme au Bis, il n’y a donc qu’un pas. Surtout pour celui qui ose se frotter à de nouvelles expériences. Avec cette parenthèse exceptionnelle, Jean Brismée n’a pas seulement relevé un défi, il a su apporter sa pierre à l’édifice de l’imaginaire zazou européen. Ce qui reste tout de même plutôt cool, comme l’aurait si bien dit l’Erika du même nom.

Bien après les débuts du gothique à l’italienne (Les Vampires, 1957), à l’anglaise (Frankenstein s’est échappé, 1957), à l’américaine (La Chute de la maison Usher, 1960) et à l’espagnol (L’Horrible docteur Orloff, 1962), Au service du diable replonge l’épouvante dans les ténèbres d’un château sinistre où les terreurs les plus profondes côtoient les désirs les plus secrets. Depuis plusieurs générations, une effroyable malédiction s’abat sur les von Rhoneberg : chaque fille de la famille est appelée à devenir un succube, conséquence d’un vieux pacte passé avec le Malin. Alors que les alliés bombardent Berlin en 1945, le Baron (Jean Servais) – officier de la Wehrmacht – est justement le malheureux papa d’une gamine venant de naître. Afin de stopper le cycle infernal, ce dernier n’a pas d’autre choix que de tuer son enfant… Vingt-cinq ans plus tard, un minibus de tourisme se paume dans la Forêt-Noire. Ses passagers demandent alors l’hospitalité au châtelain des environs : le Baron von Rhoneberg. Ce soir-là, une étrange et troublante invitée en profite pour se joindre à eux en la personne d’Hilse Müller (Erika Blanc). La plus longue nuit du diable peut alors commencer… Un pitch classique, de ceux qui s’inscrivent dans la grande tradition du genre et s’adressent directement aux connaisseurs. Si vous aimez vous balader dans les manoirs maudits et les cimetières brumeux, vous saurez apprécier le point de vue offert par le donjon du Lord Brismée. Et puisque les années 70 viennent de commencer, la formule ne reste pas figée sur ses conventions : elle se lâche un peu plus, s’encanaille quelque peu, s’autorise davantage de folie. Plus de sang, plus de bagatelle, plus d’audace. Du goth licencieux, en somme.

Dans Au service du diable, les plaisirs occultes ne manquent pas. Auteur du script original, Patrice Rondard alias Patrice Rhomm a veillé à ce que sa marque noire transparaisse à l’écran. Prévu au départ pour réaliser le long-métrage sous la supervision d’André Hunebelle (« Je t’aurai, Fantômas ! »), le romancier/scénariste/cinéaste aux mille pseudos (vous en voulez d’autres ? Homer Bingo, Mark Stern…) y mêle déjà certains de ses thèmes fétiches (et fétichistes). Démone aguichante et nazisme décadent traversent pratiquement toute l’œuvre érotico-barrée du réalisateur Patrice (voir son cul-tissime Draguse ou le manoir infernal ou son croquignolet Elsa Fräulein SS). Mais c’est encore avec Le Bijou d’amour (1978) que notre sarabande satanique entretient – sur le papier – le plus de similitudes. Dans ces parties fines embrasées par ce diable rose de Brigitte Lahaie, il est aussi question de succubes et de… sept péchés capitaux ! Car, figurez-vous, chez ce satané Brismée, on se la joue Seven avant l’heure (toute proportion gardée, bien entendu) ! Les convives du Baron von Rhoneberg ont tous un vice plus ou moins caché : le chauffeur se goinfre comme Choco dans Les Goonies (la gourmandise), le vieux rouspète sans arrêt et s’emporte facilement (la colère), le beau gosse trompe sa bourgeoise avec une nympho (la luxure)… Je ne vais pas tous vous les faire, mais sachez que chacun périra à cause de ses travers. Sans verser dans la satire, le film s’amuse toutefois à souligner les défauts de ces infortunés afin de mieux les enfermer dans un piège inextricable. Le jeu de massacre n’en est que plus exquis, à l’instar des cadavres qui s’accumulent…

Dans ses meilleurs jours (et surtout ses plus belles nuits), le cinoche d’exploitation est un cinoche qui tente des choses, bricolage poétique accouchant de concepts aussi dingues qu’inspirés. L’infanticide du prologue historique d’Au service du diable est emballé d’une façon inédite. Un poignard (à lame rétractable, je vous rassure) plante un vrai bébé à travers sa couverture, le tout en un seul plan (sans la suggestion du hors-champ ou de coupe au montage, l’effet est beaucoup plus saisissant). La présence, dans les greniers du château, d’une vierge de Nuremberg et d’une guillotine (toutes deux ne restent pas inactives bien longtemps) permet également de marquer les esprits. Sans oublier cette crypte transformée en labo de savant fou. Un travail signé Jio Berk, le décorateur de Jean Rollin sur La Vampire nue et Les Démoniaques. Fulgurante est aussi la (diabolus in) musica d’Alessandro Alessandroni. Guitariste et siffleur de Morricone sur la trilogie des Dollars, joueur de sitar pour Bruno Nicolai sur Toutes les couleurs du vice, le compositeur de Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle cisèle pour l’occasion une partition mémorable. Le thème – avec son intro au clavecin annonçant l’un des passages du Fog de Carpenter, son envoûtante voix féminine appartenant à Giulia De Mutiis, ses envolées pop et sensuelles – mérite d’être écouté, encore et encore. La mélodie adéquate pour une danse macabre avec de véritables gueules de 7ème art. Celle de l’illustre Jean Servais, Baron austère que la fatalité écrase. De l’intimidant Maurice De Groote, majordome froid et sardonique. De l’hilarant Lucien Raimbourg, barbon râleur et casse-bonbons. Et surtout celle de l’impressionnant Daniel Emilfork, silhouette sépulcrale au magnétisme luciférien.

Les occupantes de ce palais hanté ne sont pas en reste, à commencer par Shirley Corrigan. Pétillante comme une bulle de champagne dans Le Tour du monde de Fanny Hill (Mac Ahlberg, 1974), la délicieuse blonde se livre au saphisme dans les bras d’Ivana Novak; et se fait caresser le bras par un python dans les bras de Morphée. Mais pour connaître l’extase ultime, il faut laisser la diablesse Erika Blanc posséder votre âme. Ses yeux d’un azur intense nous jettent un sort auquel on ne peut résister (ce n’est pas un hasard si un gros plan de sa bobine accompagne son entrée dans le film). Le décolleté et le ventre apparent de sa longue robe noire (convertie en maillot une pièce pour appâter un jeune séminariste) agissent sur nous tel un sortilège à l’emprise irrésistible. L’appel de la chair lancé par la tentatrice Madame Blanc relie la damnation éternelle à la jouissance infinie. De son vrai nom Enrica Bianchi Colombatto, l’actrice italienne joue aussi avec les traits de son visage (tour à tour crispé, enragé, affligé) pour exprimer sa part de monstruosité. Au-delà des mimiques convulsives, elle n’hésite pas à s’enlaidir via un maquillage spectral dû à Duilio Giustini (c’est lui qui défigure Barbara Steele dans Les Amants d’outre-tombe). Pas de doute, la belle est la bête. Faut dire que la si douce Monica d’Opération peur et la si perverse Lillian de La Vengeance de Lady Morgan excelle dans les rôles doubles, troubles, ambigus. Fascinante et hypnotique, notre « soleil de glace » (De profundis clamavi, Baudelaire) se révèle également surprenante d’ambivalence dans Amour et mort dans le jardin des dieux, ode giallesque à la passion destructrice. Dans les derniers instants d’Au service du diable, Erika Blanc fait triompher le romantisme le plus noir. Ô prêtresse Erika, ne nous délivrez pas du Mal…

Au service du diable. De Jean Brismée. Belgique/Italie. 1971. 1h35. Avec : Erika Blanc, Daniel Emilfork, Shirley Corrigan

« Les succubes se manifestent de préférence la nuit. Elles usent de leurs charmes lascifs pour séduire les ermites par la vision de leur impudique nudité… Vous me trouvez lascive ? Impudique ? Et si je me mettais nue devant vous, vous penseriez que je suis un succube ? »

Erika Blanc, Au service du diable

TRAUMA : le secret derrière la porte

Tout d’abord, un constat : Trauma fait partie des grands sacrifiés du fantastique. Chez nous, il a été ignoré par les salles de cinéma (Giscard lui-même ne s’en est jamais remis), exposé dans les vidéo-clubs comme un B lambda (mais avec un visuel signé Melki) et flanqué d’un dvd « pirate » bien dégueulasse (1 € chez Auchan, 1 !). Lors de sa sortie aux States en 1976, le film de Dan Curtis n’est pas accueilli avec davantage d’enthousiasme par le public local. Pour le consoler, on lui refile quelques Saturn Awards, l’élan solidaire s’étendant même jusqu’en Espagne où le festoche de Sitges lui décerne d’autres récompenses. Aujourd’hui, une édition digne de ce nom a enfin vu le jour au pays de Rosy Varte. Il s’agit bien entendu du combo dvd/blu-ray conçu avec tendresse et passion par Rimini (avec en prime, l’indispensable livret signé Marc Toullec). C’est donc le moment idéal pour découvrir dans de bonnes conditions ce Burnt Offerings (en VO) et pour le hisser à la place qu’il mérite, c’est-à-dire au panthéon des classiques modernes de l’épouvante. Rien que ça.

Marian Rolf (Karen Black, déjà dans La Poupée de la terreur du même Curtis) et Ben Rolf (Oliver Reed, entre Les Diables et Chromosome 3), ainsi que leur rejeton David (Lee Montgomery, ami des rats dans Ben), visitent une demeure victorienne dans l’espoir d’y passer leurs vacances d’été. Quelque peu délabré, l’édifice n’en est pas moins immense et possède à coup sûr le charme de l’ancien. Les proprios des lieux, Roz Allardyce (Eileen Heckart, barmaid dans Le Maître de guerre) et son frangin Arnold (Burgess Meredith, la même année que Rocky), acceptent de louer leur baraque à un prix très attractif. Seule condition : cohabiter avec maman Allardyce et lui monter tous les jours son plateau repas. La vieille dame, paraît-il très discrète, ne sort jamais de sa chambre située sous les combles… Si Ben ne le sent pas trop, Marian, elle, est plutôt conquise… Les Rolf débarquent alors dans leur résidence estivale en compagnie de tante Elizabeth (Bette Davis, quatre avant Les Yeux de la forêt). Sur place, Marian s’occupe de l’énigmatique dame du grenier en laissant de quoi becter devant une porte toujours close. Mais que se passe-t-il quand la maison de vos rêves devient celle de vos pires cauchemars ?

Le saviez-vous ? Les droits d’adaptation du roman The Hoods de Harry Grey appartenaient au départ à Dan Curtis. Ce qui, à l’époque, avait bien foutu dans la mouise un certain Sergio Leone, grand amoureux de cette histoire de gangsters new-yorkais. L’un des collaborateurs du maestro, le producteur Alberto Grimaldi, propose alors un deal à Curtis : l’échange desdits droits contre le financement du projet de son choix. Ainsi naquirent Burnt Offerings et… Il était une fois en Amérique, l’ultime monument de Leone. Comme le second, le premier trouve lui aussi son inspiration dans un livre : Notre vénérée chérie de Robert Marasco (1973). De l’horreur subtile et prenante qui n’a pas non plus laissé indifférent Stephen King. Dans la logique des choses, on ne sera donc pas étonné de trouver des similitudes entre Trauma et le Shining de Stanley Kubrick. L’auteur de Marche ou crève a-t-il pensé à Notre vénérée chérie lorsqu’il a rédigé les tourments de l’enfant lumière ? Le réalisateur de Lolita s’est-il souvenu du film de Curtis lorsqu’il a shooté les spectres de l’Overlook ? Peut-être.

Non pas que Burnt Offerings puisse rivaliser avec la puissance formelle du Shining de 1980. Cela dit, les deux œuvres ont indubitablement quelques idées visuelles et narratives en commun. Notamment une intro (on découvre les Rolf dans leur bagnole, direction la maison du diable) et une conclusion identique (je n’en dis pas plus), sans parler de cette scène où Oliver Reed s’en prend inexplicablement à son fiston en tentant de le noyer dans la piscine. Tout comme les Torrance, la famille de Trauma subit l’influence néfaste de son foyer et voit ses liens se désagréger (les résidents malchanceux de The Amityville Horror en savent également quelque chose). Mais là où Dan Curtis fait preuve d’originalité, c’est dans le caractère inédit de sa demeure maudite. Pas de fantôme ou de démon ici, seulement une « maison de chair » (comme dans le bouquin de Masterton), un être vivant se nourrissant des malheurs de ses occupants (les fleurs de la serre en reprennent des couleurs), une entité malveillante muant tel un animal (elle se régénère façon Christine, la possessive Plymouth Fury de King et Carpenter). Un véritable problème lorsqu’il faut rester confiné chez soi…

Si, d’une certaine façon, Burnt Offerings annonce Shining, il s’inscrit surtout dans la lignée de The Haunting de Robert Wise. Refusant l’artillerie lourde du film de trouille, Curtis se repose entièrement sur son script, prend le temps de poser son sujet, respecte le crescendo. Il s’appuie sur sa mise en scène, suggère plus qu’il ne montre. Autant dire que celles et ceux qui ne jurent que par les cache-misères contemporains (CGI envahissants, sound design assourdissant, jump scares intempestifs) pourront ici passer leur chemin. Les autres, en revanche, apprécieront la manière dont le créateur de Dark Shadows (célèbre feuilleton des sixties) maîtrise ses effets. En semant ça et là moult détails inquiétants. En laissant le mal s’insinuer dans la psychologie des personnages. En orchestrant un suspense de dingue autour de la présence avérée ou non de Mme Allardyce. En faisant intervenir à plusieurs reprises un boogeyman échappé d’un souvenir d’enfance. Là, Trauma ne vole pas son titre. Car les apparitions de ce chauffeur de corbillard pâle et ricanant foutent vraiment les jetons (des parenthèses morbides et oniriques animées par Anthony James, vu chez Eastwood dans L’Homme des hautes plaines et Impitoyable). Tout cela nous conduit inexorablement jusqu’à un dénouement si désespéré (putain de twist !) qu’il cloue le spectateur sur place, avant de le commotionner durablement.

Sobre, efficace et hautement insidieux, Trauma peut également compter sur la qualité de l’interprétation pour distiller l’angoisse jusqu’au malaise. Dominant un casting de premier ordre, Oliver Reed et Karen Black forment à l’écran un couple crédible. Le loup-garou de Terence Fisher rend sa détresse paternelle et conjugale palpable, son impuissance face aux forces du mal tangible. La kidnappeuse de Complot de famille manie magistralement l’ambivalence de Marian, une femme séduite par l’esprit pervers d’une bâtisse gothique (un fabuleux décor que l’on doit d’ailleurs au vétéran Eugène Lourié). Qu’il œuvre pour la télévision ou pour le cinéma (avec un très net avantage pour le premier), l’auteur de remarquables fictions cathodiques telles que Dracula et ses femmes vampires ou La Malédiction de la veuve noire se révèle être un solide raconteur d’histoires doublé d’un véritable amateur de fantastique. Dommage que son Burnt Offerings ne soit pas davantage cité lorsque l’on cause de maison hantée. Il s’agit pourtant d’un fleuron de l’enfer immobilier sur pellicule, à l’instar des tout aussi méconnus et formidables La Maison des damnés (John Hough, 1973), La Sentinelle des maudits (Michael Winner, 1977) et L’Enfant du diable (Peter Medak, 1980). Des rendez-vous avec la peur à noter sur votre carnet de cinéphage…

Burnt Offerings. De Dan Curtis. États-Unis/Italie. 1976. 1h51. Avec : Karen Black, Oliver Reed, Bette Davis…

LA MAISON DES DAMNÉS : entrez si vous osez !

Voilà un film qui nous venge des déjections télévisuelles de Stéphane Plaza. Ici, pas de baraque à vendre, de déco à refaire ou de temps de cerveau disponible pour l’immortelle connerie de la pub. La maison des damnés n’est pas franchement accueillante, chaleureuse. Elle ne se loue pas sur Airbnb. Elle dévore les âmes. Et pour cause, le maître des lieux, Emeric Belasco, était un véritable psychopathe, un ennemi du genre humain. « Était » parce qu’il ne devrait plus être de ce monde depuis des lustres. À moins que… Supposée hantée, « Hell House » est néanmoins rachetée par un obscur vieillard plein aux as. Celui-ci a une idée derrière la tête : prouver qu’il existe une vie après la mort. Pour cela, il embauche le docteur Barrett (Clive Revill), un physicien secondé par son épouse Ann (Gayle Hunnicutt). Sans oublier, Florence Tanner (Pamela Franklin) et Ben Fischer (Roddy McDowall), deux extralucides. Une fois sur place, le quatuor a une semaine pour mener à bien ses expériences et livrer ses conclusions. Mais sept jours en enfer, c’est long, très long…

À l’origine de La Maison des damnés, on trouve un bouquin de 1971 intitulé Hell House et pondu par l’immense Richard Matheson (il faut lire et relire jusqu’à l’usure des yeux, Je suis une légende ou Le Jeune homme, la mort et le temps, la love story la plus poignante jamais écrite). En tant que scénariste, le romancier participe durant les 60’s au cycle Poe mis en scène par Roger Corman et produit par le duo Samuel Z. Arkoff/James H. Nicholson via leur société American International Pictures. Toujours en cette année 1971, Nicholson se sépare d’Arkoff et se lance dans une carrière solo avec deux nouveaux projets : l’adaptation par Matheson lui-même de Hell House et le vrombissant Larry le dingue, Mary la garce. Deux films signés John Hough, également auteur d’un fabuleux Hammer érotico-vampirique : Les sévices de Dracula (avec, au générique, les non moins fabuleuses jumelles Collinson). Malheureusement, James H. Nicholson décède prématurément le 10 décembre 1972 et ne verra pas ses ultimes productions sortir dans les salles…

The Legend of Hell House n’aurait certainement jamais vu le jour sans La Maison du diable (1963), monument du genre dans lequel les fantômes de l’inconscient déclenchent une terreur indicible. Si le film de Hough possède le même argument scénaristique que le chef-d’œuvre de Wise (des personnes s’enferment dans une étrange bâtisse pour nourrir la recherche parapsychologique) et illustre à son tour l’opposition entre science et croyance, il en profite aussi pour exploiter la trouille psychanalytique chère à son aîné. Ainsi, la présumée frustration sexuelle de Madame Barrett la transforme en nympho à la nuit tombée tandis que la folie perverse de Belasco puise sa source dans un secret dévoilé lors du twist final. Pour le reste, La Maison des damnés se montre moins subtil et ambigu que son glorieux modèle (la présence d’un spectre malveillant ne fait ici aucun doute) mais se rattrape en faisant preuve d’un art consommé de la suggestion (ce qui, par ailleurs, jure quelque peu avec sa source littéraire, plus démonstrative), tout en laissant la violence graphique s’exprimer le temps de deux ou trois plans marquants.

Alors que La Nuit des morts-vivants et Rosemary’s baby révolutionnent l’horreur à la fin des sixties, The Legend of Hell House ne tourne pas encore le dos à l’épouvante old school. S’inscrivant dans une tradition gothique hammerienne (ses décors et ses trucages à l’ancienne en attestent), le long-métrage trahit pourtant sa modernité à plusieurs reprises et ce sans paraître aussi débridé que d’autres péloches british des 70’s (un exemple ? Le foufou Horror Hospital d’Antony Balch). Formellement, la participation de Hough et du chef op Alan Hume au visionnaire et inventif  Chapeau melon et bottes de cuir se fait sentir : gros plan, contre-plongée, grand angle, caméra tournant sur son axe… À ce dynamisme visuel s’ajoute un avant-gardisme sonore dû aux expérimentations électroniques de Brian Hodgson et Delia Derbyshire (une pionnière en la matière à qui l’on doit le générique de Doctor Who). Leurs bruitages concourent grandement à rendre l’atmosphère plus délétère, pernicieuse, malsaine.

En corroborant la véracité des phénomènes surnaturels relatés par le long-métrage, le texte introductif de Tom Corbett, un authentique médium, contribue aussi à distiller le malaise. Une manière de crédibiliser les événements, de faire comme si le cauchemar était réel, à l’image de la date et de l’heure s’affichant à l’écran à mesure que le temps passe… Autre particularité de La Maison des damnés : la proximité qu’il entretient avec deux futurs classiques. Le premier n’est autre que L’Exorciste (1973) dont on retrouve ici un exemple de possession vocale (au cours d’une séance de spiritisme, la voix du « malin » remplace celle de Pamela Franklin). Le second, le plus tardif L’Emprise (1981), voit son climax débouler avec huit ans d’avance (une machine tente de neutraliser l’énergie de l’entité hostile). Pas mal pour un film de hantise auquel on ne pense pas souvent mais qui ne manque pourtant pas d’atouts. L’acquisition du dvd de La Maison des damnés (BQHL éditions), proposé en pack avec le Mad Movies de juin dernier, s’avère donc plus que recommandable.

The Legend of Hell House. De John Hough. Royaume-Uni. 1973. 1h33. Avec : Pamela Franklin, Roddy McDowall, Gayle Hunnicutt…

LA RUÉE DES VIKINGS + LES TROIS VISAGES DE LA PEUR + SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN : les étranges couleurs de Mario Bava

Parallèlement au cycle initié par la Cinémathèque française en ce mois de juillet, Mario Bava a également bénéficié d'une rétrospective chapeautée par le Théâtre du Temple. Le distributeur a ressorti dans nos salles climatisées trois classiques du maestro en version restaurée : La Ruée des Vikings (1961), Les Trois visages de la peur (1963) et Six Femmes pour l'assassin (1964). Rien de tel que Bava pour nous redonner des couleurs.

Deux frères, combattant dans des camps opposés, affrontent le félon qui les a séparés et cherchent à venger la mort de leur père. Pitch : la Cinémathèque française.

L’un des plus beaux fleurons d’une vikingsploitation engendrée, en toute logique, par Les Vikings de Richard Fleischer (1958). Après avoir officieusement coréalisé Le Dernier des Vikings (1961) avec Giacomo Gentilomo, Bava s’offre sa péloche d’aventure rien qu’à lui, son ode « gothique » au guerrier du nord. « Gothique » car, quelque soit le genre, le réalisateur se le réapproprie. Son style, reconnaissable en un clin d’œil, projette une lumière surréaliste sur un monde a priori non surnaturel. Il suffit de voir le repaire des vikings pour s’en convaincre, splendide décor de studio enlacé par les ombres et agrémenté de mille et une couleurs (du rouge, du vert, du violet : on se croirait dans Hercule contre les vampires, péplum mythologique du même auteur). Avec une telle facture baroque, Mario Bava ne peut renier La Ruée des Vikings, d’autant plus qu’il en est également le chef op. On ne s’étonnera donc pas du soin apporté à la photographie (c’est beau, un film en scope), ni du degré de violence et de cruauté un peu plus élevé que la moyenne (mère transpercée par une lance avec son bambin, tête piégée dans une boîte avec une tarentule au ventre noir). Pas besoin d’Hollywood pour accoucher d’une œuvre épique et spectaculaire (bataille, duel à l’épée, attaque de château fort : tout y est), surtout avec un génie du bricolage comme Bava à la barre (les effets sont modestes mais toujours astucieux). Gli invasori (titre original) est aussi l’histoire d’une fraternité contrariée où deux frangins, séparés durant l’enfance, deviennent des ennemis à l’âge adulte. Une tragédie que le robuste Cameron Mitchell porte sur ses épaules, le comédien dominant par sa prestance la plupart de ses collègues (le réalisateur de Lisa et le diable retrouvera le mastard à l’occasion de Six Femmes pour l’assassin et Duel au couteau, une autre histoire de vikings). Son visage taillé à coups de serpe contraste avec la blondeur étincelante des sœurs jumelles, Alice et Helen Kessler. Leur « danse du glaive » constitue par ailleurs un grand moment de sensualité sur pellicule. De quoi nous rendre nostalgique du cinéma de quartier tant défendu par Monsieur Jean-Pierre Dionnet.

Gli Invasori. De Mario Bava. Italie/France. 1961. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Giorgio Ardisson, Alice et Helen Kessler…

Film à sketches. Le Téléphone : une femme est victime de menaces téléphoniques. Les Wurdalaks : une histoire de vampires dans la campagne slave. La Goutte d’eau : le vol d’une bague sur un cadavre provoque d’étranges phénomènes. Pitch : la Cinémathèque française.

Pour produire Les Trois visages de la peur, les italiens de la Galatea Film s’associent avec les américains d’American International Pictures. À travers ce deal, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les boss de l’AIP, espèrent réitérer le succès de leur film à sketches, L’Empire de la terreur (1962). Malheureusement pour Mario Bava, ce partenariat va sérieusement altérer l’intégrité de son œuvre. Aux États-Unis, I tre volti della paura voit l’ordre de ses sketches modifié, sa bande originale remplacée (Les Baxter se charge de refaire le taf de Roberto Nicolosi) et son segment Le Téléphone totalement défiguré (des coupes ont été opérées afin de biffer du montage toute allusion au lesbianisme du personnage de Michèle Mercier, notre si merveilleuse Angélique). Si le massacre s’avère variable selon les pays, Les Trois visages de la peur est depuis quelques temps déjà visible en dvd dans sa version intégrale et brille aujourd’hui de mille feux grâce à la sublime copie du Théâtre du Temple. La moindre des choses pour un long-métrage où les élans chromatiques relèvent de la pure flamboyance. Si les trois histoires ici proposées représentent un bel exemple de cette esthétisme léchée, elles sont aussi le témoignage du savoir-faire peur de Mario Bava. Dans Le Téléphone, le réalisateur de Schock distille l’angoisse à partir d’un objet du quotidien (le téléphone du titre), et ce bien avant Terreur sur la ligne (1979) et Scream (1996). Mise en place aux petits oignons, décor claustro savamment exploité et conclusion mordante : Il telefono, c’est La Fille qui en savait trop condensé en une demi-heure. Les Wurdalaks s’inscrit, quant à lui, dans la veine plus gothique de son auteur. Les anciennes légendes slaves, et plus particulièrement le folklore vampirique, y sont convoquées pour notre plus grand plaisir « hammerien ». En effet, les aficionados du studio british ne peuvent que se pâmer devant ce récit d’une malédiction nocturne et brumeuse hanté par un Boris Karloff tout en sournoiserie maléfique. L’ultime chapitre, La Goutte, laisse carrément des séquelles à cause du rictus effrayant affiché par une vieille morte. Une gueule de cauchemar que les effets prosthétiques et les techniques de maquillage rendent troublante de réalisme (imaginez la poupée Annabelle avec des traits humains plus prononcés). Plutôt inattendu, l’épilogue ne manque pas d’humour et semble nous dire que, si tout cela n’est que du cinéma, la peur demeure malgré tout une émotion bien réelle…

I tre volti della paura. De Mario Bava. Italie/France. 1963. 1h34. Avec : Michèle Mercier, Susy Andersen, Boris Karloff…

A Rome, une série de meurtres est perpétrée dans une maison de haute couture sur des mannequins. Source : la Cinémathèque française.

À la sortie miraculeuse du récent dvd/blu-ray paru chez Studio Canal (dans la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret, déjà une référence), s’ajoute aujourd’hui le privilège de se (re)faire Six Femmes pour l’assassin sur grand écran. Un monument précurseur de l’horreur moderne (au même titre que Psychose ou Le Voyeur) et le chef-d’œuvre fondateur du giallo (le thriller made in Italy). Quelques années avant les machinations sexy d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, 1969) et les premiers succès fulgurants de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970), Mario Bava dresse déjà le manifeste – esthétique et thématique – du genre. En mettant de côté les influences hitchcockiennes de La Fille qui en savait trop (1963), le père de Lamberto laisse ses penchants les plus sadiques s’exprimer et décuple la brutalité de ses meurtres grâce à l’habileté de sa mise en scène. Son tueur masqué, ganté et vêtu de cuir noir (un look fétichiste qui fera école) peut agir à sa guise puisqu’il n’a pas de visage, d’identité. Un boogeyman de slasher avant l’heure, silhouette insaisissable et véloce partisane d’une violence osée pour l’époque, puisqu’elle convie l’érotisme à l’hécatombe (les victimes y sont bien souvent en petite tenue). En pleine possession de ses moyens, Super Mario fait preuve d’une maîtrise technique incomparable (la caméra se déplace constamment avec discrétion et élégance), partage son goût pour les teintes palpitantes et baroques (une forme de réalisme magique naît de cette copulation entre couleurs chaudes et froides) et n’oublie jamais d’être inventif (les interprètes du film posent tous comme des mannequins de vitrine lors du générique d’ouverture). Le raffinement formel de Sei donne per l’assassino sert en réalité de cercueil quatre étoiles aux membres de cette bourgeoisie décadente que Bava s’amuse à dégommer les uns après les autres. Un jeu de massacre annonçant les carnages caustiques de L’Ile de l’épouvante (1970) et La Baie sanglante (1971) mais s’achevant ici sur une note empreinte de romantisme noir. La signature d’un esthète tourmenté qui n’a jamais rechigné à brocarder l’espèce humaine.

Sei donne per l’assassino. De Mario Bava. Italie/France/Allemagne. 1964. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…

LE DIABOLIQUE DOCTEUR Z (Jess Franco, 1966)

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Le docteur Zimmer se livre à d’étranges expériences sur le cerveau humain. Violemment critiqué par ses confrères, il succombe à un malaise cardiaque mais fait promettre à sa fille de mener à bien ses travaux. Cette dernière entreprend une série de machinations diaboliques afin de supprimer les savants qui se sont opposés à son père. Source : dvdfr.com

« Incontestablement, Miss Muerte est un chef-d’œuvre, sans doute le meilleur film de la première période espagnole de son auteur ». Voilà comment l’érudit Alain Petit nous présente Le Diabolique Docteur Z – ou Dans les griffes du maniaque – dans son indispensable pavé, Jess Franco ou les prospérités du Bis. Impossible de le contredire tant le cinéaste se montre ici particulièrement inspiré. Grâce au producteur français Serge Silberman et à quelques pesetas venues d’Espagne, l’oncle Jess se voit confier un budget décent, ce qui n’est (et ne sera) pas toujours le cas. Au scénario, l’homme de lettres Jean-Claude Carrière élabore avec le réalisateur ibérique une histoire dont l’argument doit autant à La Mariée était en noir de William Irish qu’à L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. Du premier, le duo ne conserve que l’idée de vengeance; du second, son postulat scientifique prétendant isoler les cellules du bien et du mal. De quoi faire frémir les salles de quartier quand celles-ci étaient encore légion dans les années 1960. À cette époque, Jess Franco participe encore à l’émergence d’un fantastique à l’européenne au même titre qu’un Bava ou un Freda. Depuis L’Horrible Docteur Orloff (aka Gritos en la noche, 1962), le petit Jesús façonne une œuvre à la fois dans l’air du temps et très personnelle. Et pour montrer que ses films s’inscrivent tous dans un seul et même univers, il n’hésite pas à faire des clins d’œil à son propre travail et à renouer avec ses obsessions. Dans Le Diabolique Docteur Z, le nom d’Orloff est mentionné au détour d’un dialogue (le savant fou se paye une réputation à la Frankenstein), l’action se situe dans la ville imaginaire d’Hölfen (là où se déroulent également Gritos en la noche, Le Sadique Baron Von Klaus et Les Maîtresses du Docteur Jekyll) et l’influence principale de Gritos… – Les yeux sans visage de Franju – est encore citée (victime d’une brûlure partielle à la figure, Mabel Karr s’opère elle-même face à un miroir !). Dingue de 7ème art, Jess Franco en profite aussi pour caser ici et là quelques références cinéphagiques. La plus évidente se manifeste à travers la réplique suivante : « C’était Bresson : un condamné à mort s’est échappé ! ». Savoureux ! Mais avant toute chose, l’assistant d’Orson Welles sur Falstaff rend avec Miss Muerte un bel hommage à l’auteur de La Soif du mal. Cadrages variés et dynamiques (chouette contre-plongée totale sous un escalier en colimaçon), noir et blanc expressionniste (donnant à l’ensemble un côté film noir), parenthèses oniriques de toute beauté (Estella Blain hypnotisant Howard Vernon dans un train subitement plongé dans les ténèbres) : d’un point de vue formel, le long-métrage nous apparaît comme soigné, maîtrisé, abouti. Les décors contribuent également à rassasier les mirettes notamment lorsqu’ils convoquent le spectre de l’épouvante gothique et les délices des serials d’antan (le repaire de la fille Zimmer est un manoir abandonné qui cache dans ses souterrains un labo disposant d’un matos extravagant). À cette cuisine bien plus digeste que n’importe quelle émission façon Top Chef, l’ami Jess ajoute ses propres ingrédients, à commencer par un érotisme subtil et suffisamment évocateur pour faire son petit effet. La séquence qui introduit Estella « Miss Death » Blain en est une superbe illustration. Sur une scène de cabaret, une veuve noire en résille tisse sa toile et attire dans ses filets un mannequin, silhouette masculine envoûtée et pétrifiée par le spectacle (le genre de numéro qui en annonce bien d’autres dans la filmo de Franco). Un instant insolite et sensuel, animé par la blondeur irradiante de la merveilleuse Blain. Face à cette actrice et chanteuse disparue trop tôt (en 1982, à l’âge de 51 ans), la diabolique Mabel Karr affiche un regard dément, un faciès austère et un désir de vengeance inébranlable. Outre la présence incontournable de Monsieur Vernon, Franco lui-même et son compositeur fétiche Daniel White (qui signe ici un joli score jazzy) se distinguent au générique en campant des flics débonnaires et décontractés. Un bonhomme plein de ressources, ce Jess. Joyau étrange et lascif, fantasme fétichiste et macabre, titre marquant du midiminuisme et d’un type de cinéma malheureusement révolu, Le Diabolique Docteur Z constitue l’une des réussites majeures d’un auteur souvent incompris et qui ne mérite en aucun cas l’étiquette de tâcheron que certains esprits paresseux lui ont collé. En plus de cinquante ans de carrière, il a fait briller toutes les couleurs du Bis, tout en sublimant d’inoubliables comédiennes telles que Soledad Miranda, Maria Rohm, Rosalba Neri, Marie Liljedahl, Anne Libert, Britt Nichols, Alice Arno, Brigitte Lahaie ou encore cette très chère Lina Romay. Qui dit mieux ?

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Miss Muerte. De Jess Franco. France/Espagne. 1966. 1h27. Avec : Estella Blain, Mabel Karr et Howard Vernon. Maté en blu-ray le 16/06/18.

THE JANE DOE IDENTITY (André Øvredal, 2016)

509731.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxThe Jane Doe identity (titre original : The autopsy of Jane Doe). D’André Øvredal (le found footage The troll hunter). Royaume-Uni/États-Unis. 2016. 1h39. Avec : Emile Hirsch, Brian Cox et Ophelia Lovibond. Genre : fantastique/épouvante. Sortie France : 31/05/2017. Maté en salle le dimanche 4 juin 2017.

De quoi ça cause ? Quand la police leur amène le corps immaculé d’une Jane Doe (expression désignant une femme dont on ignore l’identité), Tommy Tilden (Brian Cox) et son fils (Emile Hirsch), médecins-légistes, pensent que l’autopsie ne sera qu’une simple formalité. Au fur et à mesure de la nuit, ils ne cessent de découvrir des choses étranges et inquiétantes à l’intérieur du corps de la défunte. Alors qu’ils commencent à assembler les pièces d’un mystérieux puzzle, une force surnaturelle fait son apparition dans le crématorium… (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : Découvrir en salle des bandes fantastiques défiant les formules à la mode est devenu très rare. Il serait donc dommage de passer à côté de cet intrigant The Jane Doe identity. Partant d’un point de départ original pour basculer progressivement vers l’inattendu, le long-métrage d’André Øvredal se montre captivant de bout en bout. Le cadavre en titre révèle ses secrets au fur et à mesure que l’autopsie avance, mais les conclusions de nos deux légistes se confrontent systématiquement à une réalité de plus en plus étrange. À mi-parcours, le surnaturel se fait plus insistant et fait bifurquer l’histoire vers le film de fantômes agressifs (avec à la clé, quelques jolis coups de flippe). Mais le script va bien plus loin et les indices bizarres égrenés tout au long du récit trouvent une explication dans les origines mêmes de Jane Doe. La prise en compte des souffrances de ce mystérieux personnage apporte un peu d’empathie à un milieu médico-légal réputé aussi froid qu’un corps allongé sur sa table d’opération (d’abord anonyme, l’autopsiée retrouve ensuite son identité). La relation père/fils possède aussi une réelle profondeur. Les liens unissant Tommy Tilden à son rejeton sonnent juste, sentiment renforcé par l’impeccable interprétation de Brian Cox et Emile Hirsch. Leur passé tragique trouve un écho dans les nouvelles épreuves qui les attendent. Pour autant, Øvredal ne laisse aucune échappatoire à ses protagonistes, d’où cette impression de mélancolie qui se dégage de l’ensemble. Il aurait été facile de dédramatiser le sujet avec une petite touche d’ironie, mais l’auteur de The troll hunter ne tombe pas dans ce piège. Les dissections, les organes et la nudité des défunts sont frontalement exposées à l’écran sans pour autant céder au voyeurisme morbide. Ce dispositif, galvaudé depuis par des séries telles que Les experts ou Bones, interroge ici directement le spectateur. Saurez-vous supporter la vue de ce déballage de tripailles en tout genre ? Savez-vous que la mort est à prendre au sérieux et qu’elle n’a rien d’excitant ? Si oui, vous serez sensible à The Jane Doe identity, série B adulte et finement pensée. Les aptitudes formelles de son réalisateur méritent également d’être soulignées. La mise en scène ample et soignée du norvégien rend immédiatement lisible les moindres recoins d’une bâtisse abritant une morgue en sous-sol. Et pas n’importe quel sous-sol : celui de la peur, du tourment et du chagrin. 4,5/6

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Brian Cox et Emile Hirsch s’apprêtent à découvrir ce qui se cache dans le corps de Jane Doe. Et forcément, ça ne sera pas beau à voir…

MAMÁ (Andrés Muschietti, 2013)

MamaMamá. D’Andrés Muschietti. Espagne/Canada. 2013. 1h40. Avec : Jessica Chastain, Nikolaj Coster-Waldau (dit le Régicide) et Megan Charpentier. Genre : fantastique/épouvante. Sortie dvd/blu-ray : 01/10/2013 (Universal Pictures). Maté en blu-ray le samedi 6 mai 2017.

De quoi ça cause ? Il y a cinq ans, deux soeurs, Victoria et Lily, ont mystérieusement disparu, le jour où leurs parents ont été tués. Depuis, leur oncle Lucas (Nikolaj Coster-Waldau) et sa petite amie Annabel (Jessica Chastain) les recherchent désespérément. Tandis que les petites filles sont retrouvées dans une cabane délabrée et partent habiter chez Lucas, Annabel tente de leur réapprendre à mener une vie normale. Mais elle est de plus en plus convaincue que les deux soeurs sont suivies par une présence maléfique… (source : Dvdfr.com)

Mon avis Télé Z : Tout film avec Jessica Chastain se doit d’être vu et Mamá n’échappe pas à la règle. Deux ans avant Crimson Peak, la flamboyante rouquine se frotte à l’épouvante avec succès. Pour l’occasion, elle adopte un look punk rock qui lui sied à merveille et défend son personnage avec toute la subtilité et la grâce qu’on lui connaît. Jessica joue Annabel, une bassiste ayant peu d’affinités avec les gosses – et ne désirant pas en avoir – mais que les évènements vont pousser à protéger deux gamines perturbées par l’omniprésence d’une mère ectoplasmique. Le film oppose deux visions de la maternité. Une qui se mérite et évolue au fil de sentiments réciproques; et une autre qui s’impose de façon autoritaire, quitte à tuer pour cela. Dans un cas comme dans l’autre, devenir mère est un sacrifice, comme le montre une conclusion déchirante en forme de faux happy end. En cours de route, le premier rôle masculin (Nikolaj Coster-Waldau, très impliqué) s’efface d’ailleurs pour laisser la place au duel Annabel/Mamá. Un face-à-face entre deux trajectoires féminines différentes; l’une tournée vers la lumière et la vie, l’autre vers la folie et la mort… Tragédie maternelle et familiale, Mamá s’articule autour d’un socle émotionnel fort et s’inscrit dans la continuité des bandes fantastiques espagnoles des années 2000 (L’orphelinat en tête). Le script en reprend scrupuleusement la mécanique, sans éviter les passages obligés du genre (l’enquête du psy nous dévoilant les origines du spectre vindicatif). Si son intrigue ne sort pas vraiment des sentiers battus (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fonctionne pas), le premier long d’Andrés Muschietti (qui développe ici l’un de ses propres courts) se rattrape aisément sur le plan visuel. Jouant sur le plan fixe, le hors-vue et le hors-champ, le jeune cinéaste se sert de toutes les ressources de la mise en scène pour faire naître le frisson. Le cinéaste argentin fait preuve d’une belle imagination lorsqu’il s’agit de suggérer la présence de Mamá dans le cadre, et sait aussi tirer parti de l’obscurité pour optimiser ses effets. Même les CGI ne ruinent jamais les apparitions – souvent spectaculaire – de l’esprit vénère. Rien d’étonnant quand on a un producteur aussi attentif que Guillermo del Toro. 4,5/6

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Quelque chose se cache dans la maison de Jessica Chastain, quelque chose de tordu et de possessif qui n’apprécie guère que l’on s’occupe des gamines à sa place…