QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS + TÉNÈBRES + DARIO ARGENTO, SOUPIRS DANS UN CORRIDOR LOINTAIN : Argento vivo !

Il y a un an, Les Films du Camélia rendaient déjà hommage à Dario Argento. Cet été, le distributeur renfile ses gants de cuir à l'occasion de la deuxième partie de sa rétro consacrée au "magicien de la peur". Au programme : des mouches soupirant dans les ténèbres d'un corridor lointain... Il ne nous reste plus qu'à espérer une troisième salve de restaurations pour juillet 2020, avec les copies neuves d'Inferno et Le Syndrome de Stendhal...

Le musicien Roberto Tobias, un batteur officiant dans un groupe de rock, est harcelé par un homme mystérieux qui ne cesse de le suivre. Décidant un soir de le prendre en chasse, Roberto réussit à le rejoindre mais au cours de la dispute qui s’ensuit, il le tue accidentellement… Le tout sous l’objectif d’un appareil photo tenu par un second inconnu, quant à lui masqué… Pitch : les Films du Camélia.

Après L’Oiseau au plumage de cristal et Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris vient clore en beauté la fameuse Trilogia degli animali de Dario Argento. Mais contrairement à ses grands frères, ce dernier a été tardivement redécouvert, faisant du film l’une des pièces les plus méconnues de son auteur. La faute à son distributeur, la Paramount, qui n’a jamais souhaité l’exploiter correctement et en a (trop) longtemps détenu les droits… En 2012, l’injustice a été réparée grâce à la sortie providentielle du dvd/blu-ray paru chez Wild Side dans sa collection « Les Introuvables ». Depuis Quattro mosche di velluto grigio a tranquillement rejoint les autres classiques d’Argento et peut aujourd’hui se savourer la bave aux lèvres. La créativité de l’Italien y est en pleine ébullition, et ce du début (on ne compte plus les plans de malade composant la séquence d’ouverture) jusqu’à la fin (un accident de la route magistralement shooté au ralenti et sublimé par la musique d’un Morricone en grande forme). Le maître du giallo s’offre même une petite touche d’onirisme en mêlant le réel à l’irréel lors d’un étrange meurtre se déroulant dans un parc (une expérimentation audacieuse annonçant Les Frissons de l’angoisse). Si le spectre du professeur Hitchcock plane à nouveau sur l’intrigue (un individu tombe dans un piège et mène sa propre enquête), saluons l’ingénieuse trouvaille permettant de dégoter la clé de l’énigme : l’optogramme. Selon cette pseudo-science, la rétine imprimerait la dernière image vue par un défunt avant de mourir. Un formidable ressort dramatique qui donne tout son sens au titre du film et fait l’effet d’une bombe lorsque déboule l’ultime rebondissement. Expérience de cinoche aussi grisante que surprenante, Quatre mouches de velours gris est également une œuvre très personnelle pour son metteur en scène qui, par le biais du couple Brandon/Farmer, relate les affres de son divorce douloureux avec Marisa Casale… Voilà qui apporte une tonalité plus sombre à l’ensemble même si Argento fraye par moment avec la comédie, notamment à travers les prestations de Bud Spencer et Jean-Pierre Marielle. Deux membres d’un casting hétéroclite au sommet duquel trône l’inoubliable Mimsy Farmer (à quand une galette made in France de cet extraordinaire chef-d’œuvre qu’est Il Profumo della signora in nero de Francesco Barilli ? Et celle de La Traque, survival culte de Serge Leroy ?).

Quattro mosche di velluto grigio. De Dario Argento. Italie/France. 1971. 1h45. Avec : Michael Brandon, Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle…

Un célèbre écrivain, Peter Neal, auteur de romans policiers, est invité à Rome pour faire la promotion de son nouvel opus, Ténèbres. Dès son arrivée, plusieurs personnes sont assassinées selon un schéma comparable à celui des meurtres qui jalonnent son roman. Pitch : les Films du Camélia.

Après avoir épuisé toutes les ressources du surnaturel avec son diptyque démentiel Suspiria/Inferno, Dario Argento revient aux sources du giallo avec Ténèbres. La dimension fantastique de ses deux chefs-d’œuvre précédents s’évapore au profit d’une intrigue purement policière, comme au temps de la trilogie animalière du début des 70’s. Un nouvel opus qui constitue également un contrepied esthétique aux deux premiers volets des Trois Mères. Les délires formels furieusement baroques et surréalistes de ces derniers, laissent place à une lumière froide et blafarde tentant d’éclairer des décors « modernes » et volontairement ternes (les murs blancs ne manquent pas mais sont abondamment recouverts de sang lors d’un climax nerveux et bestial). Quoi qu’il en soit, Argento n’a pas perdu la main et immortalise à l’écran quelques morceaux de bravoure technique dont il a le secret. À commencer par ce long travelling à la Louma symbolisant la toute puissance de l’assassin et devançant le massacre d’un couple de lesbiennes (avec en prime, l’un des plans les plus marquants de Ténèbres : le visage paralysé par la peur de la belle Mirella D’Angelo, vu à travers le trou d’un t-shirt déchiré par une lame de rasoir). Côté suspense, l’intrigue fonctionne à donf jusqu’à l’étourdissante révélation finale (impossible de griller ce putain de twist), tout en permettant à son auteur de livrer une vertigineuse réflexion sur la création et ses débordements sur la vie réelle (l’écrivain campé par Anthony Franciosa n’est autre que le double fictif du père Dario). De l’obsession au passage à l’acte, telle est la trajectoire de ce torturé Ténèbres, giallo haut de gamme bénéficiant en outre d’une distribution de choix, à laquelle participe l’indispensable Daria Nicolodi. Le cri de terreur de cette dernière résonne encore dans nos esgourdes, tout comme la géniale ritournelle des ex-Goblin, extase auditive que l’on siffle toujours autant sous la douche ou en allant chez le primeur.

Tenebre. De Dario Argento. Italie. 1982. 1h50. Avec : Anthony Franciosa, Daria Nicolodi,  John Saxon…

Vingt ans séparent les deux parties de ce film portrait consacré à Dario Argento. Tourné à Turin puis à Rome entre 2000 et 2019, Soupirs dans un corridor lointain cale son pas sur l’un des cinéastes les plus marquants de ces quarante dernières années. Ses obsessions, son travail (on le découvre sur le tournage du Sang des innocents), ses souvenirs, ses hantises, son rapport à la ville éternelle, les blessures de l’Histoire italienne, et puis le temps qui passe… Pitch : les Films du Camélia.

On ne présente plus (mais je vais quand même le faire un petit peu) l’historien et critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret, auteur d’essais essentiels sur le Nouvel Hollywood, Sergio Leone, John Carpenter, Michael Cimino ou encore le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Sans oublier, bien entendu, l’auteur de Phenomena à travers le bouquin Dario Argento, magicien de la peur. Également réalisateur de documentaires (We Blew it, 2017), Thoret en a donc tout naturellement dédié un au maestro. Le film s’intitule Soupirs dans un corridor lointain (très beau titre) et se compose de deux parties distinctes. La première a été tournée en 2000 durant les prises de vues de Non ho sonno (Le Sang des innocents en VF), effort avec lequel Argento espère retrouver le succès de ses gialli d’antan. Dans les coulisses de sa quinzième mise en scène pour le grand écran, le père d’Asia se montre plus que jamais motivé à poursuivre son œuvre et compte bien faire de son petit dernier le Profondo Rosso des années 2000. La seconde a lieu en 2019 et prend des allures de promenade mélancolique en compagnie d’un regista presque octogénaire. Sur des images en noir et blanc et des extraits de musique classique, Thoret suit Dario dans les rues de Rome, visite à ses côtés ce qu’il reste des décors de la villa de Ténèbres (spoiler : des ruines) et nous dévoile l’endroit majestueux où le master of horror a effectué ses recherches pour sa trilogie des Mères (la Bibliothèque Angelica, lieu de tournage d’Inferno le temps d’une séquence). Les souvenirs d’une époque révolue qui, in fine, dresse le bilan d’une carrière semblant aujourd’hui au point mort (son dernier long reste à ce jour Dracula 3D, revival gothique érotico-gore avec le regretté Rutger Hauer en Van Helsing). Si ces soupirs (crépusculaires) dans un corridor lointain émeuvent, nous ne pouvons pas nous empêcher de rester admiratif devant ce cinéaste à nul autre pareil, jouissant par ailleurs d’une place à part dans le 7ème art transalpin (il demeure l’un des rares à avoir survécu – artistiquement – au déclin du cinoche populaire italien) et dont le génie ne cessera jamais d’enflammer notre imaginaire…

Dario Argento, soupirs dans un corridor lointain. De Jean-Baptiste Thoret. France. 2019. 1h37.

DE PALMA (Jack Paltrow & Noam Baumbach, 2015)

DePalma_73_fin1_De Palma. De Jack Paltrow et Noam Baumbach (qui a dirigé l’excellente Greta Gerwig dans Frances Ha et Mistress America). États-Unis. 2015. 1h45. Avec : Brian De Palma, Brian De Palma et Brian De Palma. Genre : documentaire. Sortie France : 11/10/2016 (La Roche-sur-Yon International Film Festival), 26/03/2016 (TV premiere sur Arte). Maté à la téloche le 28 mars 2017.

De quoi ça cause ? De Carrie à Mission impossible en passant par Scarface et Blow out, Brian De Palma a marqué de son style inclassable le Nouvel Hollywood. À la faveur d’une conversation intime truffée d’anecdotes, il revient sur ses cinquante ans de carrière pour une leçon de cinéma passionnante. (source : Arte.tv/fr)

Mon avis Télé Z : Pendant près de deux heures, Brian De Palma s’exprime seul face à la caméra de deux documentaristes. Pas d’intervenants extérieurs, juste le principal intéressé, ce qui donne l’impression d’être à confesse, dans une certaine intimité. Le film aborde la carrière du réalisateur de façon chronologique, les propos de l’auteur de Pulsions alternant avec des extraits de films et des photos de tournages (et même quelques archives familiales). Le résultat est tellement fluide et passionnant que l’on ne voit pas le temps passer. Normal lorsque l’on cause d’un cinéaste majeur ayant pris Hollywood en otage pour accoucher d’œuvres virtuoses, transgressives et personnelles. Le bonhomme – disert et enthousiaste – se livre sans langue de bois et révèle des anecdotes qui en disent long sur le petit monde du 7ème art (Cliff Robertson jouant les fouteurs de merde sur Obsession car jaloux de sa partenaire, Geneviève Bujold). Les conflits avec les majors sont aussi évoqués et montrent qu’il est parfois difficile pour un artiste créatif et exigeant d’imposer sa vision en toute liberté. Avouons, toutefois, que Brian a rarement lâché le morceau (le final désespéré de Blow out) même s’il reconnaît avoir parfois fait quelques concessions (sa tentation de plaire au plus grand nombre sur Le bûcher des vanités). Mais De Palma est surtout l’occasion d’assister à une véritable leçon de cinéma. Films après films (ils sont tous passés en revue, les courts comme les longs), le maestro explique ses choix de mise en scène, parle de ses influences et défend son approche radicale du médium cinématographique. Vous l’aurez compris : un tête-à-tête avec le plus brillant émule d’Hitchcock ne se refuse pas (le doc s’ouvre et se clôt sur Vertigo). 5/6

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Le maître et ses élèves prennent la pose pour les besoins d’un doc exceptionnel.

VOÏNA (Andreï Gryazev, 2012)

Coffret-2-DVD-Pussy-Riot-VoVoïna (titre original : Zavtra). De Andreï Gryazev. Russie. 2012. 1h29. Avec : Natalia Sokol, Oleg Vorotnikov et Leonid Nikolaev. Genre : documentaire. Sortie dvd : 04/10/2016 (Dissidenz films, en coffret avec Pussy riot : une prière punk). Maté en dvd le samedi 18 mars 2017.

De quoi ça cause ? Voïna (« guerre » en russe) est un collectif artistique fondé par le couple Natalia Sokol et Oleg Vorotnikov, et dont sont issus deux des membres des Pussy Riot. Andreï Gryazev retrace ici plusieurs mois du quotidien du couple d’activistes, qui évoluent entre la répression policière, la débrouille pour se loger et nourrir leur enfant Casper, et des actions publiques qui mettent en cause l’arbitraire de la Russie de Poutine. (source : Amazon.fr)

Mon avis Télé Z : Réveiller cette Russie endormie par Poutine et ses sbires : le projet de Voïna, à l’instar de celui des Pussy riot, est de faire du bruit, beaucoup de bruit, afin que celui-ci se fraie un chemin jusqu’aux salauds du Kremlin. Andreï Gryazev colle tellement aux basques de ses activistes (ou plutôt ses « artivistes ») qu’il semble prendre lui-aussi les mêmes risques. Le sentiment d’urgence est total, tout comme la nécessité de dénoncer un système répressif et liberticide. Le film nous présente quelques performances mêlant l’art contemporain à la contestation politique, le tout préparé avec peu de moyens mais avec un culot monstre. Vivant au jour le jour, tels d’authentiques punks (quitte à chourer de la bouffe dans les épiceries et à récupérer des fringues dans les poubelles), les membres de Voïna ne renient jamais leurs principes et sont motivés par un engagement à toute épreuve. Même un bambin participe à l’aventure, et ce sans jamais manquer de l’amour de sa mère (touchante et admirable Natalia Sokol). Si la première partie peut être déroutante pour qui ne connaît pas ledit groupe (aucun commentaire ne vient nous expliquer le sens de leur démarche), leur combat devient ensuite plus évident, notamment lorsque les médias s’emparent de leur cas (les évènements s’emballent avec la vidéo d’une bagnole de flic renversée et l’arrestation d’Oleg et Leo). Le doc s’achève sur deux séquences différentes mais complémentaires. La première, assez grave : une manif située lors des élections législatives russes de 2011 et réprimée par la police. La seconde, plus drôle : un phallus géant tagué sur un pont mobile en érection. Quand la rage rend créatif. 4,5/6

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L’une des prouesses de Voïna : dans ton cul, Vladimir !

PUSSY RIOT : UNE PRIÈRE PUNK (Mike Lerner & Maxim Pozdorovkin, 2013)

81wfhr7x4ml__sy445_Pussy Riot : une prière punk (titre original : Pokazatelnyy protsess : Istoriya Pussy Riot/Pussy Riot : a punk prayer). De Mike Lerner et Maxim Pozdorovkin. Russie/Royaume-Uni. 2013. 1h28. Avec : Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samoutsevitch. Genre : documentaire. Sortie dvd : 04/10/2016 (Dissidenz films, en coffret avec Voïna). Maté en dvd le lundi 20 février 2017.

De quoi ça cause ? Trois jeunes femmes : Nadia, Masha et Katia. Un procès retentissant. Un scandale planétaire. Six mois durant, les réalisateurs ont filmé ce collectif artistique féministe plus connu sous le nom de Pussy Riot, dont trois des membres ont été arrêtés pour une « prière punk » perpétrée dans la cathédrale de Christ-Sauveur à Moscou. Les témoignages des trois jeunes filles incarcérées et de leurs proches ainsi que les images du procès lui-même apportent un éclairage inédit sur un fait divers devenu affaire d’État au retentissement mondial. (source : Amazon.fr)

Mon avis Télé ZUn doc indispensable pour bien comprendre l’engagement des Pussy Riot et mettre en lumière la parodie de justice dont elles ont été les victimes. Les réalisateurs ne ratent rien d’un procès aussi médiatique (terribles images que celles des trois « émeutières » mises en cage et livrées aux flashs des photographes) que partial (personne n’est dupe : les dés sont jetés bien avant le verdict). En voulant dénoncer la corruption d’un système dans lequel la séparation des pouvoirs, la laïcité, le droit au blasphème – ou tout simplement, la démocratie – n’existent pas, les Pussy Riot ont réveillé le petit monde orwellien de Poutine. Malgré l’intimidation, la répression et l’humiliation, le regard inébranlable de Nadejda Tolokonnikova montre que, si les despotes peuvent emprisonner les corps, ils ne peuvent pas emprisonner les esprits. Si les soutiens sont nombreux (les manifestants font bloc devant le tribunal et bravent les flics), l’apparition de ces orthodoxes au look de bikers font froid dans le dos. Des fanatiques avouant à demi-mot regretter le bon vieux temps où on brûlait les hérétiques… Relatant également le parcours des trois activistes, Une prière punk n’oublie pas de faire intervenir leurs parents et d’illustrer les entretiens avec de touchantes archives personnelles. Outre les extraits des chansons et des actions de nos héroïnes en colère, les rappels historiques sont les bienvenus et aident à faire le lien entre la Russie d’hier et d’aujourd’hui (la cathédrale du Christ-Sauveur a été dynamitée par les bolcheviks en 1931 et reconstruite après la dissolution de l’union soviétique). Alors que Samoutsevitch sort de taule le 10 octobre 2012, le film stoppe sa narration avant la libération d’Alekhina et de Tolokonnikova le 23 décembre 2013. Aujourd’hui, le patriarche Kirill et le tsar Poutine continuent à se lécher la rondelle comme si de rien n’était. Mais des punk féministes, des « riot grrrls », sont parvenues à faire trembler leur empire. Nos politicards à la diplomatie complaisante feraient bien d’en prendre de la graine. 5/6

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Cagoules colorées, chorégraphies hirsutes, riffs cradingues : la révolution selon Pussy Riot !