LA PETITE VOLEUSE : Charlotte for ever

En 1989, La Petite Voleuse recevait le César de la meilleure affiche. Le splendide visuel situé juste au-dessus méritait bien son parpaing compressé, non ? Le film y est résumé en une seule image, en un seul geste : la frêle paluche d’une jeune nana chausse délicatement l’un de ses talons hauts. La douceur de cette peau offerte et l’éclat du cuir reflétant le jour traduisent une métamorphose à la fois sensuelle et émouvante, un désir d’émancipation, un besoin d’ailleurs. En abandonnant sur les pavés les godasses usées de l’enfance, Janine Castang (Charlotte Gainsbourg) ne veut plus être vue comme une ado de seize berges vivant dans un bled du centre de la France, en 1950. Elle veut être regardée comme une adulte, être embrassée comme une adulte. Cette exquise esquisse d’une femme en devenir n’a jamais connu son géniteur et sa mère s’est barrée sans laisser de traces. La vie avec sa tante et son oncle est plutôt morose. Alors la petite voleuse vole pour tromper le réel, berner l’ennui : du fric, des clopes, de la lingerie fine… Un butin qui lui permet de se faire belle et de se rendre au cinoche afin de capturer ses rêves sur la toile enchantée… Lorsque Janine rencontre Michel (Didier Bezace), un intello plus âgé qu’elle, et Raoul (Simon de La Brosse), un jeune gouailleur lui aussi adepte de la fauche, elle ne sait pas encore quel chemin prendra son existence…

Si j’en crois mon vieux Première (n°142, janvier 1989), la p’tite Janine devait à l’origine effectuer les Quatre Cents Coups avec Antoine Doinel. Si la jeune chapardeuse ne survit pas à l’ultime version du script, François Truffaut la fait renaître bien des années plus tard dans un projet rien qu’à elle : La Petite Voleuse. Nous sommes en 1983 et le cinéaste compte bien transposer à l’écran cette histoire co-écrite avec Claude de Givray. Mais la maladie l’empêche d’aller au bout de son processus créatif et finit par l’emporter le 21 octobre 1984… Après avoir transité par Claude Berri, le scénario de La Petite Voleuse se retrouve entre les pognes de Claude Miller. Logique puisque ce dernier a été, de 1969 à 1975, le directeur de production de Truffaut. Grand admirateur de l’auteur du fiévreux jusqu’au sublime L’Histoire d’Adèle H., Miller s’empare alors de l’œuvre inachevée et la personnalise avec l’aide de ses scénaristes Annie Miller (son épouse) et Luc Béraud. Surtout, celui qui nous a déjà offert un diptyque remarquable (les polars Garde à vue et Mortelle Randonnée), s’apprête à en former un autre. Trois ans après L’Effrontée (un classique de la chronique ado, au même titre que La Gifle et Diabolo Menthe), Miller réitère le même exploit avec La Petite Voleuse. La présence dans les deux opus de la perle Charlotte Gainsbourg n’y est pas pour rien…

Outre la justesse de ton propre à Claude Miller, le trait d’union constitué par son actrice principale permet de renouer avec la sensibilité fougueuse et la tendresse rugueuse de L’Effrontée. Le premier plan de La Petite Voleuse (hors générique d’ouverture) remplit le cadre avec le visage de Charlotte. Un choix qui ne doit rien au hasard : la jeune femme dévore le film du début jusqu’à la fin. Cette façon si singulière d’être au monde n’a pas besoin d’en faire trop : elle se canalise toute seule et éclot comme une fleur. Là réside tout le talent précoce de la fille de Jane et Serge, dans son naturel désarmant, son charme insolent. Peu importe l’expérience de la caméra quand on est capable de faire briller le soleil même la nuit. Avec la Miss Gainsbourg, les ténèbres ne sont que la promesse d’une aube… Mêlant la robustesse à la fragilité, s’exprimant avec la grâce d’un murmure ou la hardiesse d’une injure, Janine doit énormément à son interprète. De ce personnage tout en « contraste », c’est encore l’excellent Didier Bezace (quatre ans avant L.627) qui en parle le mieux. « Vous êtes audacieuse et timide, candide, imprévisible… Vous êtes assez désinvolte… Je crois que vous êtes passionnée » lui confesse-t-il au détour d’un rendez-vous. Pour résumer : Charlotte Gainsbourg est absolument irrésistible. Et dire qu’à l’époque, elle hésitait encore à se lancer dans une carrière de comédienne…

Derrière l’objectif, Claude Miller illustre ce récit initiatique sans pathos ni fioriture, dépeint avec acuité et pudeur les élans du cœur de son héroïne. Héroïne qui se cherche autant que cette France d’après-guerre, peine à se construire dans un pays à reconstruire. Miller ne la juge pas et l’aide plutôt à se relever, à mettre un pied devant l’autre, à garder la tête haute. La « meilleure façon de marcher » de Janine Castang, c’est encore la sienne, ce tempo que donnent ses talons lorsqu’ils dansent sur le macadam… Plutôt que de verser dans l’idéalisme et la nostalgie, le réalisateur de L’Accompagnatrice préfère souligner toute la dureté d’une société peu encline à faire de cadeaux à sa jeunesse désorientée et en quête d’amour. La parenthèse brutale de la maison de correction nous renvoie cette réalité en pleine face (l’occasion de croiser la chanteuse Nathalie Cardone que l’on retrouvera en 1994 dans Le Sourire du même Miller). Plus généralement, il est aussi question de condition féminine. Condition pas franchement à la noce en ces temps difficiles (tandis que des images d’archives exhibent les « tondues » de la libération, une « faiseuse d’anges » pratique clandestinement l’avortement dans son arrière-boutique)…

Et puis, La Petite Voleuse ne manque pas de répliques magnifiques. La preuve avec cet extrait dans lequel le regretté Bezace (encore lui) parle de musique : « Je crois que la musique, c’est un petit peu comme la peinture ou comme la poésie. Vous savez, dans la vie, toutes les choses finissent par disparaître. Elles vieillissent, elles meurent. C’est triste vous ne trouvez pas ? Alors justement, je crois que la musique, c’est une tentative pour essayer de conserver ces moments dans la mémoire, pour essayer de se souvenir de toutes ces choses qui disparaissent, qui ne reviendront jamais plus… » Ne pourrait-on pas en dire autant du cinéma ?

La Petite Voleuse. De Claude Miller. France. 1988. 1h45. Avec : Charlotte Gainsbourg, Didier Bezace, Simon de La Brosse

KNIGHTRIDERS (George A. Romero, 1981)

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Pour gagner leur vie, des troubadours anarchistes organisent des joutes médiévales, remplaçant les chevaux par des motos. Billy, le chef de ces chevaliers sur deux roues, se voit en roi Arthur des temps modernes. Mais Morgan, l’un d’entre eux, remet en question sa manière de gérer la troupe. Source : dvdfr.com

Derrière ce superbe visuel signé Boris Vallejo, se cache l’une des œuvres les plus personnelles et atypiques de George A. Romero. Sorti en 1981 dans l’indifférence quasi générale, Knightriders est pourtant la preuve éclatante que son auteur ne peut être réduit à ses films de zombies. Pas l’avis du métier ni du public qui, à l’époque, n’attendent de lui qu’un nouvel opus de la saga des morts-vivants. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un deal incluant la réalisation de ce qui deviendra Day of the dead, que le producteur exécutif Salah M. Hassanein offre à Big George son septième long-métrage. Soit un biker movie à la sauce arthurienne. Original et intrigant. À la base, Romero souhaite pourtant que ses héros posent leur cul sur un canasson et non sur une bécane. Samuel Z. Arkoff, l’un des producteurs potentiels du projet, lui suggère l’inverse. Une bonne idée, assez bis dans l’esprit, qui accentue encore un peu plus l’effet de décalage voulu par le sujet. Les cinglé·e·s du deux-roues portent ici un heaume au lieu du casque de rigueur et vivent selon les préceptes de la chevalerie du Moyen Âge. Cultiver le mythe de Camelot au début des années 1980 est en soi une forme de rébellion n’ayant rien à envier au soulèvement rock’n’roll des blousons noirs de L’Équipée sauvage. À la différence près que, pour Romero, la table ronde représente un idéal de démocratie où le pacifisme et l’humanisme ont leur place. La bande de saltimbanques motorisés de Knightriders forme une société hétérogène et plurielle au sein de laquelle personne n’est exclu. Ni les femmes, ni les noirs, ni les homosexuels. Les premières sont mécanos ou chevaleresses, les deuxièmes druides ou forgerons et les troisièmes maîtres de cérémonie ou jouteurs. La vision progressiste du réalisateur de Monkey Shines s’exprime à travers ce système éthique, tolérant et solidaire. Système ne pouvant s’épanouir qu’en dehors de la norme puisque les valeurs qu’il défend sont en train d’être englouties par l’Amérique de Reagan. Le retour en force de l’individualisme, du conservatisme et du capitalisme enterre une bonne fois pour toutes l’utopie rêvée par les hippies des sixties. Malheureusement, le flower power n’est pas parvenu à changer les choses. Tel est le constat que dresse le film en filigrane. Mais si la désillusion semble inévitable au regard de ce qui se profile à l’horizon, nos cavaliers électriques croient encore à leurs idéaux et continuent leur route vaille que vaille. Le grand final – romantique mais lucide, tragique mais porteur d’espoir – ne dit pas autre chose. Car les tentations du monde moderne menacent immanquablement de détruire le groupe. Les multinationales du spectacle ne sont jamais bien loin lorsqu’il s’agit de s’enrichir sur le travail d’autrui. Conçu dans une totale indépendance, Knightriders traite aussi du rapport conflictuel entre Hollywood et George A. Romero, artiste intègre n’ayant jamais bradé sa liberté. Il y a donc beaucoup de ce dernier dans le personnage du roi William (le toujours impeccable Ed Harris), doux dingue littéralement habité par son personnage au point de ne faire qu’un avec lui. Pas du genre à vendre son âme au diable. Son seul problème : être né trop tard dans un monde qui avance trop vite et sans lui. Le même fardeau que le Bronco Billy McCoy de Clint Eastwood, cowboy itinérant essayant lui aussi de faire revivre la magie d’un passé idéalisé. Les temps ont changé. L’heure n’est plus à la noblesse mais au rigorisme, à l’ordre qu’incarne ici un shérif véreux et violent. Dehors les baladins, les marginaux, les poètes. Prôner un mode de vie alternatif au pays de l’oncle Sam n’est pas une sinécure. En 1969, les easy riders de Dennis Hopper subissaient déjà un rejet similaire. Mais dans les glorieuses 80’s, les spectateurs ne sont pas davantage enclins à se déplacer dans les salles pour mater une péloche singulière comme Knightriders. Les badauds assistant au show de nos fous du guidon sont là pour les sensations fortes et non pour la beauté du discours (dans la foule : un amusant caméo de Stephen et Tabitha King). Les cascades sont, il est vrai, admirablement coordonnées. Et ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir des motards en armure se friter à coups d’épées ou s’adonner à la joute équestre… Parmi les comédien·ne·s, on peut également s’amuser à reconnaître les habitué·e·s du cinoche de Romero : Tom Savini, Patricia Tallman, Ken Foree, Christine Forrest, Scott H.Reiniger et bien d’autres. Juste après Martin, cet indispensable Knightriders était le film dont le maître de Pittsburgh était le plus fier. Franchement, il y a de quoi.

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Knightriders. De George A. Romero. États-Unis. 1981. 2h23. Avec : Ed Harris, Tom Savini et Patricia Tallman. Maté en dvd le 07/04/18.

LADY BIRD (Greta Gerwig, 2017)

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Christine « Lady Bird » McPherson se bat désespérément pour ne pas ressembler à sa mère, aimante mais butée et au fort caractère, qui travaille sans relâche en tant qu’infirmière pour garder sa famille à flot après que le père de Lady Bird a perdu son emploi. Source : allocine.fr

Un teen movie en tout point exemplaire : on n’en attendait pas moins de la part de Greta Gerwig. Remarquable devant comme derrière la caméra, l’actrice/réalisatrice/scénariste/productrice a puisé dans ses propres souvenirs d’ado pour mettre en scène son Lady Bird. Native de Sacramento, la Megan du The House of the Devil de Ti West a fait un bond dans le passé en revenant dans la ville qui l’a vue grandir. Gerwig filme la capitale californienne avec beaucoup de tendresse et un brin d’irrévérence, convoquant ses mémoires de jeunesse pour mieux les confronter à son œil d’adulte. La photo aux teintes automnales de Sam Levy dégage un certain réalisme magique, comme l’illustre ce superbe plan du Tower Bridge, phare éclairant la nuit de celles et ceux qui le contemplent. Pour rester dans un contexte autobiographique, le récit se déroule non pas de nos jours mais en 2002/2003. Soit l’époque des années fac pour la cinéaste, lorsque – dans l’après 11 septembre – l’Amérique de W. débute sa seconde guerre du Golfe. Autour des affres d’une jeune femme de 17 berges, le monde continue de tourner et ce même s’il ne tourne pas rond. Alors que les horreurs de l’Histoire s’étalent dans les journaux télévisés, Christine « Lady Bird » McPherson tente de donner du sens à ce gros foutoir que représente son existence. Il suffit de voir sa chambre pour s’en convaincre : les affaires s’y entassent et les rêves s’y bousculent. Les murs servent même de journal intime et arborent les pochettes de disque de Bikini Kill (« The Singles ») et Sleater-Kinney (« Dig Me Out »). Du punk rock né de la révolution musicale et féministe « riot grrrl ». Portant la révolte en elle, l’héroïne de Lady Bird ne peut se résoudre à moisir dans un lycée catho et fait preuve d’une belle insolence pour tromper son ennui. Quand elle ne grignote pas les hosties comme des chips, elle n’hésite pas à rembarrer devant toute la classe une intervenante anti-avortement (dans l’assistance, on peut remarquer la présence d’une figurante d’exception en la personne de Danielle Patti Cake$ Macdonald). Si certaines situations sont l’occasion de se moquer du conservatisme se cachant derrière les établissements d’enseignement privé et les grandes baraques pavillonnaires, le ton ne se fait jamais trop acerbe. L’écriture prend soin de nuancer le caractère des personnages, évitant ainsi toute caricature et imprégnant chacun de cette joyeuse mélancolie qui flotte dans l’atmosphère. Entre la douceur et l’amertume, la légèreté et la gravité, le romantisme et la crudité, le charme opère grâce à la justesse et à la fantaisie du regard gerwigien. Ce qui n’est pas incompatible avec les préoccupations sociales qui régentent la vie de ses protagonistes. Les difficultés rencontrées par la middle class s’entrechoquent avec l’oisiveté et le snobisme de quelques gosses de riches. Être populaire, venir en cours en 4×4, se payer les meilleures facs, il n’existe rien de plus cool pour une teenager. Facile de se perdre dans ce miroir aux alouettes lorsque l’on est un peu trop tourné vers soi-même et que notre désir d’évasion occulte parfois les autres. Le rapport mère/fille, fait de complicité et de dispute, cristallise ce fossé générationnel opposant deux conceptions des choses. Si grandir dans l’incertitude et au sein d’une société pleine de « pièges » n’a rien d’évident, vieillir permet de mieux faire le tri entre l’utile et le futile. À l’instar d’Isabelle Adjani dans La Gifle, l’autodénommée « Lady Bird » a des qualités et des défauts, pique des crises de nerfs, fait des erreurs mais finit par apprendre d’elles. À nous de la prendre telle qu’elle est : plurielle et profondément humaine. Les actrices et les acteurs, tous formidables, contribuent à rendre le long-métrage encore plus séduisant, touchant, épatant. Figure discrète mais marquante du petit comme du grand écran, l’excellente Laurie Metcalf apporte toute l’autorité et la profondeur nécessaires à son rôle de maman dépassée par les aspirations de sa gamine. Notons également la découverte (en ce qui me concerne) de Beanie Feldstein, la sœur de Jonah Hill, que l’on espère vite retrouver dans d’autres péloches. Mais le trésor suprême de Lady Bird demeure l’extraordinaire Saoirse Ronan. Bluffante de la première à la dernière image, la « Galway Girl » se déchaîne, s’enflamme, s’exalte et fait défiler la vie et ses passions en vingt-quatre images par battement de cœur. Il n’y a que Saoirse pour troubler de la sorte notre fréquence cardiaque…

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Lady Bird. De Greta Gerwig. États-Unis. 2017. 1h34. Avec : Saoirse Ronan, Laurie Metcalf et Tracy Letts. Maté en salle le 04/03/18.

PATTI CAKE$ (Geremy Jasper, 2017)

485852.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxFICHE TECHNIQUE Patti Cake$. De Geremy Jasper. États-Unis. 2017. 1h48. Avec : Danielle Macdonald, Bridget Everett et Cathy Moriarty (Raging bull, Panic sur Florida Beach, Copland). Genre : comédie dramatique. Sortie France : 30/08/2017. Maté en salle le lundi 28 août 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Patricia Dombrowski (Danielle Macdonald), alias Patti Cake$, a 23 ans. Elle rêve de devenir la star du hip-hop, rencontrer O-Z, son Dieu du rap et surtout fuir sa petite ville du New Jersey et son job de serveuse dans un bar miteux. Elle doit cependant s’occuper de Nana (Cathy Moriarty), sa grand-mère qu’elle adore, et de Barb (Bridget Everett), sa mère, une chanteuse ratée et totalement instable. Un soir, au cours d’une battle sur un parking, elle révèle tout son talent de slammeuse. Elle s’embarque alors dans une aventure musicale avec Jheri (Siddharth Dhananjay), son meilleur ami et Basterd (Mamoudou Athie), un musicien mutique et asocial. Source : allocine.fr

MON AVIS TÉLÉ Z Le genre de péloche qui revigore le palpitant, file la banane, humidifie les mirettes et fait l’amour aux esgourdes. Franchement, regarder Patti Cake$ fait un bien fou. Plus qu’un film, une trempe qui vous invite à garder la niaque malgré les difficultés de la vie. À ne jamais renoncer à vos rêves même si personne ne croit en vous. À rester fier de ce que vous êtes quand bien même les imbéciles vous insultent à tour de bras. À l’instar d’un Rocky, Patti Cake$ est une œuvre vibrante qui peut réellement vous motiver à prendre votre destin en main. Peu importe qu’il soit question de boxe ou de hip-hop : dans les deux cas, il s’agit de prouver aux autres et à soi-même que l’on est quelqu’un. Que l’on existe même si le ring, comme la rue, ne vous font pas de cadeau. La portée du film de Geremy Jasper est conséquente puisqu’il permet à d’innombrables jeunes femmes de prendre leur revanche. Celles qui – toute leur vie – ont été victimes de moqueries à cause de leur taille hors norme et de leur envie « d’autre chose » peuvent s’identifier à Patti. La force de s’assumer et de garder la tête haute : voilà ce que notre rappeuse en herbe transmet aux filles situées de l’autre côté de l’écran… Mine de rien, Patti Cake$ se réapproprie la « magie » qui caractérise une certaine comédie anglaise, celle où la réalité sociale n’interdit jamais l’humour d’affleurer (des exemples ? We want sex equality et Pride). Une réelle humanité se dégage de ces personnages hauts en couleur qui essaient tant bien que mal de résister à la dureté du quotidien. Pour Patricia Dombrowski, la musique est une échappatoire, elle qui trime jour et nuit, s’occupe seule de sa grand-mère malade et se fait rabaisser par sa mère que le temps qui passe a rendu amère. En voulant suivre sa voie, l’apprentie slammeuse devient une rebel girl prête à faire exploser son talent à la face du monde. Que Bikini Kill, groupe punk féministe des 90’s, se fasse entendre dans le film n’a donc rien d’anodin (il s’agit du morceau Double dare ya qui débute par un appel à la « Revolution girl-style now » !). Patti est une nana qui en veut, une riot grrrl en puissance qui – par son courage et sa passion – prouve que les femmes ont leur place dans le hip-hop. Un milieu souvent pollué par des guignols sexistes que notre héroïne émascule lors d’une séquence de battle absolument jouissive (et anthologique !). Les mots ont une force et, quand on sait s’en servir, ils peuvent faire bouger les lignes. Le rap de Patti Cake$ résonne dans le cœur et les tripes de ses interprètes et éclate dans l’air comme de la poésie. Une poésie percutante, balançant à l’auditoire des vers vifs et tranchants, lâchant sur l’asphalte un son plein de bruit et de fureur. Et tout ça avec un sens de l’impro qui laisse totalement sur le cul ! Nous ne sommes pas prêt d’oublier l’enregistrement du titre PBNJ dont le résultat aboutit à une véritable tuerie (à laquelle même la grand-mère participe – épatante Cathy Moriarty) ! Et puis, surtout, nous ne serions pas totalement raide dingue du long-métrage sans la phénoménale Danielle Macdonald. Une révélation ! C’est fou à quel point elle parvient à nous toucher. Il faut la voir encaisser les coups et se relever, il faut l’entendre déclamer son art comme si sa vie en dépendait. L’émotion que cette magnifique comédienne nous procure est telle que l’on sort du film avec les larmes aux yeux, mais aussi avec un putain de sourire et une pêche d’enfer. On a dès lors qu’une seule envie : prendre dans nos bras la miss Macdonald et lui dire merci. 6/6

PATTI CAKE$
Danielle Macdonald est Patricia Dombrowski (alias Killa P, alias Patti Cake$), l’atomic blonde du New Jersey.

LA FEMME DE MON POTE (Bertrand Blier, 1983)

11La femme de mon pote. De Bertrand Blier. France. 1983. 1h39. Avec : Isabelle Huppert, Coluche (dans un rôle prévu au départ pour Patrick Dewaere) et Thierry Lhermitte. Genre : comédie dramatique. Sortie France : 31/08/1983. Maté à la téloche le jeudi 17 août 2017. 

De quoi ça cause ? Deux copains, Pascal (Thierry Lhermitte) et Micky (Coluche), travaillent dans une station de sports d’hiver. Pascal a une liaison avec Viviane (Isabelle Huppert) qui est loin de laisser Micky indifférent, mais c’est la femme de son pote… Jusqu’au jour où Pascal le pousse dans les bras de Viviane. Micky cède et finit par passer quelques jours en compagnie de la jeune femme pendant une absence de Pascal. (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : Le ménage à trois et ses conséquences : l’une des préoccupations fétiches de Bertrand Blier. Un cinéaste pour qui il n’existe rien de plus chiant qu’un couple, une vie à deux. Ce conformisme est encore une fois mis à mal dans La femme de mon pote. Plus que d’amour et de cul, l’histoire parle d’amitié. Celle liant deux potes inséparables dont la relation est menacée par l’irruption d’une femme. Une femme sexy, aguicheuse, se foutant des convenances. Si la tigresse partage le pieu de l’un, son charme ne laisse pas non plus l’autre insensible. Comment résister à la tentation de goûter à la sensualité réincarnée ? Comment succomber à la chair sans trahir son meilleur ami ? Voilà les questions qui taraudent, tout au long du film, un Coluche profondément attachant. Sobre et bien loin des facéties de Banzaï ou La vengeance du serpent à plumes, le bonhomme laisse transparaître dans son regard cette mélancolie de clown triste qui explosera dans Tchao Pantin. Et même s’il hésite à dévoiler sa part d’ombre, il parvient néanmoins à faire remonter toute l’humanité d’un personnage agissant surtout pour le bien de son poteau. Quitte à s’en rendre malade et renoncer à ses sentiments pour la belle Viviane. Nul doute que la fragilité de Micky fait écho à celle de Michel Colucci, dont la gouaille inimitable se teinte ici d’un soupçon de tendresse et d’amertume. Dans La femme de mon pote, les hommes s’avèrent souvent pathétiques, paumés et bernés par leurs illusions. À l’image, aussi, du Pascal campé par Thierry Lhermitte (dans une version plus adulte du séducteur des Bronzés), beau gosse faisant une confiance aveugle à son complice de toujours et prend des plombes à voir la vérité en face. De son côté, l’énigmatique et indomptable Viviane s’amuse à faire tourner la tête de ses partenaires. Une certaine liberté se dégage de la dame en nuisette noire (ou rouge), même si sa situation la condamne un peu trop à l’oisiveté, voire la passivité. Heureusement, Blier semble avoir de l’affection pour ses personnages. Le regard est certes moins féroce que dans Les valseuses ou Buffet froid. Mais cette absence de cynisme apporte une note plus touchante à La femme de mon pote, à défaut d’en faire l’égal des chefs-d’œuvre des années 70. La faute, notamment, à une unité de lieu un brin pesante qui donne à l’ensemble un petit côté pièce de théâtre (l’action du film reste figée dans une station de sports d’hiver et ne tente jamais de s’en éloigner). Si le récit aurait mérité à être davantage aéré, la mise en scène n’a pour autant rien de statique. De façon aussi discrète qu’élégante, des travellings balaient les décors en jouant sur la transparence des baies vitrées et en plaçant la caméra aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur d’un chalet de Courchevel (logis où crèche le trio vedette). Un souci esthétique qui n’a rien d’anodin mais qui est bien peu de chose face à une Isabelle Huppert fondamentalement érotique. L’image se soumet à elle et la rend désirable. Sa présence accélère le réchauffement climatique. Devant elle, tout fond, les cœurs comme la neige. Même le mascara de l’intéressée coule dans des larmes noires lors du dernier plan de La femme de mon pote. Le plus beau, le plus définitif du film de Bertrand Blier. 4/6

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Coluche, Huppert, Lhermitte : tu ne convoiteras pas la femme de ton pote.

À MORT L’ARBITRE ! (Jean-Pierre Mocky, 1984)

18455460_jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxÀ mort l’arbitre ! De Jean-Pierre Mocky. France. 1984. 1h22. Avec : Michel Serrault, Carole Laure (à oilpé et recouverte de chocolat dans Sweet movie) et Eddy Mitchell. Genre : comédie dramatique. Sortie France : 22/02/1984. Maté à la téloche le lundi 3 juillet 2017.

De quoi ça cause ? L’arbitre Maurice Bruno (Eddy Mitchell) siffle un penalty faisant perdre l’équipe locale. Consternation des supporters du cru. De chantages en traque effrénée, l’embrasement collectif, aveugle et meurtrier déferle sur la ville. (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : Avec À mort l’arbitre !, Jean-Pierre Mocky – le franc-tireur du cinéma français – s’en prend à la religion du ballon rond. Le seul dans l’Hexagone, avec le formidable Coup de tête de Jean-Jacques Annaud. En collant aux basques d’une bande de supporters irrécupérables, le réalisateur d’Un drôle de paroissien démontre comment la foule peut vite céder à ses plus bas instincts quand elle est manipulée par ses croyances. Qu’elles soient sportives ou spirituelles ne change rien à l’affaire : dans les deux cas, l’intolérance l’emporte bien souvent sur toute autre considération. Pour une broutille (une histoire d’arbitrage mal digérée), une chasse à l’homme s’enclenche à travers toute la ville. Et la situation dégénère au fur et à mesure que progresse le récit. La connerie provoque la haine, la haine la violence, la violence le meurtre. Dans À mort l’arbitre !, Mocky dénonce la beauferie des hooligans franchouillards, la bêtise crasse de « ces fanatiques fous furieux, abreuvés de haine et de bière, déifiant les crétins en bleu, insultant les salauds en vert » (extrait de la chanson Miss Maggie de Renaud). Le trait féroce du cinéaste n’épargne aucun de ces dégénérés, surtout pas Rico, le chef de la meute, le pousse-au-crime, l’instigateur du lynchage. Assurément le pire de tous. Dans la peau d’un salopard ne reculant devant aucune bassesse, Michel Serrault devient la vilenie incarnée. L’acteur se lâche, à peine canalisé par une direction d’acteur un peu en roue libre, pour ne pas dire approximative. L’une des conséquences du sentiment d’urgence qui se dégage du long-métrage. Peu importe que les détails ne soient pas toujours bien fignolés, l’énergie bouillonnante et la radicalité anar de cette satire au vitriol suffisent à convaincre. Libertaire dans l’âme, Jean-Pierre Mocky s’est d’ailleurs octroyé le rôle d’un flic (plutôt du genre nonchalant), ce qui ne manque pas d’ironie. À ses cotés, outre son complice Serrault et l’excellent couple Carole Laure/Eddy Mitchell, on croise une ribambelle de gueules comme les affectionne le J-P : Claude Brosset, Dominique Zardi, Antoine Mayor ou encore Jean-Claude Romer, acteur mais aussi co-rédacteur de la mythique revue Midi-Minuit Fantastique (entre autres). Ce casting mockyien s’affronte jusqu’au point de non-retour, s’écharpe dans des décors froids, déshumanisés, vides et déprimants. Tel ce centre commercial évoquant celui du Zombie de Romero ou ces immeubles au look de blockhaus. Noir c’est noir, à l’image de cette comédie grinçante et corrosive, parfois digne d’un survival urbain et nourrie par la tristesse du fait divers et la colère de son auteur. 4/6

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Michel Serrault, une ordure prête à tuer pour un péno…