LA RELÈVE : old action hero

L’âge aidant, Clint Eastwood n’est jamais apparu aussi vulnérable à l’écran que dans La Mule. Dans la peau de cet horticulteur dans la dèche amené à transporter de la schnouf pour le cartel mexicain, l’acteur/réalisateur oppose son corps usé par le temps à celui des dealers armés jusqu’aux dents. Le contraste est saisissant mais l’octogénaire ne se montre nullement intimidé par ce rapport de force en sa défaveur. Celui qui tire sa révérence après une dernière chanson dans Honkytonk Man et se filme dans un cercueil dans Gran Torino n’a jamais eu peur de vieillir ni de mourir. On ne sait pas si La Mule constitue le véritable film testament de son auteur. On ne peut dire s’il représente l’ultime pierre d’un édifice humaniste, nostalgique, crépusculaire, désenchanté et tourmenté par les thèmes de la transmission, la culpabilité et la rédemption. L’idée de voir la légende (peut-être) pour la dernière fois bouleverse à elle seule nos cœurs de cinéphage (une émotion similaire irrigue aussi le récent Creed II, notamment à travers un plan sublime dans lequel Sly/Rocky est cadré de dos, remet paisiblement son chapeau sur la tête et laisse la nouvelle génération dans la lumière…). Quoi qu’il en soit, la longévité du monsieur fascine toujours autant. La sortie d’un nouvel opus semble l’immortaliser chaque fois un peu plus. Fuck la faucheuse, celle-ci peut bien attendre…

En s’éloignant du cinoche populaire qui l’a rendu célèbre, en refaçonnant une œuvre unique dans les annales hollywoodiennes, Eastwood a mis une certaine distance avec ses mythes. Pire que ça, il les a même tous enterrés. En 1988, il règle son compte à Dirty Harry, rôle qui lui a longtemps collé à l’épiderme, avec La Dernière Cible. En 1992, il fait ses adieux au western, genre sans lequel il n’aurait jamais percé au cinéma, avec Impitoyable. Entre ces deux funérailles de luxe, en 1990, il dégomme une bonne fois pour toute son statut d’action star en livrant son dernier baroud d’honneur pétaradant avec La Relève. Et pour l’occase, le bonhomme met le paquet, jubile de mille feux. Son but : mettre à l’amende les blockbusters à la mode, pondre un buddy movie digne de L’Arme Fatale et de sa suite, histoire de montrer qui est le boss. Pour cela, inutile de singer le style Joel Silver. En échange du financement du beaucoup moins commercial Chasseur blanc, cœur noir, Eastwood offre à la Warner un polar old school et foutrement teigneux. Telle est la signature du maître. Le script de Boaz Yakin (le Punisher avec Dolph) et Scott Spiegel (Evil Dead 2, respect) s’avère être le terrain de jeu idéal pour le cinéaste/interprète qui peut ainsi s’en donner à cœur joie. À l’arrivée, The Rookie demeure la péloche la plus fun (ex-æquo avec Le Maître de Guerre) et la plus spectaculaire (L’Épreuve de Force vient juste après) du père Clint.

La plus fun parce que l’heure est à la décontraction et aux punchlines qui fusent comme des balles. C’est bien simple, toutes les cinq minutes une réplique ultra badass vient nous décrocher la mâchoire (un exemple mémorable : « J’ai certainement une bonne centaine de raisons de ne pas vouloir te buter. Mais pour l’instant, j’en vois aucune. » BANG !!!). Envoyer un bon mot dans les gencives des bad guys juste avant de les liquider (le péché mignon des gros bras des 80’s) est devenu un exercice bien peu pratiqué de nos jours (les saillies verbales que l’on peut entendre chez Shane Black ou dans les deux premiers Expendables peuvent faire office d’exceptions). Rappelons aussi que la qualité du doublage français accentue le caractère jouissif de l’entreprise. Le travail du regretté Jean-Claude Michel, la plus fameuse des voix françaises de « l’homme sans nom », apporte beaucoup au jeu de ce dernier. À tel point que le long-métrage perd de son charme en VO (du moins pour celles et ceux qui ont découvert les classiques de Clint en VF). Les récurrences tordantes (le gimmick « T’as du feu ? » ou les circonstances de la rencontre entre les deux héros, identiques au début et à la fin du récit) et les situations bidonnantes (Charlie Sheen face aux molosses du cimetière de voitures) permettent également au spectateur de se fendre la poire.

Comme annoncé plus haut, La Relève est aussi l’effort le plus spectaculaire d’Eastwood. Les festivités démarrent sur les chapeaux de roues avec une course-poursuite automobile effrénée. L’une des nombreuses fulgurances bourrines d’un film généreux en la matière. Car le cavalier solitaire de Pale Rider fait ici tout péter ! Un bar miteux, un hangar douteux et même un jet privé ! Pour le reste, c’est du brutal (la bête est classée R aux États-Unis). Faut dire que notre Inspecteur Callahan semble être né avec le calibre en pogne. Et à soixante piges, il s’avère toujours aussi crédible dans le registre physique. Le duo qu’il forme avec Sheen (impeccable en jeune keuf d’abord coincé, ensuite enragé) provoque des étincelles mais pas seulement : il constitue également le symbole d’un passage de relais, d’un héritage dans lequel son auteur laisse à la jeunesse montante les rênes de l’entertainment made in USA. Illustrant avec un classicisme sans chichis et un max d’efficacité une intrigue assez familière (Eastwood et Sheen jouent deux flics tentant d’épingler des voleurs de bagnoles), le réal de Sudden Impact en profite aussi pour glisser au sein de cette folle aventure un passage aussi troublant que singulier. Attaché à une chaise dans le repaire des criminels, Clint se fait chevaucher par la létale et intimidante Sonia Braga. En clair, une femme viole un homme et lui impose ses désirs, baisant quand elle veut, comme elle veut et où elle veut. L’occasion pour le comédien/metteur en scène de démentir les accusations de machisme dont il a si souvent fait les frais… Contourner les attentes tout en faisant fi des étiquettes ? La spécialité d’un vieux dur à cuire qui, deux ans après Bird, revient au film de genre avec une déflagration orgasmique comme on n’en fait plus.

The Rookie. De Clint Eastwood. États-Unis. 1990. 2h01. Avec : Clint Eastwood, Charlie Sheen, Raul Julia…

SUR LA ROUTE DE MADISON (Clint Eastwood, 1995)

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À la mort de leur mère, Francesca Johnson, Carolyn et Michael apprennent qu’elle a demandé à être incinérée, et découvrent aussi, à travers son journal intime, un chapitre secret de sa vie. L’été 1965, alors que son mari, fermier de l’Iowa, et ses enfants se rendaient à un comice agricole, Francesca a rencontré Robert Kincaid, un photoreporter égaré, à la recherche d’un vieux pont couvert du comté à immortaliser pour National Geographic. Afin de mieux l’orienter, Francesca l’a accompagné. Le début d’une parenthèse de quatre jours qui les a marqués l’un et l’autre à jamais. Source : arte.tv/fr

Lors de sa carrière, Clint Eastwood a souvent alterné les projets perso avec d’autres plus commerciaux. Pourtant, scinder son œuvre en deux – avec d’un côté les films populaires et de l’autre ceux dits d’auteur – se révèle bien trop simpliste. Tout d’abord parce que l’expression « film d’auteur » ne veut rien dire lorsqu’elle est utilisée pour s’opposer au cinéma grand public. Quand il shoote L’Épreuve de Force ou Sudden Impact, Eastwood est un auteur insufflant son style et sa personnalité à des longs-métrages de studio (la Warner en l’occurrence). Et ensuite parce que la richesse évidente du parcours de l’intéressé défie toute tentative de classement binaire. À la sortie de Sur la route de Madison, beaucoup ont été surpris de voir Dirty Harry associé à un mélo. C’est oublier que – tout au long des 80’s – le bonhomme avait su faire évoluer son image à travers des réussites comme Bronco Billy, Honkytonk Man ou encore Bird. Au début des années 1990, un film somme vient faire éclater toute la puissance crépusculaire et la maturité artistique du grand Clint : Impitoyable. Dans ce même mouvement, Un monde parfait et Sur la route de Madison imposent un cinéaste en pleine possession de ses moyens et de plus en plus lucide quant à la fugacité de l’existence. Aujourd’hui, personne ne peut nier la pertinence de voir Eastwood aux commandes de The Bridges of Madison County. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le dernier des géants raconte une histoire d’amour impossible. Il faut remonter assez loin pour retrouver les prémisses de l’adaptation du roman de Robert James Waller. Dans Breezy (1973), troisième mise en scène du cavalier solitaire, une différence d’âge et de statut social compromet l’idylle entre un architecte quinqua (William Holden) et une jeune hippie (Kay Lenz). Comme quoi, bien avant les premiers oscars et l’actuel consensus critique, Clint savait déjà diriger une romance digne de ce nom. À la différence que Sur la route de Madison s’avère beaucoup plus poignant que son aîné. Car en seulement quatre jours, Francesca Johnson et Robert Kincaid se sont aimés pour toute une vie. Tout se joue le temps d’une parenthèse éternelle, avant que les sentiments de nos deux amants ne se transforment en cendre. Leur relation, cruellement éphémère, commence à peine qu’elle doit déjà se terminer. Dès le départ, cette union impose un sacrifice. Pour Francesca, il s’agit de quitter sa famille et de partir avec son photographe bien-aimé. Ou le laisser filer et retrouver sa condition de femme au foyer. Mais une telle décision implique aussi les autres. Faire table rase du passé et changer le présent peut avoir des conséquences sur ses proches, surtout dans l’Amérique conservatrice de 1965. Dans ce contexte, réaliser ses rêves a un prix. Aux yeux de cette fermière de l’Iowa, Robert représente la liberté qu’elle n’a jamais eu. Captive d’une ruralité bien trop tranquille, Francesca voit aussi dans cette rencontre l’occasion de rompre avec l’ennui qui la ronge en silence depuis tant d’années. À ce titre, elle sait que la banalité du quotidien peut faner les plus belles chimères. Ces quatre jours resteront donc son secret le plus précieux, un souvenir inaltérable que rien ne pourra ternir. Meryl Streep souligne avec une immense délicatesse les espoirs et les désillusions de son personnage, magnifie les différentes variations d’un désir qui monte, étreint et finit par consumer. À l’écran, ses échanges avec Clint Eastwood relèvent de l’alchimie. Les dialogues sont ciselés et laissent les émotions affleurer comme une caresse. Chaque mot sonne juste, chaque geste est décisif. La pureté de la mise en scène capte l’essentiel et ne rate rien du drame inconsolable qui se joue. Les quelques notes au piano du morceau Doe Eyes de Lennie Niehaus cristallisent de façon progressive cette love story déchirante et empreinte d’une nostalgie un brin désenchantée (mais pas encore désabusée, comme elle le sera plus tard dans le film le plus noir d’Eastwood : Mystic River). D’une élégance rare et d’une tristesse infinie, Sur la route de Madison nous invite à ne pas passer à côté de notre vie et ce même si la réalité étouffe parfois nos aspirations les plus folles. Alors levons nos verres aux soirées d’autrefois et aux musiques d’ailleurs…

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The Bridges of Madison County. De Clint Eastwood. États-Unis. 1995. 2h15. Avec : Meryl Streep, Clint Eastwood et Annie Corley. Maté à la téloche le 15/07/18.

DE L’OR POUR LES BRAVES (Brian G. Hutton, 1970)

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, près de Nancy, Kelly, un lieutenant américain, découvre que son prisonnier, un colonel allemand des renseignements, est en possession de deux lingots d’or. Celui-ci avoue qu’ils proviennent d’un trésor de guerre caché dans une banque derrière les lignes ennemies. Il décide de devancer les troupes américaines pour s’emparer du magot, recrutant pour ce faire quelques alliés pittoresques au sein du régiment… Source : arte.tv/fr

Alors que les États-Unis s’enlisent dans le merdier vietnamien, De l’or pour les braves se moque des discours bellicistes et patriotards qui produisent de la chair à canon. Imperméables à toute cette propagande, les « héros » de Kelly préfèrent les lingots d’or aux médailles en toc. Risquer sa peau à un prix et ce n’est pas celui fixé par l’oncle Sam. Amoraux les troufions ? Libertaires surtout. Suffit de voir ces conducteurs de chars semblant sortir tout droit de Woodstock (à leur tête : un Donald Sutherland savoureusement déjanté !). L’influence du mouvement hippie sur la péloche de Brian G. Hutton se fait sentir, comme s’il s’agissait de pacifier le film de guerre hollywoodien. La chanson pop Burning Bridges remplace la marche militaire attendue et sonne à elle seule comme une note d’intention. Si De l’or pour les braves ne se prend pas au sérieux (au détour d’une séquence, on a même le droit à un pastiche des westerns de Leone), c’est pour mieux tourner en ridicule une armée américaine franchement pas glorieuse. L’introduction donne le ton en montrant des yankees se faire bombarder la tronche par… d’autres yankees ! En temps de guerre, l’erreur est humaine ! Ayant toujours un train de retard, l’état-major ne brille guère par sa perspicacité. De manière très ironique, un général pontifiant (un Carroll O’Connor en mode burlesque) profite même du braquage effectué par les « braves » pour faire une avancée non négligeable derrière les lignes ennemies. Quand une bande de canailles change le cours de l’Histoire ! Malgré tout, ces bidasses en folie nous apparaissent comme bien sympathiques. Ces derniers ont beau être de sacrés frondeurs, ils n’en sont pas moins animés d’un certain sens du partage et de l’entraide (ils sont plusieurs à participer à cette mission et à se répartir le magot). L’issue du dernier combat laisse même entrevoir une possible réconciliation fraternelle entre des hommes de bords différents, mais au final tous logés à la même enseigne. Sous les obus et les gravats, l’utopie du « peace and love » tente de se frayer un chemin… Comédie irrévérencieuse et pittoresque, De l’or pour les braves prend aussi la forme d’une authentique bande d’aventure dans laquelle il est question de chasse au trésor et d’obstacles à contourner avant d’arriver jusqu’à lui. Comme avec l’excellent Quand les aigles attaquent (spy movie situé pendant la Seconde Guerre mondiale), Hutton mélange les genres et ne reste pas confiné dans les limites imposées par son contexte historique (dans lequel se greffe le film de casse, ce qui est assez original). Réalisateur solide et compétent, le bonhomme mène sa barque avec savoir-faire et se montre particulièrement à son aise dans les passages les plus spectaculaires. Les morceaux de bravoure sont emballés avec panache, comme le montre notamment l’affrontement final entre un tank allemand et nos braqueurs de banque. Les visions subjectives adoptant le point de vue d’un canon ou ces travellings balayant des tireurs placés côte à côte, sont des preuves du dynamisme visuel de ce Kelly’s Heroes. Et puis il y a aussi ce casting de gueules taillées pour la grande bagarre. Entre deux étapes décisives pour sa carrière (la trilogie du dollar et le premier Dirty Harry), Clint Eastwood s’impose tranquillement dans le paysage du cinéma américain. Il prête son imposante silhouette au Kelly du titre original, sans crever l’écran mais avec une belle assurance. Après avoir été l’un des douze salopards du père Aldrich, Telly Savalas est encore une fois remarquable en vieux briscard des champs de bataille. N’oublions pas le génial Donald Sutherland déjà cité plus haut, qui la même année a aussi fréquenté le satirique M.A.S.H de Robert Altman. Bref, tous des pointures qui, plus tard, inspireront Bébel dans Les Morfalous (Henri Verneuil, 1984) et George Clooney dans Les Rois du désert (David O. Russell, 1999).

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Kelly’s Heroes. De Brian G. Hutton. États-Unis/Yougoslavie. 1970. 2h24. Avec : Clint Eastwood, Telly Savalas et Donald Sutherland. Maté à la téloche le 28/01/18.

L’INSPECTEUR HARRY (Don Siegel, 1971)

dirty_harry_xlgL’inspecteur Harry (titre original : Dirty Harry). De Don Siegel (auteur de cinq péloches avec Eastwood). États-Unis. 1971. 1h39. Avec : Clint Eastwood, Harry Guardino et Andrew Robinson (également dans Charley Varrick du même Siegel). Genre : polar. Sortie France : 16/02/1972. Maté à la téloche le dimanche 2 juillet 2017.

De quoi ça cause ? À San Francisco, un tueur fou réclame une importante somme d’argent en contrepartie de la promesse d’arrêter son bain de sang. L’inspecteur Harry Callahan (Clint Eastwood), surnommé « Dirty Harry » car spécialiste des affaires « pourries », mène l’enquête. Loup solitaire aux méthodes expéditives, il est en constant désaccord avec sa hiérarchie quant à la manière de gérer ce cas de chantage mortel. As de la gâchette, Harry ne recule devant rien pour mettre ce criminel hors d’état de nuire, quitte à s’arranger avec la loi… (source : Arte.tv/fr)

Mon avis Télé Z : L’inspecteur Harry reste et restera à tout jamais un modèle de polar. L’archétype du flic aux méthodes expéditives et en conflit avec sa hiérarchie a durablement marqué le genre. Après avoir laissé une trace indélébile sur le western (la fameuse trilogie des « dollars » de Sergio Leone), Clint Eastwood devient une icône du film d’action moderne. Et c’est si peu dire qu’il crève l’écran. La silhouette écrasante, le regard d’acier et le charisme destructeur du comédien font immédiatement entrer son Dirty Harry dans la grande histoire de la pop culture (nul doute que le résultat aurait été moins explosif avec les autres acteurs pressentis pour le rôle, notamment Frank Sinatra). Les punchlines apportent aussi énormément à son personnage. Chacune de ses réparties cinglantes envoyées à la face de ses interlocuteurs demeure absolument jouissive (Callahan à monsieur le Maire : « Quand un gars à poil court derrière une fille la queue en l’air et un couteau de boucher à la main, c’est drôle… j’ai peine à croire qu’il est en train de quêter pour la Croix Rouge »). Mais derrière ses aspects badass, Harry « le charognard » est un homme perdu et désabusé. Si son passé tragique explique en partie la rage qui l’anime (son épouse a été tuée par un chauffard ivre-mort), ce sont surtout la violence des rues de San Francisco qui ont fait de lui ce qu’il est devenu. La ville a déteint sur l’officier de police mais celui-ci reste quand même du bon côté de la loi. Est-il davantage à blâmer que ces bureaucrates tellement soucieux de défendre les bourreaux qu’ils en négligent les victimes ? Même si le film répond à la question par la négative (nous sommes bien dans un western urbain), la réalité semble plus complexe qu’elle n’y paraît. Marginal, frondeur et nihiliste, Callahan ne croit ni au système pour lequel il trime (système de toute façon très perfectible) ni en lui-même (il ne sait pas pourquoi il fait ce métier). Le geste final – lourd de sens – revêt des allures de suicide. La dernière image fait progressivement disparaître notre inspecteur, la caméra s’éloigne de lui et l’efface du monde des vivants… Un sens aigu de la mise en scène que l’on doit au grand Don Siegel. L’inspecteur Harry constitue la preuve éclatante de son indéniable sens du rythme, de sa parfaite gestion de l’espace, de son art consommé du suspense et de son savoir-faire en matière d’action. Frisco a rarement été aussi bien shootée (l’introduction offre un saisissant panorama des lieux) et les plans percutants ne manquent pas (le canon du Magnum 44, fétiche indissociable du rôle-titre, donne de jolies perspectives). Hargneux et viscéraux, certains morceaux de bravoure ne cessent d’impressionner, comme cette interrogatoire douloureux infligé au tueur Scorpio par le père Callahan, en plein milieu d’un stade désert (un sommet de tension déstabilisant de brutalité). La tête de désaxé d’Andrew Robinson fait d’ailleurs merveille dans la peau de ce psychopathe aussi sadique que pathétique (le cri bestial qu’il lâche quand il se ramasse une lame dans la cuisse est proprement stupéfiant !). Question violence, Dirty Harry fait montre d’une férocité qui laisse sur le cul et reflète la société américaine des seventies (en 1971, la guerre du Viêt Nam n’est toujours pas terminée). Autre artisan de la réussite du film, le compositeur Lalo Schifrin livre une B.O funky du plus bel effet (la musique qui accompagne le générique d’ouverture est une authentique tuerie !). Superbement rythmé, le score comprend également un thème plus mélancolique qui vient souligner la part d’ombre de son principal protagoniste. Inutile d’aller plus loin : cette toute première aventure du condé le plus vénère du 7ème art n’a pas pris une seule ride et n’a rien perdu de sa verve. Un classique, un vrai. 6/6

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Clint Eastwood est l’inspecteur Harry Callahan : un bon, une brute mais pas un truand.