
Trop jeune pour te rendre dans une salle spécialisée en janvier 1981 ? Toujours pas abonné à Canal + le 1er mai 1988 ? Ton magnétoscope a avalé (et digéré) ta VHS René Chateau ? Ton pote Thomas P. s’est barré sur la Station spatiale internationale avec ton DVD Alpha France ? Pas de panique ! Grâce aux gars de chez Pulse Vidéo (en collaboration avec les américains de Vinegar Syndrome), tu vas pouvoir te mater en haute déf le film de culte définitif : La Femme-objet. Disons-le d’emblée, cette galette rutilante constitue la plus affriolante des éditions Blu-ray made in France (ex æquo avec la box Possession du Chat qui Fume). Qu’un éditeur se décarcasse pour mettre en valeur le porno dans ce qu’il a de meilleur est une initiative à applaudir des deux fesses. Surtout lorsqu’il n’hésite pas à offrir l’écrin le plus brillant à l’un de ses plus dignes représentants. Traiter avec toutes les considérations cinéphiles le chef-d’œuvre de Dr. Mulot et Mister Lansac n’est que justice. De par son exigence artistique, La Femme-objet parvient à abattre la cloison qui sépare le hard du cinoche traditionnel. Plus qu’une péloche cochonne, c’est une péloche tout court. Une vraie. Conçue par des pros, tournée en pellicule 35 mm et destinée à la projection en salle. C’était le bon temps ! Celui de l’âge d’or, quand les obstacles dressés par la loi de 1975 et son foutu classement X n’avaient pas encore anéanti un genre tout entier. Quand des cinéastes audacieux persistaient à livrer des bandes créatives, originales, personnelles. Des bandes avec beaucoup de baise mais aussi pas mal de sens.

À l’instar d’un Claude Bernard-Aubert (alias Burd Tranbaree) ou d’un Serge Korber (alias John Thomas), Claude Mulot ne débute pas sa carrière en filmant des « belles foufounes et du jus de roupettes » (pour reprendre l’intitulé d’une rubrique du fanzine Médusa). Son CV de metteur en scène, il l’entame néanmoins sous le signe du Bis. Spectateur des salles de quartier, Mulot donne volontiers dans l’anticonformisme. Dès la fin des sixties, il offre une Rose écorchée à Anny Duperey (une jolie incursion dans l’épouvante gothique), pratique une Saignée aussi thérapeutique qu’une bastos dans le crâne (une incision prenant la forme d’un polar insolite, cruel et habité) et scrute les émotions secrètes d’un jeune homme de bonne famille dans Les Charnelles (parmi celles-ci : la « franquienne » Anne Libert). Au mitan des années 70, Claude Mulot utilise le pseudo de Frédéric Lansac et s’essaye à la pornographie sur grand écran. Loin de constituer une contrainte ou un quelconque renoncement, la luxure pelliculée permet au réalisateur/scénariste de s’épanouir. Son entrée dans le « blue movie » hexagonal n’est que le prolongement « explicite » de son œuvre. Sans vendre son sguègue au diable, il aborde le X sans rien sacrifier à son regard d’auteur. Ses friponneries haut de gamme s’élaborent à partir d’idées fortes, font preuve d’irrévérence et d’à-propos, louvoient entre drame et comédie, entre ombre et lumière. Et tout ça entre deux parties de jambes en l’air !

Produit et distribué par l’incontournable Francis Mischkind (le patron du label Alpha France), La Femme-objet est l’ultime contribution de Mulot/Lansac aux films pour adultes (en tant que réalisateur du moins : ses véritables adieux au genre se font avec le script des Délices du Tossing de Gérard Kikoïne, en 1983). Qu’il soit posté derrière la caméra ou seulement devant sa machine à écrire, on doit à notre homme une dizaine de sarabandes pornos. La première est un classique de renommée mondiale : Le Sexe qui parle (1975). Le reste n’a pas à rougir (sauf de plaisir) surtout lorsque revient à l’esprit la délirante et féroce fin du monde de Shocking! (1976) ou ses deux fructueuses collaborations avec Brigitte Lahaie, « belle d’un soir » dans Suprêmes jouissances (1977) et prof débauchée dans Les Petites écolières (1980). Et comment ne pas évoquer le sublimement morbide Mes nuits avec… Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard (1976) ? Impossible. Ce choc (écrit par Mulot, shooté par Didier Philippe-Gérard alias Michel Barny) appartient à ces trésors ayant donné ses lettres de noblesse au hardcore. Un club dont fait aussi partie La Femme-objet. Cet éblouissant chant du cygne relate l’histoire de Nicolas (Richard Allan), un écrivain de SF doublé d’un sex addict. Insatiable jusqu’à la dernière goutte de liqueur séminale, il dévore et épuise ses partenaires. À tel point que ses conquêtes féminines finissent toutes par le larguer. Pour ne pas se retrouver seul face à ses besoins sexuels, le queutard fabrique alors sa « bionic woman ». Ce robot, baptisé Kim (Marilyn Jess), est censé accomplir tous ses désirs. À moins qu’une volonté naissante ne vienne enrayer la machine…

Cinéphage invétéré, fantasticophile averti, Claude Mulot profite de La Femme-objet pour rendre hommage aux pouvoirs de l’imaginaire. Tel Frankenstein, Nicolas joue les Prométhée modernes, se prend pour Dieu, défie la logique et les croyances. À la différence près que le romancier n’agit ni pour la science ni pour l’humanité, mais seulement pour assouvir ses pulsions libidinales. Ce qui n’empêche pas ce geste purement égoïste de provoquer la chute de l’apprenti sorcier et de suivre la même trajectoire que le chercheur monomaniaque de Mary Shelley… La « fiancée » de Nicolas, Kim (un clin d’œil à l’actrice Kim Novak), représente pour son inventeur l’idéal féminin, un fantasme de cinéma à l’image de la Raquel Welch de One Million Years B.C. (l’affiche du film traîne dans le décor, comme celle de Tobor the Great). Cette « Frankenhooker » avant l’heure préfigure les cyber-prostituées de la série Westworld (un parc d’attractions où les visiteurs peuvent forniquer avec des gynoïdes dernier cri) et annonce l’émergence de ces poupées sexuelles de plus en plus perfectionnées (nul doute que les technologies du futur parviendront à faire des femmes des automates consentants…). Visionnaire, La Femme-objet devance également la teen comedy Une créature de rêve (John Hughes, 1985), récit d’une drôle d’expérience menée par deux geeks concevant une nana synthétique. Ou encore la BD de Manara, Le Déclic (le premier tome sort en 1984), dans laquelle un émetteur active une puce implantée dans le cerveau d’une bourgeoise afin de la transformer en nympho (c’est aussi une télécommande qui contrôle Kim)… Et pendant ce temps-là, un jouet R2-D2 trône sur le bureau de notre fou de la braguette. Ce qui ne doit rien au hasard…

ATTENTION SPOILER : SI TU N’AS PAS ENCORE REJOINT LA FEMME-OBJET DANS SON PLUMARD, SAUTE CE PARAGRAPHE !
Dans La Femme-objet, la question de l’intelligence artificielle sert à remettre en cause la place de l’homme au sein du couple. En se révoltant contre son créateur, Kim brise les certitudes de ce phallo de Nico, le fait descendre de son piédestal. Ce serial fucker écrase les femmes sous le poids de sa lubricité, les possède comme bon lui semble puis les accuse de ne pas être à la hauteur. Et si c’était l’inverse ? Ce malin de Mulot opère lors de la dernière bobine un retournement de situation aussi osé qu’ironique. Les rôles s’échangent : le dominant prend la place du dominé. Le maître se mue en esclave. Nicolas devient alors l’homme-objet, Kim une femme-sujet. Rabaissé à son tour au rang de vulgaire sex-toy, le premier se soumet à la seconde et se voit enfin tel qu’il est : un toxico du slibard prêt à s’avilir pour avoir sa « dose »… Le pouvoir change donc de camp. Mais cet élan féministe ne peut compenser la froideur des relations dépeinte par l’auteur du Couteau sous la gorge. Chez lui, la gent masculine est condamnée à s’envoyer en l’air avec des gonzesses factices, des machines programmées pour copuler. En acceptant ce simulacre de volupté, les hommes ne valent pas mieux que des pantins réduits à leurs instincts primaires. Un commentaire prophétique sur l’avenir du X ? Sans doute. Pour l’heure, l’amour est encore une fête. Demain, la chair sera triste et s’étalera sur internet jusqu’à la nausée… Nihiliste mais clairvoyant, La Femme-objet ausculte nos pires travers pour mieux décrire ce qui nous attend. Pour un peu, on se croirait dans un épisode de la série d’anticipation Black Mirror !

Suscitant la réflexion grâce à son étonnante progression dramatique, La Femme-objet n’est pas seulement stimulant sur le fond, il l’est aussi sur la forme. La caméra est libre d’aller où elle veut, caresse aussi bien les visages que les parties intimes, cherche les angles les plus aventureux, se glisse même sous les draps lors d’une étreinte entre le légendaire Richard « Queue de béton » Allan et sa compagne d’alors, Nicole Segaud (alias Hélène Shirley). Quant à la lumière, elle peut se montrer douce et tamisée (le temps d’une séquence, un rayon de soleil se faufile dans la pénombre de la chambre à coucher) ou surnaturelle et baroque (des néons bleus plongent le laboratoire du héros dans des ténèbres fluorescentes). Au travail remarquable fourni par le directeur de la photo François About (assisté de Thierry Arbogast, le chef-op’ de Nikita), s’ajoute la fabuleuse musique de Jean-Claude Nachon. Une partition électro-pop qui émoustille les écoutilles ! Si François de Roubaix avait composé la BO d’un boulard, elle ressemblerait à cette merveille… Précisons également qu’un certain Pitof s’occupe ici du montage. Oui, il s’agit bien du futur réal de Vidocq et Catwoman ! Mais l’épicentre de ce tremblement de chair n’est autre que l’orgasmique, l’aphrodisiaque, l’explosive Marilyn Jess (de son vrai nom Dominique Troyes). Sa « Stepford wife » en cuissardes a l’air si réelle, si chaude, si vivante qu’elle en devient fascinante. Seule une comédienne de talent peut réussir à incarner une telle chimère. Icône d’une époque révolue, mais à tout jamais dans nos cœurs, celle que l’on surnomme « Patinette » n’a pas fini de nous rendre pornostalgiques…

La Femme-objet. De Frédéric Lansac. France. 1981. 1h26. Avec : Marilyn Jess, Richard Allan, Hélène Shirley…