LA MOGLIE PIÙ BELLA et NORTH COUNTRY : seule contre tous

Il faut une bonne dose de courage pour s’élever contre l’injustice. Surtout lorsqu’on fait partie des opprimées. Être une femme, issue de surcroît de la classe laborieuse, fait de votre vie un combat permanent. Si vous trimez là où la mafia terrorise son prochain, vous devenez la candidate idéale au mariage forcé (Ornella Muti dans La Moglie più bella aka Seule contre la mafia). Si vous bossez dans une mine pour pouvoir gagner votre croûte, les hommes vous font comprendre que vous n’êtes pas à votre place (Charlize Theron dans North Country aka L’Affaire Josey Aimes). La Moglie più bella et North Country : une péloche italienne des 70’s et une américaine des années 2000. Deux films, deux origines, deux époques, mais la même histoire vraie : celle d’une femme défiant seule contre tous un système inique et patriarcale.

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La diffusion sur France 3 de Seule contre  la mafia nous rappelle que la programmation du « Cinéma de Minuit » est à surveiller de près, sous peine de passer à côté d’une petite perlouze. Ça serait tout de même dommage de louper un Damiano Damiani, non ? Si on lui doit le western zapatiste El Chuncho ou le deuxième opus de la saga Amityville, le cinéaste s’est surtout spécialisé dans le polar à forte connotation politique et sociale. Avec en prime un thème récurrent, celui de la mafia et de ses influences néfastes sur la société italienne. Des titres comme La Mafia fait la loi, Confession d’un commissaire de police au procureur de la république ou encore Perché si uccide un magistrato s’inscrivent dans cette tendance. Sans oublier, bien entendu, Seule contre la mafia.

Ce film de Damiani n’est donc pas seulement une fiction. Il s’inspire du calvaire enduré dans les années 1965-66 par Franca Viola, une jeune femme originaire d’Alcamo en Sicile. De condition modeste, elle se fiance à un mafieux du coin mais finit par rompre son engagement envers lui. Pour contraindre Franca au mariage, ledit mafieux la kidnappe et la viole. Mais la victime n’en reste pas là : elle porte plainte, fout un procès au derche de son ravisseur et l’envoie en tôle. Ce « fait divers » a connu en son temps un fort retentissement en Italie. Contre vents et marées, Franca Viola s’est opposé à la tradition sicilienne autorisant les hommes à enlever les femmes qu’ils veulent épouser. Elle a refusé de se marier avec le type qui l’a violée. Elle a rejeté l’idée absurde selon laquelle son honneur serait bafoué si elle ne se laissait pas passer la bague au doigt par celui qui l’a déflorée. Il y a des conventions sociales qui ne peuvent être tolérées…

Dans Seule contre la mafia, Damiano Damiani décrit une société gangrenée par la misère, le crime organisé et les vieilles coutumes bien rances. Il montre sa protagoniste, Francesca (une toute jeune mais déjà remarquable Ornella Muti), suer sang et eau pour quelques kopecks et vivre dans une déprimante cité ouvrière. Il dénonce l’arrogance d’une petite frappe de la « Cosa nostra », Vito Juvara (une enflure avec la gueule d’ange d’Alessio Orano) qui dispose comme bon lui semble de l’existence d’une jeune femme. Il révèle les mentalités d’une Italie profonde intolérante au moindre changement, que ce soit du côté de la population (cf. la terrible séquence où les « mammas » rossent une ado prenant fait et cause pour Francesca) ou de celui des institutions (les Carabiniers traitent la même Francesca avec beaucoup de condescendance lorsque celle-ci vient faire sa déposition).

Chronique sociale et pamphlet féministe, La Moglie più bella croise le drame féroce et engagé avec les conventions du poliziesco, l’autre nom du néo-polar à l’italienne (« Hier, j’ai vu un poliziesco » fera à coup sûr son petit effet lors de votre repas de noël, pensez-y). Même si le Damiani n’appartient pas à la veine trash et hard-boiled du genre (qui s’est pris dans les gencives un Roma a mano armata ou un Big Racket sait de quoi je cause), on a tout de même le droit à la rivalité opposant deux familles de gangsters et des assassinats chelous commis en pleine rue. Et le tout sur une musique du grand Ennio Morricone, ce qui reste une inestimable plus-value artistique. Quant à la divine Ornella, la femme la plus belle du titre original, elle tient ici son premier rôle au cinéma. Peut-être son plus beau, son plus fort, ex æquo avec celui de Cass, l’ange brisé du sublime Conte de la folie ordinaire… Modèle de cinoche populaire aux préoccupations sociales et humanistes, Seule contre la mafia ne peut laisser de marbre et rend compte du long chemin qu’il reste (encore) à parcourir pour atteindre la liberté, l’égalité et la sororité/fraternité.

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En 1975, Lois Jenson est l’une des rares femmes à bosser dans une mine américaine. Pendant de nombreuses années, elle encaisse l’hostilité de ses collègues masculins qui lui font subir un bizutage des plus avilissants. En 1984, elle entame une longue bataille judiciaire contre son employeur, la Eveleth Taconite Company dont l’inertie profite clairement à ses agresseurs. S’ensuit un recours collectif (ou « class action » en anglais), procédure permettant à un groupe de personnes de poursuivre son entreprise (entre autres). Si le verdict n’est rendu qu’en 1998 (mieux vaut tard que jamais), Lois Jenson remporte néanmoins le procès dont l’issue a permis de mieux encadrer les questions liées au harcèlement sexuel au travail et, surtout, de protéger les femmes pouvant en être victimes.

Dans le film de Niki Caro (réalisatrice néo-zélandaise à qui l’on doit The Zookeeper’s Wife avec Jessica Chastain), Lois Jenson s’appelle Josey Aimes et prend les traits de la charismatique Charlize Theron. La Furiosa de Mad Max : Fury Road nous livre ici une performance remarquable, preuve s’il en est que la comédienne fait partie de celles qui s’investissent totalement dans leur rôle. Sa beauté sert aussi son personnage (joué plus jeune par Amber Heard) puisque la Miss Aimes se voit reprocher d’attirer les mecs et d’avoir une vie sentimentale instable (comme si être séparée d’un conjoint brutal et se retrouver seule avec deux gosses était de sa faute). Charlize n’a donc pas besoin de s’enlaidir pour rendre crédible cette nana qui, pour joindre les deux bouts, accepte un job qui l’expose à l’intolérance et à la bêtise crasse de ses contemporains.

Insulte, intimidation, menace, moquerie : voilà le quotidien d’une femme qui n’a pas voulu rester à sa place et faire un « taf de femme ». Sans parler des remarques et des comportements salaces qui n’ont qu’un seul but : rabaisser Josey Aimes et lui enlever toute dignité. Ce qu’elle supporte est proprement révoltant et correspond bien à un certain état d’esprit, celui d’une Amérique tellement profonde qu’elle reste clouée à des schémas sociaux archaïques. En plantant sa caméra dans une bourgade du Minnesota, Niki Caro offre un cadre rugueux et authentique à son histoire, n’hésitant pas à montrer en plan large des montagnes neigeuses convergeant toutes vers la mine du coin, monstre industriel jurant avec le paysage. La population locale est en bonne partie à l’image de cette usine : figée, glaciale et indifférente à ce qui l’entoure.

Outre les attaques sexistes essuyées par son héroïne, le plus choquant dans North Country reste encore la loi du silence régnant sur cette petite ville des États-Unis. Josey Aimes comprend bien vite que changer les choses n’est pas sans conséquences. Elle est incomprise, rejetée, isolée. Mais l’émotion du long-métrage provient aussi de son acharnement à vouloir gagner sa place dans la société (très belle séquence que celle où elle plaide sa cause dans une salle pleine de beaufs en colère). Œuvre militante et jamais manichéenne (les hommes n’y sont pas tous des connards), L’Affaire Josey Aimes mêle adroitement le drame humain au film de prétoire (avec en guise de conclusion un twist révélant une fêlure cachée dans l’âme de sa protagoniste) et approche son sujet avec beaucoup de conviction. Le film à voir pour comprendre ce que représentent réellement les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre du travail.

La Moglie più bella. De Damiano Damiani. Italie. 1970. 1h48. Avec : Ornella Muti, Alessio Orano, Tano Cimarosa…

North Country. De Niki Caro. États-Unis. 2005. 2h06. Avec : Charlize Theron, Frances McDormand, Woody Harrelson… 

ATOMIC BLONDE (David Leitch, 2017)

09Atomic blonde. De David Leitch. États-Unis/Suède/Allemagne. 2017. 1h51. Avec : Charlize Theron (gloire à l’Imperator Furiosa !), James McAvoy et Sofia Boutella. Genre : action/espionnage. Sortie France : 16/08/2017. Maté en salle le dimanche 20 août 2017.

De quoi ça cause ? L’agent Lorraine Broughton (Charlize Theron) est une des meilleures espionnes du Service de renseignement de Sa Majesté; à la fois sensuelle et sauvage et prête à déployer toutes ses compétences pour rester en vie durant sa mission impossible. Envoyée seule à Berlin dans le but de livrer un dossier de la plus haute importance dans cette ville au climat instable, elle s’associe avec David Percival (James McAvoy), le chef de station local, et commence alors un jeu d’espions des plus meurtriers. (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : Incroyable Charlize Theron. Une classe à couper le souffle, un magnétisme qui impose le respect. Chez elle, le feu et l’acier se mêlent pour livrer un spectacle déchaîné et effervescent. Dès le début, la chair souffre. Le corps tuméfié de la blonde atomique plonge dans un bain de glace. La récompense pour celle qui affronte chaque jour les simulacres de ce monde de barbouzes. Mais certains moments semblent sortir de rêves plus soyeux. Un micro se faufile parmi les dessous de l’espionne et savoure sa cachette. Car il y a aussi ces instants qui précèdent la bataille, ces fragrances glam’ dans lesquelles Theron se prépare, seule dans sa piaule, à demi-nue mais avec une attention déjà en alerte et des phalanges prêtes à en découdre. Une gestuelle gracieuse accompagne le rituel. Comme le souligne le Cat people (putting on fire) de Bowie, Charlize est une féline. Le sex-appeal et la rage réunis. C’est bien dans ce mélange explosif que trouve sa place Atomic blonde. Une bande racée qui peut aussi faire très mal. À des années-lumière des bourrinades de chez EuropaCorp, le film de David Leitch fait preuve de goût et de maîtrise lorsqu’il s’agit de faire causer les flingues et les poings. Le summum est atteint avec un plan-séquence situé dans les escaliers d’un immeuble où l’héroïne se frite méchamment avec plusieurs mectons. Malgré la fureur déployée par ce feu d’artifice de bourre-pifs, les mouvements de caméra demeurent aussi vifs que précis. L’affrontement – d’une sauvagerie inouïe – se poursuit à l’extérieur et se conclut par deux bagnoles entrant violemment en collision. Et cette dinguerie dure une bonne dizaine de minutes ! Rayon action, je n’ai rien vu d’aussi grisant depuis le dantesque The raid 2 (Gareth Evans, 2014) ! Pas de doute, le réalisateur du déjà réussi John Wick (2014) confirme qu’il est fait pour le genre. D’autant plus que son atomique péloche se double d’un très efficace spy movie façon John le Carré (en plus vénère et badass). Et pour cause, puisque le scénario a la bonne idée de se situer pendant un événement historique bien particulier : l’imminence de la chute du mur de Berlin. Soit le réchauffement de la guerre froide. Soit les glorieuses 80’s. Cette décennie enveloppe tout le long-métrage de son esthétique (le lettrage fluo du générique d’ouverture est vraiment très joli) et l’influence du Drive de Nicolas Winding Refn se fait même sentir sur la photographie de Jonathan Sela (ces démons de néons possèdent un charme indéniable). Bien entendu, la bande-son n’est pas en reste puisqu’elle témoigne du meilleur choix possible pour illustrer une histoire se déroulant en 1989. Sans que cela ne soit jamais envahissant mais reste au contraire un plaisir en toute circonstance, les hits de la new wave, du rock alternatif et du punk défilent sur la platine d’Atomic blonde (rares sont les films où l’on peut écouter du New order ou du Siouxsie and the banshees). Autre bon point : le script ne vient jamais ruiner ce chouette contexte rétro à coup d’amourette lourdingue, contrairement à ce que laissait présager les brefs flashbacks du début. Suggérer que Charlize avait une liaison avec l’agent buté dans la séquence pré-générique n’apporte rien à l’ensemble. Heureusement, cette storyline encombrante n’est jamais exploitée. Elle aurait même pu être biffée du montage final. Mais peu importe. Ce détail ne pèse pas lourd face à une Charlize Theron jouant les Valkyries modernes et prouvant magnifiquement que les femmes dominent dorénavant le cinéma d’action. Je pourrais aussi vous parler de la présence des excellents James McAvoy, John Goodman, Toby Jones et Eddie Marsan. Mais je préfère consacrer mes derniers mots à l’autre super nana d’Atomic blonde : Sofia Boutella. Une atomique brune dont la splendeur athlétique dissimule une touchante fragilité et qui s’offre avec la Theron un inoubliable ballet saphique. C’est pas chez James Bond, Jason Bourne ou Ethan Hunt qu’on verrait ça. 5/6

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Charlize Theron écrasant les roustons de ses adversaires dans les couloirs d’un vieil immeuble : LE morceau d’anthologie d’Atomic blonde.