CHROMOSOME 3 : les gènes de la terreur

Selon Michel Cymes, « nous pouvons agir sur notre destin génétique ». David Cronenberg n’a pas attendu le diagnostic du toubib du PAF pour explorer les pouvoirs extraordinaires du corps humain. À la différence près que, chez le cinéaste canadien, il n’est pas question de santé, de bien-être, d’équilibre alimentaire mais plutôt de cauchemar biologique, d’horreur organique, de psycho-frousse. Ce qui rend tout de suite la chose plus passionnante qu’un prime time pépère sur France 2… Chromosome 3. Je le précise pour celles et ceux qui ont séché l’école des fans et pour les p’tits plaisantins comme votre oncle Roger (« Je n’ai jamais vu Chromosome 1 et 2. C’est bien ? ») : non, il ne s’agit pas du troisième volet d’une quelconque saga. À l’instar de Police Puissance 7, Assault on Precinct 13 ou Appelez-moi Johnny 5, c’est un film autonome. Cela dit, même si le titre français est un peu à côté de la plaque (préférez son blaze original, le plus approprié The Brood que l’on peut traduire par la portée, la couvée), le chromosome 3 existe. En voici la définition retrouvée parmi les archives du très instructif Pif Gadget : « Le chromosome 3 constitue l’une des 23 paires de chromosomes humains. C’est l’un des 22 autosomes. » J’arrête ici le cours de sciences. Place à la leçon de cinéma. Celle de Maître Cronenberg n’a rien perdu de sa modernité, de son audace, de son pouvoir de réflexion et de fascination. La preuve avec Chromosome 3, son opus le plus personnel et sans doute le plus flippant…

Le fraîchement divorcé Frank Carveth (Art Hindle) partage la garde de sa fille Candice (Cindy Hinds) avec son ex-épouse Nola (Samantha Eggar). Cette dernière suit une thérapie alternative à la clinique du controversé Docteur Raglan (Oliver Reed). Alors qu’il lui fait prendre son bain, Frank découvre dans le dos de sa gamine des ecchymoses. Il suspecte alors Nola mais Raglan empêche quiconque d’approcher sa patiente et d’interférer dans ses soins. Au même moment, de mystérieux meurtres ébranlent l’entourage de la famille Carveth… En partie autobiographique, Chromosome 3 tire sa source du propre divorce de David Cronenberg. Une sale histoire dans laquelle notre homme a été contraint de sortir sa môme des griffes de son ancienne compagne, celle-ci projetant d’entraîner leur progéniture dans une secte… Le sixième long-métrage de l’auteur de Dead Zone tente d’exorciser cette mauvaise expérience conjugale et de trouver un exutoire à ses angoisses de père. Le résultat – atrabilaire, agressif, déstabilisant – peut se voir comme une version « gore » de Kramer contre Kramer, mélo sorti lui aussi en 1979 et abordant des problèmes similaires (un rapprochement effectué, avec amusement, par Cronenberg lui-même). Bien qu’il représente l’antithèse du film de Robert Benton et s’enfonce progressivement dans les abîmes d’un imaginaire torturé, The Brood est aussi un drame intimiste et psychologique, le récit ordinaire (mais qui ne le reste pas longtemps) d’un géniteur inquiet voulant seulement protéger son enfant…

Pour nous faire croire à l’incroyable, David Cronenberg s’appuie sur des bases solides : le quotidien. Le quotidien, ce n’est pas seulement le réel dans ce qu’il a de plus banal. C’est aussi ce que les apparences recèlent de plus effroyable. Dans Chromosome 3, tout commence avec un cas de maltraitance infantile. Le script suggère que ces sévices pourraient se transmettre de génération en génération, comme une maladie héréditaire. Ce mal que l’on appelle violence est en nous, dans notre esprit, dans notre chair. Il agit tel un virus contre lequel il n’existe aucun remède et contamine vos proches, insidieusement, inéluctablement (en 2005, Cronenberg distillera à nouveau ce venin intrafamilial dans le fort justement nommé A History of Violence). Le danger ne provient plus de l’extérieur mais de l’intérieur (il se cache même dans la matrice). Le foyer n’est plus un lieu sûr (ce n’est pas un hasard si les premières victimes sont trucidées dans une cuisine ou une chambre à coucher). Plus rien ne nous protège du monde. Les sacro-saintes valeurs du mariage, de la maternité et de l’éducation (l’école n’apporte plus la sécurité à ses élèves et ses institutrices) ne sont pas seulement remises en cause : elles sont carrément pulvérisées. Et je ne parle même pas de la figure de l’enfant qui prend ici la forme de petits freaks sanguinaires, grands frères du poupon zigouilleur de It’s Alive (aka Le Monstre est vivant de Larry Cohen) et lointains cousins des têtes blondes du Village des damnés. Faites des gosses qu’ils disaient…

À l’instar des plus fameuses transgressions horrifiques des 70’s (Le Dernier zombie sur la gauche, La Tronçonneuse a des yeux, Les Dents de l’exorciste), Chromosome 3 nous file les jetons parce qu’il vient heurter nos certitudes, brouiller nos repères, ravager nos modes de vie. Depuis ses débuts placés sous le signe de l’expérimental (les courts Transfer, 1966; From the Drain, 1967), de l’underground (Stereo, 1969; Crimes of the Future, 1970) et du shocker subversif (Frissons, 1975; Rage, 1977), le Roi David ne cesse d’aiguiser ce regard puissamment anticonformiste. Avec The Brood, la maîtrise de son art est indiscutable. Juste avant l’explosif Scanners (1981) et le visionnaire Vidéodrome (1983), celui qui fera de Jeff Goldblum une mouche à taille humaine s’impose déjà comme la référence de l’horreur corporelle (ou body horror). Ce qui se cache derrière la « dangerous method » du psy Raglan (Oliver Reed, parfait d’ambiguïté) dépasse l’entendement. Ce qui vient matérialiser en fin de bobine nos peurs les plus profondes relève de la plus sublime des épouvantes. Portant sur son ventre les stigmates d’une somatisation extrême et inimaginable, Nola Carveth (Samantha Eggar, impressionnante) dévoile sa « nouvelle chair » à des spectateurs médusés. Lorsqu’elle lèche, tel un animal, le sang sur la tête de son nouveau-né, l’effroi rejoint l’extase en un coup de langue. « Savez-vous de quoi est capable votre esprit ? » nous demandait la jaquette du dvd de Chromosome 3. La réponse apportée par Cronenberg n’a pas fini de nous faire cauchemarder…

The Brood. De David Cronenberg. Canada. 1979. 1h32. Avec : Art Hindle, Oliver Reed, Samantha Eggar…

FRIDA (Julie Taymor, 2002)

05

À Mexico, en 1922, Frida est une jeune étudiante en philosophie très attirée par la peinture. Un terrible accident la laisse alitée de longs mois durant – temps qu’elle met à profit pour peindre. Une fois remise, elle montre ses toiles à Diego Rivera, le plus grand peintre du pays, communiste et coureur de jupons notoire. Il lui fait connaître les milieux artistiques et militants, où elle se montre aussi intrépide qu’un homme. Diego ne tarde pas à la demander en mariage, mais la jeune femme pose ses conditions : s’il ne peut «physiologiquement» pas lui rester fidèle, il doit lui jurer une loyauté totale. C’est le départ d’une grande histoire d’amour, d’amitié et de peinture, marquée par des ruptures, des succès, des secrets, des réconciliations et beaucoup d’excès… Source : telerama.fr

Être prise au sérieux, se faire accepter par ses pairs et ne pas sombrer dans l’oubli : pour une femme, s’imposer comme peintre (ou plus généralement comme artiste) n’a pas toujours été facile. Faire partie des « ni vues ni connues » (d’après le titre d’un indispensable bouquin dénonçant l’invisibilisation des femmes dans plusieurs domaines) alors que l’on appartient aux « culottées » (comme les qualifie la géniale Pénélope Bagieu dans ses BD), relève de la plus profonde iniquité. Mais le génie réussit parfois à démolir le mur des conventions. Celui de Frida Kahlo (1907-1954) s’est forgé une place ici-bas, son style reconnaissable entre mille ayant marqué l’histoire de l’art. Encore que cela ne se soit pas fait sans douleur. Un accident d’autobus lui laisse de graves séquelles et la cloue au plumard pour un bon bout de temps. Le corps immobilisé, brisé et emplâtré, elle fait de nombreux allers-retours sur la table d’opération. De cette souffrance qui ne la quitte plus, Frida en tire l’inspiration nécessaire pour créer. Ses cicatrices extérieures et intérieures guident ses pinceaux sur la toile. Elle y met toutes ses tripes, abandonne ses peines à l’imagination et constitue une forme de catharsis sublimant ses blessures intimes et corporelles. Ça, Julie Taymor l’a bien compris. Son point de vue épouse celui de son héroïne et teinte l’écran de couleurs aussi vives que tourmentées. Des parenthèses fantasmagoriques et surréalistes s’inspirent directement de l’univers pictural de l’artiste mexicaine. Des tableaux s’animent et traversent le miroir, des statuettes délaissent leur pose poétique et se mettent à bouger, des squelettes échappés del día de los muertos jouent les médecins pour sauver Frida, Diego Rivera se prend pour le King Kong de 1933 et sème la panique à New York… La réalité devient un rêve et vice versa. Certaines images sont carrément renversantes, notamment celles intégrant Salma Hayek à l’intérieur même des œuvres de Kahlo. Parmi les nombreuses fulgurances oniriques et graphiques que comptent le long-métrage, mentionnons celle voyant la comédienne s’envoler dans les airs comme dans la toile The Dream (The Bed). De par ses choix de mise en scène, Taymor traduit toute la magie indissociable des ténèbres de Frida. Car malgré toutes les épreuves qu’elle a dû surmonter, la mexicaine reste une force de la nature animée par une putain de fougue. Cette femme talentueuse et insoumise offre à Salma Hayek un rôle en or dans lequel elle s’est beaucoup investie. La passion avec laquelle la Santanico Pandemonium d’Une nuit en enfer s’approprie son personnage mérite d’être applaudie. L’actrice a même poussé la chansonnette pour l’occasion (la BO d’Elliot Goldenthal est par ailleurs un bel hommage à la musique du Mexique) et mis ses talents de peintre à contribution (certaines toiles visibles à l’écran sont les siennes). Et n’oublions pas cet instant muy caliente où Salma se lance dans une danse sensuelle avec Ashley Judd… Toutefois, le script aurait gagné à faire un peu moins de place à Diego Rivera (Alfred « Docteur Octopus » Molina), sa relation tumultueuse avec Frida ayant tendance à prendre le pas sur la trajectoire personnelle de cette dernière. Les contradictions politiques et les exigences artistiques du bonhomme sont bien plus approfondies que celles de sa compagne. Alors oui, son importance dans le parcours de son épouse est incontestable. Mais certains évènements ont la fâcheuse manie de reléguer la Kahlo au second plan, voire d’en faire qu’une simple spectatrice (la digression du Rockefeller Center en est le plus symptomatique). On sort du film avec l’impression qu’il nous manque quelques faits marquants sur Frida, surtout ceux liés à son art et à l’impact de celui-ci sur le public. Ses infidélités lesbiennes sont elles aussi traitées de manière anecdotique, ses amantes n’ayant malheureusement jamais le temps d’exister (Saffron Peur Bleue Burrows se fait draguer, caresser la cuisse dans un snack-bar et disparaît au bout de deux minutes). En dépit des directions parfois hasardeuses prises par Frida, ce biopic a au moins le mérite d’éviter tout académisme et de placer sous nos yeux ébahis une Salma Hayek exaltante et charnelle. Et surtout, il donne envie d’admirer le travail et l’engagement d’une icône intemporelle.

06

Frida. De Julie Taymor. États-Unis/Canada/Mexique. 2002. 1h57. Avec : Salma Hayek, Alfred Molina et Geoffrey Rush. Maté en dvd le 12/05/18.

GHOSTLAND (Pascal Laugier, 2018)

1404407

Suite au décès de sa tante, Pauline et ses deux filles héritent d’une maison. Mais dès la première nuit, des meurtriers pénètrent dans la demeure et Pauline doit se battre pour sauver ses filles. Un drame qui va traumatiser toute la famille mais surtout affecter différemment chacune des jeunes filles dont les personnalités vont diverger davantage à la suite de cette nuit cauchemardesque. Tandis que Beth devient une auteur renommée spécialisée dans la littérature horrifique, Vera s’enlise dans une paranoïa destructrice. Seize ans plus tard, la famille est à nouveau réunie dans la maison que Vera et Pauline n’ont jamais quittée. Des évènements étranges vont alors commencer à se produire… Source : allocine.fr

Les expériences cinématographiques de Pascal Laugier ont coutume de nous emmener plus loin que prévu et de nous retourner comme une crêpe. Faux torture porn servant d’exutoire à son auteur, Martyrs s’achève sur des questionnements existentialistes vertigineux. Thriller hanté par une figure boogeymanesque trompeuse, The Secret opère un virage à cent quatre-vingts degrés lors d’un coup de théâtre d’une tristesse insondable. Tout aussi radical que ses prédécesseurs, Ghostland s’adonne néanmoins à un exercice beaucoup plus casse-gueule. Commençant comme un home invasion, le dernier effort du père Laugier s’émancipe très vite des cadres du genre pour s’amuser avec une matière narrative qu’il a bien du mal à maîtriser. Le problème, ce sont les bases ultra fragiles sur lesquelles repose tout le long-métrage. Le point de départ du scénario ne crédibilise ni n’approfondit les motivations des personnages. Partir du quotidien le plus ordinaire pour ensuite nous faire accepter l’extraordinaire est une donnée qui fait ici cruellement défaut. Une règle hitchcockienne sur laquelle le cinéaste fait l’impasse pour mieux se concentrer sur son projet de mise en scène : filmer le réel comme un fantasme et le fantasme comme le réel. Le principe aurait pu donner un résultat jouissivement retors. En l’état, il est impossible de rentrer complètement dans l’histoire. Les deux premiers actes sont ainsi pénibles à suivre, d’autant plus que Laugier appuie un peu trop ses effets. Au bout d’un moment, l’abus de jump scares finit sérieusement par soûler, à tel point qu’on se croirait dans un nouveau Annabelle. Certains concepts frôlent même le grotesque (l’apparition d’un Lovecraft aux effets de maquillage pas très subtils). Le jeu figé de Mylène Farmer n’arrange pas non plus les choses et enlève toute émotion à son rôle, ce qui est regrettable compte tenu de l’importance de la relation mère/fille dans le film. Et pourtant, malgré des choix souvent périlleux, le miracle a bien lieu. Il intervient quasiment à mi-parcours lorsque un twist révèle enfin la vérité derrière le cauchemar. En se délestant de son inclinaison boiteuse pour l’ambiguïté du point de vue (n’est pas Shyamalan qui veut), le long-métrage laisse enfin exploser toute sa puissance viscérale et émotionnelle. Pour Pascal Laugier, l’horreur se doit d’être sans concessions et ne peut supporter aucune tiédeur. À l’instar de Martyrs, Ghostland dérange, secoue, bouscule, à l’image de ces adolescentes pelotées, tabassées et pendues par les pieds comme de vulgaires poupées. Des passages aussi intenses que transgressifs pour un shocker intègre et honnête quand il s’agit de montrer la violence subie par des gamines. Sans tomber dans les dérives opportunistes d’un A Serbian film, ces séquences traumatiques prouvent surtout que le réalisateur français n’a pas son pareil pour nous envoyer des électrochocs dans la gueule. La direction d’actrice s’avère aussi irréprochable, Laugier n’hésitant pas à pousser ses comédiennes dans leurs derniers retranchements. Le résultat est visible à l’écran et laisse foutrement sur les rotules. Dans des emplois éprouvants, tant sur le plan psychologique que physique, Emilia Jones, Crystal Reed, Taylor Hickson et Anastasia Phillips prennent chacune aux tripes et s’investissent avec une rage peu commune. Dans les moments de terreur comme de grâce, et en particulier lors d’un final libérateur, leurs larmes deviennent aussi les nôtres. Un chaos nourri par les obsessions de son réalisateur (la famille décomposée, l’innocence écrasée), celui-ci faisant même du personnage de Beth son propre double. La jeune femme est une aspirante écrivaine totalement mordue de roman horrifique (et en particulier de l’auteur de L’Appel de Cthulhu) qui trouvera dans son calvaire l’inspiration nécessaire pour s’affranchir de ses références et se forger une œuvre personnelle. Après le citationnel Saint Ange, son tout premier long, Laugier a préféré puiser ses idées au fond de son âme plutôt que dans sa culture cinéphilique. Pour une enfant comme pour un artiste, grandir ne se fait pas sans douleur. Voilà la leçon à retenir du tortueux et torturé Ghostland qui, s’il pédale dans la semoule durant sa première partie, nous laisse au final de sacrées traces.

0798425_jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Incident in a Ghost Land. De Pascal Laugier. Canada/France. 2018. 1h31. Avec : Emilia Jones, Crystal Reed et Anastasia Phillips. Maté en salle le 20/03/18.

COLOSSAL (Nacho Vigalondo, 2016)

05FICHE TECHNIQUE Colossal. De Nacho Vigalondo. Canada/États-Unis/Espagne/Corée du Sud. 2016. 1h49. Avec : Anne Hathaway, Jason Sudeikis (la barbe lui donne ici des faux airs de Chuck Norris) et Dan Stevens. Genre : fantastique. Sortie France : 27/07/2017 (e-Cinéma). Maté à la téloche le dimanche 24 septembre 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Gloria (Anne Hathaway) est une jeune new-yorkaise sans histoire. Mais lorsqu’elle perd son travail et que son fiancé la quitte, elle est forcée de retourner dans sa ville natale où elle retrouve Oscar (Jason Sudeikis), un ami d’enfance. Au même moment, à Séoul, une créature gigantesque détruit la ville, Gloria découvre que ses actes sont étrangement connectés à cette créature. Tout devient hors de contrôle, et Gloria va devoir comprendre comment sa petite existence peut avoir un effet si colossal à l’autre bout du monde… Source : allocine.fr

MON AVIS TÉLÉ Z De nos jours, on ne s’étonne plus de retrouver directement en dvd/blu-ray ou en VOD des œuvres se distinguant par leur originalité. Voir Colossal sur petit écran ne m’étonne donc pas. Ce qui ne m’empêche pas de trouver dommage que la distribution des films en salle soit aussi standardisée. Des propos qui relèvent de la vieille rengaine, me direz-vous. Cela dit, qu’un cinéaste aussi inventif que Nacho Vigalondo ait pu financer un tel projet est déjà en soi un miracle. Le long-métrage existe, il est visible et – en 2017 – c’est une victoire pour les artistes qui se contrefoutent des modes et des diktats des majors. Pourtant, à première vue, Colossal semble profiter du succès des récentes réappropriations hollywoodiennes du kaiju eiga, le film de monstre à la japonaise. Cependant, Vigalondo n’emprunte pas le même chemin que Pacific Rim ou le dernier remake de Godzilla. Le cinéaste espagnol détourne plutôt le genre pour lui donner une couleur plus intime et décalée. L’histoire commence en effet comme une (fausse) comédie romantique qui, par la suite, prend la forme d’un drame sentimentalo-surnaturel. Les relations entre les personnages s’obscurcissent lorsqu’une extraordinaire découverte révèle leur vrai visage. Une étrange autant que stimulante dichotomie s’opère alors entre le retour chaotique de la principale protagoniste dans son bled natal et les spectaculaires apparitions d’une gloumoute géante en plein Séoul. Dès lors, deux échelles interagissent entre elles, l’une humaine, l’autre… colossale, la première ayant la responsabilité de ce qui se passe dans la seconde. Une façon pour Gloria (Anne Hathaway, convaincante en girl next door), jeune femme un peu paumée et en manque de repères, de combattre ses vieux démons et de s’affirmer. Ses décisions peuvent sauver des milliers de vies à l’autre bout de la planète et l’amènent à se conduire comme une héroïne silencieuse. Face aux parasites qui ne la comprennent pas et la tirent vers le bas, nous comprenons vite que les « méchants » du film ne sont pas ceux que l’on croit. Se présentant d’abord comme un gars charmant et sympathique, Oscar (Jason Sudeikis, dans un registre qui l’éloigne de ses emplois habituels dans la comédie U.S.) n’est en fait rien d’autre qu’un type autoritaire et frustré par sa condition. Ce cliché de la romcom (au départ) se transforme rapidement en salaud ordinaire dont le sexisme latent est un défi de plus lancé à l’encontre de Gloria. Dans le même temps, celle-ci affronte sa « némésis » comme s’il s’agissait d’un vilain de comic book movie, à la différence que les super-pouvoirs sont ici détenus par leur double kaijuesque. Ne laissant rien au hasard question écriture, Vigalondo peut se reposer sur la suspension d’incrédulité du spectateur pour crédibiliser l’incroyable. Par le biais d’un flashback aux images superbement évocatrices et d’un modus operandi ludique lié aux irruptions des créatures sud-coréennes, le bonhomme parvient à livrer une œuvre fantastique dans tous les sens du terme. Le climax, aussi inattendu qu’ingénieux, en constitue une preuve supplémentaire. Pour en arriver là, le réalisateur de Timecrimes (2007) a veillé à ce que l’équilibre entre ressorts psychologiques et saillies spectaculaires reste stable. Pas de destructions massives ostentatoires dans Colossal, mais des passages aussi brefs que marquants dont le but est avant tout de servir l’histoire et non pas d’épater la galerie. Les effets visuels n’en sont pas moins soignés et rivalisent avec le plus nanti des blockbusters (sans compter la réussite que représente le design du titan de Gloria). Malgré sa visibilité réduite dans l’Hexagone, il faut donc découvrir le petit dernier de super Nacho. Pourquoi ? Parce que rares sont devenues les péloches de genre qui, tout en faisant un pas de côté salutaire et payant, témoignent d’une réelle envie de cinéma. 4,5/6

06
Dans Colossal, les problèmes d’Anne Hathaway prennent des proportions gigantesques…

MAMÁ (Andrés Muschietti, 2013)

MamaMamá. D’Andrés Muschietti. Espagne/Canada. 2013. 1h40. Avec : Jessica Chastain, Nikolaj Coster-Waldau (dit le Régicide) et Megan Charpentier. Genre : fantastique/épouvante. Sortie dvd/blu-ray : 01/10/2013 (Universal Pictures). Maté en blu-ray le samedi 6 mai 2017.

De quoi ça cause ? Il y a cinq ans, deux soeurs, Victoria et Lily, ont mystérieusement disparu, le jour où leurs parents ont été tués. Depuis, leur oncle Lucas (Nikolaj Coster-Waldau) et sa petite amie Annabel (Jessica Chastain) les recherchent désespérément. Tandis que les petites filles sont retrouvées dans une cabane délabrée et partent habiter chez Lucas, Annabel tente de leur réapprendre à mener une vie normale. Mais elle est de plus en plus convaincue que les deux soeurs sont suivies par une présence maléfique… (source : Dvdfr.com)

Mon avis Télé Z : Tout film avec Jessica Chastain se doit d’être vu et Mamá n’échappe pas à la règle. Deux ans avant Crimson Peak, la flamboyante rouquine se frotte à l’épouvante avec succès. Pour l’occasion, elle adopte un look punk rock qui lui sied à merveille et défend son personnage avec toute la subtilité et la grâce qu’on lui connaît. Jessica joue Annabel, une bassiste ayant peu d’affinités avec les gosses – et ne désirant pas en avoir – mais que les évènements vont pousser à protéger deux gamines perturbées par l’omniprésence d’une mère ectoplasmique. Le film oppose deux visions de la maternité. Une qui se mérite et évolue au fil de sentiments réciproques; et une autre qui s’impose de façon autoritaire, quitte à tuer pour cela. Dans un cas comme dans l’autre, devenir mère est un sacrifice, comme le montre une conclusion déchirante en forme de faux happy end. En cours de route, le premier rôle masculin (Nikolaj Coster-Waldau, très impliqué) s’efface d’ailleurs pour laisser la place au duel Annabel/Mamá. Un face-à-face entre deux trajectoires féminines différentes; l’une tournée vers la lumière et la vie, l’autre vers la folie et la mort… Tragédie maternelle et familiale, Mamá s’articule autour d’un socle émotionnel fort et s’inscrit dans la continuité des bandes fantastiques espagnoles des années 2000 (L’orphelinat en tête). Le script en reprend scrupuleusement la mécanique, sans éviter les passages obligés du genre (l’enquête du psy nous dévoilant les origines du spectre vindicatif). Si son intrigue ne sort pas vraiment des sentiers battus (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fonctionne pas), le premier long d’Andrés Muschietti (qui développe ici l’un de ses propres courts) se rattrape aisément sur le plan visuel. Jouant sur le plan fixe, le hors-vue et le hors-champ, le jeune cinéaste se sert de toutes les ressources de la mise en scène pour faire naître le frisson. Le cinéaste argentin fait preuve d’une belle imagination lorsqu’il s’agit de suggérer la présence de Mamá dans le cadre, et sait aussi tirer parti de l’obscurité pour optimiser ses effets. Même les CGI ne ruinent jamais les apparitions – souvent spectaculaire – de l’esprit vénère. Rien d’étonnant quand on a un producteur aussi attentif que Guillermo del Toro. 4,5/6

mama-movie-jessica-chastain-hair-tattoo
Quelque chose se cache dans la maison de Jessica Chastain, quelque chose de tordu et de possessif qui n’apprécie guère que l’on s’occupe des gamines à sa place…