RAMBO : lonely are the brave

« Quels sont les crétins qui ont regardé Rambo, hier soir ? ». Cette question, elle m’avait été posée à moi et à mes camarades de classe de CM2 par notre cher professeur. Fier de sa saillie sarcastique, ce grand con jouissait certainement dans son froc rien qu’à l’idée de se payer la tronche de mômes de dix, onze ans. Bien entendu, aucun de nous n’avait osé répondre à cette méchanceté gratuite déguisée en supériorité intellectuelle. Peu enclins à devenir la cible d’une moquerie déclenchée par l’instit, les « crétins » en question n’avaient pas moufté. De toute façon, l’instant était peu propice au coming out ou au débat. J’avais donc fermé ma gueule, me sentant juste insulté et coupable d’avoir vu un film jugé par le « maître » comme le symbole de l’idiotie du cinéma populaire américain… Comme quoi, on peut donner des cours à des élèves, leur montrer comment poser une division, leur faire lire du Marcel Pagnol, conjuguer le verbe être à tous les temps et ne pas toujours savoir de quoi on parle (tout en se comportant au passage comme un adulte con-descendant)…

Ce souvenir d’enfance sur fond de pédagogie douteuse démontre à quel point le mythe Rambo a pu être incompris, voire tourné en ridicule. Célébrée de par le monde, imitée par le cinoche d’exploitation, multi parodiée, la saga initiée par Ted Kotcheff a longtemps été la cible privilégiée des détracteurs de l’entertainment hollywoodien. Les préjugés se sont encore plus accentués avec le succès phénoménal de l’hargneux et fichtrement pétaradant Rambo II : la Mission, opus récupéré et dénaturé par la classe politique de l’époque (Reagan en avait fait une œuvre de propagande au grand dam de Sly). Les choses ne se sont pas non plus arrangées avec le mal-aimé et mésestimé Rambo III, superbe bande d’aventure old school réhabilitée dans les pages du dernier hors-série de Mad Movies. Quant au miraculeux et monstrueux John Rambo, la même rengaine que pour Rocky Balboa s’est faite entendre : « Quoi, un nouveau Rambo ? Mais c’est passé de mode ! Et puis Stallone, il est pas un peu trop vieux pour ces conneries ? ». En attendant de voir, avec un peu de recul, si les a priori ont persisté à propos du récent Rambo : Last Blood, l’heure est venue de redécouvrir en salle le chef-d’œuvre inaugural, celui qui a versé le premier sang et a donné naissance à un héros de légende…

Cette image de bourrin cocardier véhiculée par des ignorants autosatisfaits ne tient pas une seule seconde face à ce premier Rambo. Ces mêmes incultes ressemblent au shérif Teasle et à sa clique, des inconscients cherchant des noises à John J. et se lançant à sa poursuite jusqu’à l’absurde. Ils ne connaissent pas leur adversaire, le sous-estiment clairement et, par orgueil, s’acharnent à vouloir sa peau (mention spéciale à ces « guerriers du dimanche » de la garde nationale, des amateurs collectionnant les bourdes et pressés de rentrer chez eux pour le dîner). L’intelligence du propos est de montrer que la situation s’envenime à cause des « représentants » de la loi. Le fugitif, lui, n’est qu’un type stigmatisé, acculé, brutalisé, contraint de répondre à la violence pour sauver sa peau. Considéré par le colonel Trautman comme le meilleur dans l’art du combat, Rambo ne tue pourtant qu’un seul de ses ennemis (le sadique Galt) et encore accidentellement. Pour le reste, le soldat d’élite se révèle suffisamment expert dans son domaine pour neutraliser ses poursuivants sans avoir besoin de les achever. Fin stratège, notre homme fait de la forêt dans laquelle il se faufile son propre terrain de chasse, y élabore des pièges aussi rustiques qu’imparables et divise les troupes à ses trousses pour mieux régner sur elles.

Rambo se situe donc bien loin du cliché de la brute belliciste qui lui colle à l’épiderme. Lorsque sa traque atteint le point de non-retour, il tente même de se rendre afin que d’autres morts ne soient plus à déplorer… Traité comme un vulgaire vagabond aux « cheveux longs », le bonhomme est rejeté par son propre pays parce qu’il porte en lui (et malgré lui) l’échec de la guerre du Vietnam. Celui qui voulait juste aller se restaurer à « Ploucville », devient le paria d’une nation qui voudrait bien balayer son passé sous le tapis et ne plus avoir honte d’elle-même. Avant tout victime d’une injustice et de l’intolérance de ses contemporains, John J. Rambo se retrouve sans foyer, sans amis. Sa dernière promesse de chaleur humaine, il la perd quand il apprend soudainement le décès de son frère d’arme, rongé jusqu’à l’os par un cancer dû à cette saloperie d’agent orange. Ce bled que l’on appelle Hope n’a décidément aucun espoir à offrir à ceux qui le traverse… Seul, le viet vet n’est alors plus qu’un fantôme errant sur les routes. Une fois poussé à bout par la flicaille zélée des environs, il redevient ce bidasse d’exception crée par l’armée. Et tandis que le récit bascule dans l’affrontement, la guerre recommence et les cauchemars qui vont avec…

A l’instar du Christopher Walken de The Deer Hunter et du William Devane de Rolling Thunder, John Rambo souffre de stress post-traumatique et dissimule des cicatrices aussi bien physiques que psychologiques. Très vite, l’Histoire se répète et les montagnes blanches de la Colombie-Britannique se confondent avec l’enfer vert du sud-est asiatique. Hanté par des flashbacks dévoilant toute l’horreur du « merdier », le protagoniste finit par perdre pied avec la réalité. En témoigne un dernier acte en forme de pétage de plomb où le vétéran compte bien réduire en miettes cette bonne vieille ville de Hope. Mais en lieu et place du massacre attendu, c’est sur une explosion d’émotion que se dénoue First Blood. Ceux qui pensent encore que Sylvester Stallone n’a jamais été un bon acteur peuvent ravaler leur morve : l’acteur se révèle ici déchirant et donne tout ce qu’il a dans le bide pour traduire la tragédie qui coule dans les veines de Rambo. À cet instant, sans son M60 et face au gouffre qui l’aspire inexorablement, ce dernier semble presque redevenir un enfant. Enfant qui éclate en sanglots et pose sa tête sur l’épaule de son père de substitution, Samuel Trautman… À ce propos, voir le film en VO permet de constater que la voix de Sly apporte un peu plus de vulnérabilité à son personnage (et ce même si le fameux doublage d’Alain Dorval reste indissociable du rôle et du comédien).

De cet innocent profondément meurtri, Sylvester Stallone (également coscénariste) en a fait un héros et non un sociopathe à la Travis Bickle, le « taxi driver » de Scorsese. Malmené par une patrie pour laquelle il a tout sacrifié, son Rambo parvient pourtant à faire les bons choix, même si ses démons intérieurs l’empêcheront à tout jamais de retrouver la paix. Pour atteindre celle-ci, le chemin est long (« It’s a long road », confirme la chanson du générique de fin) et semé d’embûches, comme en avait déjà fait l’amère expérience le mountain man Jeremiah Johnson. Le paradoxe étant que, pour fuir la violence, il faut parfois se battre… Moins radical et pessimiste que sa source littéraire (le roman de David Morrell), le film n’en demeure pas moins critique envers cette société américaine incapable de se regarder en face après avoir envoyé des « boys » périr à l’autre bout du monde. Il y a dans ce Rambo, encore un peu du nouvel Hollywood des 70’s (Le Retour, Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now). Tout en ayant aussi un pied boueux dans les années 1980. Voilà sans doute pourquoi la narration s’avère d’une fluidité exceptionnelle. Le moindre morceau de gras qui aurait pu enrayer la machine a été soigneusement fondu au lance-flammes. Faut dire que, d’un premier montage de plus de trois heures, nous sommes passés à une version définitive d’environ une heure et demie. Plus efficace, plus haletant, tu meurs avec un couteau de chasse dans le fondement. Aïe.

Après s’être réveillé dans la terreur de l’outback australien et avant de retourner vers l’enfer en compagnie de Gene Hackman, Ted Kotcheff répond à l’appel de la forêt dans ce que l’on peut considérer comme le sommet de sa carrière. Marchant sur les pas du Walter Hill de Sans retour (1981) à qui il emprunte le chef op Andrew Laszlo, le cinéaste canadien orchestre un modèle de péloche d’aventure et d’action, signe une référence du survival racé et rythmé. Les morceaux de bravoure (tous anthologiques) se succèdent sans jamais sacrifier les contours socio-politiques de son sujet, ni le profil évolutif de son principal protagoniste. Cet aspect intimiste, omniprésent malgré l’adrénaline, fait toute la valeur de First Blood. Ce que souligne également le thème immortel du grand Jerry Goldsmith qui, avec ses élans mélancoliques, capte à merveille la détresse de l’ancien béret vert. Et lorsque vient l’heure du danger et de la confrontation, le score du compositeur acquiert une dimension martiale dévastatrice que seules les BO de Rambo II et III viendront surpasser. Tandis que la bande-son se déchaîne, Big Sly façonne une deuxième icône du 7ème art après Rocky, Brian Dennehy livre sa performance la plus mémorable avec celle de Pacte avec un tueur et Richard Crenna remplace haut la pogne un Kirk Douglas débarqué en plein tournage à cause de ses caprices. Rien que du solide, en somme. Normal pour un classique inoxydable comme Rambo. N’en déplaise à mon vieux prof de CM2.

First Blood. De Ted Kotcheff. États-Unis. 1982. 1h37. Avec : Sylvester Stallone, Richard Crenna, Brian Dennehy…

LA RUÉE DES VIKINGS + LES TROIS VISAGES DE LA PEUR + SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN : les étranges couleurs de Mario Bava

Parallèlement au cycle initié par la Cinémathèque française en ce mois de juillet, Mario Bava a également bénéficié d'une rétrospective chapeautée par le Théâtre du Temple. Le distributeur a ressorti dans nos salles climatisées trois classiques du maestro en version restaurée : La Ruée des Vikings (1961), Les Trois visages de la peur (1963) et Six Femmes pour l'assassin (1964). Rien de tel que Bava pour nous redonner des couleurs.

Deux frères, combattant dans des camps opposés, affrontent le félon qui les a séparés et cherchent à venger la mort de leur père. Pitch : la Cinémathèque française.

L’un des plus beaux fleurons d’une vikingsploitation engendrée, en toute logique, par Les Vikings de Richard Fleischer (1958). Après avoir officieusement coréalisé Le Dernier des Vikings (1961) avec Giacomo Gentilomo, Bava s’offre sa péloche d’aventure rien qu’à lui, son ode « gothique » au guerrier du nord. « Gothique » car, quelque soit le genre, le réalisateur se le réapproprie. Son style, reconnaissable en un clin d’œil, projette une lumière surréaliste sur un monde a priori non surnaturel. Il suffit de voir le repaire des vikings pour s’en convaincre, splendide décor de studio enlacé par les ombres et agrémenté de mille et une couleurs (du rouge, du vert, du violet : on se croirait dans Hercule contre les vampires, péplum mythologique du même auteur). Avec une telle facture baroque, Mario Bava ne peut renier La Ruée des Vikings, d’autant plus qu’il en est également le chef op. On ne s’étonnera donc pas du soin apporté à la photographie (c’est beau, un film en scope), ni du degré de violence et de cruauté un peu plus élevé que la moyenne (mère transpercée par une lance avec son bambin, tête piégée dans une boîte avec une tarentule au ventre noir). Pas besoin d’Hollywood pour accoucher d’une œuvre épique et spectaculaire (bataille, duel à l’épée, attaque de château fort : tout y est), surtout avec un génie du bricolage comme Bava à la barre (les effets sont modestes mais toujours astucieux). Gli invasori (titre original) est aussi l’histoire d’une fraternité contrariée où deux frangins, séparés durant l’enfance, deviennent des ennemis à l’âge adulte. Une tragédie que le robuste Cameron Mitchell porte sur ses épaules, le comédien dominant par sa prestance la plupart de ses collègues (le réalisateur de Lisa et le diable retrouvera le mastard à l’occasion de Six Femmes pour l’assassin et Duel au couteau, une autre histoire de vikings). Son visage taillé à coups de serpe contraste avec la blondeur étincelante des sœurs jumelles, Alice et Helen Kessler. Leur « danse du glaive » constitue par ailleurs un grand moment de sensualité sur pellicule. De quoi nous rendre nostalgique du cinéma de quartier tant défendu par Monsieur Jean-Pierre Dionnet.

Gli Invasori. De Mario Bava. Italie/France. 1961. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Giorgio Ardisson, Alice et Helen Kessler…

Film à sketches. Le Téléphone : une femme est victime de menaces téléphoniques. Les Wurdalaks : une histoire de vampires dans la campagne slave. La Goutte d’eau : le vol d’une bague sur un cadavre provoque d’étranges phénomènes. Pitch : la Cinémathèque française.

Pour produire Les Trois visages de la peur, les italiens de la Galatea Film s’associent avec les américains d’American International Pictures. À travers ce deal, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les boss de l’AIP, espèrent réitérer le succès de leur film à sketches, L’Empire de la terreur (1962). Malheureusement pour Mario Bava, ce partenariat va sérieusement altérer l’intégrité de son œuvre. Aux États-Unis, I tre volti della paura voit l’ordre de ses sketches modifié, sa bande originale remplacée (Les Baxter se charge de refaire le taf de Roberto Nicolosi) et son segment Le Téléphone totalement défiguré (des coupes ont été opérées afin de biffer du montage toute allusion au lesbianisme du personnage de Michèle Mercier, notre si merveilleuse Angélique). Si le massacre s’avère variable selon les pays, Les Trois visages de la peur est depuis quelques temps déjà visible en dvd dans sa version intégrale et brille aujourd’hui de mille feux grâce à la sublime copie du Théâtre du Temple. La moindre des choses pour un long-métrage où les élans chromatiques relèvent de la pure flamboyance. Si les trois histoires ici proposées représentent un bel exemple de cette esthétisme léchée, elles sont aussi le témoignage du savoir-faire peur de Mario Bava. Dans Le Téléphone, le réalisateur de Schock distille l’angoisse à partir d’un objet du quotidien (le téléphone du titre), et ce bien avant Terreur sur la ligne (1979) et Scream (1996). Mise en place aux petits oignons, décor claustro savamment exploité et conclusion mordante : Il telefono, c’est La Fille qui en savait trop condensé en une demi-heure. Les Wurdalaks s’inscrit, quant à lui, dans la veine plus gothique de son auteur. Les anciennes légendes slaves, et plus particulièrement le folklore vampirique, y sont convoquées pour notre plus grand plaisir « hammerien ». En effet, les aficionados du studio british ne peuvent que se pâmer devant ce récit d’une malédiction nocturne et brumeuse hanté par un Boris Karloff tout en sournoiserie maléfique. L’ultime chapitre, La Goutte, laisse carrément des séquelles à cause du rictus effrayant affiché par une vieille morte. Une gueule de cauchemar que les effets prosthétiques et les techniques de maquillage rendent troublante de réalisme (imaginez la poupée Annabelle avec des traits humains plus prononcés). Plutôt inattendu, l’épilogue ne manque pas d’humour et semble nous dire que, si tout cela n’est que du cinéma, la peur demeure malgré tout une émotion bien réelle…

I tre volti della paura. De Mario Bava. Italie/France. 1963. 1h34. Avec : Michèle Mercier, Susy Andersen, Boris Karloff…

A Rome, une série de meurtres est perpétrée dans une maison de haute couture sur des mannequins. Source : la Cinémathèque française.

À la sortie miraculeuse du récent dvd/blu-ray paru chez Studio Canal (dans la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret, déjà une référence), s’ajoute aujourd’hui le privilège de se (re)faire Six Femmes pour l’assassin sur grand écran. Un monument précurseur de l’horreur moderne (au même titre que Psychose ou Le Voyeur) et le chef-d’œuvre fondateur du giallo (le thriller made in Italy). Quelques années avant les machinations sexy d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, 1969) et les premiers succès fulgurants de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970), Mario Bava dresse déjà le manifeste – esthétique et thématique – du genre. En mettant de côté les influences hitchcockiennes de La Fille qui en savait trop (1963), le père de Lamberto laisse ses penchants les plus sadiques s’exprimer et décuple la brutalité de ses meurtres grâce à l’habileté de sa mise en scène. Son tueur masqué, ganté et vêtu de cuir noir (un look fétichiste qui fera école) peut agir à sa guise puisqu’il n’a pas de visage, d’identité. Un boogeyman de slasher avant l’heure, silhouette insaisissable et véloce partisane d’une violence osée pour l’époque, puisqu’elle convie l’érotisme à l’hécatombe (les victimes y sont bien souvent en petite tenue). En pleine possession de ses moyens, Super Mario fait preuve d’une maîtrise technique incomparable (la caméra se déplace constamment avec discrétion et élégance), partage son goût pour les teintes palpitantes et baroques (une forme de réalisme magique naît de cette copulation entre couleurs chaudes et froides) et n’oublie jamais d’être inventif (les interprètes du film posent tous comme des mannequins de vitrine lors du générique d’ouverture). Le raffinement formel de Sei donne per l’assassino sert en réalité de cercueil quatre étoiles aux membres de cette bourgeoisie décadente que Bava s’amuse à dégommer les uns après les autres. Un jeu de massacre annonçant les carnages caustiques de L’Ile de l’épouvante (1970) et La Baie sanglante (1971) mais s’achevant ici sur une note empreinte de romantisme noir. La signature d’un esthète tourmenté qui n’a jamais rechigné à brocarder l’espèce humaine.

Sei donne per l’assassino. De Mario Bava. Italie/France/Allemagne. 1964. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…

KNIGHTRIDERS (George A. Romero, 1981)

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Pour gagner leur vie, des troubadours anarchistes organisent des joutes médiévales, remplaçant les chevaux par des motos. Billy, le chef de ces chevaliers sur deux roues, se voit en roi Arthur des temps modernes. Mais Morgan, l’un d’entre eux, remet en question sa manière de gérer la troupe. Source : dvdfr.com

Derrière ce superbe visuel signé Boris Vallejo, se cache l’une des œuvres les plus personnelles et atypiques de George A. Romero. Sorti en 1981 dans l’indifférence quasi générale, Knightriders est pourtant la preuve éclatante que son auteur ne peut être réduit à ses films de zombies. Pas l’avis du métier ni du public qui, à l’époque, n’attendent de lui qu’un nouvel opus de la saga des morts-vivants. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un deal incluant la réalisation de ce qui deviendra Day of the dead, que le producteur exécutif Salah M. Hassanein offre à Big George son septième long-métrage. Soit un biker movie à la sauce arthurienne. Original et intrigant. À la base, Romero souhaite pourtant que ses héros posent leur cul sur un canasson et non sur une bécane. Samuel Z. Arkoff, l’un des producteurs potentiels du projet, lui suggère l’inverse. Une bonne idée, assez bis dans l’esprit, qui accentue encore un peu plus l’effet de décalage voulu par le sujet. Les cinglé·e·s du deux-roues portent ici un heaume au lieu du casque de rigueur et vivent selon les préceptes de la chevalerie du Moyen Âge. Cultiver le mythe de Camelot au début des années 1980 est en soi une forme de rébellion n’ayant rien à envier au soulèvement rock’n’roll des blousons noirs de L’Équipée sauvage. À la différence près que, pour Romero, la table ronde représente un idéal de démocratie où le pacifisme et l’humanisme ont leur place. La bande de saltimbanques motorisés de Knightriders forme une société hétérogène et plurielle au sein de laquelle personne n’est exclu. Ni les femmes, ni les noirs, ni les homosexuels. Les premières sont mécanos ou chevaleresses, les deuxièmes druides ou forgerons et les troisièmes maîtres de cérémonie ou jouteurs. La vision progressiste du réalisateur de Monkey Shines s’exprime à travers ce système éthique, tolérant et solidaire. Système ne pouvant s’épanouir qu’en dehors de la norme puisque les valeurs qu’il défend sont en train d’être englouties par l’Amérique de Reagan. Le retour en force de l’individualisme, du conservatisme et du capitalisme enterre une bonne fois pour toutes l’utopie rêvée par les hippies des sixties. Malheureusement, le flower power n’est pas parvenu à changer les choses. Tel est le constat que dresse le film en filigrane. Mais si la désillusion semble inévitable au regard de ce qui se profile à l’horizon, nos cavaliers électriques croient encore à leurs idéaux et continuent leur route vaille que vaille. Le grand final – romantique mais lucide, tragique mais porteur d’espoir – ne dit pas autre chose. Car les tentations du monde moderne menacent immanquablement de détruire le groupe. Les multinationales du spectacle ne sont jamais bien loin lorsqu’il s’agit de s’enrichir sur le travail d’autrui. Conçu dans une totale indépendance, Knightriders traite aussi du rapport conflictuel entre Hollywood et George A. Romero, artiste intègre n’ayant jamais bradé sa liberté. Il y a donc beaucoup de ce dernier dans le personnage du roi William (le toujours impeccable Ed Harris), doux dingue littéralement habité par son personnage au point de ne faire qu’un avec lui. Pas du genre à vendre son âme au diable. Son seul problème : être né trop tard dans un monde qui avance trop vite et sans lui. Le même fardeau que le Bronco Billy McCoy de Clint Eastwood, cowboy itinérant essayant lui aussi de faire revivre la magie d’un passé idéalisé. Les temps ont changé. L’heure n’est plus à la noblesse mais au rigorisme, à l’ordre qu’incarne ici un shérif véreux et violent. Dehors les baladins, les marginaux, les poètes. Prôner un mode de vie alternatif au pays de l’oncle Sam n’est pas une sinécure. En 1969, les easy riders de Dennis Hopper subissaient déjà un rejet similaire. Mais dans les glorieuses 80’s, les spectateurs ne sont pas davantage enclins à se déplacer dans les salles pour mater une péloche singulière comme Knightriders. Les badauds assistant au show de nos fous du guidon sont là pour les sensations fortes et non pour la beauté du discours (dans la foule : un amusant caméo de Stephen et Tabitha King). Les cascades sont, il est vrai, admirablement coordonnées. Et ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir des motards en armure se friter à coups d’épées ou s’adonner à la joute équestre… Parmi les comédien·ne·s, on peut également s’amuser à reconnaître les habitué·e·s du cinoche de Romero : Tom Savini, Patricia Tallman, Ken Foree, Christine Forrest, Scott H.Reiniger et bien d’autres. Juste après Martin, cet indispensable Knightriders était le film dont le maître de Pittsburgh était le plus fier. Franchement, il y a de quoi.

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Knightriders. De George A. Romero. États-Unis. 1981. 2h23. Avec : Ed Harris, Tom Savini et Patricia Tallman. Maté en dvd le 07/04/18.

L’AFRICAIN (Philippe De Broca, 1983)

l-africainL’Africain. De Philippe De Broca. France. 1983. 1h41. Avec : Catherine Deneuve, Philippe Noiret et Jean-François Balmer (et Jacques François dans le rôle d’un anglais). Genre : comédie/aventure. Sortie France : 02/03/1983. Maté à la téloche le mardi 30 mai 2017.

De quoi ça cause ? Charlotte (Catherine Deneuve) doit établir un nouveau club de vacances en Afrique Centrale. Elle y retrouve son ex-mari Victor (Philippe Noiret), bien décidé à l’empêcher de réaliser son projet. S’ensuit une course poursuite au cœur du pays pygmée, parmi les éléphants et les braconniers d’ivoire. (source : Philippedebroca.com)

Mon avis Télé Z : Aventure, romance, grands espaces : tout est là pour faire de L’Africain un bon De Broca. Rappelons au passage que le bonhomme n’est rien de moins que l’un des meilleurs artisans du cinéma populaire français. Le terme « artisan » n’a rien de péjoratif, bien au contraire, le réalisateur du mémorable Le magnifique sachant raconter une histoire et emballer le tout sans chichis et avec une bonne dose de générosité. À travers le couple Charlotte/Victor se sont deux visions du monde qui s’opposent. La première, capitaliste, souhaite tirer profit de l’exotisme du continent noir. La seconde, humaniste, se fait le protecteur de la nature et des animaux. Finalement, au fil des péripéties, les divergences vont s’annuler, le projet de Charlotte – animé de bonnes intentions mais quelque peu naïf compte tenu de la réalité – étant surtout l’occasion pour elle de prendre sa revanche sur la vie. De goûter elle aussi à l’aventure, expérience stimulante qui ne devrait pas être réservée seulement aux hommes. Le rêve a néanmoins son prix, un prix sentimental comme le suggère un final étonnamment doux-amer. En revanche, le point de vue des braconniers et autres chasseurs d’ivoires s’avère bien entendu irréconciliable avec les deux autres. Le scénario en profite pour dénoncer ces pratiques dégueulasses qui assassinent toute la faune africaine. La dimension écologique du film de Philippe De Broca est plus que jamais d’actualité et lui permet de ne pas trop mal vieillir (la réplique de Noiret défendant les éléphants est juste magnifique). Si le thème à la Out of Africa de Georges Delerue et les paysages kényans et zaïrois sont des atouts non négligeables, l’énorme capital sympathie du long-métrage provient énormément de son duo de stars. Deneuve rayonne et apporte beaucoup de charme et de caractère à son personnage, Noiret fait preuve d’une réelle bonhommie qui le rend immédiatement attachant. La présence de la blonde fantasmatique rapproche inévitablement L’Africain des tribulations du Sauvage (1975), même si l’énergie du second fait un poil défaut au premier. Quoi qu’il en soit, cette comédie d’aventure tient encore bien la route. Et annonce, en quelque sorte, l’hollywoodien À la poursuite du diamant vert de Robert Zemeckis (1984). 4/6

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Catherine Deneuve, perdue dans la pampa mais toujours prête à surmonter les difficultés.

LE SAUVAGE (Jean-Paul Rappeneau, 1975)

19798540Le sauvage. De Jean-Paul Rappeneau. France/Italie. 1975. 1h43. Avec : Catherine Deneuve, Yves Montand et Dana Wynter (premier rôle féminin de L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel). Genre : comédie/aventure. Sortie France : 23/11/1975. Maté à la téloche le lundi 17 avril 2017.

De quoi ça cause ? Las de la vanité parisienne, Martin (Yves Montand), créateur de parfums, s’est exilé sur une île d’Amérique latine. Un jour qu’il est de passage à Caracas, sa nuit est troublée par l’irruption de Nelly (Catherine Deneuve), volcanique jeune femme fuyant son fiancée. Elle propose à Martin de lui vendre un Toulouse-Lautrec, emprunté à son patron, en guise de salaire s’il l’aide à rentrer en France. Celui-ci accepte. Soulagé, il regagne son île où il a la surprise de retrouver Nelly. (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : À la fois comédie vaudevillesque et film d’aventure exotique, Le sauvage est tout d’abord la rencontre de deux stars au sommet. D’une beauté irradiante, Catherine Deneuve se montre très à l’aise dans un registre léger et prouve qu’elle ne peut être réduite à cette présumée froideur qui lui colle à la peau. Impulsive et imprévisible mais aussi libre et indomptable, la comédienne défend avec une énergie communicative un personnage semant un joyeux bordel sur son passage. Les hommes lui courent après sans jamais la rattraper, et pour cause : elle se déplace tel un tourbillon et achève les mâles rien qu’avec son dos dénudé. Car depuis Belle de jour, nous savons que le dos de Catherine Deneuve est le dos le plus érotique du cinéma. Face à ce pur fantasme sur pellicule, Yves Montand joue les baroudeurs au passé mystérieux, avec dans les yeux un brin de pétillance et une touche de tendresse. Une sacrée prestance, comme d’hab. Entre engueulade homérique et réconciliation soudaine, entre coup fourré et attirance mutuelle, le duo fonctionne à merveille. Il nous offre, lors d’un deuxième acte insulaire, un numéro mémorable qui, en contrepartie, ralentit légèrement le rythme effréné d’une première demi-heure démarrant sur les chapeaux de roues. Rien de bien méchant cependant, Le sauvage ayant plus d’une corde à son arc, comme la rigueur d’un Jean-Paul Rappeneau n’hésitant pas à multiplier les lieux de tournage pour servir son histoire (le Venezuela, les Bahamas, les îles Vierges, New York, Saint-Laurent-des-Bois, dans l’Eure). Il n’en faut pas plus pour faire de cette bien plaisante péloche un bel exemple de ce cinoche populaire made in France, très en forme au milieu des 70’s. 4/6

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Catherine Deneuve, la magnifique sauvageonne du film de Rappeneau.