C’est sans regret que Mima, chanteuse, quitte son groupe pour se consacrer à une carrière de comédienne. Elle accepte un petit rôle dans une série télévisée. Cependant son départ brusque de la chanson a provoqué la colère de ses fans et plus particulièrement celle de l’un d’eux. Le mystérieux traqueur passe à l’acte en dévoilant en détail la vie de la jeune femme sur Internet, puis en menaçant ses proches. Plusieurs incidents violents se produisent dans l’entourage de Mima et elle réalise que son existence se confond dangereusement avec la série télé. Source : madmovies.com
Une trempe maousse liée à mes souvenirs de vidéophage, quand la VHS made in « HK Vidéo » trônait fièrement sur mes étagères. Debout et face à moi, elle me faisait de l’œil et m’aguichait avec son visuel teinté d’un bleu évidemment parfait. Certes, nos chères bandes magnétiques qui vendaient du rêve dans les années 80 et 90 (et un peu 2000) ne sont plus. Mais les œuvres, elles, ne changent pas et ce quelque soit le support. Immortel, Perfect Blue fait – aujourd’hui comme hier – toujours autant triper. Le tout premier long du regretté Satoshi Kon n’a pas pris une ride et n’a rien perdu de sa puissance visuelle, sonore et sensitive. Et bien sûr narrative. Rarement cauchemar pelliculé n’aura été aussi fluide alors qu’il fragmente, heurte et bouscule sans cesse le récit. Dès les premières minutes, le montage brise toute linéarité comme pour annoncer le chaos psychique et physique à venir. Plus le film avance, plus le vertige s’intensifie. L’ambiguïté du point de vue de Mima nous ballotte constamment entre le réel et l’imaginaire, nous plonge dans des limbes où le vrai et le faux s’emboîtent comme des poupées gigognes. La virtuosité avec laquelle Kon orchestre sa mise en abyme s’avère proprement sidérante (voir ce jeu de va-et-vient entre le quotidien de son héroïne et le tournage de sa série télé). La schizophrénie, déclenchée par l’apparition du double ricanant de l’ancienne chanteuse, précipite celle-ci dans une spirale encore plus infernale. Filmer la folie est un exercice d’équilibriste qui n’est pas donné au premier cinéaste venu. Il faut jouer les acrobates sans tomber dans le vide ni perdre de vue son objectif. Avec un talent insolent, l’auteur de Paprika y parvient aisément tout en sachant où il va. Malgré les chemins tordus qu’elle emprunte, l’intrigue repose sur un tout cohérent et se conclut par un twist aussi plausible qu’imprévisible. Brillamment écrit et construit, Perfect Blue se montre tout aussi remarquable lorsqu’il s’agit de mise en scène. Un exemple parmi d’autres : la séquence du message hostile destiné à Mima et reçu chez elle par fax. Le bruit caractéristique de l’appareil libérant le papier crée une musique désarticulée et progressivement inquiétante. La bande-son traduit alors la nature menaçante de la missive, tandis que Mima réalise que quelqu’un l’épie. Seule avec sa peur, elle se tourne vers la fenêtre et ferme le rideau. Là, dehors, quelque part, une ombre se cache dans l’immensité urbaine pour tourmenter la jeune femme… Dès lors, l’existence de l’ex-popstar bascule dans un mauvais rêve où le danger n’est pas feint. Si les songes – aussi funestes soient-ils – ne peuvent se matérialiser (en principe), les hallucinations finissent pourtant par devenir létales. Car la mort, luisante comme une lame de poignard, s’invite dans des fulgurances homicides que n’auraient pas renié le Dario Argento de Ténèbres (cf. le meurtre du photographe de charme, lardé de plusieurs coups de couteau avec une violence inouïe). La maestria de la forme et la perversité du suspense nous imposent une autre référence prestigieuse : Brian De Palma. Nul doute que si le réalisateur de Pulsions avait dirigé un film d’animation, celui-ci ressemblerait beaucoup à Perfect Blue. Ce qui n’est pas un mince compliment. Cette version vicelarde de Bodyguard (1992) permet également à Satoshi Kon de décrire le comportement de la communauté des fans, dont les membres ne sont pas toujours bienveillants envers leurs stars favorites. Profondément monomaniaques, les « otakus » (terme utilisé pour désigner les geeks japonais) sont bien souvent prêts à tout pour leur passion, y compris à tuer. Les chansons cuculs auxquelles souhaite échapper Mima ne sont qu’un leurre dissimulant la laideur de celles et ceux qui les écoutent. Trop fleur bleue pour être honnête, la J-Pop ne reflète aucunement la réalité d’une société oppressante et idolâtre jusqu’à l’extrême. Kon pousse même la réflexion un peu plus loin et aborde déjà les dérives du web. Visionnaire, il anticipe l’avènement des réseaux sociaux, ce grand foutoir numérique où n’importe qui peut dissimuler sa véritable identité pour insulter, espionner et harceler son prochain. Monde virtuel, nuisance réelle. Et authentique chef-d’œuvre en ce qui concerne cet étourdissant Perfect Blue, prouesse cinématographique de vingt piges possédant toujours son pouvoir de fascination. Ce n’est pas le Darren Aronofsky de Requiem for a Dream et de Black Swan qui dira le contraire.
Pafekuto Buru. De Satoshi Kon. Japon. 1997. 1h20. Avec (voix v.o.) : Junko Iwao, Rica Matsumoto et Shinpachi Tsuji. Maté en salle le 15/05/18.