LAURIN : nous serons réunis là où la mort n’existe pas

Allemagne, 1901. Une nuit dans un village de pêcheurs. La petite Laurin (Dóra Szinetár) aperçoit à sa fenêtre un môme en train de se faire enlever. Sur un pont, Flora Andersen (Brigitte Karner) – la mère de la gamine – fait une mauvaise rencontre : le kidnappeur avec, à ses pieds, le corps inerte dudit môme… Le lendemain, la dépouille de Flora gît au bord de l’eau. Son marin de père parti pour un long voyage, Laurin ne vit désormais plus qu’avec sa grand-mère. Bientôt, c’est un autre gosse qui disparaît sans laisser de traces… Et si la fillette était la prochaine sur la liste de ce tueur d’enfants ?

Premier long-métrage de Robert Sigl, Laurin constitue également son unique offrande destinée au grand écran (du moins pour le moment). Pourtant, le CV du bonhomme n’a rien de rachitique. Des péloches super 8 au lycée (le format idéal pour se faire la main, demandez à Spielberg), deux courts à l’école de cinéma de Munich (Die Hütte et Der Weihnachtsbaum, 1981/1983), plusieurs épisodes de série TV (pour le space opera Lexx, notamment), deux slashers (les School’s Out, 1999/2001) et de l’horreur occulte (The Village, 2010) pour la petite lucarne… Mais un seul effort a suffi à Sigl pour mériter notre respect éternel : Laurin. En toute logique, une telle réussite aurait dû faire de son auteur un maître du fantastique européen de la fin des 80’s (à l’instar d’un Michele Soavi en Italie). Malheureusement, et malgré une récompense au Bavarian Film Awards, l’œuvre du Teuton a été très mal distribuée, voire carrément ignorée par des exploitants que l’imaginaire révulse. À tel point qu’elle finit par échouer avec son réalisateur dans les limbes du cinématographe… En 2017, l’éditeur allemand Bildstörung déterre le trésor caché de Sigl et le ressuscite via un blu-ray à la hauteur de l’événement. Chez nous, Le Chat qui Fume s’est récemment chargé d’offrir plus de visibilité à ce petit miracle pelliculé, faisant ainsi miauler de plaisir les cinéphages français avides de (belles) découvertes…

À seulement vingt-cinq berges, Robert Sigl part avec quelques deutschemarks en poche pour tourner Laurin en Hongrie (et faire ainsi des économies). Sur place, il recrute des acteurs locaux et les fait jouer en anglais (pour faciliter l’exportation du film). Ces contraintes commerciales, le cinéaste va les transformer en atouts. Les Magyars lui offrent le plus évocateur des cadres gothiques à travers des décors naturels saisissants (un château en ruine jouxtant un vieux cimetière au-dessus duquel semble flotter l’âme des défunts). Le ciel, la mer et la forêt – écrasantes et infinies – n’offrent qu’un horizon chimérique aux individus, panoramas tumultueux et mélancoliques échappés des toiles de John Constable et Caspar David Friedrich… Dévoués et professionnels, les comédiens du cru apportent eux aussi une authenticité supplémentaire, à commencer par la très douée Dóra Szinetár (son regard laisse deviner ce qu’il faut d’ambivalence pour trahir son attirance pour les ombres).

La contribution du directeur de la photographie Nyika Jancsó (fils du réalisateur Miklós Jancsó) contribue également à stimuler la créativité de Sigl. Le chef opérateur éclaire Laurin comme un peintre baroque du siècle d’or néerlandais (comme avant lui Jan de Bont sur le magnifique Katie Tippel de Verhoeven), sans toutefois s’interdire l’emploi de couleurs plus agressives et contrastées (impossible de ne pas penser à Mario Bava et Dario Argento, même si Robert Sigl nie avoir été influencé par les maestros). Cette esthétique se montre par ailleurs attentive aux aspérités les plus étranges et poétiques. La preuve avec cette brume sépulcrale et cafardeuse qui nimbe en permanence le bled germanique au centre du récit. Une vue qui, à elle seule, fait basculer l’ensemble dans un cauchemar aussi envoûtant que les yeux d’Isabelle Adjani dans le Nosferatu d’Herzog…

Film d’atmosphère aux images somptueuses, Laurin dispense sa virtuosité de manière discrète. Suivant les pas du Jack Clayton des Innocents et du Charles Laughton de La Nuit du chasseur, Sigl adopte un classicisme maîtrisé et privilégie la suggestion contrôlée. Diffuser son génie sans avoir besoin d’en faire des tonnes s’avère autant une preuve de talent que de maturité. Et c’est encore plus vrai lorsque l’inspiration ne provient pas seulement des références cinéphiliques mais aussi des souvenirs plus persos. Une enfance marquée par le deuil (le réalisateur a été traumatisé par le décès de sa grand-mère et de sa tante) et une vision obsédante (une jeune femme enceinte traversant un cimetière par une nuit de tempête) ont également nourri l’univers tourmenté de Laurin.

Une part intime qui, à l’écran, prend la forme d’un conte sans fées mais avec un grand méchant loup (un assassin s’attaquant aux marmots) et une enfant en danger, orpheline de mère (celle-ci avait pour nom de famille Andersen et portait une cape de grand chaperon noir), abandonnée par son père et confiée à sa mère-grand (ça ne vous rappelle rien ?). Bien avant Guillermo del Toro, Robert Sigl injecte du merveilleux dans l’horreur, confronte son héroïne prépubère à la mort et lui arrache toute innocence. Âpre et romantique, ce récit initiatique incite Laurin à plonger dans les ténèbres. Ou plus précisément, à satisfaire sa curiosité en menant sa propre enquête, quitte à risquer sa peau. Témoin malgré elle d’un meurtre et en proie à d’effrayantes hallucinations, la petite se rapproche inexorablement d’un psycho killer à l’identité secrète et au passé violent. Un canevas giallesque pour un film qui partage aussi avec le genre sa propension à dépeindre un microcosme vicié jusqu’à l’asphyxie, repaire de fanatiques et de bourreaux en puissance (confier l’éducation de nos chères têtes blondes à des tortionnaires bigots ne donne jamais de bons résultats…).

Jadis englouti dans les tréfonds de l’oubli, Laurin remonte aujourd’hui à la surface. À nous maintenant de célébrer la réapparition de cet Atlantide du 7ème art made in Germany.

Laurin. De Robert Sigl. Allemagne/Hongrie. 1989. 1h24. Avec : Dóra Szinetár, Brigitte Karner, Károly Eperjes…

LE TRIO INFERNAL : horreur au pays de Marcel Pagnol

trio-infernal-1974

À l’origine du premier long-métrage de Francis Girod, on trouve le genre de fait divers bien glauque que le cinéma français contemporain n’oserait même plus adapter. Dans les années 1920, à Marseille, un éminent avocat – Georges-Alexandre Sarrejani, dit Sarret – s’associe (et s’accouple) avec deux frangines allemandes – Philomène et Catherine Schmidt – pour se livrer à l’escroquerie à l’assurance-vie. Le mode opératoire est bien rodé : il fait marier une ou l’autre de ses amantes avec un vieillard quasi moribond, fait passer une visite médicale à un complice se faisant passer pour ledit vieillard et assassine ensuite l’époux floué. Après quoi, il ne reste plus qu’à toucher le pactole. Mais plus le trio infernal se montre cupide, plus ses actes gagnent en ignominie. À vouloir surenchérir dans l’innommable, les monstres finissent toujours par provoquer leur chute… Mon enquête criminelle façon Pierre Bellemare s’arrête là, je vous laisse découvrir par vous-mêmes comment cette sinistre affaire s’est terminée. Solange Fasquelle l’a d’ailleurs relatée dans un roman paru en 1972 et déjà intitulé Le Trio infernal.

À l’arrivée, cela donne aussi le genre de film borderline que le cinéma français contemporain n’oserait même plus concevoir. Imaginez un peu : deux stars à leur sommet (Romy Schneider et Michel Piccoli), deux producteurs respectés (Raymond Les Choses de la vie Danon et Jacques L’Armée des ombres Dorfmann) et même Hollywood comme partenaire (via la Fox), tous réunis pour mettre en chantier une œuvre déviante, corrosive, encline à déstabiliser le public hexagonal des 70’s. À l’époque, Le Trio infernal ne ressemble à rien de connu (du moins chez nous). Pourtant, un an auparavant, le tout aussi iconoclaste La Grande bouffe avait déjà su montrer la voie menant au scandale. Et rien de tel qu’une bonne dose de chahut pour apporter un peu de pub gratos. À Cannes, les festivaliers sont choqués. En Allemagne, les bonnes sœurs qui ont élevé Romy lui adressent une lettre ouverte exprimant leur incompréhension. Comment Sissi pouvait-elle se compromettre dans une telle débauche ? Justement, Le Trio infernal n’est rien de moins que le « suicide de Sissi ». C’est en tout cas grâce à cette formule que Girod parvient à convaincre la comédienne de le suivre à bord de son Objet Filmique Non Identifié.

Dès les premières minutes, durant lesquelles Sarret reçoit en grande pompe la légion d’honneur militaire, le film se place sous le signe de la satire. Ce type à qui l’élite rend hommage n’est rien d’autre qu’un psychopathe en puissance. Notable au-dessus de tout soupçon, le meurtrier magouilleur se sert de sa position et de ses connaissances en matière de lois pour commettre dans l’ombre des bassesses lui permettant de s’enrichir davantage. Le portrait de cette période de l’entre-deux-guerres est féroce et sans appel, seuls les salauds parvenant à tirer profit de la misère ambiante. Et l’ambition de Sarret ne s’arrête pas là puisqu’il brigue également une carrière politique (non sans avoir au préalable fait chanter son principal rival afin de lui prendre sa place) et risque fort de parvenir à ses fins (sa réputation n’est plus à faire). La fortune sourit aux plus odieux ! Il y a du Buñuel et du Chabrol dans cette description d’une bourgeoisie dépravée, décadente et jouissant d’une impunité inhérente à son rang social. On peut également voir dans la relation déliquescente unissant Sarret à ses deux partners in crime, le symbole de la fragilité du lien franco-allemand à l’aube du nouveau chaos qui s’annonce.

Mais ce qui fait toute la singularité du Trio infernal, c’est sa nature de comédie noire, le ton sarcastique qu’il adopte pour relater une histoire des plus sordides. Sensation renforcée par la musique presque « guillerette » de Morricone, le compositeur prenant les images à contre-pied sans oublier toutefois d’en souligner le caractère funeste à travers quelques notes inquiétantes. Le jeu des comédien·ne·s participe grandement à ce décalage et en rajoute jusqu’au malaise. Michel Piccoli (Sarret) se montre savoureux dans l’outrance, donne dans la démesure et s’épanouit clairement dans la fange immorale de son personnage. En gros, il s’amuse comme un p’tit fou ! Quant à Romy Schneider, elle n’hésite pas à prendre des risques afin de tenir le rôle le plus sombre de sa carrière. Constamment à la lisière de la folie, conjuguant à merveille le vice et la mélancolie, la future « banquière » du même Girod laisse exploser sa part de ténèbres et  se révèle aussi sublime que vénéneuse. La moins connue Mascha Gonska n’est pas en reste et achève ce trio où chacun rivalise de vénalité.

Vénalité atteignant son point culminant avec LA séquence d’anthologie du film, celle voyant Sarret dissoudre à l’acide sulfurique des cadavres stockés dans une baignoire (mais le plus trash reste encore ce qui suit ladite séquence, je n’en dirais pas plus…). Le réalisme craspec de ce grand moment d’horreur peut soit déclencher un rire nerveux, soit provoquer la sidération (ou les deux). Cette parenthèse putride au sein du récit témoigne à elle toute seule de la dimension sulfureuse de ce Trio infernal, subversion pelliculée qui ose non pas le massacre à la tronçonneuse mais le carnage au vitriol. Si l’année 1974 est aussi celle du chef-d’œuvre de Tobe Hooper, c’est surtout le Blue Holocaust de Joe D’Amato qui est ici convié, mais avec un peu d’avance (l’outrage thanatophilique du signore Massaccesi ne sortira dans les salles italiennes qu’en 1979). Faire le pont entre la prod française de luxe et l’exploitation transalpine, voilà l’un des exploits de cette farce macabre et grinçante, péloche extrême et transgressive sortant le spectateur de sa zone de confort pour mieux lui faire comprendre que la vie n’est pas plus belle sur la canebière…

107-romy-schneider-theredlist

Le Trio infernal. De Francis Girod. France/Italie/Allemagne. 1974. 1h40. Avec : Romy Schneider, Michel Piccoli, Mascha Gonska…

CRIMES DANS L’EXTASE (Jess Franco, 1971)

02

Alors que le docteur Johnson mène des recherches peu orthodoxes sur les embryons humains tout en coulant une existence heureuse auprès de sa jeune épouse, il subit les critiques d’un comité médical qui rejette ses découvertes. Ayant perdu son travail, Johnson s’ouvre les veines, laissant une veuve d’abord éplorée, puis prompte à venger le suicide de son mari. Elle décide d’attirer dans son lit chacun des membres du comité avant de les assassiner… Source : arte.tv/fr

Crimes dans l’extase, un titre sadien qui en a connu d’autres : Lubriques dans l’extase, Elle tuait dans l’extase, She Killed in Ecstasy, Sie tötete in Ekstase. Mais quel que soit le blaze qu’on lui donne, c’est surtout une œuvre précieuse, adulée, culte pour tout francophage qui se respecte. Merci donc à la chaîne Arte d’avoir encore fait preuve d’ouverture culturelle en diffusant la bête lors d’une soirée dédiée à son producteur Artur Brauner. Sur le tournage de Sie tötete in Ekstase, ce dernier peut d’ailleurs s’estimer heureux en affaires. Pour pas un rond ni une seule journée de taf en plus (ou si peu), l’ami Jess ne lui livre pas un seul film mais deux (ou plutôt deux et demi, pour être précis). Capable de bosser plus vite que son ombre et de s’adapter à un budget de misère, Franco emballe Der Teufel kam aus Akasava avec l’équipe de Crimes dans l’extase. En parallèle, il trouve même le temps de s’atteler à Juliette de Sade dont le tournage est interrompu suite à la disparition soudaine de sa vedette, Soledad Miranda. Le 18 août 1970, sa carrière est stoppée net par un accident de la route survenu au Portugal. Elle n’avait que vingt-sept ans et encore beaucoup de rêves à réaliser. Ce sale coup du destin n’a pas empêché la jeune actrice de marquer les esprits et de laisser une empreinte indélébile sur le cinéma Bis. Dans cette relecture de l’histoire de Miss Muerte, Soledad Miranda joue les anges exterminateurs en dévoilant ses charmes et ses talents de comédienne. Sous une longue cape pourpre cachant une silhouette délicieuse et impudique, elle nous fait ressentir toute la souffrance de son personnage et exprime en voix off l’immense tristesse qui l’assaille. Les yeux de Soledad traduisent intensément cette perte inconsolable de l’être aimé, ce que Franco souligne à l’aide de gros plans sur le visage de sa muse. La Comtesse Carody de Vampyros Lesbos passe constamment de la veuve éplorée à la femme fatale, du deuil impossible à la punition libératrice, des larmes d’une épouse au sang du châtiment. Pour que justice soit faite, elle traque ses proies, les envoûte et se sert du sexe pour donner la mort. Puis le récit avance, plus la señora Miranda se transforme en une sorte de spectre assassin, ombre lascive et létale délivrant une sentence à laquelle ses victimes ne peuvent échapper (une réminiscence de la vénus à la fourrure sublimée par Maria Rohm, le plus beau rôle de cette blonde autrichienne qui s’est éteinte le 18 juin dernier). Bercé par un romantisme noir aux contours déviants (l’amour fou confine ici à la nécrophilie), She Killed in Ecstasy s’achève en apothéose sur un final tragique évoquant de façon prémonitoire le triste sort de son actrice principale. Pas de happy end à la con, donc. En revanche, la musique psychédélique de Manfred Hübler et Sigi Schwab contraste avec la violence des images et le désespoir de son héroïne. Si leur bande originale n’invite pas au spleen, elle apporte tout de même à l’ensemble un supplément d’étrangeté. Cet entraînant pas de côté connaît toutefois une petite pause avec la présence assez brève d’un morceau élégiaque plus en accord avec l’esprit du long-métrage. Un extrait que l’on doit certainement au grand Bruno Nicolai, le compositeur étant également crédité au générique. Les décors participent aussi à ce décalage tonal, Franco multipliant les plans larges sur un littoral espagnol ensoleillé (Alicante, ville portuaire située au bord de la Méditerranée). Mais là encore, en marge de ces panoramas touristiques, un élément discordant vient nous rappeler qu’on est pas là pour se taper un film de vacances. La demeure hors-norme de l’architecte Ricardo Bofill, château aux formes baroques trônant au sommet d’une falaise, correspond davantage à l’excentricité et à l’avant-gardisme de l’oncle Jess (on peut revoir la bâtisse dans La Comtesse perverse et les détails de la villa dans Plaisir à trois). L’extase est aussi à chercher du côté des interprètes fétiches du cinéaste ibérique. Outre la regrettée Soledad, les gueules patibulaires d’Howard Vernon et de Paul Müller – ainsi que la bobine beaucoup plus avenante de la suédoise Ewa Strömberg – assurent une bonne partie du spectacle. Le Jess Franco acteur se joint lui aussi à la fiesta et – derrière la caméra – n’oublie pas de livrer une mise en scène aussi libre que soignée (et moins portée sur le zoom que d’habitude). Quant à Horst Tappert, futur inspecteur Derrick, c’est à lui que revient l’honneur de résumer les terribles événements de Crimes dans l’extase : « c’est affreux mais quelle belle preuve d’amour ».

03

Sie tötete in Ekstase. De Jess Franco. Allemagne/Espagne. 1971. 1h17. Avec : Soledad Miranda, Fred Williams et Ewa Strömberg. Maté à la téloche le 02/08/18.

LES DIABLESSES (Antonio Margheriti, 1973)

28951347_1862964293716562_8278575143708317933_n

Des cadavres en piteux état ne cessent de faire leur apparition dans un petit village écossais. Le doute s’installe quant aux habitants du château de MacGrieff. Le lieu est apparemment hanté par un chat tueur. Corringa, nièce de la châtelaine Lady Mary, décide de mener sa propre enquête aux côtés de son étrange cousin, James. Source : dvdfr.com

Durant sa carrière, Antonio Margheriti s’est adapté à toutes les modes du cinoche populaire italien. Néanmoins, le genre dans lequel il se distingue le plus demeure l’épouvante gothique, comme le prouve l’un de ses chefs-d’œuvre : Danse Macabre (1964). Mis à part les autres opus margheritiens rentrant pleinement dans cette catégorie (dont les très bons La Vierge de Nuremberg et La Sorcière Sanglante), une fragrance goth se répand parfois là où on ne l’attend pas. Comme dans Et le vent apporta la violence (1970), étonnant western du signore à l’ambiance sépulcrale et quasi surnaturelle. Un mélange des genres, en somme, pratique iconoclaste très courante au temps des salles de quartier. Cette hybridation se retrouve également au centre de Les Diablesses, bande tenant à la fois du gothique et du giallo. Si – au début des 70’s – le premier ne rencontre plus vraiment les faveurs du public, le second vit au contraire son heure de gloire. Quoi qu’il en soit, aucun ingrédient provenant de ces deux influences ne manque ici à l’appel. L’occasion pour Margheriti de dresser un inventaire en forme de best of. À défaut d’être original, l’exercice ne se montre pas déplaisant, d’autant plus que le réalisateur de Pulsions Cannibales s’empare avec savoir-faire des codes qu’il connaît bien. Mais c’est encore dans son versant gothique que La Morte negli occhi del gatto (« La mort dans les yeux du chat ») se montre le plus convaincant. Car les fondus de Bava, Freda, Caiano et de la Hammer ont largement de quoi y trouver leur compte. Déjà, la direction artistique est aux p’tits oignons, aucun élément du tableau n’est laissé au hasard. Ce soin dans l’élaboration des décors installe d’emblée une atmosphère funeste. Jugez plutôt : l’incontournable château domine les ténèbres, le passage secret ne mène pas aux toilettes mais aux catacombes, le cimetière dort dans la nuit brumeuse, le caveau de la terreur ouvre et ferme sa porte plus d’une fois… Un panorama à filer la chair de poule que le père Margheriti sait mettre en valeur, notamment grâce à des cadrages et des mouvements de caméra qui font basculer la réalité dans l’angoisse (contre-plongées soudaines, travellings heurtés, zooms brusques). Quand la folie atteint son paroxysme, les éclairages se font même plus baroques et agressifs (savante utilisation d’une lampe en verre multicolore dans l’intro et le climax du film). Tout ça sous les yeux d’un matou de mauvais augure. La référence au Chat noir de Poe est évidente. La présence d’un gorille gardé en captivité renvoie elle aussi à une autre nouvelle de l’écrivain, Double assassinat dans la rue Morgue. D’ailleurs, pas besoin d’être primatologue pour remarquer le figurant se cachant sous son costume en poils de yack. Une incongruité qui frise le nanar involontaire (Ed Wood style) et que ne vient pas sauver une attaque de chauves-souris amorphes dans les souterrains du castel. Les rats de la crypte s’en sortent beaucoup mieux puisqu’ils offrent à La Morte negli occhi del gatto son image la plus gore : un gros plan sur la face d’un cadavre rongée par les petites bébêtes (Fulci style). La part giallesque du film accentue encore un peu plus sa dimension horrifique. Les meurtres au rasoir ne lésinent pas sur le sang et sont shootés dans la grande tradition du genre (cf. la vision subjective d’un tueur bien évidemment ganté). Le twist final fonctionne plutôt bien, l’identité de l’assassin ne se devinant pas aussi facilement que ça (sauf pour celles et ceux qui lisent Agatha Christie et se méfient toujours de l’individu le plus insoupçonnable). Pour le reste, le scénario demeure le point faible de Les Diablesses. Plutôt brouillonne, l’écriture surcharge inutilement ses personnages avec mille et un secrets n’apportant finalement pas grand-chose à la trame principale. Certaines sous-intrigues ne semblent aller nulle part et ne servent qu’à ralentir le rythme. Heureusement, le casting a de quoi nous consoler. Surtout l’adorable Jane Birkin dont la prestation nous fait regretter qu’elle n’ait pas fait plus de péloches fantastiques. Notre Melody Nelson fait aussi preuve d’une grande sensualité, notamment lorsqu’elle se met en petite tenue sous le regard gourmand de Doris Kunstmann (l’étreinte saphique n’aura pas lieu, dommage…). Des gueules – celles d’Anton Diffring, Venantino Venantini, Luciano Pigozzi et même de Gainsbarre – complètent le reste de la distribution. Un label de qualité pour un Margheriti très correct, au script laborieux certes, mais emballé avec goût et fréquenté par du beau monde.

les-diablesses-avec-jane-birkin-et-serge-gainsbourg-5

La Morte negli occhi del gatto. D’Antonio Margheriti. Italie/France/Allemagne. 1973. 1h30. Avec : Jane Birkin, Françoise Christophe et Venantino Venantini. Maté en dvd le 21/05/18.

LE DOSSIER ODESSA (Ronald Neame, 1974)

theodessafile-1

Hambourg, 22 novembre 1963. Alors que le monde est plongé dans la stupeur depuis l’annonce de l’assassinat du président Kennedy, Peter Miller, jeune journaliste ambitieux, met la main sur le journal d’un vieil homme qui vient de se donner la mort. Juif allemand, Salomon Tauber y a consigné les détails de sa déportation dans un camp des environs de Riga, dirigé avec une impitoyable cruauté par le capitaine SS Eduard Roschmann. En enquêtant sur l’ancien tortionnaire, Peter apprend par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal qu’un réseau clandestin, baptisé Odessa et constitué d’ex-SS, s’occupe de fournir de fausses identités aux membres du défunt parti national-socialiste, et qu’Eduard Roschmann, qui a réussi à échapper aux Alliés en 1947, pourrait se cacher en Allemagne. Poursuivi par les sbires de l’organisation, le journaliste est bientôt enlevé par les services secrets israéliens, qui redoutent une attaque dévastatrice sur leur pays, fomentée par l’Égypte avec l’appui d’Odessa. Au terme d’une brève phase de formation auprès des agents du Mossad, Peter tente, au péril de sa vie, d’infiltrer le puissant réseau occulte… Source : arte.tv/fr

Le passé ne s’enterre pas et nous survit, surtout lorsqu’il est marqué par la folie et l’abomination. Le Dossier Odessa commence avec un présent lui aussi contaminé par ce même mal. L’assassinat de JFK montre que l’Histoire se répète inexorablement, sans se lasser. Ailleurs, la guerre continue. Au Vietnam, par exemple. Le journaliste Peter Miller laisse entrevoir un avenir meilleur. Il représente une jeunesse qui ne peut rester indifférente face à l’injustice et comprend que l’inertie peut entraîner la barbarie. Ne pas reproduire les erreurs de ses aînés nécessite une vigilance constante. La prise de conscience se fait ici à travers la lecture du journal d’un rescapé des camps de la mort. Il vient de se suicider. Sa descente aux enfers nazis nous est révélée en flashback, via des séquences en noir et blanc proches du documentaire. Les images font froid dans le dos. Les exactions du SS Roschmann, le « boucher de Riga » (tortionnaire ayant réellement existé), agit sur le héros comme un électrochoc. Derrière l’horreur, il y en a encore une autre : malgré la fin du troisième reich, la bête immonde bouge encore. Elle a réussi à passer entre les mailles du filet et se cache maintenant quelque part. Un fait impensable dans cette Allemagne de l’Ouest se croyant en paix avec ses démons. La nouvelle génération ne doit pas laisser un tel crime impuni… L’engagement est donc au centre du film de Ronald Neame (artisan surtout connu pour ses deux disaster movies, L’Aventure du Poséidon et Meteor). En rompant avec la « pudeur » d’une Hollywood encore incapable – à l’époque – de parler frontalement du génocide juif, Le Dossier Odessa rend un vibrant hommage aux victimes de l’Holocauste. Le script, adapté d’un roman de Frederick Forsyth, s’empare du sujet avec sérieux et rigueur. Simon Wiesenthal, survivant de la Shoah et chasseur de nazis, est d’ailleurs convoqué à l’écran. Il est même crédité au générique comme consultant. Une participation qui donne de l’authenticité au projet et vient habilement se mêler à la fiction. Si l’organisation Odessa est une invention, elle s’inspire néanmoins de la réalité. Le film décrit comment – après la Seconde Guerre mondiale – d’anciens SS ont infiltré toute la société allemande, au nez et à la barbe du monde entier. Un réseau souterrain, fort bien organisé et bénéficiant d’importants moyens, leur donne une nouvelle identité, une nouvelle situation, une nouvelle planque. Voilà comment les bourreaux d’hier reprennent leur vie comme si de rien n’était et parviennent à échapper à toute condamnation. Un constat révoltant qui offre un socle solide à l’ensemble, tout en exploitant le thème des sociétés secrètes. De quoi amplifier le degré de paranoïa d’un thriller d’espionnage construit comme une chasse à l’homme. Passionnant sur le fond, captivant de bout en bout, Le Dossier Odessa n’évite pourtant pas toujours les facilités. L’enquête est parfois cousue de fil blanc, les événements s’enchaînent de façon un peu trop mécanique et un certain manichéisme se dégage des personnages (sans compter que le rôle féminin tenu par Mary Tamm ne sert qu’à valoriser le principal protagoniste). Certes, la machine est bien huilée, dans le sens où le rythme ne se relâche jamais. Mais niveau écriture et mise en scène, la subtilité du Alan J. Pakula des 70’s n’est pas au rendez-vous… Néanmoins, impossible de tirer la tronche devant la péloche de Neame. La gravité et la force de ce qu’il évoque emporte totalement l’adhésion et laisse le spectateur sur une impression positive. L’excellent Jon Voight (deux ans après Délivrance et onze ans avant Runaway Train) n’y est pas non plus pour rien. Les plus attentifs ont peut-être remarqué l’apparition furtive du comédien Herbert La Marque du diable Fux, une « gueule » à la filmo aussi longue que le bottin (rien à voir avec Rob).

odessa-mary-tamm

The Odessa File. De Ronald Neame. Royaume-Uni/Allemagne. 1974. 2h03. Avec : Jon Voight, Mary Tamm et Maximilian Schell. Maté à la téloche le 16/04/18.

LA MORT EN DIRECT (Bertrand Tavernier, 1980)

deathwatch-quad

Condamnée par une maladie incurable, Katherine Mortenhoe est contactée par le directeur d’une chaîne de télévision, Vincent Ferriman, qui souhaite en faire la vedette de son show La mort en direct. Katherine accepte la proposition, empoche l’argent, puis prend la fuite. Roddy, le réalisateur de l’émission, qui est capable de diffuser tout ce qu’il voit grâce à une caméra implantée dans le cerveau, se lance à sa poursuite. Mais alors qu’il a gagné la confiance de Katherine et qu’il la filme à son insu, il est bientôt ébranlé par les sentiments qu’il éprouve pour elle… Source : arte.tv/fr

Un film de science-fiction, le seul de Bertrand Tavernier. Encore que le genre se fasse ici très discret et n’est justifié que par son idée de départ. Le réalisateur de La Vie et rien d’autre n’a pas besoin d’investir dans des décors futuristes et moult effets spéciaux pour nous faire croire à son histoire. Avec simplicité et sans chichis, les deux premières séquences lui suffisent pour exposer au spectateur de quoi il retourne. Un dispositif de mise en scène qui s’efface au profit des personnages et prend le contrepied de celui – intrusif, voyeuriste – testé par Roddy, l’homme caméra. Deux regards qui s’opposent et parfois se chevauchent, notamment à l’occasion de brèves visions subjectives et de prises de vues effectuées à la steadicam (le directeur de la photo, Pierre-William Glenn, prouve sa maîtrise de l’outil lors d’une poursuite effrénée en plein marché bondé). Le cinéma et la télévision s’affrontent, le premier pointant du doigt les dérives de la seconde. Car le monde de La Mort en direct n’est pas seulement celui de demain, c’est aussi celui d’aujourd’hui. Visionnaire, le film annonce l’avènement d’une real TV qui flatte les bas instincts du public en s’immisçant dans l’intimité d’autrui. Quoi de plus sensationnaliste que de filmer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, l’agonie d’une personne condamnée ? Quelles sont les limites ? Quand l’audimat explose, il n’y en a aucunes (voir aussi l’excellent Network de Sidney Lumet pour s’en convaincre). À ce jour, TF1 et M6 (et tant d’autres) ont bien réussi à faire de la survie et de l’avilissement de l’individu un jeu et un spectacle familial… Sans foi ni loi, cette soi-disant téléréalité n’est que mensonge et manipulation. Chez Tavernier, Katherine Mortenhoe apprend sa participation à l’émission Death Watch devant un panneau publicitaire. Dupée par son propre médecin, elle est filmée à son insu et subit une pression médiatique constante. Son espace privé se réduit comme une peau de chagrin. Afin de distraire les masses (et faire un max d’audience et de blé), sa liberté lui est arrachée. Sous le prétexte fallacieux de vouloir capter l‘authenticité, le studio de télévision derrière ce coup monté, transforme l’existence de Katherine en simulacre. Les suppôts du petit écran ne reculent devant rien pour amener leur proie à se confier, s’épancher. Et apparemment, telle une mafia qui ne dit pas son nom, ils ont les moyens de vous faire parler : pognons, hommes de main, hélicoptères… Si, contrairement au crime organisé, la téloche ne vous tue pas directement, elle prend néanmoins plaisir à exhiber votre souffrance devant la terre entière. Dans une société d’images vidées de toute substance, que faire ? S’échapper. Se battre. En d’autres mots : niquer le système. Pas facile quand ledit système avance masqué pour mieux flouer sa cible. Bien que la relation Katherine/Roddy démarre sur une imposture, les choses se corsent lorsque l’expérience cathodique débouche sur un amour impossible. Trois ans avant le magnétoscope humain de Vidéodrome, Harvey Keitel joue les caméras vivantes et shoote, enregistre ce qu’il voit, encore et toujours, jusqu’à se brûler les ailes. En voix off, son épouse (formidable Thérèse Liotard) tente de lever le voile sur cet homme mystérieux, dont les seules certitudes restent ce besoin de solitude et cette peur que les feux s’éteignent. Dans un Glasgow en ruine (symbole d’un avenir sans espoir), Romy Schneider rétame le cœur. Dès ces premiers instants où elle apprend sa fin imminente, la passante du Sans-Souci transmet au spectateur une émotion qui ne va plus le lâcher. Sombre et déchirant, le film de Tavernier fait écho au destin tragique de la comédienne. Avec une grâce teintée de détresse, elle saisit la vérité qui se cache derrière la fiction et traverse le long-métrage tel un ange brisé mais pas anéanti. « Dis-leur que je n’ai pas fui » lance-t-elle à Max von Sydow avant de quitter la scène. (Re)voir La Mort en direct rappelle à quel point l’irremplaçable Romy manque au 7ème art…

capture_d_ecran_2013-01-21_a_22_56_48

La Mort en direct. De Bertrand Tavernier. France/Allemagne. 1980. 2h05. Avec : Romy Schneider, Harvey Keitel et Harry Dean Stanton. Maté à la téloche le 18/02/18.

SEPT MORTS SUR ORDONNANCE (Jacques Rouffio, 1975)

18463816Sept morts sur ordonnance. De Jacques Rouffio (à voir aussi : Le sucre, La passante du Sans-Souci). France/Allemagne/Espagne. 1975. 1h44. Avec : Michel Piccoli, Gérard Depardieu et Jane Birkin. Genre : thriller. Sortie France : 03/12/1975. Maté à la téloche le dimanche 28 mai 2017.

De quoi ça cause ? Après avoir exercé un temps au Maroc, le docteur Pierre Losseray (Michel Piccoli) a rejoint l’hôpital public d’une petite ville de province, où ses talents de chirurgien ont fait sa réputation. Inquiet de la baisse régulière du nombre d’opérations dans la clinique qu’il dirige d’une main de fer, le vieux professeur Brézé (Charles Vanel), entouré par ses trois fils et son gendre, voudrait le convaincre de rejoindre son établissement. Mais comme l’avait fait quinze ans auparavant l’un de ses confrères, le docteur Berg (Gérard Depardieu), Losseray résiste aux pressions du puissant mandarin. Quand, remis d’un infarctus, Losseray reprend le chemin du bloc, des doutes sur son état de santé fournissent une arme redoutable au clan Brézé… (source : Arte.tv/fr)

Mon avis Télé Z : Plus de quarante ans après sa sortie, Sept morts sur ordonnance interpelle toujours autant. S’inspirant d’un fait divers survenu à Reims dans les années 60 (le suicide de deux chirurgiens à quinze ans d’intervalle), le scénario de Georges Conchon traite d’un double cas de harcèlement moral, infligé à deux praticiens faisant de l’ombre à un notable influent. Construit comme un thriller, la structure du film met en parallèle le destin de deux hommes inconnus l’un pour l’autre, mais dont le destin tragique est amené à se répéter. Les flashbacks s’intègrent au récit de façon naturelle et abrupte, une approche très « film noir » qui décuple le suspense de l’intrigue. À ce titre, la première de ces séquences rétrospectives – d’une violence inouïe – provoque un véritable choc sur le spectateur qui s’habitue progressivement à ce chamboulement narratif (les évènements du passé ne sont pas toujours chronologiques). Dès lors, le film de Jacques Rouffio déroule sa mécanique implacable et explose lors d’une conclusion sans appel et d’une grande amertume. Le milieu hospitalier (et d’une manière générale, professionnelle) peut être cruel, surtout quand celui-ci est dirigé par un clan, une mafia dont le pouvoir abusif et les manipulations insidieuses brisent non seulement les individus mais aussi leur famille. Souffrance au travail, autoritarisme de la hiérarchie, corruption des élites : des sujets plus que jamais d’actualité, les marques d’une société vérolée de l’intérieur. Entre de mauvaises mains, la Santé tue. Et pas seulement les patients. Car Sept morts sur ordonnance fixe, sans dévier du regard, l’horrible vérité qui se cache derrière toute réalité : tandis que les braves meurent en silence, les salauds dorment en paix. La férocité et la lucidité d’un Costa-Gavras ne sont pas loin, et à l’instar du réalisateur de Section spéciale, Rouffio en profite pour convoquer les pires heures de l’histoire française (un dialogue fait référence au passé de collabo du père Brézé). Comme pour montrer que, même après la guerre, celle-ci se prolonge toujours sous une forme différente… Juste et puissante, l’interprétation fait honneur à cette œuvre frontale et engagée. Piccoli et Depardieu campe avec brio des chirurgiens dont la combativité s’étiole face la pression exercée sur eux. En face, Charles Vanel joue les patriarches obséquieux et réellement vénéneux, une vieille ordure intouchable n’hésitant pas à broyer les autres pour son propre intérêt. Et n’oublions pas la grande Jane Birkin dont l’adorable frimousse a rarement été aussi malmenée à l’écran. 5/6

jane-birkin-photo-d-exploitation-espagnole-7-morts-sur-ordonnance-3
Quand la peur recouvre d’ombres les yeux de sweet Jane.

MY SWEET PEPPER LAND (Hiner Saleem, 2013)

my-sweet-pepper-land-1131My sweet pepper land. De Hiner Saleem. Kurdistan/France/Allemagne. 2013. 1h26. Avec : Golshifteh Farahani (sublime actrice iranienne à la carrière internationale), Korkmaz Arslan et Suat Usta. Genre : drame. Sortie France : 09/04/2014. Maté à la téloche le jeudi 2 mars 2017.

De quoi ça cause ? Au carrefour de l’Iran, l’Irak et la Turquie, dans un village perdu, lieu de tous les trafics, Baran (Korkmaz Arslan), officier de police fraîchement débarqué, va tenter de faire respecter la loi. Cet ancien combattant de l’indépendance kurde doit désormais lutter contre Aziz Aga, caïd local. Il fait la rencontre de Govend (Golshifteh Farahani), l’institutrice du village, jeune femme aussi belle qu’insoumise… (source : Allociné.fr)

Mon avis Télé Z : Les codes et les thèmes du western sont universels et peuvent s’appliquer aussi bien à Monument Valley que dans les montagnes kurdes. La façon dont My sweet pepper land s’approprie le genre est plus que rafraîchissante. Les décors naturels invitent au voyage, même si ce voyage n’est pas de tout repos. Face à des « truands » imposant leur loi à tout un village, il faut un « bon », un incorruptible qui n’a pas peur de se dresser contre eux. Quelque part entre Charles Bronson (pour son côté taciturne et imperturbable) et Henry Fonda (pour la droiture infaillible de son personnage), Korkmaz Arslan se montre épatant en shérif intègre qui ne demande qu’à faire son job dans les règles. Son courage impressionne lorsque, maître de lui-même, il défie l’autorité du parrain local. En découle une tension palpable alimentée par une violence sourde qui menace à tout moment d’exploser (et qui n’explosera – physiquement – qu’à la dernière bobine). Et puis il y a toute la grâce et la hardiesse de Govend, femme indépendante à qui on voudrait arracher le droit d’enseigner. Confrontée à l’injustice patriarcale, elle ne laisse ni les trafiquants ni sa fratrie lui dicter sa conduite (autre figure féminine forte présente dans le film : les combattantes kurdes planquées dans le maquis et toujours prêtes à se battre). Résolument frondeurs, Govend et Baran entrent en résistance contre une société rétrograde et hypocrite où les vieilles traditions ont la vie dure. Ode à la liberté et à des lendemains meilleurs, My sweet pepper land peut se définir comme un western romantique et humaniste, enrichi par un contexte politique particulier (l’indépendance du Kurdistan irakien après la chute de Saddam Hussein). Quant à la merveilleuse Golshifteh Farahani, l’extrême conviction de son jeu (ses talents de musicienne s’expriment aussi lors de passages bouleversants où ses mains caressent le hang, son instrument) finit par emporter l’adhésion. Et le cœur du spectateur. 5/6

21028207_2013081410481114-jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx
Golshifteh Farahani, le trésor d’une terre aride où il faut se battre pour exister.