LES DAMNÉS : black leather, black leather, kill, kill, kill

Parmi les trésors de la Hammer que les mordus de « british terrors » peuvent débusquer chez ESC, il y en a un qui sort du lot : Les Damnés. Bien entendu, il ne s’agit pas du premier volet de la trilogie allemande de Visconti mais plutôt du film homonyme de Joseph Losey. Encore une fois, l’édition vidéo permet de (re)découvrir dans des conditions optimales une pièce rare et oubliée. On ne s’en privera pas, d’autant plus qu’il est ici question d’une œuvre atypique. Atypique parce qu’en totale rupture avec les monstres gothiques en technicolor qui ont fait la renommée de la société anglaise. Et surtout, atypique parce qu’un cinéaste étranger à la série B horrifique se retrouve derrière la caméra. Comme vous le savez, Losey n’est pas un habitué des studios de Bray (contrairement à Terence Fisher, par exemple). Après avoir frayé avec Hollywood (le temps, entre autres, de nous présenter son Garçon aux cheveux verts, 1948), le bonhomme se fait blacklister pour ses penchants communistes et s’exile au pays de Peter Cushing. Le court-métrage A Man on the Beach (1956) signe alors la première collaboration entre l’expatrié et la Hammer. Il aurait même pu enchaîner avec une autre production de cette dernière (X the Unknown), si son acteur principal (l’anti-rouge Dean Jagger) ne l’avait pas fait virer du projet… Heureusement, Joseph Losey prend sa revanche avec Les Damnés, un film de commande bien moins impersonnel qu’il n’y paraît…

Simon Wells (Macdonald Carey), un touriste américain, se promène tranquillou à Weymouth, une station balnéaire du sud de l’Angleterre. Lorsque ses yeux se posent sur Joan (Shirley Anne Field), il cède à la tentation. Ce qui n’est pas du goût du frère possessif de la nénette, King (Oliver Reed). Un chef de bande, un malfaisant qui, au coin d’une rue, tabasse le pauvre Simon. Malgré la rouste qu’il s’est pris, ce dernier s’enfuit avec Joan. En voulant semer King et son « motorcycle gang », le couple tombe sur une installation militaire et rencontre des gosses pour le moins étranges… The Damned évolue d’une manière plutôt inattendue. Le film commence comme un drame social sur fond de délinquance juvénile, trace les contours d’une idylle impossible et laisse son argument fantastique dans l’ombre avant de le faire exploser lors du dernier acte. L’introduction électrisée par la chanson pop « Black Leather Rock » (un titre composé par un James Bernard plus habitué à l’épouvante symphonique) semble inscrire l’entreprise dans la sous-culture des blousons noirs popularisée par L’Équipée sauvage (1953). Les « teddy boys » sur lesquels règne un « roi » impétueux et sardonique (Oliver Reed, écrasant de présence) et le duo romantique Simon/Joan entretiennent une rivalité qui ne sert en aucun cas de bouche-trou scénaristique. La traque des seconds par les premiers permet surtout au récit de faire le lien avec ce qui se cache derrière les clôtures d’une base secrète appartenant à l’armée de Sa Majesté…

The Damned. Un titre qui fait de l’œil à Village of the Damned (1960). Et pour cause : la Hammer compte bien profiter du succès de cette péloche assaillie par une horde de blondinet(te)s flippant(e)s. Le roman adapté par Losey (The Children of Light de H.L. Lawrence, 1960) est lui-même déjà inspiré du bouquin à l’origine du Wolf Rilla (The Midwich Cuckoos de John Wyndham, 1957). Pour autant, le réalisateur de Modesty Blaise ne fait pas de ses gamins des êtres malveillants. Mais les victimes d’une nouvelle ère, celle de la bombe atomique qui, en cette période de guerre froide, menace de tout (re)faire péter. Afin de ne pas trop spoiler, je ne rentrerai pas dans les détails. Sachez seulement que Losey en profite pour lancer un cri d’alarme contre le péril nucléaire, dénoncer l’inconscience de ces « maîtres de l’ombre » s’approchant dangereusement du « point limite ». Dans cette histoire, les véritables « salauds » ne ressemblent pas à des petits voyous vêtus de cuir mais à des « adultes » en costard ou en uniforme pour qui la raison d’État prime sur tout le reste. En creux, Joseph Losey dresse un portrait peu flatteur de la perfide Albion, se montre peu amène envers ses institutions. Autant dire que la fameuse « éducation à l’anglaise » en prend un sacré coup, la jeunesse voyant ici leur avenir compromis à cause de leurs aînés… Avant que la Terre ne prenne feu, quelques questions méritent d’être posées : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? Les générations futures s’échoueront-elles sur le « dernier rivage » ?

Avec Les Damnés, celui qui connaîtra la consécration avec The Servant (1963), transcende son sujet, incite à la réflexion et ce sans donner de leçons. Celui qui remportera une palme d’or pour Le Messager (1971) et des césars pour Monsieur Klein (1976) détourne une bande de SF pour en faire une parabole sur l’innocence bafouée. Une démarche qui ne témoigne d’aucune naïveté, comme l’attestent la lucidité implacable et le nihilisme glaçant des dernières images (on a rarement vu un dénouement aussi sombre dans une prod Hammer). Chez Losey, la peur émane du réel, vampires et autres loups-garous ne pesant pas lourd face à la folie des hommes et au pouvoir destructeur de l’atome… Engagé contre les politiques bellicistes mais pessimiste quant au devenir de l’humanité, Les Damnés ne met pas pour autant de côté son sens de l’esthétique. La beauté du noir et blanc (cadré, qui plus est, en « hammerscope » : la classe !) et des décors naturels (les falaises côtières du Dorset) adoucit la mélancolie ambiante sans faire oublier l’imminence d’un probable cataclysme… L’apocalypse se devine également à travers les créations de Freya, l’artiste jouée par une remarquable Viveca Lindfors. Ses sculptures évoquent des corps calcinés, ce qui n’a rien de fortuit… Et maintenant, il faut que je vous cause de la sublime Shirley Anne Field. Dans The Damned, son si doux visage atomise le falot Macdonald Carey et irradie les fêlures de son personnage, une fragile sirène rêvant d’un autre monde. Pas de doute, cette Shirley Anne Field est à se damner…

The Damned. De Joseph Losey. Royaume-Uni. 1962. 1h32. Avec : Shirley Anne Field, Oliver Reed, Viveca Lindfors…

BONUS

Comment vendre un objet aussi singulier ? C’est la question à laquelle la Hammer n’a pas su répondre. Résultat, la promotion de The Damned a été négligée… et les salles désertées. Pourtant, le magazine Film Review avait tout misé sur la renversante Shirley Anne Field. Dans un monde parfait, cette couv aurait fait flamber le box-office…

J’ai fait la connaissance de Shirley Anne Field dans les pages du Hammer Glamour de Marcus Hearn (en couverture : Madeline The Vampire Lovers Smith). Un ouvrage de référence dédié aux plus grandes actrices de la firme au marteau. La photo de la miss, par ailleurs prise sur le set de The Damned (la plage de Chesil ?), m’avait littéralement subjugué (voir ci-dessous)…

Si Shirley Anne Field a été imposée à Losey (qui ne voulait pas d’elle), force est de constater que sans cette comédienne Les Damnés ne serait pas tout à fait le même… On peut aussi admirer cette Anglaise née le 27 juin 1938 (ou 1936 selon les sources) dans plus de soixante-dix rôles, au cinéma comme à la télévision. Sa carrière débute en 1955 et s’étale jusqu’au mitan des années 2010.

La filmo de Shirley Anne Field ne se limite pas à The Damned. Dotée d’un parcours professionnel assez riche, elle a eu pour partenaire Michael Gough (Crimes au musée des horreurs, 1959), Karlheinz Böhm (Le Voyeur, 1960), Laurence Olivier (Le Cabotin, 1960), Christopher Lee (Beat Girl, 1960), Steve McQueen (L’Homme qui aimait la guerre, 1962), Yul Brynner (Les Rois du soleil, 1963), Michael Caine (Alfie, 1966) ou encore Daniel Day-Lewis (My Beautiful Laundrette, 1985)…

À l’instar de Barbara Shelley, Yvonne Monlaur, Ingrid Pitt, Caroline Munro, Valerie Leon, Yutte Stensgaard, Yvonne Romain, Martine Beswick, Marie Devereux, Linda Hayden, Susan Denberg, Veronica Carlson, Dana Gillespie, Victoria Vetri ou les sœurs Collinson, Shirley Anne Field a contribué à rendre les ténèbres hammeriennes encore plus flamboyantes…

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS + ZOMBIE + LE JOUR DES MORTS-VIVANTS : Romero’s not dead

Quand il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur... grand écran ! Un miracle dû à Solaris Distribution qui ressort dans nos salles les trois premiers segments d'une saga zombiesque indissociable du regretté George A. Romero (suivront dans les années 2000, Land, Diary et Survival of the Dead). Passer une nuit, une aube et un jour en compagnie de morts-vivants à qui l'horreur moderne doit énormément, ne se refuse pas. C'est ça ou une énième rediff du grand bêtisier des animaux sur C8. Ah non, plutôt mourir… pour de bon !

« THEY’RE COMING TO GET YOU, BARBRA ! » 1968

Le Pitch. Chaque année, Barbra (Judith O’Dea) et Johnny (Russell Streiner) vont fleurir la tombe de leur père. La route est longue, les environs du cimetière déserts. Peu enclin à prier, Johnny se souvient du temps où il était enfant et où il s’amusait à effrayer sa sœur en répétant d’une voix grave : « Ils arrivent pour te chercher, Barbra. » La nuit tombe. Soudain, un homme étrange apparaît. Il s’approche de Barbra puis attaque Johnny, qui tombe et est laissé pour mort. Terrorisée, Barbra s’enfuit et se réfugie dans une maison de campagne. Elle y trouve Ben (Duane Jones), ainsi que d’autres fugitifs. La radio leur apprend alors la terrible nouvelle : des morts s’attaquent aux vivants. Source : Solaris Distribution

Comme le disait le grand Jean-Pierre Putters lors d’un bonus présent sur le vieux dvd Mad de Zombie, on peut définir La Nuit des morts-vivants comme le « Mai 68 du film d’horreur ». Oui, le premier long-métrage de George A. Romero représente une sacrée révolution, celle d’un genre tout entier et de l’une de ses figures en particulier. Avant cette petite production tournée entre potes avec pratiquement pas un rond, le zomblard était essentiellement lié au culte vaudou, comme l’ont si bien illustré Victor Halperin (White Zombie, 1932), Jacques Tourneur (I Walked with a Zombie, 1943) et John Gilling (The Plague of the Zombies, 1966). Faisant table rase du passé, Romero réinvente totalement la manière d’aborder le revenant à l’écran. Le cadre contemporain (et presque banal) adopté ici évacue d’emblée toute imagerie gothique et/ou exotique qui viendrait mettre une distance entre le sujet et le spectateur. S’en dégage une forme de réalisme nous faisant croire à la véracité des faits (les bulletins d’information, qu’ils soient issus d’un poste de télévision ou de radio, ont leur importance dans le récit). Pour autant, ce sentiment d’urgence souligné par les mouvements heurtés d’une caméra portée ne font pas de Night of the Living Dead le rejeton d’un cinéma post-nouvelle vague. L’auteur de Knightriders livre au contraire de très beaux effets de style (plans obliques, plongées et contre-plongées, éclairages expressionnistes), prouvant au passage que le manque de moyens ne freine aucunement le talent et l’inspiration. Une œuvre fantastique n’est pas un documentaire, surtout quand on a en tête le roman post-apocalyptique de Richard Matheson, Je suis une légende. La source idéale pour évoquer les prémices de la fin du monde dans laquelle une poignée d’individus tentent de ne pas passer à la casserole. L’occasion pour le réalisateur de faire de ses mangeurs de chair la métaphore d’un corps social en décomposition. Portant en elle les germes de sa propre destruction, l’espèce humaine se révèle bien trop disparate pour entreprendre une quelconque défense commune. À l’intérieur de cette baraque où se déroule l’essentiel de ce cauchemar nocturne et purulent, les antagonismes menacent à tout moment de ruiner les efforts de chacun pour rester en vie (la lâcheté de Harry, père de famille obtus, s’oppose constamment au sang-froid et au courage de Ben). Le péril émane bien plus de ce conflit que des morts traînant la patte dans les environs (le script s’attarde d’ailleurs très peu sur les origines du mal). Ce qui n’empêche pas le film d’élaborer LA mythologie définitive concernant nos croquemitaines avariés : anthropophagie, point faible situé au niveau du cerveau, contamination par morsure… Une formule pérenne, à l’impact visuel déjà très cru et viscéral (comme tant d’autres avant elle, la série The Walking Dead saura s’en souvenir…). Notons également la remarquable construction du classique de Romero, qui voit l’espace autour des personnages se rétrécir au fur et à mesure (le film débute dans un cimetière et se termine dans une cave). S’enfermer, c’est donc se mettre en danger et s’installer volontairement dans un cercueil (s’isoler dans les sous-sols ne signifie pas autre chose). En outre, le final glaçant et désespéré de Night of the Living Dead résonne avec la triste actualité de l’époque (l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril 1968). Face à la ségrégation raciale et la guerre du Vietnam, les morts – affligés et en colère – ne pouvaient que sortir de leur tombe…

« QUAND LES MORTS MARCHENT, IL FAUT CESSER DE TUER OU LA GUERRE EST PERDUE » 1978

Le Pitch. Des morts-vivants assoiffés de sang ont envahi la Terre et se nourrissent de ses habitants. Un groupe de survivants se réfugie dans un centre commercial abandonné. Alors que la vie s’organise à l’intérieur, la situation empire à l’extérieur… Source : Solaris Distribution

Quand la discorde provoque le chaos : l’aube des morts-vivants vient à peine de se lever qu’elle nous plonge déjà au cœur du problème. Si nos défunts ont été refoulés d’un enfer trop encombré, ce n’est pas par simple facétie divine. C’est parce que l’humanité ne parvient ni à s’entendre ni à agir afin d’enrayer la catastrophe. Dans les coulisses d’un plateau de télévision, des « experts » comme on en voit à longueur de journée sur BFM TV se foutent sur la gueule, tandis qu’autour d’eux s’agite toute une équipe ne sachant quoi faire. Fuir peut-être ? Il faut bien que quelques-uns survivent, non ? Il faut bien que quelques-uns échappent à la tension sociale et raciale qui sévit au-dehors ? Et quoi de mieux qu’un hypermarché pour se planquer en attendant que le vent tourne ? Ce paradis que le quatuor du film pense avoir trouvé n’est qu’un leurre, un piège destiné à les enfermer dans un confort illusoire, à les aveugler face au désastre en cours. Impossible d’aborder Zombie sans évoquer sa critique féroce de la société de consommation (sous-texte également présent dans Le Grand Bazar de Claude Zidi, mais ceci est une autre histoire). Avoir à sa portée (et gratuitement) tout un tas de merdouilles ne sert à rien quand le monde s’effondre. Frimer en portant une montre en or à chaque poignet est un geste aussi dérisoire que vain. L’argent lui-même n’a plus aucune valeur. L’apocalypse selon Saint George pourrait bien se résumer à ce terrible réflexe voyant des revenants déambuler pour toujours dans les allées d’un centre commercial… Cette (trop) grande surface est le reflet vulgaire et clinquant d’un capitalisme où l’homme se nourrit de l’homme. Romero traite le sujet au sens propre comme au figuré et orchestre un jeu de massacre qui culmine avec l’arrivée de pillards motorisés venus foutre en l’air la petite existence de nos héros (comme quoi, il y a toujours plus à craindre des vivants que des morts). Parmi ces Hell’s Angels dégénérés à la Doux, dur et dingue/Ça va cogner, se distingue un certain Tom Savini, acteur/maquilleur également auteur d’un festin gore qui a durablement marqué les esprits (ah, cette machette enfoncée dans le crâne d’un pauvre hère, un plan d’anthologie ayant d’ailleurs servi à illustrer l’une des affiches du long-métrage). Tout comme les décharges électriques envoyées dans nos esgourdes par le groupe Goblin qui réitère avec cette sarabande d’outre-tombe l’exploit musical de Suspiria. Les coups de mitraillette synthétique, les bruitages atmosphériques sépulcraux et les riffs endiablés des Italiens transcendent chaque image, font du film un concert à part entière (Edgar Wright ne manquera pas de rendre hommage à cette putain de BO dans son Shaun of the Dead). Dix ans après cette fameuse nuit où tout a commencé, George Romero signe l’exemple le plus foudroyant d’un cinéma d’horreur subversif où les zombies ne sont autres que nous-mêmes. Réfléchissons-y avant d’envahir à notre tour les galeries marchandes à l’approche de Noël…

« THE DEAD WALK ! » 1985

Le Pitch. Les morts-vivants se sont emparés du monde. Seul un groupe d’humains, composé de militaires et de scientifiques, survit dans un silo à missiles. Deux solutions se présentent : fuir ou tenter de contrôler les zombies… Source : Solaris Distribution

Trois ans avant le génial Invasion Los Angeles de John Carpenter, George A. Romero jetait déjà un pavé dans la mare des années Reagan avec Le Jour des morts-vivants. Alors que l’Amérique fait étalage de sa toute puissance, le maître de Pittsburgh montre la fin d’un empire de paille, les heures sombres d’une société qui s’est effondrée sur elle-même, la chute de la civilisation. L’intro se situant dans une ville de Floride progressivement infestée de « rôdeurs » suffit à rendre le désastre palpable (et ce grâce à des images à la fois porteuses de sens et faisant froid dans le dos, comme cet alligator squattant les marches d’un palais de justice n’ayant plus aucune utilité). Visiblement, l’Oncle Sam s’est tiré une balle dans la tronche après avoir constaté les limites de son système. La preuve, des billets verts traînent sur le bitume, balayés par le vent comme de vulgaires prospectus… Ce qu’il reste de l’humanité, désormais en minorité par rapport aux morts qui marchent, s’est réfugiée dans un bunker géant, un ancien silo à missiles. L’occasion pour le réalisateur de Martin de renouer avec l’un de ses thèmes fétiches, le huis clos, et de confronter deux groupes opposés, les scientifiques d’un côté, les militaires de l’autre. Bien entendu, la cohabitation se passe mal, l’atmosphère se tend à son maximum, et c’est dans cet affrontement que tous les enjeux de ce troisième volet « of the dead » se cristallisent. La survie de celles et ceux qui respirent encore dépend de leur capacité à pouvoir bosser ensemble. La guerre des nerfs cède inévitablement la place à la guerre tout court quand l’autorité des bidasses vire au fascisme pur et simple. Big George en profite pour tirer à boulets rouges sur ces résidus de l’armée US, tous dépeints comme des débiles congénitaux prêts à tirer dans le tas. Lecteur des extravagants EC Comics durant son enfance (cf. l’excellent Creepshow, 1982), Romero s’amuse à grossir le trait lorsqu’il souligne la bêtise de ses troufions irrécupérables (Joseph Pilato, décédé en mars dernier, prend visiblement son pied à jouer les méchants patibulaires). Pour autant, même s’il semble prendre fait et cause pour les chercheurs, le cinéaste n’hésite pas à dévoiler les expériences extrêmes d’un Docteur Frankenstein aussi jovial qu’inquiétant (tous les moyens sont bons pour tenter de neutraliser le fléau). Histoire de brouiller les pistes, il va même jusqu’à faire d’un zombie « domestiqué » le personnage le plus attachant du récit (qui ne voudrait pas adopter le formidable Bub ?). Pas de schématisme dans Day of the Dead donc, mais la volonté de décrire un monde sens dessus dessous où le monstre n’est pas toujours celui que l’on croit… Et ce jour ne serait pas aussi éclatant (ou plutôt éclaboussant) sans les effets horrifiques dantesques d’un Savini ne manquant ni de faux sang ni d’humour (parmi la horde de cadavres ambulants, on distingue un footballeur, un clown…). Alors célébrons l’avènement des morts-vivants et chantons en chœur : « Le soleil vient de se lever, encore une belle journée et il va bientôt arriver, l’ami putréfié… ».

Night of the Living Dead. De George A. Romero. États-Unis. 1968. 1h36. Avec : Duane Jones, Judith O’Dea, Karl Hardman…

Zombi/Dawn of the Dead. De George A. Romero. États-Unis/Italie. 1978. 1h57 (montage européen). Avec : Ken Foree, Gaylen Ross, David Emge…

Day of the Dead. De George A. Romero. États-Unis. 1985. 1h42. Avec : Lori Cardille, Terry Alexander, Joseph Pilato…

PERVERSION STORY + LE VENIN DE LA PEUR : Fulci lives ! Part 1

Le réchauffement climatique, le dernier Christian Clavier, les disparitions de Rutger Hauer et George Hilton... Il fallait bien une rétrospective Lucio Fulci pour nous remonter le moral. Dans des copies flambant neuves, "Les Films du Camélia" projettent actuellement sur nos toiles blanches quatre poèmes noirs du maestro : Perversion Story, Le Venin de la peur, La Longue nuit de l'exorcisme et L'Emmurée vivante. Les délicieuses frayeurs d'un cinéaste qui, à la fin des 60's et au début des 70's, n'était pas encore étiqueté "roi du gore"...

À San Francisco, un médecin dont la femme est morte après une longue maladie remarque dans un cabaret une strip-teaseuse qui lui ressemble étrangement. Pitch : les Films du Camélia.

1966. Après avoir emballé une flopée de comédies épaisses pour le duo Franco et Ciccio, Lucio Fulci amorce un nouveau cap avec un western plein de bruit et de fureur : Le Temps du Massacre. 1969. Le même tâte du giallo pour la première fois avec Perversion Story et confirme sa volonté de transcender son cinéma et de devenir un auteur à part entière (ce que prouve également une autre péloche du maestro sortie la même année : le sublime et tragique Beatrice Cenci). Une porte s’ouvre donc dans la carrière de Fulci. Et si ce n’est pas encore celle qui mène aux zombies infernaux et à l’au-delà, elle marque déjà l’avènement d’un nouveau style, d’une nouvelle voie, celle qui perturbe les sens à coups de saillies viscérales et décapantes… Pour ses débuts dans le thriller à l’italienne, le cinéaste s’appuie sur une base solide en convoquant le Vertigo d’Hitchcock. Il va même jusqu’à reprendre le même décor : San Francisco. Bien avant Brian De Palma, Lucio Fulci rend hommage à son prestigieux aîné, mais ne se contente pas de le citer, il le transforme à son image, en prolonge les thèmes avec une audace bien plus démonstrative (libération des mœurs oblige). Car une évidence s’impose : la love story aux relents nécrophiles narrée par Big Hitch s’intègre parfaitement avec les obsessions chères à Fulci. Ainsi, lorsque Jean Sorel (acteur français ayant beaucoup fréquenté le giallo durant les 60’s, 70’s) s’envoie en l’air avec le sosie de sa défunte épouse, son esprit est assailli par des flashs de celle-ci couchée sur son lit de morte. Le gazier n’ayant jamais été du genre fidèle, ces visions d’un passé funeste pourraient être aussi bien le fruit d’une culpabilité que d’une déviance. Quoi qu’il en soit, le motif du double (personnifié ici par une Marisa Mell brune et blonde mais atomique en toutes circonstances) permet au réalisateur de Conquest de chorégraphier, sur les envolées jazzy de Riz Ortolani, une danse sépulcrale et lascive entre Eros et Thanatos. La mort que Fulci commence à observer d’un œil cru (cf. ce gros plan sur la figure décomposée d’un cadavre à la morgue). Et le sexe qu’il caresse avec une inventivité psychédélique que n’aurait pas renié le Jess Franco des Inassouvies (cadrage oblique, caméra portée, angle surréaliste). Bref, Una sull’altra (que l’on peut traduire par « une sur l’autre ») est un grand film érotique, doublé d’un suspense à tiroirs que son auteur s’amuse à faire rebondir jusqu’à l’ultime seconde. Sexy, sinueux, sensationnel.

Una sull’altra. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1969. 1h50. Avec : Marisa Mell, Jean Sorel, Elsa Martinelli…

Carol Hammond, fille d’un célèbre avocat, est la victime d’hallucinations étranges où elle imagine des orgies sexuelles sous LSD organisées par sa voisine, la belle Julia Durer, une actrice à la vie sulfureuse et débridée. À la mort de cette dernière dans des conditions mystérieuses, Carole voit son monde s’écrouler et les mains de la police se refermer sur elle. Arrivera-t-elle à contenir sa folie et ses désirs sexuels insatisfaits ? Pitch : les Films du Camélia.

Après un Perversion Story déjà remarquable, Lucio Fulci explose le cadre du giallo classique avec Le Venin de la peur. Un film fou qui, dès ses fascinantes préliminaires, nous précipite dans un univers cauchemardesque dévoré par des pulsions refoulées et des instincts meurtriers. Le cinéaste romain brouille les frontières entre rêve et réalité tout en plongeant une femme dans un chaos mental et létal. Le sol se dérobe sous ses pieds, et sous les nôtres, les mécanismes retors et insidieux du scénario semant le doute sur la nature même des événements. Pour matérialiser la démence semblant gagner progressivement Florinda Bolkan, Fulci s’autorise les idées les plus dingues (un cygne géant s’échappe d’un tableau de Dali et étend son ombre menaçante sur sa protagoniste) et les scènes choc les plus déstabilisantes (la découverte de chiens éventrés, et encore vivants, dans le labo d’une clinique). Tout l’imaginaire onirico-morbide de son auteur nous éclate alors en pleine tronche. Les concepts fulgurants et saisissants disséminés dans Una Lucertola con la pelle di donna sont le produit d’une mise en scène aussi libre (pour ne pas dire expérimentale) que sophistiquée (la caméra bouge, zoom, recadre et s’arrête le temps d’un split screen ou d’un plan oblique). Cette descente aux enfers schizo et parano digne d’un Polanski sous acides, prend une tout autre signification lors du coup de théâtre final. Un virage à 180 degrés qui ne constitue pas seulement une énorme surprise narrative. Il révèle aussi toute la misanthropie d’un Fulci scrutant avec ironie un Swinging London décadent dans lequel bourgeois et hippies rivalisent de duplicité. Un regard cinglant (et sanglant) qui sait aussi mettre en valeur l’élégance, la sensualité et la beauté froide de l’exceptionnelle Florinda Bolkan. Ses étreintes brûlantes et fantasmagoriques avec Anita Strindberg, accompagnées par la BO atmosphérique et éthérée de Morricone, suffisent à faire de ce « lézard à la peau de femme » l’un des efforts les plus vertigineux et sidérants de Lucio Fulci.

Una Lucertola con la pelle di donna. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1971. 1h42. Avec : Florinda Bolkan, Jean Sorel, Anita Strindberg…

LA RUÉE DES VIKINGS + LES TROIS VISAGES DE LA PEUR + SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN : les étranges couleurs de Mario Bava

Parallèlement au cycle initié par la Cinémathèque française en ce mois de juillet, Mario Bava a également bénéficié d'une rétrospective chapeautée par le Théâtre du Temple. Le distributeur a ressorti dans nos salles climatisées trois classiques du maestro en version restaurée : La Ruée des Vikings (1961), Les Trois visages de la peur (1963) et Six Femmes pour l'assassin (1964). Rien de tel que Bava pour nous redonner des couleurs.

Deux frères, combattant dans des camps opposés, affrontent le félon qui les a séparés et cherchent à venger la mort de leur père. Pitch : la Cinémathèque française.

L’un des plus beaux fleurons d’une vikingsploitation engendrée, en toute logique, par Les Vikings de Richard Fleischer (1958). Après avoir officieusement coréalisé Le Dernier des Vikings (1961) avec Giacomo Gentilomo, Bava s’offre sa péloche d’aventure rien qu’à lui, son ode « gothique » au guerrier du nord. « Gothique » car, quelque soit le genre, le réalisateur se le réapproprie. Son style, reconnaissable en un clin d’œil, projette une lumière surréaliste sur un monde a priori non surnaturel. Il suffit de voir le repaire des vikings pour s’en convaincre, splendide décor de studio enlacé par les ombres et agrémenté de mille et une couleurs (du rouge, du vert, du violet : on se croirait dans Hercule contre les vampires, péplum mythologique du même auteur). Avec une telle facture baroque, Mario Bava ne peut renier La Ruée des Vikings, d’autant plus qu’il en est également le chef op. On ne s’étonnera donc pas du soin apporté à la photographie (c’est beau, un film en scope), ni du degré de violence et de cruauté un peu plus élevé que la moyenne (mère transpercée par une lance avec son bambin, tête piégée dans une boîte avec une tarentule au ventre noir). Pas besoin d’Hollywood pour accoucher d’une œuvre épique et spectaculaire (bataille, duel à l’épée, attaque de château fort : tout y est), surtout avec un génie du bricolage comme Bava à la barre (les effets sont modestes mais toujours astucieux). Gli invasori (titre original) est aussi l’histoire d’une fraternité contrariée où deux frangins, séparés durant l’enfance, deviennent des ennemis à l’âge adulte. Une tragédie que le robuste Cameron Mitchell porte sur ses épaules, le comédien dominant par sa prestance la plupart de ses collègues (le réalisateur de Lisa et le diable retrouvera le mastard à l’occasion de Six Femmes pour l’assassin et Duel au couteau, une autre histoire de vikings). Son visage taillé à coups de serpe contraste avec la blondeur étincelante des sœurs jumelles, Alice et Helen Kessler. Leur « danse du glaive » constitue par ailleurs un grand moment de sensualité sur pellicule. De quoi nous rendre nostalgique du cinéma de quartier tant défendu par Monsieur Jean-Pierre Dionnet.

Gli Invasori. De Mario Bava. Italie/France. 1961. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Giorgio Ardisson, Alice et Helen Kessler…

Film à sketches. Le Téléphone : une femme est victime de menaces téléphoniques. Les Wurdalaks : une histoire de vampires dans la campagne slave. La Goutte d’eau : le vol d’une bague sur un cadavre provoque d’étranges phénomènes. Pitch : la Cinémathèque française.

Pour produire Les Trois visages de la peur, les italiens de la Galatea Film s’associent avec les américains d’American International Pictures. À travers ce deal, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les boss de l’AIP, espèrent réitérer le succès de leur film à sketches, L’Empire de la terreur (1962). Malheureusement pour Mario Bava, ce partenariat va sérieusement altérer l’intégrité de son œuvre. Aux États-Unis, I tre volti della paura voit l’ordre de ses sketches modifié, sa bande originale remplacée (Les Baxter se charge de refaire le taf de Roberto Nicolosi) et son segment Le Téléphone totalement défiguré (des coupes ont été opérées afin de biffer du montage toute allusion au lesbianisme du personnage de Michèle Mercier, notre si merveilleuse Angélique). Si le massacre s’avère variable selon les pays, Les Trois visages de la peur est depuis quelques temps déjà visible en dvd dans sa version intégrale et brille aujourd’hui de mille feux grâce à la sublime copie du Théâtre du Temple. La moindre des choses pour un long-métrage où les élans chromatiques relèvent de la pure flamboyance. Si les trois histoires ici proposées représentent un bel exemple de cette esthétisme léchée, elles sont aussi le témoignage du savoir-faire peur de Mario Bava. Dans Le Téléphone, le réalisateur de Schock distille l’angoisse à partir d’un objet du quotidien (le téléphone du titre), et ce bien avant Terreur sur la ligne (1979) et Scream (1996). Mise en place aux petits oignons, décor claustro savamment exploité et conclusion mordante : Il telefono, c’est La Fille qui en savait trop condensé en une demi-heure. Les Wurdalaks s’inscrit, quant à lui, dans la veine plus gothique de son auteur. Les anciennes légendes slaves, et plus particulièrement le folklore vampirique, y sont convoquées pour notre plus grand plaisir « hammerien ». En effet, les aficionados du studio british ne peuvent que se pâmer devant ce récit d’une malédiction nocturne et brumeuse hanté par un Boris Karloff tout en sournoiserie maléfique. L’ultime chapitre, La Goutte, laisse carrément des séquelles à cause du rictus effrayant affiché par une vieille morte. Une gueule de cauchemar que les effets prosthétiques et les techniques de maquillage rendent troublante de réalisme (imaginez la poupée Annabelle avec des traits humains plus prononcés). Plutôt inattendu, l’épilogue ne manque pas d’humour et semble nous dire que, si tout cela n’est que du cinéma, la peur demeure malgré tout une émotion bien réelle…

I tre volti della paura. De Mario Bava. Italie/France. 1963. 1h34. Avec : Michèle Mercier, Susy Andersen, Boris Karloff…

A Rome, une série de meurtres est perpétrée dans une maison de haute couture sur des mannequins. Source : la Cinémathèque française.

À la sortie miraculeuse du récent dvd/blu-ray paru chez Studio Canal (dans la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret, déjà une référence), s’ajoute aujourd’hui le privilège de se (re)faire Six Femmes pour l’assassin sur grand écran. Un monument précurseur de l’horreur moderne (au même titre que Psychose ou Le Voyeur) et le chef-d’œuvre fondateur du giallo (le thriller made in Italy). Quelques années avant les machinations sexy d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, 1969) et les premiers succès fulgurants de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970), Mario Bava dresse déjà le manifeste – esthétique et thématique – du genre. En mettant de côté les influences hitchcockiennes de La Fille qui en savait trop (1963), le père de Lamberto laisse ses penchants les plus sadiques s’exprimer et décuple la brutalité de ses meurtres grâce à l’habileté de sa mise en scène. Son tueur masqué, ganté et vêtu de cuir noir (un look fétichiste qui fera école) peut agir à sa guise puisqu’il n’a pas de visage, d’identité. Un boogeyman de slasher avant l’heure, silhouette insaisissable et véloce partisane d’une violence osée pour l’époque, puisqu’elle convie l’érotisme à l’hécatombe (les victimes y sont bien souvent en petite tenue). En pleine possession de ses moyens, Super Mario fait preuve d’une maîtrise technique incomparable (la caméra se déplace constamment avec discrétion et élégance), partage son goût pour les teintes palpitantes et baroques (une forme de réalisme magique naît de cette copulation entre couleurs chaudes et froides) et n’oublie jamais d’être inventif (les interprètes du film posent tous comme des mannequins de vitrine lors du générique d’ouverture). Le raffinement formel de Sei donne per l’assassino sert en réalité de cercueil quatre étoiles aux membres de cette bourgeoisie décadente que Bava s’amuse à dégommer les uns après les autres. Un jeu de massacre annonçant les carnages caustiques de L’Ile de l’épouvante (1970) et La Baie sanglante (1971) mais s’achevant ici sur une note empreinte de romantisme noir. La signature d’un esthète tourmenté qui n’a jamais rechigné à brocarder l’espèce humaine.

Sei donne per l’assassino. De Mario Bava. Italie/France/Allemagne. 1964. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…

LE DIABOLIQUE DOCTEUR Z (Jess Franco, 1966)

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Le docteur Zimmer se livre à d’étranges expériences sur le cerveau humain. Violemment critiqué par ses confrères, il succombe à un malaise cardiaque mais fait promettre à sa fille de mener à bien ses travaux. Cette dernière entreprend une série de machinations diaboliques afin de supprimer les savants qui se sont opposés à son père. Source : dvdfr.com

« Incontestablement, Miss Muerte est un chef-d’œuvre, sans doute le meilleur film de la première période espagnole de son auteur ». Voilà comment l’érudit Alain Petit nous présente Le Diabolique Docteur Z – ou Dans les griffes du maniaque – dans son indispensable pavé, Jess Franco ou les prospérités du Bis. Impossible de le contredire tant le cinéaste se montre ici particulièrement inspiré. Grâce au producteur français Serge Silberman et à quelques pesetas venues d’Espagne, l’oncle Jess se voit confier un budget décent, ce qui n’est (et ne sera) pas toujours le cas. Au scénario, l’homme de lettres Jean-Claude Carrière élabore avec le réalisateur ibérique une histoire dont l’argument doit autant à La Mariée était en noir de William Irish qu’à L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. Du premier, le duo ne conserve que l’idée de vengeance; du second, son postulat scientifique prétendant isoler les cellules du bien et du mal. De quoi faire frémir les salles de quartier quand celles-ci étaient encore légion dans les années 1960. À cette époque, Jess Franco participe encore à l’émergence d’un fantastique à l’européenne au même titre qu’un Bava ou un Freda. Depuis L’Horrible Docteur Orloff (aka Gritos en la noche, 1962), le petit Jesús façonne une œuvre à la fois dans l’air du temps et très personnelle. Et pour montrer que ses films s’inscrivent tous dans un seul et même univers, il n’hésite pas à faire des clins d’œil à son propre travail et à renouer avec ses obsessions. Dans Le Diabolique Docteur Z, le nom d’Orloff est mentionné au détour d’un dialogue (le savant fou se paye une réputation à la Frankenstein), l’action se situe dans la ville imaginaire d’Hölfen (là où se déroulent également Gritos en la noche, Le Sadique Baron Von Klaus et Les Maîtresses du Docteur Jekyll) et l’influence principale de Gritos… – Les yeux sans visage de Franju – est encore citée (victime d’une brûlure partielle à la figure, Mabel Karr s’opère elle-même face à un miroir !). Dingue de 7ème art, Jess Franco en profite aussi pour caser ici et là quelques références cinéphagiques. La plus évidente se manifeste à travers la réplique suivante : « C’était Bresson : un condamné à mort s’est échappé ! ». Savoureux ! Mais avant toute chose, l’assistant d’Orson Welles sur Falstaff rend avec Miss Muerte un bel hommage à l’auteur de La Soif du mal. Cadrages variés et dynamiques (chouette contre-plongée totale sous un escalier en colimaçon), noir et blanc expressionniste (donnant à l’ensemble un côté film noir), parenthèses oniriques de toute beauté (Estella Blain hypnotisant Howard Vernon dans un train subitement plongé dans les ténèbres) : d’un point de vue formel, le long-métrage nous apparaît comme soigné, maîtrisé, abouti. Les décors contribuent également à rassasier les mirettes notamment lorsqu’ils convoquent le spectre de l’épouvante gothique et les délices des serials d’antan (le repaire de la fille Zimmer est un manoir abandonné qui cache dans ses souterrains un labo disposant d’un matos extravagant). À cette cuisine bien plus digeste que n’importe quelle émission façon Top Chef, l’ami Jess ajoute ses propres ingrédients, à commencer par un érotisme subtil et suffisamment évocateur pour faire son petit effet. La séquence qui introduit Estella « Miss Death » Blain en est une superbe illustration. Sur une scène de cabaret, une veuve noire en résille tisse sa toile et attire dans ses filets un mannequin, silhouette masculine envoûtée et pétrifiée par le spectacle (le genre de numéro qui en annonce bien d’autres dans la filmo de Franco). Un instant insolite et sensuel, animé par la blondeur irradiante de la merveilleuse Blain. Face à cette actrice et chanteuse disparue trop tôt (en 1982, à l’âge de 51 ans), la diabolique Mabel Karr affiche un regard dément, un faciès austère et un désir de vengeance inébranlable. Outre la présence incontournable de Monsieur Vernon, Franco lui-même et son compositeur fétiche Daniel White (qui signe ici un joli score jazzy) se distinguent au générique en campant des flics débonnaires et décontractés. Un bonhomme plein de ressources, ce Jess. Joyau étrange et lascif, fantasme fétichiste et macabre, titre marquant du midiminuisme et d’un type de cinéma malheureusement révolu, Le Diabolique Docteur Z constitue l’une des réussites majeures d’un auteur souvent incompris et qui ne mérite en aucun cas l’étiquette de tâcheron que certains esprits paresseux lui ont collé. En plus de cinquante ans de carrière, il a fait briller toutes les couleurs du Bis, tout en sublimant d’inoubliables comédiennes telles que Soledad Miranda, Maria Rohm, Rosalba Neri, Marie Liljedahl, Anne Libert, Britt Nichols, Alice Arno, Brigitte Lahaie ou encore cette très chère Lina Romay. Qui dit mieux ?

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Miss Muerte. De Jess Franco. France/Espagne. 1966. 1h27. Avec : Estella Blain, Mabel Karr et Howard Vernon. Maté en blu-ray le 16/06/18.

LA SIRÈNE DU MISSISSIPI (François Truffaut, 1969)

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Louis Mahé, riche planteur réunionnais et fabricant de cigarettes, a épousé Julie, rencontrée par petite annonce et arrivée par le paquebot Mississipi. Mais il s’aperçoit bientôt que ce n’est pas sa ravissante épouse qui écrivait les lettres qui l’ont séduit. Alors qu’il s’apprête à l’interroger, Julie disparaît, non sans l’avoir au préalable dévalisé. Il engage un détective privé tout en menant sa propre enquête. Julie, en France, est devenue Marion, une artiste de cabaret… Source : arte.tv/fr

Charles Baudelaire aurait pu rencontrer cette sirène. Dans son poème, Hymne à la beauté, il s’interroge : « Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme ». Puis continue : « Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l’on peut pour cela te comparer au vin ». Plus loin, une autre question : « Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? ». Allez, un dernier vers pour la route : « Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ». L’ondine Catherine Deneuve, spectre blond à l’éclat presque irréel, semble – au début du film – davantage sortir des songes de Jean-Paul Belmondo que du navire le « Mississipi ». Le bonhomme accepte d’emblée les mensonges que lui révèle son interlocutrice (initialement, ce n’est pas elle qu’il attendait mais une autre) et refoule la vérité, quitte à se noyer dans les eaux saumâtres d’un amour destructeur. Piquer une tête avec une naïade, ça ne se refuse pas. Et peu importe si on ne remonte jamais à la surface. Même si elle vous consume, mieux vaut étreindre la passion que de subir une vie de couple rongée par la routine. Le déni de la réalité montre à quel point Belmondo est sous l’emprise de Deneuve. Normal, n’importe quel gars tuerait pour elle. La progression du personnage de Louis Mahé montre aussi sa déchéance. Le notable trompé et animé par la vengeance, cède très vite sa place à une épave prête à crever pour rester auprès de sa belle. Rarement une drogue n’aura rendu autant addict. Entre deux parenthèses (faussement) enchantées, la relation des deux protagonistes gagne en toxicité et ressemble plus à une cavale qu’à un voyage de noces. La Sirène du Mississipi prend alors des allures de road movie, de fuite en avant ne menant nulle part si ce n’est droit dans le mur. Chaque décor se fait le témoin de la déliquescence de cette love story ballottée entre l’adoration et la détestation. De la chaleur exotique réunionnaise à l’hiver glacial des forêts alpines, le couple dégringole jusqu’à cette fin ouverte qui n’augure en rien d’un avenir radieux. Seulement, le plus important n’est pas ici la chute mais le regard amoureux qui éternise le présent. La mort n’est rien face à l’amour absolu, total, sans limites. Le film joue aussi brillamment sur l’ambiguïté de Marion. L’arnaqueuse semble constamment interpréter un rôle, comme si elle n’attendait que le bon moment pour semer son amant un peu trop collant. Pourtant, elle se laisse peu à peu gagner par la dévotion de son mec avec qui elle partage un passé tragique et un goût certain pour l’abandon, la violence, le chaos. Si certains aspects appartiennent clairement au thriller (machination, escroquerie, meurtre, enquête), François Truffaut prend ses distances avec les ressorts du genre pour mieux suivre de près les tourments de son duo vedette. Le romantisme noir – sa mélancolie, sa folie, son attirance pour la mort – reste ce qui intéresse le plus le réalisateur de L’Histoire d’Adèle H. La puissance des sentiments de Louis, ainsi que sa fascination pour la beauté de Marion, tendent à sublimer cette liaison dangereuse où l’amour n’est que douleur (« Tu es si belle. Quand je te regarde, c’est une souffrance »). Voûtes célestes du cinoche français de la grande époque, Deneuve et Bebel rivalisent de charme et donnent dans l’effervescence contrôlée. La première pose quelques notes de soleil sur une partition en forme de requiem et s’enrobe de ce mystère enivrant qui a fait sa renommée. Plus qu’une femme fatale, une femme complexe attirée par les ombres. Le second prouve qu’il peut sans peine transcender un emploi pas forcément taillé pour lui. Un acteur immense. Quant à Truffaut, il adapte un bouquin de William Irish pour la deuxième fois après La Mariée était en noir (1968). Sa mise en scène élégante s’autorise parfois quelques expérimentations discrètes mais inspirées (il n’a pas été l’une des figures majeures de la Nouvelle Vague pour rien). Son film, dédié à Jean Renoir, respire l’amour du septième art. En revanche, celui qui relie les êtres humains est loin d’être aussi idyllique.

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La Sirène du Mississipi. De François Truffaut. France/Italie. 1969. 2h03. Avec : Catherine Deneuve, Jean-Paul Belmondo et Michel Bouquet. Maté à la téloche le 29/04/18.

LE BAISER DU VAMPIRE (Don Sharp, 1963)

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Lors de leur voyage de noce, un jeune couple perdu dans un petit village d’Europe centrale accepte l’invitation du mystérieux Comte Ravna dans son château. Ils vont découvrir, lors d’un mémorable bal masqué, que la lugubre demeure abrite une secte vampirique. Source : dvdfr.com

Le Baiser du vampire commence fort : un homme débarque à un enterrement, se recueille un instant puis saisit soudainement une pelle qu’il enfonce en plein milieu d’un cercueil. Le geste est brutal, choquant, inattendu. Et d’un point de vue cinématographique, claque sévère. Il s’agit de l’une de ces fameuses séquences prégénériques chères à la Hammer, entrées en matière dans lesquelles la couleur est annoncée : noire comme la nuit, rouge comme le sang… Conçu au départ pour devenir le troisième Dracula du studio britannique (après Le Cauchemar de Dracula et Les Maîtresses de Dracula), le film de Don Sharp prend une autre forme suite au refus de Christopher Lee et Peter Cushing de participer au projet. Exit également Terence Fisher, temporairement en froid avec la firme au marteau après quelques échecs commerciaux (Les Deux visages du docteur Jekyll et Le Fantôme de l’opéra en tête). Même sans le trio magique de l’épouvante anglaise, The Kiss of the vampire parvient à s’inscrire dans la continuité de ses glorieux prédécesseurs. Le gothique flamboyant s’y exprime de la plus belle des manières et replonge le spectateur dans une époque révolue où la terreur se faisait classieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la direction artistique – riche en détails fabuleux – de Bernard Robinson et la photographie – aux couleurs éclatantes, même dans les ténèbres – d’Alan Hume. À l’instar d’un Freddie Francis succédant à Fisher sur la saga des Frankenstein, Don Sharp ne démérite pas et apporte même d’agréables petites variantes à un scénario s’amusant à redistribuer les rôles. En lieu et place du comte hématophage imaginé par Bram Stoker, on trouve le mordant docteur Ravna, notable louche craint par les gens du coin. Face à lui, ce soûlard de professeur Zimmer joue les Van Helsing de garde mais sur un registre plus tourmenté. Autour de ces deux antagonistes, aucun archétype du genre n’a été oublié : victimes potentielles se jetant dans la gueule du vampire et tentant d’en sortir, château dominant les environs et dissimulant un terrible secret, malédiction imposant le silence et répandant sa tragédie auprès de villageois soumis à la terreur… On a beau connaître la musique, quand elle est bonne, on peut l’écouter en boucle. Car la griffe Hammer, c’est une atmosphère particulière et unique. Une fragrance nostalgique, celle des cinoches de quartier et de leurs grandes toiles peintes, promesses d’effroi jamais démenties. Une célébration des mythes intemporels où le romantisme se mêle au macabre, Eros à Thanatos. Et une subversion planquée derrière le classicisme. Dans Le Baiser du vampire, les forces du mal apparaissent bien souvent comme libératrices. L’aristocratie décadente, jouisseuse et rebelle de Ravna ne vaut-elle pas mieux que cette petite bourgeoisie victorienne engoncée dans son conformisme ? La scène où l’oie blanche Marianne est hypnotisée par l’interprétation au piano du fiston Ravna, trahit chez l’auditrice un désir d’émancipation aussi moral qu’érotique. Zimmer fait même appel à la magie noire pour stopper son ennemi juré, ce qui vient brouiller la frontière entre l’ombre et la lumière. Combattre le mal par le mal, voilà qui entame le manichéisme souvent à l’œuvre dans ce type d’histoire. Et qui donne lieu à une attaque de chauves-souris plutôt bien fichue malgré quelques ficelles visibles à l’œil nu. Un climax spectaculaire dynamisé par un montage décuplant l’impact d’un morceau de bravoure initialement prévu pour The Brides of Dracula. Si la séquence évoque Les Oiseaux d’Hitchcock, il est bon de préciser que le Sharp a bien été tourné avant. Autre grand moment de The Kiss of the vampire : un bal masqué fréquenté par des goules raffinées et servant de piège à humains. L’influence majeure de Roman Polanski pour son hilarant Le Bal des vampires. Parmi les bonnes idées du long-métrage, notons également le côté « suspense et machination » du script, aspect intervenant lorsque le pauvre Edward de Souza se voit nier par son entourage la vérité sur l’enlèvement de son épouse. Les thrillers écrits par Jimmy Sangster pour la Hammer ne sont pas loin (Hurler de peur, Paranoiac…). Montrer le vampirisme comme une secte fait là aussi partie de ces petites choses qui font les grands films. Et ce n’est pas la froideur exquise du Ravna campé par Noel Willman qui me contredira. Ni son inoubliable trio d’Hammer girls. Dans le rôle de Sabena, la fille du châtelain diabolique, Jacquie Wallis inspire la volupté tout en restant secrète et d’une sobriété exemplaire. Avec un temps de présence à l’écran assez limité, la succube Isobel Black réussit à marquer les esprits et à donner un goût savoureux à la perversité. Quant à la délicieuse Jennifer La Femme reptile Daniel, jeune mariée offerte à la concupiscence du Diable, sa blondeur irradie comme le soleil et calcine le cœur des suceurs de sang. Hammer forever !

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The Kiss of the vampire. De Don Sharp. Royaume-Uni. 1963. 1h28. Avec : Jennifer Daniel, Noel Willman et Isobel Black. Maté en dvd le 17/03/18.

ALL THE SINS OF SODOM (Joe Sarno, 1968)

05FICHE TECHNIQUE All the sins of sodom. De Joe Sarno (1921-2010). États-Unis. 1968. 1h23. Avec : Dan Machuen, Sue Akers et Maria Lease. Genre : érotique. Sortie dvd : 02/09/2014 (Arte éditions). Maté en dvd le jeudi 24 août 2017.

DE QUOI ÇA CAUSE ? Henning (Dan Machuen) est un photographe de mode animé par des rêves de gloire artistique. Il est encouragé par son agent littéraire qui l’incite à réaliser un album de nus érotiques. Il travaille donc avec son modèle fétiche, Leslie (Maria Lease), pour créer la composition parfaite. Tout semble aller pour le mieux, jusqu’à l’arrivée d’une mystérieuse jeune femme, Joyce (Sue Akers). Sombre, sensuelle et manipulatrice, Joyce joue avec l’égo du photographe, semant la discorde entre lui et Leslie tout en séduisant l’un de ses autres modèles. Aveuglé par son ambition, Henning ne voit pas la toile funeste que Joyce est en train de tisser autour de lui… Source : boutique.arte.tv

MON AVIS TÉLÉ Z Une petite rareté des 60’s signée Joe Sarno (ou Joseph W. Sarno), l’un des grands maîtres de la sexploitation. Avec All the sins of Sodom, il traite du cas d’un photographe obsédé par son art et par la quête de l’absolu. Le dénommé Henning veut immortaliser les plaisirs de Sodome dans le regard de ses modèles. En faire jaillir le désir, le péché, l’abandon. À force de vouloir capturer le diable dans une boîte à image, celui-ci ne tarde pas à pointer le bout de son nez. C’est là que Joyce apparaît, une troublante autant qu’énigmatique nymphette. La seule nana suffisamment perverse pour offrir à Henning ce qu’il cherche obstinément : l’enfer et l’extase sur pellicule. Bien entendu, ce cadeau a un prix. Le pauvre hère l’apprend à ses dépens lors d’une conclusion désespérée… Nous ne sommes pas dans un thriller et pourtant, Joyce a tout de la femme fatale. Elle avance masquée et tend inexorablement un piège au héros qui ne voit jamais le danger venir (contrairement à son entourage féminin, plus perspicace que lui). Obnubilé par ses photos, il néglige la réalité qui l’entoure et finit par se faire joliment baiser. Le genre de perdant que l’on pourrait croiser dans un roman noir de Jim Thompson… Dans All the sins of Sodom, les femmes dominent l’objectif et domptent l’écran. Leur sexualité, tantôt langoureuse tantôt agressive, ne fait qu’une seule bouchée du mâle Henning. Le bonhomme se met d’ailleurs littéralement aux pieds de ses mannequins quand il manipule son appareil. Sans qu’il ne s’en rende compte, le photographe est un homme soumis. Soumis à la beauté des femmes dont il a bien du mal à saisir l’essence. Ce que le cinéaste Sarno parvient à faire en montrant les effets de l’orgasme féminin sur des visages transcendés par la jouissance (une constante dans l’œuvre du monsieur). Pour cela, le réalisateur d’Abigail Lesley is back in town (dans lequel apparaît le regretté Sonny Predator Landham, disparu le 17 août dernier) cadre les unions charnelles de la tête à la taille, sans se soucier de ce qui se passe en dessous de la ceinture (du moins au niveau de la prise de vue). Même dans la plus stricte intimité, les individus gardent leur identité et ne se réduisent pas à de simples corps en mouvement. En 1968, le porno n’a pas encore envahi les salles et, pour le moment, c’est l’érotisme qui fixe les limites. Ce qui n’empêche pas l’ami Joe de filmer la libido de ses personnages comme il l’entend, c’est-à-dire sans jamais dénaturer ses idées de mise en scène. Car il y a dans cet All the sins of Sodom un peu de Nouvelle Vague et de Bergman, mais en version grindhouse. Le caractère indépendant – pour ne pas dire sans-le-sou – de l’entreprise est trahi par son décor quasi unique, un studio photo à l’exiguïté étouffante. Les mouvements de caméra et les plans d’ensemble sont rares, le découpage se compose essentiellement de plans fixes montés cut. Du coup, le spectateur a un peu de mal à imaginer la topographie des lieux. Du cinoche bricolé avec les moyens du bord mais sulfureux dans son propos, à l’image de la lolita Sue Akers. Avec ses faux airs de Raquel Welch jeune, l’interprète de Joyce surpasse le reste du casting. Lascive à souhait, elle apporte une bonne dose d’ambiguïté à la sensualité qui se dégage de sa simple présence. Une irrésistible tentatrice, pivot d’un drame intimiste sur l’intime et les affres de la création. All the sins of Sodom n’est peut-être pas la plus aboutie des œuvres de Joe Sarno (il faut absolument (re)voir ses films avec les merveilleuses Marie Liljedahl, Christina Lindberg, Marie Forså et Mary Mendum) mais il mérite que l’on découvre son esthétique noire et rose, ainsi que sa chair en clair-obscur. 4/6

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Une singulière partie à trois qui ne peut que mal se finir. Comme toutes les parties à trois. Surtout les singulières.

LA DIXIÈME VICTIME (Elio Petri, 1965)

01La dixième victime (titre original : La decima vittima). De Elio Petri. Italie/France. 1965. 1h29. Avec : Ursula Andress, Marcello Mastroianni et Elsa Martinelli (que je l’aime dans Il mio corpo per un poker et Una sull’altra…). Genre : science-fiction. Sortie dvd/blu-ray : 12/07/2017 (Carlotta films). Maté en dvd le mardi 22 août 2017.

De quoi ça cause ? Dans un futur proche, les gouvernements en place ont instauré un nouveau jeu mondial, appelé la Grande Chasse. Le principe : un chasseur et une victime, désignés au hasard, doivent s’entre-tuer. La règle n°1 : le chasseur connaît l’identité de sa victime, mais la victime ignore tout de lui. C’est au cours d’une de ces manches que l’Américaine Caroline Meredith (Ursula Andress), en passe de remporter sa dixième victoire consécutive, rencontre sa victime, l’Italien Marcello Poletti (Marcello Mastroianni). Un jeu de séduction s’installe bientôt entre eux. Mais leur attirance est-elle réelle ou calculée ? (source : Carlottavod.com)

Mon avis Télé Z : Avec La dixième victime, Elio Petri aborde le genre de l’anticipation dystopique, avec en prime une toile de fond bien particulière : la chasse à l’homme institutionnalisée. Une œuvre avant-gardiste qui devance une belle brochette de péloches partageant le même thème. Comme dans La course à la mort de l’an 2000 (Paul Bartel, 1975), Rollerball (Norman Jewison, 1975) ou Le prix du danger (Yves Boisset, 1983), l’État impose à ses concitoyens un jeu barbare dans lequel la plupart des participants finissent à la morgue. La légalisation « encadrée » du meurtre est censée contrôler les pulsions des individus et garantir la paix mondiale. La mise en spectacle de la violence, avec ses caméras de télévision enregistrant l’innommable pour le grand public et au nom du fric, met en exergue l’amoralité des médias et de tout un système. Dans La dixième victime, des contrats publicitaires se greffent aux exécutions filmées, les « chasseurs » vantant les mérites d’une marque avant de refroidir leurs victimes. De la télé-réalité, en somme, avec pour seul programme la mort en direct. Et le tout sponsorisé par le thé Ming… Cette décadence d’une civilisation au bout du rouleau permet à Petri de livrer une satire sociale empreinte d’humour noir. L’absurdité de ce monde orwellien est relevée dans diverses scénettes d’un cynisme absolu (un candidat venant de flinguer sa cible dans les règles, est interpellé par un gendarme pour stationnement interdit !). Les valeurs sont inversées et régressent face à la bêtise humaine. La quasi-omniprésence dans le décor du colisée de Rome, suggère que les combats de gladiateurs existent toujours, même s’ils prennent ici une forme différente. Comme quoi, la modernité n’empêche nullement la sauvagerie de se perpétuer. Toutefois, la noirceur du sujet contraste avec la nature résolument « pop » du long-métrage. Pas de doute, La decima vittima transpire les sixties par tous les pores de sa peau. Et ça ne veut pas dire qu’il refoule des dessous-de-bras, bien au contraire. Les costumes bariolés et autres accessoires psychédéliques s’épanouissent dans le rétrofuturisme le plus savoureux et flirtent même parfois avec le gadget bondien (le fameux bustier/arme à feu refera surface dans le tout premier Austin Powers, 1997). Les lumières sont éclatantes, le tempo langoureux, la musique jazzy à souhait. Malgré le concept de traque effrénée sur lequel repose le film, le rythme ne s’emballe jamais et ralentit même quelque peu lorsque Caroline et Marcello se rencontrent. Commence alors un jeu du chat et de la souris où chacun se jauge, où l’un essaie de faire tomber l’autre dans un piège et vice versa. Au final, Ursula Andress et Marcello Mastroianni rivalisent surtout de charme et de séduction et s’affrontent à égalité, ce qui fait plaisir à voir. La première est une pointure dans son domaine (celui de la « chasse ») et ne manque ni d’esprit ni de sex-appeal. Elle n’est en aucun cas le faire valoir du second, ce qui est une bonne chose. Dommage, en revanche, que la splendide Elsa Martinelli doive se contenter d’un emploi secondaire, celui de la maîtresse jalouse de Marcello. Et que le final soit expédié avec désinvolture, comme si Petri se moquait des artifices de son propre film. Mais le réalisateur d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est parvenu avec La dixième victime à mélanger la BD et le cinéma, et à le faire avec une bonne dose de panache et d’à-propos (et ce quelques années avant le Danger : Diabolik ! de Bava et le Barbarella de Vadim, tous deux sortis en 1968). L’une des répliques du film défend même les fumetti en les considérant comme des « classiques ». Tout est dit. 4,5/6

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Ursula Andress prête à faire sa dixième victime ? En tout cas, avec une telle armée, difficile de rater sa cible.

ELLE BOIT PAS, ELLE FUME PAS, ELLE DRAGUE PAS, MAIS… ELLE CAUSE ! (Michel Audiard, 1969)

elle-boit-pas-elle-fume-pas-elle-drague-pas-mais-elle-causeElle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! (deux ans plus tard, elle ne causera plus, elle flinguera !) De Michel Audiard. France. 1969. 1h25. Avec : Annie Girardot, Mireille Darc et Bernard Blier. Genre : comédie. Sortie France : 17/04/1970. Maté à la téloche le lundi 10 juillet 2017.

De quoi ça cause ? Germaine (Annie Girardot), dite Mémène, femme de ménage au-dessus de tout soupçon, n’a qu’un défaut, dont elle use avec naïveté ou machiavélisme : elle parle trop. Elle a trois employeurs : Francine Marquette (Mireille Darc), conseillère psychologique à la télévision, Lhiétard (Bernard Blier), caissier de banque libidineux, et Phalempin (Sim), tout dévoué à un patronage de quarante enfants. Tout en époussetant, Mémène surprend des secrets. Francine, qui est sur le point d’épouser un ministre, a participé dans sa jeunesse à des ballets roses. Lhiétard a puisé dans la caisse, et Phalempin chante tous les soirs, travesti en femme, dans un cabaret borgne. Les bavardages de Mémène informent chacun de ses employeurs des secrets mal gardés des autres… (source : télévision.télérama.fr)

Mon avis Télé Z : Nombreux sont les critiques qui sous-estiment le Michel Audiard cinéaste. Pourtant, le célèbre scénariste/dialoguiste n’a pas à rougir de ses très estimables réalisations. Certes, il n’a jamais pondu d’œuvres aussi marquantes que Un singe en hiver (Henri Verneuil, 1962), Les tontons flingueurs (Georges Lautner, 1963) ou Ne nous fâchons pas (Lautner again, 1964). Du moins derrière la caméra. Parce qu’il ne fait aucun doute que ces illustres péloches doivent énormément à la plume du père Audiard. Sans lui, ces classiques ne seraient pas ce qu’ils sont. Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! (sacré titre !) n’a rien d’une comédie mineure dans la carrière du bonhomme. Le plaisir pris à chaque visionnage en atteste. Comment résister à cette troupe de comédiens, à ces habitués de la poésie d’Audiard ? En employée de maison pas si naïve que ça et rêvant d’une vie de château à Monte-Carlo, Annie Girardot laisse éclater son talent comique et vient foutre le boxon dans la vie de ses patrons. En résulte un chassé-croisé crapuleux, étiré jusqu’à l’absurde, dans lequel trois personnages hauts en couleur se font chanter les uns les autres, comme dans une boucle infinie. Amusant, d’autant plus que le film prend rapidement des allures de polar parodique et fraye même avec l’humour macabre (l’utilisation d’un champignon vénéneux comme poison, entraîne – par inadvertance – la mort de nombreux piliers de bar). Autour de Girardot gravite l’indispensable Bernard Blier dont l’onctueuse obséquiosité relève du grand art. En banquier vicelard et cupide, le bonhomme rivalise de roublardise avec la charmante Mireille Darc, ex-prostituée fraîchement fiancée à un futur ministre. Et puis il y a le pauvre Sim, éducateur le jour et chanteur de cabaret la nuit. Sa particularité ? Il se travestit en femme pour jouer les « jolies petites libellules » (une mémorable chorégraphie qui se termine le cul par terre !). À toutes ces pointures, s’ajoute la joie de reconnaître au détour d’une séquence, une gueule raffinée, un second couteau de prestige. Un « monsieur ». En effet, que serait une comédie française des 60’s/70’s sans le concours d’un Robert Dalban ou d’un Dominique Zardi ? La force d’un film écrit et/ou réalisé par un cador du verbe comme Michel Audiard réside dans la parfaite appropriation de ses textes par les meilleurs acteurs possibles. Soit les bons mots dans les bonnes bouches. Voilà pourquoi Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! – farce gouailleuse, qui plus est ponctuée de chouettes plans de Paname – vieillit bien et écrase la plupart des comédies hexagonales actuelles. Allez, une petite réplique avant de se quitter, celle lancée à Phalempin par Lhiétard : « J’ai déjà vu des faux-culs… mais vous êtes une synthèse ! » 4,5/6

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Annie Girardot : elle boit, elle fume et… elle cause !