RAMBO – LAST BLOOD : le plus sauvage d’entre tous

Un regard fatigué et hypnotisé par les ombres. Un poing serré et un autre tenant fermement une lame vorace et punitive. Des veines saillantes dans lesquelles coulent le dernier sang… Y a pas à dire, l’affiche de Rambo : Last Blood en jette un max. À soixante-dix berges passées, Sylvester Stallone est toujours debout, à peine amoché par quelques DTV refoulant des dessous-de-bras (Évasion 2 et 3, Backtrace). L’œil du tigre prêt à rugir, l’acteur nous invite à la taverne de l’enfer pour assister à un spectacle over the top et plus venimeux que le cobra… Lors de l’épisode précédent, nous avions laissé le vétéran du Vietnam sur le chemin qui mène au ranch paternel. Portant la veste militaire de First Blood et rentrant enfin chez lui après des années d’errance guerrière à l’étranger, la silhouette de l’indompté disparaissait dans un décor digne d’un western… Onze ans plus tard, John Rambo (Sly, qui d’autre ? Le Pape François ?) bosse dans ledit ranch, situé quelque part en Arizona. Il y fait vivre son exploitation en compagnie de Maria (Adriana Jusqu’en enfer Barraza), une employée devenue une amie de la famille, et la petite-fille de celle-ci, Gabrielle (Yvette Monreal). Le jour où la gamine, partie au Mexique à la recherche d’un père qu’elle connaît à peine, est séquestrée et réduite à la prostitution par des narcos, Rambo n’a pas d’autre choix que de s’engager dans une nouvelle guerre qu’il n’a pas choisie…

S’il paraît de prime abord assez incongru, le prologue façon film catastrophe de Last Blood – dans lequel Rambo joue les bénévoles pour les services de secours – n’en démontre pas moins que le personnage reste un héros, un homme courageux n’ayant pas peur d’affronter le danger. Mais un héros tapi dans les ténèbres, surgissant à l’écran tel un cowboy spectral ne faisant plus qu’un avec la nuit profonde et mouvementée. Derrière la bravoure se dissimule un passé traumatique toujours vivace, celui du Vietnam et de ses (trop) nombreuses victimes (le plan sur les sacs mortuaires est à ce sujet éloquent). Rongé par l’idée d’avoir été le seul à survivre au « merdier » et cherchant par procuration à sauver ses défunts compagnons d’armes, l’ancien béret vert ne se cache plus du monde, mais tente de s’ouvrir à lui pour se racheter. Un chemin vers la lumière ? Non, bien au contraire. L’issue dramatique de cette séquence introductive désigne plutôt l’impuissance du bonhomme face à cette faucheuse qui lui tourne autour depuis toujours et lui colle fatalement aux basques. Dès ces premières minutes nocturnes et orageuses, nous comprenons que la trajectoire de John Rambo suivra celle du quatrième opus et prendra une tangente tout aussi amère et brutale. Désormais, pour notre rescapé de l’enfer vert, l’aube ne se lèvera plus. Seul le crépuscule l’étreindra de ses longs bras rugueux et sans chaleur…

Dès lors, l’attachement de Rambo pour Gabrielle devient pour le premier une bouée de sauvetage l’empêchant de se noyer dans les abysses. L’histoire prend le temps de faire exister cette relation filiale, de tisser des liens entre deux individus ayant été confrontés au rejet (l’un a été abandonné par son pays, l’autre par son géniteur). Entre ce type coincé dans les limbes et cette ado en quête d’identité, l’émotion s’insinue et rend encore plus douloureuse la tempête à venir… Car la grande force (et l’audace) du film d’Adrian Grunberg est de faire de Rambo un psychopathe qui s’ignore, un chevalier noir instable et sous cacheton, un parano dormant dans un bunker et tentant de contrôler la bête qui sommeille en lui. Il suffit de voir l’imposant dédale qu’il a construit sous sa propriété pour comprendre que le côté obscur a fini par dévorer l’ancien bidasse. Si ce traitement sombre et atrabilaire jure avec le personnage tel qu’il a été conçu pour le First Blood de Ted Kotcheff, il se rapproche néanmoins du « tueur » implacable dépeint par David Morrell dans le roman à l’origine de la saga. Un retour aux sources non pas cinématographiques mais littéraires, qui tourne le dos aux conventions mainstream pour oser faire d’une icône populaire un protagoniste ambivalent, semant le chaos sans prêchi-prêcha et avec une fureur inespérée…

Parce qu’il embrasse frontalement, comme le dantesque John Rambo, la noirceur viscérale de son sujet, Last Blood opte pour une approche radicale, ce qui revient forcément à s’écarter des tendances actuelles. Comme à la grande époque des années 70/80, le long-métrage braconne sur les terres du revenge movie, genre sulfureux se plaisant souvent à flatter les bas instincts du spectateur. Ainsi, les exactions commises par les membres sans foi ni loi du cartel mexicain (traite des femmes et prostitution forcée) justifient sans détour la vengeance de notre chien de guerre (après avoir vu de telles ordures à l’œuvre, on n’a qu’une seule envie : les voir se faire exploser la tronche). Dans le cadre d’une (très) méchante série B de luxe, l’effet devient grisant et n’a rien de blâmable pour peu que l’on accepte les vertus cathartiques de la fiction (dans la vie réelle, les innocentes sont rarement sauvées par des justiciers, les innombrables victimes de féminicide enterrées à Ciudad Juárez sont là pour le prouver). Bien plus proche d’un Harry Brown que de Trois enterrements, ce « dernier sang » se distingue d’un banal Taken par son fatalisme prégnant, ses élans funèbres (impossible de passer à côté de ce très beau plan à la Impitoyable : Sly se recueillant devant une sépulture abritée sous un arbre aux branches tombantes) et sa hargne proprement cataclysmique…

À ce propos, bonne nouvelle : Stallone ne s’est pas assagi avec le temps. On l’a rarement vu aussi vénère, enragé, sans pitié. Qu’il utilise un marteau façon Old Boy ou piège un à un les proxo-trafiquants dans son repaire (le carnage final est jouissivement gorasse), le comédien prouve qu’il aurait pu faire un punisher des plus convaincants. Le corps usé mais solide comme un roc, Sly en impose plus que jamais, amenant avec lui la légende Rambo et en remontrant encore à la concurrence. La violence qu’il encaisse et redistribue au centuple est celle d’un monde où la paix n’est qu’une illusion, où l’innocence n’a pas sa place, où l’exploitation des êtres humains n’observe aucune limite. Si, contre toute attente, un brin d’espoir parvient à s’échapper de ce foutu brasier, c’est grâce à l’inaltérable combativité de Rambo, un baroudeur toujours « prêt à mourir pour quelque chose, plutôt que vivre pour rien ». Une autre référence à John Rambo devrait, quant à elle, déjouer toute analyse politique : « Je n’ai pas tué pour mon pays, j’ai tué pour moi ». C’est aussi le cas de Last Blood dont le final convoque avant toutes choses l’un des thèmes majeurs du western : les grands espaces et leurs frontières… Oublions donc le vil Trump et constatons plutôt les progrès effectués par Grunberg depuis son Kill the Gringo (plus de maîtrise, moins de shaky cam). Écoutons le symphonique bourrin toujours aussi inspiré de Brian Tyler (avec en prime, quelques extraits empruntés à Goldsmith). Notons la présence au générique de la trop rare Paz Vega, la sensuelle Lucia de Julio Medem. Et saluons ce Rambo V pour la puissance du coup qu’il nous assène à l’estomac.

Rambo : Last Blood. D’Adrian Grunberg. États-Unis. 2019. 1h40. Avec : Sylvester Stallone, Paz Vega, Adriana Barraza…

RAMBO : lonely are the brave

« Quels sont les crétins qui ont regardé Rambo, hier soir ? ». Cette question, elle m’avait été posée à moi et à mes camarades de classe de CM2 par notre cher professeur. Fier de sa saillie sarcastique, ce grand con jouissait certainement dans son froc rien qu’à l’idée de se payer la tronche de mômes de dix, onze ans. Bien entendu, aucun de nous n’avait osé répondre à cette méchanceté gratuite déguisée en supériorité intellectuelle. Peu enclins à devenir la cible d’une moquerie déclenchée par l’instit, les « crétins » en question n’avaient pas moufté. De toute façon, l’instant était peu propice au coming out ou au débat. J’avais donc fermé ma gueule, me sentant juste insulté et coupable d’avoir vu un film jugé par le « maître » comme le symbole de l’idiotie du cinéma populaire américain… Comme quoi, on peut donner des cours à des élèves, leur montrer comment poser une division, leur faire lire du Marcel Pagnol, conjuguer le verbe être à tous les temps et ne pas toujours savoir de quoi on parle (tout en se comportant au passage comme un adulte con-descendant)…

Ce souvenir d’enfance sur fond de pédagogie douteuse démontre à quel point le mythe Rambo a pu être incompris, voire tourné en ridicule. Célébrée de par le monde, imitée par le cinoche d’exploitation, multi parodiée, la saga initiée par Ted Kotcheff a longtemps été la cible privilégiée des détracteurs de l’entertainment hollywoodien. Les préjugés se sont encore plus accentués avec le succès phénoménal de l’hargneux et fichtrement pétaradant Rambo II : la Mission, opus récupéré et dénaturé par la classe politique de l’époque (Reagan en avait fait une œuvre de propagande au grand dam de Sly). Les choses ne se sont pas non plus arrangées avec le mal-aimé et mésestimé Rambo III, superbe bande d’aventure old school réhabilitée dans les pages du dernier hors-série de Mad Movies. Quant au miraculeux et monstrueux John Rambo, la même rengaine que pour Rocky Balboa s’est faite entendre : « Quoi, un nouveau Rambo ? Mais c’est passé de mode ! Et puis Stallone, il est pas un peu trop vieux pour ces conneries ? ». En attendant de voir, avec un peu de recul, si les a priori ont persisté à propos du récent Rambo : Last Blood, l’heure est venue de redécouvrir en salle le chef-d’œuvre inaugural, celui qui a versé le premier sang et a donné naissance à un héros de légende…

Cette image de bourrin cocardier véhiculée par des ignorants autosatisfaits ne tient pas une seule seconde face à ce premier Rambo. Ces mêmes incultes ressemblent au shérif Teasle et à sa clique, des inconscients cherchant des noises à John J. et se lançant à sa poursuite jusqu’à l’absurde. Ils ne connaissent pas leur adversaire, le sous-estiment clairement et, par orgueil, s’acharnent à vouloir sa peau (mention spéciale à ces « guerriers du dimanche » de la garde nationale, des amateurs collectionnant les bourdes et pressés de rentrer chez eux pour le dîner). L’intelligence du propos est de montrer que la situation s’envenime à cause des « représentants » de la loi. Le fugitif, lui, n’est qu’un type stigmatisé, acculé, brutalisé, contraint de répondre à la violence pour sauver sa peau. Considéré par le colonel Trautman comme le meilleur dans l’art du combat, Rambo ne tue pourtant qu’un seul de ses ennemis (le sadique Galt) et encore accidentellement. Pour le reste, le soldat d’élite se révèle suffisamment expert dans son domaine pour neutraliser ses poursuivants sans avoir besoin de les achever. Fin stratège, notre homme fait de la forêt dans laquelle il se faufile son propre terrain de chasse, y élabore des pièges aussi rustiques qu’imparables et divise les troupes à ses trousses pour mieux régner sur elles.

Rambo se situe donc bien loin du cliché de la brute belliciste qui lui colle à l’épiderme. Lorsque sa traque atteint le point de non-retour, il tente même de se rendre afin que d’autres morts ne soient plus à déplorer… Traité comme un vulgaire vagabond aux « cheveux longs », le bonhomme est rejeté par son propre pays parce qu’il porte en lui (et malgré lui) l’échec de la guerre du Vietnam. Celui qui voulait juste aller se restaurer à « Ploucville », devient le paria d’une nation qui voudrait bien balayer son passé sous le tapis et ne plus avoir honte d’elle-même. Avant tout victime d’une injustice et de l’intolérance de ses contemporains, John J. Rambo se retrouve sans foyer, sans amis. Sa dernière promesse de chaleur humaine, il la perd quand il apprend soudainement le décès de son frère d’arme, rongé jusqu’à l’os par un cancer dû à cette saloperie d’agent orange. Ce bled que l’on appelle Hope n’a décidément aucun espoir à offrir à ceux qui le traverse… Seul, le viet vet n’est alors plus qu’un fantôme errant sur les routes. Une fois poussé à bout par la flicaille zélée des environs, il redevient ce bidasse d’exception crée par l’armée. Et tandis que le récit bascule dans l’affrontement, la guerre recommence et les cauchemars qui vont avec…

A l’instar du Christopher Walken de The Deer Hunter et du William Devane de Rolling Thunder, John Rambo souffre de stress post-traumatique et dissimule des cicatrices aussi bien physiques que psychologiques. Très vite, l’Histoire se répète et les montagnes blanches de la Colombie-Britannique se confondent avec l’enfer vert du sud-est asiatique. Hanté par des flashbacks dévoilant toute l’horreur du « merdier », le protagoniste finit par perdre pied avec la réalité. En témoigne un dernier acte en forme de pétage de plomb où le vétéran compte bien réduire en miettes cette bonne vieille ville de Hope. Mais en lieu et place du massacre attendu, c’est sur une explosion d’émotion que se dénoue First Blood. Ceux qui pensent encore que Sylvester Stallone n’a jamais été un bon acteur peuvent ravaler leur morve : l’acteur se révèle ici déchirant et donne tout ce qu’il a dans le bide pour traduire la tragédie qui coule dans les veines de Rambo. À cet instant, sans son M60 et face au gouffre qui l’aspire inexorablement, ce dernier semble presque redevenir un enfant. Enfant qui éclate en sanglots et pose sa tête sur l’épaule de son père de substitution, Samuel Trautman… À ce propos, voir le film en VO permet de constater que la voix de Sly apporte un peu plus de vulnérabilité à son personnage (et ce même si le fameux doublage d’Alain Dorval reste indissociable du rôle et du comédien).

De cet innocent profondément meurtri, Sylvester Stallone (également coscénariste) en a fait un héros et non un sociopathe à la Travis Bickle, le « taxi driver » de Scorsese. Malmené par une patrie pour laquelle il a tout sacrifié, son Rambo parvient pourtant à faire les bons choix, même si ses démons intérieurs l’empêcheront à tout jamais de retrouver la paix. Pour atteindre celle-ci, le chemin est long (« It’s a long road », confirme la chanson du générique de fin) et semé d’embûches, comme en avait déjà fait l’amère expérience le mountain man Jeremiah Johnson. Le paradoxe étant que, pour fuir la violence, il faut parfois se battre… Moins radical et pessimiste que sa source littéraire (le roman de David Morrell), le film n’en demeure pas moins critique envers cette société américaine incapable de se regarder en face après avoir envoyé des « boys » périr à l’autre bout du monde. Il y a dans ce Rambo, encore un peu du nouvel Hollywood des 70’s (Le Retour, Voyage au bout de l’enfer, Apocalypse Now). Tout en ayant aussi un pied boueux dans les années 1980. Voilà sans doute pourquoi la narration s’avère d’une fluidité exceptionnelle. Le moindre morceau de gras qui aurait pu enrayer la machine a été soigneusement fondu au lance-flammes. Faut dire que, d’un premier montage de plus de trois heures, nous sommes passés à une version définitive d’environ une heure et demie. Plus efficace, plus haletant, tu meurs avec un couteau de chasse dans le fondement. Aïe.

Après s’être réveillé dans la terreur de l’outback australien et avant de retourner vers l’enfer en compagnie de Gene Hackman, Ted Kotcheff répond à l’appel de la forêt dans ce que l’on peut considérer comme le sommet de sa carrière. Marchant sur les pas du Walter Hill de Sans retour (1981) à qui il emprunte le chef op Andrew Laszlo, le cinéaste canadien orchestre un modèle de péloche d’aventure et d’action, signe une référence du survival racé et rythmé. Les morceaux de bravoure (tous anthologiques) se succèdent sans jamais sacrifier les contours socio-politiques de son sujet, ni le profil évolutif de son principal protagoniste. Cet aspect intimiste, omniprésent malgré l’adrénaline, fait toute la valeur de First Blood. Ce que souligne également le thème immortel du grand Jerry Goldsmith qui, avec ses élans mélancoliques, capte à merveille la détresse de l’ancien béret vert. Et lorsque vient l’heure du danger et de la confrontation, le score du compositeur acquiert une dimension martiale dévastatrice que seules les BO de Rambo II et III viendront surpasser. Tandis que la bande-son se déchaîne, Big Sly façonne une deuxième icône du 7ème art après Rocky, Brian Dennehy livre sa performance la plus mémorable avec celle de Pacte avec un tueur et Richard Crenna remplace haut la pogne un Kirk Douglas débarqué en plein tournage à cause de ses caprices. Rien que du solide, en somme. Normal pour un classique inoxydable comme Rambo. N’en déplaise à mon vieux prof de CM2.

First Blood. De Ted Kotcheff. États-Unis. 1982. 1h37. Avec : Sylvester Stallone, Richard Crenna, Brian Dennehy…

QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS + TÉNÈBRES + DARIO ARGENTO, SOUPIRS DANS UN CORRIDOR LOINTAIN : Argento vivo !

Il y a un an, Les Films du Camélia rendaient déjà hommage à Dario Argento. Cet été, le distributeur renfile ses gants de cuir à l'occasion de la deuxième partie de sa rétro consacrée au "magicien de la peur". Au programme : des mouches soupirant dans les ténèbres d'un corridor lointain... Il ne nous reste plus qu'à espérer une troisième salve de restaurations pour juillet 2020, avec les copies neuves d'Inferno et Le Syndrome de Stendhal...

Le musicien Roberto Tobias, un batteur officiant dans un groupe de rock, est harcelé par un homme mystérieux qui ne cesse de le suivre. Décidant un soir de le prendre en chasse, Roberto réussit à le rejoindre mais au cours de la dispute qui s’ensuit, il le tue accidentellement… Le tout sous l’objectif d’un appareil photo tenu par un second inconnu, quant à lui masqué… Pitch : les Films du Camélia.

Après L’Oiseau au plumage de cristal et Le Chat à neuf queues, Quatre mouches de velours gris vient clore en beauté la fameuse Trilogia degli animali de Dario Argento. Mais contrairement à ses grands frères, ce dernier a été tardivement redécouvert, faisant du film l’une des pièces les plus méconnues de son auteur. La faute à son distributeur, la Paramount, qui n’a jamais souhaité l’exploiter correctement et en a (trop) longtemps détenu les droits… En 2012, l’injustice a été réparée grâce à la sortie providentielle du dvd/blu-ray paru chez Wild Side dans sa collection « Les Introuvables ». Depuis Quattro mosche di velluto grigio a tranquillement rejoint les autres classiques d’Argento et peut aujourd’hui se savourer la bave aux lèvres. La créativité de l’Italien y est en pleine ébullition, et ce du début (on ne compte plus les plans de malade composant la séquence d’ouverture) jusqu’à la fin (un accident de la route magistralement shooté au ralenti et sublimé par la musique d’un Morricone en grande forme). Le maître du giallo s’offre même une petite touche d’onirisme en mêlant le réel à l’irréel lors d’un étrange meurtre se déroulant dans un parc (une expérimentation audacieuse annonçant Les Frissons de l’angoisse). Si le spectre du professeur Hitchcock plane à nouveau sur l’intrigue (un individu tombe dans un piège et mène sa propre enquête), saluons l’ingénieuse trouvaille permettant de dégoter la clé de l’énigme : l’optogramme. Selon cette pseudo-science, la rétine imprimerait la dernière image vue par un défunt avant de mourir. Un formidable ressort dramatique qui donne tout son sens au titre du film et fait l’effet d’une bombe lorsque déboule l’ultime rebondissement. Expérience de cinoche aussi grisante que surprenante, Quatre mouches de velours gris est également une œuvre très personnelle pour son metteur en scène qui, par le biais du couple Brandon/Farmer, relate les affres de son divorce douloureux avec Marisa Casale… Voilà qui apporte une tonalité plus sombre à l’ensemble même si Argento fraye par moment avec la comédie, notamment à travers les prestations de Bud Spencer et Jean-Pierre Marielle. Deux membres d’un casting hétéroclite au sommet duquel trône l’inoubliable Mimsy Farmer (à quand une galette made in France de cet extraordinaire chef-d’œuvre qu’est Il Profumo della signora in nero de Francesco Barilli ? Et celle de La Traque, survival culte de Serge Leroy ?).

Quattro mosche di velluto grigio. De Dario Argento. Italie/France. 1971. 1h45. Avec : Michael Brandon, Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle…

Un célèbre écrivain, Peter Neal, auteur de romans policiers, est invité à Rome pour faire la promotion de son nouvel opus, Ténèbres. Dès son arrivée, plusieurs personnes sont assassinées selon un schéma comparable à celui des meurtres qui jalonnent son roman. Pitch : les Films du Camélia.

Après avoir épuisé toutes les ressources du surnaturel avec son diptyque démentiel Suspiria/Inferno, Dario Argento revient aux sources du giallo avec Ténèbres. La dimension fantastique de ses deux chefs-d’œuvre précédents s’évapore au profit d’une intrigue purement policière, comme au temps de la trilogie animalière du début des 70’s. Un nouvel opus qui constitue également un contrepied esthétique aux deux premiers volets des Trois Mères. Les délires formels furieusement baroques et surréalistes de ces derniers, laissent place à une lumière froide et blafarde tentant d’éclairer des décors « modernes » et volontairement ternes (les murs blancs ne manquent pas mais sont abondamment recouverts de sang lors d’un climax nerveux et bestial). Quoi qu’il en soit, Argento n’a pas perdu la main et immortalise à l’écran quelques morceaux de bravoure technique dont il a le secret. À commencer par ce long travelling à la Louma symbolisant la toute puissance de l’assassin et devançant le massacre d’un couple de lesbiennes (avec en prime, l’un des plans les plus marquants de Ténèbres : le visage paralysé par la peur de la belle Mirella D’Angelo, vu à travers le trou d’un t-shirt déchiré par une lame de rasoir). Côté suspense, l’intrigue fonctionne à donf jusqu’à l’étourdissante révélation finale (impossible de griller ce putain de twist), tout en permettant à son auteur de livrer une vertigineuse réflexion sur la création et ses débordements sur la vie réelle (l’écrivain campé par Anthony Franciosa n’est autre que le double fictif du père Dario). De l’obsession au passage à l’acte, telle est la trajectoire de ce torturé Ténèbres, giallo haut de gamme bénéficiant en outre d’une distribution de choix, à laquelle participe l’indispensable Daria Nicolodi. Le cri de terreur de cette dernière résonne encore dans nos esgourdes, tout comme la géniale ritournelle des ex-Goblin, extase auditive que l’on siffle toujours autant sous la douche ou en allant chez le primeur.

Tenebre. De Dario Argento. Italie. 1982. 1h50. Avec : Anthony Franciosa, Daria Nicolodi,  John Saxon…

Vingt ans séparent les deux parties de ce film portrait consacré à Dario Argento. Tourné à Turin puis à Rome entre 2000 et 2019, Soupirs dans un corridor lointain cale son pas sur l’un des cinéastes les plus marquants de ces quarante dernières années. Ses obsessions, son travail (on le découvre sur le tournage du Sang des innocents), ses souvenirs, ses hantises, son rapport à la ville éternelle, les blessures de l’Histoire italienne, et puis le temps qui passe… Pitch : les Films du Camélia.

On ne présente plus (mais je vais quand même le faire un petit peu) l’historien et critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret, auteur d’essais essentiels sur le Nouvel Hollywood, Sergio Leone, John Carpenter, Michael Cimino ou encore le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Sans oublier, bien entendu, l’auteur de Phenomena à travers le bouquin Dario Argento, magicien de la peur. Également réalisateur de documentaires (We Blew it, 2017), Thoret en a donc tout naturellement dédié un au maestro. Le film s’intitule Soupirs dans un corridor lointain (très beau titre) et se compose de deux parties distinctes. La première a été tournée en 2000 durant les prises de vues de Non ho sonno (Le Sang des innocents en VF), effort avec lequel Argento espère retrouver le succès de ses gialli d’antan. Dans les coulisses de sa quinzième mise en scène pour le grand écran, le père d’Asia se montre plus que jamais motivé à poursuivre son œuvre et compte bien faire de son petit dernier le Profondo Rosso des années 2000. La seconde a lieu en 2019 et prend des allures de promenade mélancolique en compagnie d’un regista presque octogénaire. Sur des images en noir et blanc et des extraits de musique classique, Thoret suit Dario dans les rues de Rome, visite à ses côtés ce qu’il reste des décors de la villa de Ténèbres (spoiler : des ruines) et nous dévoile l’endroit majestueux où le master of horror a effectué ses recherches pour sa trilogie des Mères (la Bibliothèque Angelica, lieu de tournage d’Inferno le temps d’une séquence). Les souvenirs d’une époque révolue qui, in fine, dresse le bilan d’une carrière semblant aujourd’hui au point mort (son dernier long reste à ce jour Dracula 3D, revival gothique érotico-gore avec le regretté Rutger Hauer en Van Helsing). Si ces soupirs (crépusculaires) dans un corridor lointain émeuvent, nous ne pouvons pas nous empêcher de rester admiratif devant ce cinéaste à nul autre pareil, jouissant par ailleurs d’une place à part dans le 7ème art transalpin (il demeure l’un des rares à avoir survécu – artistiquement – au déclin du cinoche populaire italien) et dont le génie ne cessera jamais d’enflammer notre imaginaire…

Dario Argento, soupirs dans un corridor lointain. De Jean-Baptiste Thoret. France. 2019. 1h37.

LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME + L’EMMURÉE VIVANTE : Fulci lives ! Part 2

Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. La tension monte au sein de cette petite communauté et les habitants commencent à désigner des coupables. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent. Pitch : les Films du Camélia.

Et si on tenait là l’un des plus grands films de Lucio Fulci ? Son plus noir, son plus dérangeant, son plus remuant ? Le sentiment de malaise qu’il suscite nous oblige à répondre par l’affirmative à cette question. Car rarement portrait de nos contemporains n’aura été aussi féroce que celui dépeint dans La Longue nuit de l’exorcisme (titre français à côté de la plaque dû à un distributeur opportuniste souhaitant surfer sur le succès de L’Exorciste). L’Italie profonde décrite par Fulci est soumise aux superstitions archaïques et dominée par un catholicisme dans ce qu’il a de plus néfaste et hypocrite. Même avec une autoroute défigurant le paysage, la modernité ne parvient pas à s’implanter dans ces terres reculées où l’obscurantisme a depuis longtemps détruit les cerveaux et les âmes. La civilisation ne veut plus rien dire lorsque la Justice se montre impuissante face à la vindicte populaire et aux actes les plus vils. Le passage à tabac subi par l’envoûtante Florinda Bolkan en constitue un exemple des plus choquants (un supplice d’une brutalité estomaquante, ironiquement accompagné par la chanson romantique « Quei giorni insieme a te », interprétée par Ornella Vanoni). S’articulant autour des agissements d’un tueur d’enfants, l’enquête policière ne laisse pas non plus insensible. Mais malgré leur jeune âge, lesdits enfants ne s’avèrent pas plus innocents que leurs parents (voir cette scène où un gamin au sourire sadique bute un lézard pour passer le temps, comme quoi la cruauté n’est pas l’apanage des adultes). Du début jusqu’à la fin, Non si sevizia un paperino (en VO, c’est mieux – traduction : « on ne torture pas un petit canard ») sent le soufre et s’épanouit dans un climat délétère et crasseux où les apparences se révèlent non seulement trompeuses mais aussi mortelles. De par son décor rural parfois shooté à la façon d’un documentaire et le regard nihiliste de son auteur, le film dépasse de loin le cadre du simple giallo. En témoigne également cette séquence culte où la fantasmatique Barbara Bouchet se fout de la gueule d’un p’tit puceau en l’aguichant à oilpé. Une note transgressive et vicieuse sur une partition en forme de coup de boule.

Non si sevizia un paperino. De Lucio Fulci. Italie. 1972. 1h49. Avec : Florinda Bolkan, Barbara Bouchet, Tomás Milián…

Virginia Ducci a des prémonitions. Elle sait que l’un des murs de la maison de son défunt mari abrite un cadavre. Avec l’aide d’un spécialiste en paranormal, elle explore la bâtisse en ruines et ne tarde pas à découvrir un squelette. Mettre au jour ce terrible secret va s’avérer un geste funeste pour Virginia. Pitch : les Films du Camélia.

Entre la comédie sexy On a demandé la main de ma sœur (1976, avec la grande Edwige Fenech dans son rôle le plus hot) et le western tardif Selle d’argent (1978, dispo chez Artus Films), Lulu (pour les intimes) revient au giallo avec L’Emmurée vivante, aka Sette note in nero. Un opus dénué, à quelques exceptions près, des excès érotico-gores propres au genre. J’en vois déjà qui tire la tronche mais ne vous inquiétez pas, le film n’en souffre jamais, Fulci maîtrisant son sujet comme personne (de toute façon, ce serait une erreur de réduire le bonhomme à son goût pour l’horreur qui tache). Le sujet en question est par ailleurs très fulcien, puisqu’il invoque l’esprit sombre et macabre d’Edgar Allan Poe (le réalisateur de La Guerre des gangs livrera d’ailleurs sa propre adaptation du Chat noir au début des années 1980). Formidablement agencée, l’intrigue de ce thriller psychologique s’appuie entièrement sur les visions obsédantes et cauchemardesques de son héroïne, Virginia Ducci (excellente Jennifer O’Neill, également confrontée à d’autres tourments psychiques dans le Scanners de Cronenberg). Mais les choses se compliquent lorsque l’argument fantastique vient brouiller les pistes au lieu de se contenter de faire progresser l’enquête. Fulci s’évertue alors à éclater la mémoire de sa médium, à fragmenter son esprit comme un puzzle et à donner aux images qui l’assaillent un sens caché. Comme dans tout thriller transalpin qui se respecte, les faux-semblants tissent une toile opaque autour d’une vérité dangereuse à débusquer. La musique du trio Frizzi/Bixio/Tempera participe également aux investigations tortueuses de L’Emmurée vivante, les « sept notes en noir » du titre original ayant leur importance lors d’un climax tendu et étouffant (et sont magnifiquement exploitées durant le tout dernier plan du film, je n’en dis pas plus). Une bande-son aussi entêtante que ces gros plans incessants sur le visage de son actrice principale et ces inserts sur ses yeux. Comme pour souligner que, dans ces limbes giallesques, savoir interpréter ce que l’on voit demeure une question de vie ou de mort.

Sette note in nero. De Lucio Fulci. Italie. 1977. 1h40. Avec : Jennifer O’Neill, Gabriele Ferzetti, Marc Porel…

PERVERSION STORY + LE VENIN DE LA PEUR : Fulci lives ! Part 1

Le réchauffement climatique, le dernier Christian Clavier, les disparitions de Rutger Hauer et George Hilton... Il fallait bien une rétrospective Lucio Fulci pour nous remonter le moral. Dans des copies flambant neuves, "Les Films du Camélia" projettent actuellement sur nos toiles blanches quatre poèmes noirs du maestro : Perversion Story, Le Venin de la peur, La Longue nuit de l'exorcisme et L'Emmurée vivante. Les délicieuses frayeurs d'un cinéaste qui, à la fin des 60's et au début des 70's, n'était pas encore étiqueté "roi du gore"...

À San Francisco, un médecin dont la femme est morte après une longue maladie remarque dans un cabaret une strip-teaseuse qui lui ressemble étrangement. Pitch : les Films du Camélia.

1966. Après avoir emballé une flopée de comédies épaisses pour le duo Franco et Ciccio, Lucio Fulci amorce un nouveau cap avec un western plein de bruit et de fureur : Le Temps du Massacre. 1969. Le même tâte du giallo pour la première fois avec Perversion Story et confirme sa volonté de transcender son cinéma et de devenir un auteur à part entière (ce que prouve également une autre péloche du maestro sortie la même année : le sublime et tragique Beatrice Cenci). Une porte s’ouvre donc dans la carrière de Fulci. Et si ce n’est pas encore celle qui mène aux zombies infernaux et à l’au-delà, elle marque déjà l’avènement d’un nouveau style, d’une nouvelle voie, celle qui perturbe les sens à coups de saillies viscérales et décapantes… Pour ses débuts dans le thriller à l’italienne, le cinéaste s’appuie sur une base solide en convoquant le Vertigo d’Hitchcock. Il va même jusqu’à reprendre le même décor : San Francisco. Bien avant Brian De Palma, Lucio Fulci rend hommage à son prestigieux aîné, mais ne se contente pas de le citer, il le transforme à son image, en prolonge les thèmes avec une audace bien plus démonstrative (libération des mœurs oblige). Car une évidence s’impose : la love story aux relents nécrophiles narrée par Big Hitch s’intègre parfaitement avec les obsessions chères à Fulci. Ainsi, lorsque Jean Sorel (acteur français ayant beaucoup fréquenté le giallo durant les 60’s, 70’s) s’envoie en l’air avec le sosie de sa défunte épouse, son esprit est assailli par des flashs de celle-ci couchée sur son lit de morte. Le gazier n’ayant jamais été du genre fidèle, ces visions d’un passé funeste pourraient être aussi bien le fruit d’une culpabilité que d’une déviance. Quoi qu’il en soit, le motif du double (personnifié ici par une Marisa Mell brune et blonde mais atomique en toutes circonstances) permet au réalisateur de Conquest de chorégraphier, sur les envolées jazzy de Riz Ortolani, une danse sépulcrale et lascive entre Eros et Thanatos. La mort que Fulci commence à observer d’un œil cru (cf. ce gros plan sur la figure décomposée d’un cadavre à la morgue). Et le sexe qu’il caresse avec une inventivité psychédélique que n’aurait pas renié le Jess Franco des Inassouvies (cadrage oblique, caméra portée, angle surréaliste). Bref, Una sull’altra (que l’on peut traduire par « une sur l’autre ») est un grand film érotique, doublé d’un suspense à tiroirs que son auteur s’amuse à faire rebondir jusqu’à l’ultime seconde. Sexy, sinueux, sensationnel.

Una sull’altra. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1969. 1h50. Avec : Marisa Mell, Jean Sorel, Elsa Martinelli…

Carol Hammond, fille d’un célèbre avocat, est la victime d’hallucinations étranges où elle imagine des orgies sexuelles sous LSD organisées par sa voisine, la belle Julia Durer, une actrice à la vie sulfureuse et débridée. À la mort de cette dernière dans des conditions mystérieuses, Carole voit son monde s’écrouler et les mains de la police se refermer sur elle. Arrivera-t-elle à contenir sa folie et ses désirs sexuels insatisfaits ? Pitch : les Films du Camélia.

Après un Perversion Story déjà remarquable, Lucio Fulci explose le cadre du giallo classique avec Le Venin de la peur. Un film fou qui, dès ses fascinantes préliminaires, nous précipite dans un univers cauchemardesque dévoré par des pulsions refoulées et des instincts meurtriers. Le cinéaste romain brouille les frontières entre rêve et réalité tout en plongeant une femme dans un chaos mental et létal. Le sol se dérobe sous ses pieds, et sous les nôtres, les mécanismes retors et insidieux du scénario semant le doute sur la nature même des événements. Pour matérialiser la démence semblant gagner progressivement Florinda Bolkan, Fulci s’autorise les idées les plus dingues (un cygne géant s’échappe d’un tableau de Dali et étend son ombre menaçante sur sa protagoniste) et les scènes choc les plus déstabilisantes (la découverte de chiens éventrés, et encore vivants, dans le labo d’une clinique). Tout l’imaginaire onirico-morbide de son auteur nous éclate alors en pleine tronche. Les concepts fulgurants et saisissants disséminés dans Una Lucertola con la pelle di donna sont le produit d’une mise en scène aussi libre (pour ne pas dire expérimentale) que sophistiquée (la caméra bouge, zoom, recadre et s’arrête le temps d’un split screen ou d’un plan oblique). Cette descente aux enfers schizo et parano digne d’un Polanski sous acides, prend une tout autre signification lors du coup de théâtre final. Un virage à 180 degrés qui ne constitue pas seulement une énorme surprise narrative. Il révèle aussi toute la misanthropie d’un Fulci scrutant avec ironie un Swinging London décadent dans lequel bourgeois et hippies rivalisent de duplicité. Un regard cinglant (et sanglant) qui sait aussi mettre en valeur l’élégance, la sensualité et la beauté froide de l’exceptionnelle Florinda Bolkan. Ses étreintes brûlantes et fantasmagoriques avec Anita Strindberg, accompagnées par la BO atmosphérique et éthérée de Morricone, suffisent à faire de ce « lézard à la peau de femme » l’un des efforts les plus vertigineux et sidérants de Lucio Fulci.

Una Lucertola con la pelle di donna. De Lucio Fulci. Italie/France/Espagne. 1971. 1h42. Avec : Florinda Bolkan, Jean Sorel, Anita Strindberg…

LA RUÉE DES VIKINGS + LES TROIS VISAGES DE LA PEUR + SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN : les étranges couleurs de Mario Bava

Parallèlement au cycle initié par la Cinémathèque française en ce mois de juillet, Mario Bava a également bénéficié d'une rétrospective chapeautée par le Théâtre du Temple. Le distributeur a ressorti dans nos salles climatisées trois classiques du maestro en version restaurée : La Ruée des Vikings (1961), Les Trois visages de la peur (1963) et Six Femmes pour l'assassin (1964). Rien de tel que Bava pour nous redonner des couleurs.

Deux frères, combattant dans des camps opposés, affrontent le félon qui les a séparés et cherchent à venger la mort de leur père. Pitch : la Cinémathèque française.

L’un des plus beaux fleurons d’une vikingsploitation engendrée, en toute logique, par Les Vikings de Richard Fleischer (1958). Après avoir officieusement coréalisé Le Dernier des Vikings (1961) avec Giacomo Gentilomo, Bava s’offre sa péloche d’aventure rien qu’à lui, son ode « gothique » au guerrier du nord. « Gothique » car, quelque soit le genre, le réalisateur se le réapproprie. Son style, reconnaissable en un clin d’œil, projette une lumière surréaliste sur un monde a priori non surnaturel. Il suffit de voir le repaire des vikings pour s’en convaincre, splendide décor de studio enlacé par les ombres et agrémenté de mille et une couleurs (du rouge, du vert, du violet : on se croirait dans Hercule contre les vampires, péplum mythologique du même auteur). Avec une telle facture baroque, Mario Bava ne peut renier La Ruée des Vikings, d’autant plus qu’il en est également le chef op. On ne s’étonnera donc pas du soin apporté à la photographie (c’est beau, un film en scope), ni du degré de violence et de cruauté un peu plus élevé que la moyenne (mère transpercée par une lance avec son bambin, tête piégée dans une boîte avec une tarentule au ventre noir). Pas besoin d’Hollywood pour accoucher d’une œuvre épique et spectaculaire (bataille, duel à l’épée, attaque de château fort : tout y est), surtout avec un génie du bricolage comme Bava à la barre (les effets sont modestes mais toujours astucieux). Gli invasori (titre original) est aussi l’histoire d’une fraternité contrariée où deux frangins, séparés durant l’enfance, deviennent des ennemis à l’âge adulte. Une tragédie que le robuste Cameron Mitchell porte sur ses épaules, le comédien dominant par sa prestance la plupart de ses collègues (le réalisateur de Lisa et le diable retrouvera le mastard à l’occasion de Six Femmes pour l’assassin et Duel au couteau, une autre histoire de vikings). Son visage taillé à coups de serpe contraste avec la blondeur étincelante des sœurs jumelles, Alice et Helen Kessler. Leur « danse du glaive » constitue par ailleurs un grand moment de sensualité sur pellicule. De quoi nous rendre nostalgique du cinéma de quartier tant défendu par Monsieur Jean-Pierre Dionnet.

Gli Invasori. De Mario Bava. Italie/France. 1961. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Giorgio Ardisson, Alice et Helen Kessler…

Film à sketches. Le Téléphone : une femme est victime de menaces téléphoniques. Les Wurdalaks : une histoire de vampires dans la campagne slave. La Goutte d’eau : le vol d’une bague sur un cadavre provoque d’étranges phénomènes. Pitch : la Cinémathèque française.

Pour produire Les Trois visages de la peur, les italiens de la Galatea Film s’associent avec les américains d’American International Pictures. À travers ce deal, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les boss de l’AIP, espèrent réitérer le succès de leur film à sketches, L’Empire de la terreur (1962). Malheureusement pour Mario Bava, ce partenariat va sérieusement altérer l’intégrité de son œuvre. Aux États-Unis, I tre volti della paura voit l’ordre de ses sketches modifié, sa bande originale remplacée (Les Baxter se charge de refaire le taf de Roberto Nicolosi) et son segment Le Téléphone totalement défiguré (des coupes ont été opérées afin de biffer du montage toute allusion au lesbianisme du personnage de Michèle Mercier, notre si merveilleuse Angélique). Si le massacre s’avère variable selon les pays, Les Trois visages de la peur est depuis quelques temps déjà visible en dvd dans sa version intégrale et brille aujourd’hui de mille feux grâce à la sublime copie du Théâtre du Temple. La moindre des choses pour un long-métrage où les élans chromatiques relèvent de la pure flamboyance. Si les trois histoires ici proposées représentent un bel exemple de cette esthétisme léchée, elles sont aussi le témoignage du savoir-faire peur de Mario Bava. Dans Le Téléphone, le réalisateur de Schock distille l’angoisse à partir d’un objet du quotidien (le téléphone du titre), et ce bien avant Terreur sur la ligne (1979) et Scream (1996). Mise en place aux petits oignons, décor claustro savamment exploité et conclusion mordante : Il telefono, c’est La Fille qui en savait trop condensé en une demi-heure. Les Wurdalaks s’inscrit, quant à lui, dans la veine plus gothique de son auteur. Les anciennes légendes slaves, et plus particulièrement le folklore vampirique, y sont convoquées pour notre plus grand plaisir « hammerien ». En effet, les aficionados du studio british ne peuvent que se pâmer devant ce récit d’une malédiction nocturne et brumeuse hanté par un Boris Karloff tout en sournoiserie maléfique. L’ultime chapitre, La Goutte, laisse carrément des séquelles à cause du rictus effrayant affiché par une vieille morte. Une gueule de cauchemar que les effets prosthétiques et les techniques de maquillage rendent troublante de réalisme (imaginez la poupée Annabelle avec des traits humains plus prononcés). Plutôt inattendu, l’épilogue ne manque pas d’humour et semble nous dire que, si tout cela n’est que du cinéma, la peur demeure malgré tout une émotion bien réelle…

I tre volti della paura. De Mario Bava. Italie/France. 1963. 1h34. Avec : Michèle Mercier, Susy Andersen, Boris Karloff…

A Rome, une série de meurtres est perpétrée dans une maison de haute couture sur des mannequins. Source : la Cinémathèque française.

À la sortie miraculeuse du récent dvd/blu-ray paru chez Studio Canal (dans la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret, déjà une référence), s’ajoute aujourd’hui le privilège de se (re)faire Six Femmes pour l’assassin sur grand écran. Un monument précurseur de l’horreur moderne (au même titre que Psychose ou Le Voyeur) et le chef-d’œuvre fondateur du giallo (le thriller made in Italy). Quelques années avant les machinations sexy d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, 1969) et les premiers succès fulgurants de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970), Mario Bava dresse déjà le manifeste – esthétique et thématique – du genre. En mettant de côté les influences hitchcockiennes de La Fille qui en savait trop (1963), le père de Lamberto laisse ses penchants les plus sadiques s’exprimer et décuple la brutalité de ses meurtres grâce à l’habileté de sa mise en scène. Son tueur masqué, ganté et vêtu de cuir noir (un look fétichiste qui fera école) peut agir à sa guise puisqu’il n’a pas de visage, d’identité. Un boogeyman de slasher avant l’heure, silhouette insaisissable et véloce partisane d’une violence osée pour l’époque, puisqu’elle convie l’érotisme à l’hécatombe (les victimes y sont bien souvent en petite tenue). En pleine possession de ses moyens, Super Mario fait preuve d’une maîtrise technique incomparable (la caméra se déplace constamment avec discrétion et élégance), partage son goût pour les teintes palpitantes et baroques (une forme de réalisme magique naît de cette copulation entre couleurs chaudes et froides) et n’oublie jamais d’être inventif (les interprètes du film posent tous comme des mannequins de vitrine lors du générique d’ouverture). Le raffinement formel de Sei donne per l’assassino sert en réalité de cercueil quatre étoiles aux membres de cette bourgeoisie décadente que Bava s’amuse à dégommer les uns après les autres. Un jeu de massacre annonçant les carnages caustiques de L’Ile de l’épouvante (1970) et La Baie sanglante (1971) mais s’achevant ici sur une note empreinte de romantisme noir. La signature d’un esthète tourmenté qui n’a jamais rechigné à brocarder l’espèce humaine.

Sei donne per l’assassino. De Mario Bava. Italie/France/Allemagne. 1964. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…

GRETA : une amie qui vous veut du mal

Retrouver dans les salles une nouvelle œuvre de Neil Jordan est un événement. Certains grands cinéastes ont beau être toujours en activité, cela ne leur garantit pas obligatoirement une distribution digne de ce nom. Avant Greta, l’Irlandais nous avait offert un poème vampirique d’une rare beauté avec Byzantium (2013). Un chef-d’œuvre irradié par deux comédiennes à se damner (Gemma Arterton et Saoirse Ronan) et qui a dû se contenter chez nous d’une banale sortie technique en dvd/blu-ray. Faut dire que l’échec commercial du film aux States n’a pas non plus aidé. Telle est la loi du pognon. Car l’industrie du 7ème art et les patrons de multiplexes n’ont que faire d’un gars ayant pondu un classique comme La Compagnie des Loups (1984), conte horrifique aux fascinants contours érotico-freudiens. Ils ont déjà oublié The Crying Game (1992), polar passionnant cachant en son sein une love story étonnante. Enterré Entretien avec un vampire (1994), flamboyante adaptation du roman culte d’Anne Rice. À peine considéré À Vif (2007), vigilante flick ambigu et poignant dans lequel la grande Jodie Foster fait montre du brio qui la caractérise. Je râle mais c’est toujours rageant de voir un joyau comme Byzantium être traité par-dessus la jambe…

Visible dans de bien meilleures conditions que son prédécesseur, Greta appartient à la catégorie « thriller domestique ». En vogue de la fin des années 1980 au mitan des années 1990, le genre illustre le cas d’un (ou une) psychopathe s’immisçant dans la vie de gens ordinaires dans l’intention de leur pourrir l’existence. Quelques exemples ? Liaison Fatale (Adrian Lyne, 1987), Les Nuits avec mon ennemi (Joseph Ruben, 1991), Fenêtre sur Pacifique (John Schlesinger, 1991), La Main sur le berceau (Curtis Hanson, 1992) ou encore JF partagerait appartement (Barbet Schroeder, 1992). Si ces films de studio assez balisés ont pu faire illusion à leur sortie, admettons qu’ils ont pris aujourd’hui un sacré coup de vieux… Et qu’en est-il de Greta ? La mode en question étant terminée depuis belle lurette, le film s’apprécie plutôt bien. Pourtant, de la même manière que ses aînés, il lui arrive parfois d’entamer la crédibilité du récit en le cousant de fil blanc (mais seulement lors de la dernière bobine, ce qui limite les dégâts). On pourrait aussi lui reprocher une scène versant dans le grand-guignol (pas forcément une tare puisque le passage en question donne lieu à un plan superbement caustique et très « piquant », celles et ceux qui ont vu le film comprendront…).

Des petites facilités que l’on pardonne aisément au petit dernier de Neil Jordan, notamment grâce à son look soigné (rien à redire en ce qui concerne la direction artistique et la photographie), à sa mise en scène aussi élégante que maîtrisée (ça saute aux yeux dès les premières minutes) et à son convaincant trio d’actrices (j’en recause quelques lignes plus bas). Et maintenant, le pitch. Marquée par la disparition récente de sa mère, Frances (Chloë Grace Moretz) est une jeune serveuse de New York vivant en coloc avec son amie Erica (Maika Monroe). Dans le métro, elle trouve un sac à main abandonné sur une banquette et dégote à l’intérieur l’identité et l’adresse de la propriétaire, une certaine Greta Hideg (Isabelle Huppert). Frances se rend alors chez elle pour lui restituer son bien et fait la connaissance d’une veuve esseulée, grande amatrice de piano (surtout de Liszt et son Liebesträume, « Rêves d’amour »). Pour la première, le cauchemar ne fait que commencer… Greta démarre comme un drame sur la solitude puis dérive insidieusement vers le film à suspense (voire d’épouvante) empreint de comédie noire. À l’instar de Frances, on se surprend à ressentir de l’empathie pour le rôle-titre, avant de découvrir sa part d’ombre et la folie qui l’anime. La terreur n’est jamais aussi déstabilisante que lorsqu’elle revêt un visage humain.

Seule une actrice de la trempe d’Isabelle Huppert peut rendre le mal aussi séduisant. Son regard profond et mélancolique apporte une réelle densité aux ténèbres qui la submergent. À travers sa classe naturelle, la Ella Watson de La Porte du Paradis laisse subtilement deviner la détresse et la malveillance de son personnage. Et quand elle pète les plombs, la Miss Huppert s’amuse comme une folle (!) à tel point que l’effroi le dispute au rire (nerveux). De quoi rendre fière la Kathy Bates de Misery, d’autant plus que Jordan se plaît à donner à sa Greta des allures de boogeyman (elle apparaît souvent dans le champ à la façon d’un tueur de slasher, silhouette insaisissable semblant avoir le don d’ubiquité). Dans les frusques de la victime, Chloë Grace Moretz incarne une jeunesse lumineuse mais fragilisée par des tourments ayant plus d’un point commun avec ceux de son bourreau. Le sentiment d’attraction/répulsion qu’elle éprouve envers sa flippante « mère de substitution » lui permet de montrer encore une fois toute l’étendue de son talent (voir aussi à ce sujet le très beau Come as you are). Et entre les deux, Maika It Follows Monroe tire elle aussi son épingle du jeu et fait merveille en nana cynique et délurée. Trois actrices qui, sous l’œil raffiné de Jordan (dont on retrouve ici l’acteur fétiche, Stephen Rea), font oublier une écriture un brin conventionnelle et parviennent à rendre ce thriller très attrayant.

Greta. De Neil Jordan. États-Unis/Irlande. 2019. 1h38. Avec : Isabelle Huppert, Chloë Grace Moretz, Maika Monroe…

LA FAVORITE et MARIE STUART, REINE D’ÉCOSSE : reines dans l’arène

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Dans une aristocratie où le pouvoir échoit tout naturellement aux hommes, être une reine n’est pas toujours enviable. Vous avez beau jouir de privilèges que le commun des mortelles n’aura jamais, donner des ordres que vos sujets exécutent dans la seconde, être à l’abri du besoin et baigner dans le luxe, vous vous rendez bien compte qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Des conseillers envahissants prennent les décisions à votre place, des courtisans feignent leur admiration et manient l’hypocrisie avec dextérité, des intrigants chuchotent dans les ténèbres et envisagent de vous poignarder dans le dos. Le palais royal est une prison dorée dans laquelle vous servez un système phallocrate. Une reine ne sera jamais un roi. Vous pensiez faire partie des dominants mais au fond vous n’êtes qu’une dominée. Le monde vous entoure mais vous êtes seule et finirez comme telle. Ne vous plaignez pas : vous pourriez aussi avoir la tête tranchée.

À l’académisme souvent associé au film historique, Yórgos Lánthimos préfère le petit pas de côté. Avec La Favorite, le réalisateur de The Lobster capte toute l’absurdité d’un monde féroce, celui de la cour et de ses usages. Si rire devient tentant lorsque l’on assiste à une course de canards entre nobliaux, cette tentation s’estompe radicalement devant l’humiliation d’un bouffon à oilpé sur lequel on bombarde des oranges. Chez les monarques, le ridicule ne tue pas celui qui se montre comme tel mais celui qui en est la cible (ridicule comme le titre de cet autre jeu de massacre orchestré par Patrice Leconte). Avilir celles et ceux que l’on considère comme socialement inférieures est un sport comme un autre. En racontant la guerre que se livre Lady Sarah (Rachel Weisz) et Abigail Hill (Emma Stone) pour être la chouchoute de la reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman), La Favorite fait s’entrechoquer ces deux milieux, celui des bafoueuses et des bafouées. L’ironie étant que, parmi cette élite dégénérée, les rôles peuvent s’inverser en moins de temps qu’il n’en faut pour remettre sa perruque d’aristo. Tout est donc une question de réputation. Réputation qu’il faut garder intacte en trichant, conspirant et en faisant un max de courbettes. La couronne se révèle ainsi comme une société du masque où tous les coups sont permis.

Cette réalité ubuesque et d’une sauvagerie qui ne dit pas son nom, Lánthimos l’aborde donc avec un léger décalage, une certaine distance lui permettant d’installer son dispositif de mise en scène. L’utilisation de l’objectif grand angle (ou fisheye), procédé venant déformer les perspectives, impose d’emblée une atmosphère singulière. Ces distorsions de l’image font remonter à la surface les névroses qui se terrent au plus profond des personnages, pratique qui n’est pas sans rappeler celle des œuvres de l’expressionnisme allemand (à la différence près que chez Wiene, Murnau ou Lang, ce sont surtout les décors qui trahissent l’état mental des protagonistes). Pour autant, La Favorite ne serait pas aussi formellement abouti sans ses éclairages en lumière naturelle et ses séquences nocturnes tournées à la chandelle (franchement, c’est de toute beauté). Un tour de force technique qu’on avait pas vu depuis le monumental Barry Lyndon de Stanley Kubrick… Une photo sans artifice ostentatoire qui ne détonne en rien avec l’œil contemporain d’un cinéaste frayant parfois avec l’anachronisme (cf. l’hilarante chorégraphie d’une danse peu orthodoxe).

Heureusement, le long-métrage ne tombe jamais dans le post-modernisme vain et chichiteux du Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Il y a de la substance dans cette histoire, du tragique derrière le comique, de la mélancolie derrière la bizarrerie. Au fur et à mesure que se dessine la rivalité entre Lady Sarah (la confidente de la reine Anne) et Abigail Hill (la servante convoitant la place de la première), un triangle amoureux perfide et sans issue se forme et se déforme. D’abord montrée comme une gamine capricieuse et hystérique, Sa Majesté prend un visage beaucoup plus sombre lorsqu’elle évoque ses dix-sept grossesses, toutes conclues par la mort du nouveau-né. Une souveraine sans héritière, manipulée par ses amantes, l’une lui imposant ses choix politiques, l’autre simulant ses sentiments pour rentrer dans le cercle fermé des nantis. Mais n’allez pas croire que les membres de ce trio infernal se figent dans la caricature et le schématisme. Leur caractérisation se drape de différentes couleurs, bénéficie d’une écriture subtile et nuancée, ce qui apporte une légitimité aux actes les plus inavouables de chacune.

Une profondeur que l’on doit aussi beaucoup à ses trois comédiennes. Olivia Colman parvient à faire ressortir toute l’humanité et la complexité de cette reine fragile, pathétique, trompée, brisée, en quête d’un amour que sa position et ses responsabilités rendent impossibles (entre exubérance et dépression, prise de poids et déchéance physique, la performance de l’Elizabeth II de la série The Crown est vraiment remarquable). À travers la froideur calculatrice de Lady Sarah, Rachel Weisz fait preuve d’une belle autorité, se montre redoutable, avec en prime une classe digne des plus grandes (qu’elle flingue des pigeons avec son tromblon ou son entourage avec des mots, Rachel tue et ce dans tous les sens du terme). En arriviste prête à renoncer à toute éthique pour parvenir à ses fins, Emma Stone donne à la fourberie d’Abigail Hill une irrésistible touche de candeur, mais surtout elle épate, elle pétille, elle flamboie (sans oublier ce teint de porcelaine qui, sur grand écran, devient presque érotique). Des actrices royales qui, à travers le regard sardonique, insolite et cruel de Lánthimos, donnent toute sa saveur à La Favorite.

Petit point historique et transition toute trouvée : la reine Anne (1665-1714) de La Favorite a été la dernière représentante de la maison Stuart à s’asseoir sur le trône british. Beaucoup plus connue, son aïeule Marie Stuart (1542-1587) se retrouve au centre d’un film plus classique dans son approche mais pas moins somptueux pour autant. Le premier long de Josie Rourke s’ouvre sur le retour en Écosse de ladite Marie Stuart (Saoirse Ronan), après un long séjour en France où elle a été l’épouse du défunt roi François II. Sur des terres dorénavant protestantes, cette reine catholique ne fait pas l’unanimité. Sa propre cousine, Élisabeth Iʳᵉ d’Angleterre (Margot Robbie), la voit également d’un mauvais œil et estime son règne menacé par cette nouvelle rivale… Dans Mary Queen of Scots, un chose est certaine : les gardiens de l’ordre établi ont peur des femmes ambitieuses. Les luttes intestines, les complots ourdis par les traîtres et les vociférations misogynes du pasteur John Knox (David Tennant, illuminé), prouvent que même une leader comme Marie Stuart ne peut être respectée et considérée à sa juste valeur. Telle est la punition pour celle qui ne brade pas son indépendance en se mariant avec n’importe qui, telle est la sentence pour celle qui ne se plie pas au rôle qu’on lui assigne, tel est le sort réservé à celle qui se choisit un destin exceptionnel.

L’angle adopté par la réalisatrice est volontairement moderne, progressiste, féministe. Une approche qui dépoussière le film d’époque, n’en déplaise aux profs d’Histoire du collège Hervé Vilard de Vaulx-en-Velin (restez cools les gars, et profitez du spectacle : tant que Hercule, Samson, Maciste et Ursus ne débarquent pas dans les Highlands, inutile d’hurler à la trahison). Ce nouvel éclairage permet surtout de rendre justice à un duo de femmes que les manuels scolaires ont tendance à figer dans le temps, à voir uniquement comme des silhouettes appartenant au passé. Pourtant, les deux héroïnes du film de Josie Rourke en disent long sur la société actuelle. Ce que confirme Saoirse Ronan sur le site de « Madame Figaro » : « […] ces femmes de pouvoir, deux reines qui gouvernaient sur une même île – un cas unique dans l’Histoire, je crois -, étaient confrontées au même patriarcat hostile que Theresa May ou Hillary Clinton, critiquées pour leurs tenues vestimentaires, par exemple. À l’ère post-MeToo, comme en 1500, ce qui compte, c’est de célébrer la trajectoire humaine de ces femmes inspirantes. » Loin de se soumettre à une quelconque mode, Mary Queen of Scots met en relief ce qu’il y a de plus universel, de plus fondamental et de plus fort dans ce récit où de grandes dames sont parvenues à laisser une trace dans la mémoire de ce monde.

Au processus d’invisibilisation et de dénigrement qui frappe celles qui ne se conforment pas aux diktats masculins, Rourke répond par la réhabilitation d’une figure souvent controversée et malmenée. Sa Marie Stuart est déterminée, valeureuse, audacieuse. Elle est intègre et n’a pas peur de mourir pour ses idéaux. Derrière la cheffe se cache aussi une femme s’interrogeant sur son propre corps et les plaisirs qu’il peut recevoir et donner (son mariage arrangé avec François II ne l’a guère satisfaite sexuellement. Mais de toute façon, le royaume en avait-il quelque chose à foutre du désir féminin ? Question rhétorique, bien évidemment). Quant à Élisabeth Iʳᵉ, elle nous apparaît comme tourmentée, mélancolique, étrangère à elle-même, fantôme déambulant parmi ses trop nombreux conseillers. Ce qui ne l’empêche pas de gouverner d’une main de fer, même si en réalité elle n’a pas d’autre choix que d’appliquer une politique entrant en conflit avec ses convictions. Prisonnières d’un système les ayant dressées l’une contre l’autre, les deux reines partagent en fait plus d’un point commun, chacune encaissant à sa manière les contrecoups de l’exercice du pouvoir. Au final, leur face-à-face va révéler une admiration réciproque qui, compte tenu du contexte, ne peut que s’achever dans le sang et les larmes.

La trajectoire de ces sœurs ennemies se croise lors d’un échange bref mais intense que ses deux têtes d’affiche élèvent jusqu’aux cieux. Si les panoramas écossais donnent envie de se (re)faire la série Outlander, si la musique grandiose de Max Richter parvient à saisir toute la beauté du sujet et le tumulte d’une époque, impossible de ne pas être ébloui par les prestations de Saoirse Ronan et Margot Robbie. Succédant à Cate Blanchett sous la couronne de la Queen Elizabeth (souvenez-vous du diptyque de Shekhar Kapur), l’Harley Quinn du foireux Suicide Squad n’a pas hésité à s’enlaidir pour l’occasion (faux-nez et peau du visage vérolée). Un choix qui s’avère payant, comme cela a été le cas pour Charlize Theron dans Monster. Quant à la Florence Ponting de Sur la plage de Chesil, nos yeux de simples mortels ne peuvent que se noyer d’émotion et d’admiration devant une performance aussi céleste. Sa sensibilité, son intelligence et sa prestance font de l’Irlandaise la plus extraordinaire des Marie Stuart. Avec elle, « Votre Majesté » est bien plus qu’une formule de politesse : Saoirse Ronan EST la majesté incarnée, celle qui transforme une performance exceptionnelle en chanson de geste. La preuve : moi qui ai déjà ployé le genou devant Daenerys Targaryen, je suis pourtant à deux doigts de changer de souveraine. Quitte à périr sous le feu des dragons.

The Favourite. De Yórgos Lánthimos. Royaume-Uni/Irlande/États-Unis. 2019. 2h00. Avec : Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz…

Mary Queen of Scots. De Josie Rourke. Royaume-Uni/États-Unis. 2019. 2h04. Avec : Saoirse Ronan, Margot Robbie, Guy Pearce…

OVERLORD : Herbert West chez les nazis

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ATTENTION : UN PEU DE SPOIL, BEAUCOUP D’AMOUR

Le nazi zombie n’a jamais été représenté aux Césars, ce qui est bien dommage. Pourtant, imaginez un peu. Cérémonie des Césars 1981. Jeanne Moreau est sur scène, devant son pupitre, sort le petit bulletin blanc de son enveloppe et annonce au gratin du cinéma français : « …et le César du meilleur film est attribué à… Le lac des morts-vivants ! ». Explosion de joie dans la salle, Jeanne saute dans la fosse comme au Hellfest, Jean-Claude Brialy ne peut retenir ses larmes et se met à hurler : « Promizoulin ! Promizoulin ! ». Bref, c’est le tourbillon de la vie. Si ce moment de grâce absolue ne peut exister dans une réalité non alcoolisée, le nazi zombie, sous-genre de l’horreur tendance Bis, a toujours eu une place de choix dans le cinoche d’exploitation. La tendance s’est même accélérée dans les années 2000, 2010 avec les Outpost, Dead Snow et autre Frankenstein’s Army. Contrairement à ses petits camarades, Overlord atterrit directement dans les salles et non en dvd ou vod. Oui, vous avez bien lu : une pure série B peut encore se savourer dans les multiplexes. Rare par les temps qui courent. Pour une fois, on va pouvoir profiter du spectacle sur grand écran. Ça tombe bien, celui proposé par cette production J.J. Abrams vaut franchement le détour.

Le titre Overlord fait bien entendu référence à l’opération du même nom. Les héros du film de Julius Avery appartiennent aux troupes alliées débarquant sur les plages normandes le 6 juin 1944. Et même un peu avant puisque lesdits héros, des parachutistes de l’oncle Sam, ont une mission bien précise : faire péter une antenne située au sommet d’une église squattée par les suppôts d’Hitler. L’enjeu est de taille car s’ils échouent, l’ennemi vert-de-gris pourrait capter l’arrivée des forces anglo-saxonnes et changer le cours de l’Histoire. Et comme si la situation n’était pas assez compliquée, un autre danger menace et prend forme dans les ténèbres d’un village occupé… Dès son époustouflante séquence d’intro, Overlord nous plonge dans le vif du sujet et caractérise ses personnages en quelques plans et deux, trois répliques. Dans la carlingue d’un avion prêt à lâcher ses soldats américains sur les côtes françaises, nous découvrons l’humaniste et timoré Boyce (Jovan Adepo), cette grande gueule de Tibbet (John Magaro, vu dans Orange is the New Black) ou encore le Caporal Ford (Wyatt Russell, le fiston de Snake Plissken), une obscure tête brûlée qu’il ne vaut mieux pas titiller. Et puis soudain, les enfers se déchaînent : les balles transpercent la carcasse de l’avion, les bombes font des trous béants dans l’appareil, les hommes sont largués précipitamment dans les airs au milieu des explosions. La caméra suit de très près ces combattants jetés en pâture aux flammes et livrés au chaos. Le résultat est aussi immersif qu’impressionnant.

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Du début jusqu’à la fin, Overlord demeure une péloche guerrière de première bourre. Voir le film en salle permet de se prendre en pleine poire la puissance de feu libérée par son jeune et inspiré cinéaste (dont c’est ici le deuxième long après un Son of a Gun sorti chez nous en 2015, mais seulement sous forme de rondelle digitale). À l’écran, les mitrailleuses défouraillent sec, éclatent les chairs et font vrombir les sièges ! Grisant ! D’un point de vue narratif, la mission cruciale de notre commando d’expendables n’est jamais écartée et ce même quand le fantastique se tape l’incruste et impose des enjeux supplémentaires. Et parce que l’action se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, il y a forcément du bad guy teuton à l’horizon. Chaque membre de la Wehrmacht a la gueule belliqueuse de l’emploi, c’est-à-dire celle du gars qui a laissé la tendresse au vestiaire. Le plus sauvage d’entre tous reste l’officier Wafner. Un faux gentleman et un vrai sadique, un psychopathe capable de faire un baise-main à une nana et de lui foutre son luger dans la bouche si elle n’est plus très coopérative. Une ordure d’anthologie campée par le danois Pilou Asbæk (ne vous fiez pas à son prénom, le gazier en impose vraiment un max). Vous avez certainement déjà croisé sa bobine avenante dans Game of Thrones (il y est Euron Greyjoy, un autre type délicat, sensible et attachant).

Comme vous le savez, Overlord n’est pas un film de guerre comme les autres. À ce genre, il en ajoute un autre, celui de l’horreur. Il le fait d’ailleurs de façon progressive, en semant d’abord des indices louches sur le parcours des GI’s et en intégrant ensuite l’inimaginable au récit. Et le plus beau dans ce délire, c’est que ce métissage « monstrueux » n’entame pas la crédibilité de l’ensemble. Petite précision : Avery n’emprunte pas vraiment la voie du zombie flick à la Romero ou The Walking Dead. Point de horde de revenants du IIIe Reich ici mais plutôt des expériences scientifiques menées par un savant fou sur des patients pas franchement consentants. Si les morts reviennent à la vie, c’est surtout à la manière d’un Re-Animator. À la différence près que ce docteur Maboul d’Herbert West n’a jamais eu l’intention de créer une armée de super troufions… À ce propos, certaines visions ont de quoi refiler des cauchemars et n’auraient pas déplu au Stuart Gordon des 80’s (surtout celle d’une tête sans corps tentant malgré tout d’appeler à l’aide…). La touche gothique suggérée par ce décor sinistre et effrayant (un gigantesque labo planqué dans les sous-sols d’une église) évoque la folie des vieux serials fréquentés par le rire sardonique et le regard méphistophélique d’un Bela Lugosi. Mais en plus sérieux toutefois et avec une bonne dose de gore en prime.

Avant de vous lâcher la grappe, juste un petit mot sur la révélation féminine d’Overlord. Elle s’appelle Mathilde Ollivier (avec deux « l », normal pour un ange), joue les femmes d’action et non les faire-valoir, a le charme fou d’une Léa Seydoux et s’apprête comme cette dernière à tutoyer les étoiles. Une bonne raison (une de plus) pour payer son ticket et s’envoyer ce show extrêmement bien gaulé où le plaisir du spectateur n’est jamais ignoré.

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Overlord. De Julius Avery. États-Unis. 2018. 1h50. Avec : Jovan Adepo, Wyatt Russell, Mathilde Ollivier…

THE PREDATOR vs. HALLOWEEN

À ma gauche : The Predator, chasse à l’homme du troisième type aussi crainte que prometteuse pour les fans du rasta from outer space. À ma droite : Halloween, éternel retour d’un boogeyman décidément increvable, avec Jamie Lee et Big John de nouveau dans la place. Le choc des titans a eu lieu en octobre dernier dans nos salles. Et se reproduit dès maintenant sur cette page, rien que pour vous yeux ébahis…

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Nous avions laissé l’extraterrestre à la gueule de porte-bonheur sur une note mi-figue mi-raisin avec un Predators un peu trop porté sur le fan service pour son propre bien (Adrien Brody se prenant pour Schwarzie : monumentale erreur). Si la mauvaise expérience des deux AvP semble bel et bien enterrée (même le plus camé des exécutifs hollywoodiens n’oserait en pondre un troisième, enfin normalement…), il fallait un autre film pour rendre à notre gloumoute adoré sa splendeur d’antan.

Autant le dire tout de suite, ce n’est pas The Predator qui nous fera oublier les opus mémorables de John McTiernan et Stephen Hopkins. Et ce malgré la présence derrière la caméra (et le stylo) de Shane Black, acteur sur le Predator original (le troufion binoclard et blagueur, c’est lui), scénariste de L’Arme Fatale, Le Dernier Samaritain ou encore Last Action Hero (excusez du peu, comme dirait ce ravi de la crèche de Laurent Weil sur son tapis rouge cannois) et réalisateur du génial Kiss Kiss Bang Bang. Mais aussi du boursouflé Iron Man 3… C’est ce qui s’appelle être capable du meilleur comme du pire. Malheureusement, The Predator appartient davantage à la seconde catégorie.

Encore que tout ne soit pas à jeter, ici. L’idée de faire un authentique Predator 3 tout en faisant de discrètes références aux événements des deux premiers films part d’une bonne intention et nous change des remakes et autres reboots. Que la chose soit R-rated nous offre également quelques chouettes passages, notamment l’évasion d’un predator furax s’acharnant avec une violence inouïe sur ses geôliers (le moment le plus jouissif – et réussi – du long-métrage).

Pour le reste, Shane Black a beau abattre la carte de la badass attitude, la sauce ne prend tout simplement pas. La faute, essentiellement, à un casting ultra boiteux, incapable de rendre justice à une galerie de baroudeurs borderlines. Les acteurs échouent tous à nous faire croire à leur personnage et ne véhiculent que des émotions superficielles (Boyd Holbroock, tête brûlée en carton, fait une bien pâle tête d’affiche). Sur le papier, la patte de son auteur se fait pourtant sentir mais, à l’écran, le résultat tire la tronche. D’autant moins pardonnable que les scènes d’action s’avèrent presque toutes bordéliques, illisibles. Et ce ne sont ni les « predachiens » en CGI (un coup de génie), ni le thème culte de Silvestri (qui retentit dès qu’un hélico apparaît à l’image) qui rehausseront le niveau…

À ce stade, il vaudrait mieux que les Predators restent sagement sur leur planète plutôt que l’on vienne encore chier dans leur casque. Suffit de voir l’épilogue absurde de The Predator pour s’en convaincre…

Halloween

S’approprier la saga Halloween est un défi qu’avait su relever Rob Zombie en son temps. Un exploit compte tenu de la présence intrusive de ces gros margoulins de frères Weinstein. Les deux escrocs enfin sur la touche, c’est au tour de Jason Blum – le nouveau king de l’horreur rentable – de chapeauter le retour de Michael Myers. Et pour fêter dignement les quarante berges de la franchise, John Carpenter et Jamie Lee Curtis participent au projet. Voilà qui donne envie de faire l’amour à une citrouille !

Le réalisateur de The Ward se voit même confier la BO du film. Logique puisque le bonhomme est désormais plus motivé par la musique que par la mise en scène (le voir jouer en live procure d’ailleurs une émotion hors du commun). Et on ne va pas s’en plaindre car le score de Big John est juste excellent ! Revisitant sa propre composition (impossible de se lasser du fameux Halloween theme), Carpenter et sa troupe (son fiston Cody et son filleul Daniel Davies) conçoivent un score atmosphérique, sombre et dépressif. De quoi poser en quelques notes une ambiance dark et intense (non, non, je ne parle pas de chocolat noir).

Quant à la Miss Curtis, c’est par un habile tour de passe-passe scénaristique qu’elle se retrouve dans cet Halloween quarante après. Car, souvenez-vous, son personnage passait l’arme à gauche dès l’intro du piteux huitième épisode. Du coup, décision a été prise de faire une suite directe au monument de 1978. Conséquences : tous les opus suivants sont poliment ignorés et Laurie Strode n’est plus la frangine de Myers. Pas grave, tant retrouver une Jamie Lee Curtis en grande forme est un plaisir qui ne peut se refuser. Plus tourmentée encore que dans Halloween H20, notre poisson nommé Wanda trouve chez David Gordon Green l’occasion de crever l’écran dans la peau d’une femme traumatisée mais que le temps a changé en simili-Sarah Connor. Et même plus encore…

Car, d’une manière assez inattendue, cette nouvelle nuit des masques cache en son sein un drame familial dans lequel trois générations de femmes sont touchées par la même malédiction. Laurie (impeccable Jamie Lee, je le redis), sa fille Karen (Judy Greer, très bien aussi) et sa petite-fille Allyson (Andi Matichak, une jolie découverte) doivent, au fil des évènements, se rabibocher pour combattre leur putain d’agresseur. Un cas de sororité assez inédit dans le slasher et un supplément d’âme pour cet Halloween 2018 où les rôles féminins ne sont pas uniquement là pour courir et crier…

S’il fait évoluer le statut de scream queen, le réalisateur de Votre Majesté (comédie médiévale fréquentée par Danny McBride, l’un des coscénaristes du film qui nous intéresse ici) se montre très déférent envers le classique de Carpenter. Il le suit pas à pas, se livrant avec son aîné à un jeu de miroir parfois un peu facile (l’évasion de Michael Myers). Peu enclin à s’affranchir de l’influence de son modèle, David Gordon Green s’autorise tout de même quelques saillies gores de bon aloi et sait se montrer visuellement percutant (cf. le plan-séquence où notre psycho killer joue du couteau en passant de maison en maison). Devant sa caméra, Michael Myers redevient The Shape, le Mal absolu, un monstre sans humanité ni conscience. Une redoutable machine à tuer. Qu’on se le dise : evil never dies.

The Predator aurait pu être une bonne surprise apte à faire revenir sa créature aux affaires. À l’arrivée, le résultat – blockbuster maladroit d’un auteur en pleine dépossession de ses moyens – incite à se faire couper les dreadlocks. Halloween, avec ses bidouillages narratifs dictés par des impératifs commerciaux, n’était pas non plus bien loin de la douche froide automnale. Mais ce onzième film reste suffisamment incarné et soigné pour s’imposer. Dans ce match de poids lourds, le David Gordon Green l’emporte donc.

Alors que je suis en train de conclure cette modeste bafouille, un point rouge lumineux se balade sur mon clavier et finit sa course au milieu de mon front. Adieu les amies.

The Predator. De Shane Black. États-Unis. 2018. 1h47. Avec : Boyd Holbrook, Olivia Munn, Jacob Tremblay…

Halloween. De David Gordon Green. États-Unis. 2018. 1h49. Avec : Jamie Lee Curtis, Judy Greer, Andi Matichak…