SBALLATO, GASATO, COMPLETAMENTE FUSO : Edwige Fenech, l’aventure idéale

En avril dernier disparaissait dans l’indifférence générale un artiste de génie : Enzo Sciotti. Ses affiches de films ont pourtant nourri l’imaginaire des esthètes du monde entier. Son trait à la fois réaliste et baroque, ses bleus intenses et pénétrants, lui ont permis d’élever l’horreur, l’action et l’érotisme au rang des beaux-arts, de transcender n’importe quelle péloche, de vendre du rêve quel que soit le film. On doit à Sciotti pas moins de 3000 posters (mamma mia ! Un record ?). Cette œuvre phénoménale fait la part belle aux classiques de genre, aux pépites du Bis et à tant d’autres joyeusetés filmiques. Des exemples ? Evil Dead, Maniac, Velluto Blu (aka Blue Velvet), Phenomena, Lo Squartatore di New York, La Montagna del dio cannibale, Démons, Maximum Overdrive, La Retape (L’Alcova en VO)… Je vous laisse compléter la liste en recherchant vous-mêmes les 2991 autres références ! Et comme le prouve le visuel de Sballato, gasato, completamente fuso, sachez que la commedia sexy all’italiana est aussi passée sous son divin pinceau. En transformant Edwige Fenech, Gloria Guida, Lilli Carati, Barbara Bouchet, Nadia Cassini ou Anna Maria Rizzoli en fantasmes dotés de couleurs éclatantes, le regretté Enzo Sciotti est parvenu à capturer toute l’extravagance et la sensualité de ce cinéma échappé d’un temps révolu…

Dans les pages du fanzine « Toutes les couleurs du Bis », Stéphane Erbisti juge Sballato, gasato, completamente fuso (An Ideal Adventure à l’international) « médiocre » et « insignifiant », considère qu’il « se traîne en longueur et nous plonge dans l’ennui ». Pour ma part, je ne serai pas aussi sévère : sans constituer un incontournable des salles de quartier ou des vidéo-clubs, le long-métrage de Steno n’a rien de désagréable et séduit sans peine les fondus d’Edwige Fenech. Le problème, c’est que le film n’est jamais sorti en France et qu’il a fallu attendre Netflix pour le découvrir. Au passage, la plateforme rebaptise la bête Un Pari de dingues (pourquoi pas). Une nouvelle identité qui ne s’est pas contentée de traduire le titre original (« fou, bizarre, complétement cinglé »)… En quoi consiste alors ce déraisonnable « pari » ? Moquée et sous-estimée, la journaliste Patrizia Reda (Edwige Fenech) aspire à plus de reconnaissance de la part de ses pairs. Dans ce but, elle insiste auprès de son rédac chef, Eugenio Zafferi (Enrico Maria Salerno), pour qu’il lui confie la prochaine une. Afin de motiver son boss, la malicieuse et ambitieuse Patrizia lui propose un deal : si elle foire son papier, elle s’offrira à lui… Puisque l’article en question porte sur les fantasmes de l’italien lambda, la fesse se retrouve donc au centre des débats. L’enquête de l’héroïne sert de prétexte à une succession de saynètes cocasses, toutes situées en dessous de la ceinture. Faut dire que là où Edwige passe, le mâle trépasse… de désir !

Mais au début des années 1980, le cinéma italien entame son crépuscule. Pendant que ce Berlusconnard de Silvio flingue la culture en déféquant dans la boîte crânienne de ses compatriotes (ses chaînes de télé annoncent une nouvelle ère méphitico-cathodique), l’âge d’or des sixties/seventies s’éloigne. Après Sballato, gasato, completamente fuso, Edwige Fenech ne tournera plus que deux autres longs pour le grand écran (Vacanze in America en 1984 et Le Tueur de la pleine lune en 1988) et se réfugiera dans le petit (elle y sera également productrice). Grand spécialiste de la comédie transalpine (il est l’auteur, dès la fin des années 1940, d’une flopée de « Totò »), Stefano Vanzina (alias Steno) emballe ici sa dernière œuvre d’importance avant de tirer sa révérence en 1988… Cette « fin d’une époque » se ressent dans Sballato, gasato, completamente fuso. L’élan potache se fait beaucoup plus timide, le geste troupier moins dévastateur. Même la nudité ne se montre pas aussi systématique qu’auparavant. Cette apparente « sobriété » donne l’impression que l’entreprise ne se repose plus sur ses gags mais plutôt sur son scénario. Un signe de « maturité » ? Pas vraiment. Une forme d’essoufflement alors ? Certainement. Mais on peut aussi y déceler la survivance d’un style qui n’a pas encore lâché son dernier rire…

Pour sa quatrième et ultime collaboration avec la reine de la sexy comédie (après Amori miei, Dottor Jekyll e gentile signora et La Patata bollente), Steno offre à la Miss Fenech le rôle d’une femme des années 80 (« mais femme jusqu’au bout des seins » comme le chantait Michel Sardouille). La modernité de Patrizia Reda permet surtout au réal de Société anonyme anti-crime (poliziesco dispo chez Artus Films) de brocarder (gentiment) le machisme qui sévit dans le petit monde de la presse écrite. Perçue comme un objet sexuel incapable de pondre un bon article, la reportrice volontaire de Sballato, gasato, completamente fuso ne doit pas seulement combattre les préjugés de ses collègues masculins : elle doit aussi constamment calmer leurs ardeurs. Des préoccupations féministes inattendues (et bienvenues) qui trouvent néanmoins leurs limites lors d’une conclusion très « romcom » (au final, tout rentre dans l’ordre conjugal…). Reconnue davantage pour sa beauté incendiaire que pour ses talents dramatiques, la Signora Wardh de Sergio Martino ne peut que s’identifier à son personnage. Consciente de son image et de l’émoi qu’elle provoque, Edwige Fenech n’en demeure pas moins une authentique comédienne. N’a-t-elle pas su s’extraire momentanément du Bis pour participer aux films de Tognazzi (Cattivi pensieri), Risi (Je suis photogénique) et Sordi (Moi et Catherine) ?

Chez Steno, l’inoubliable « insegnante » dégage une classe folle, charme toute l’assistance et se plaît à donner la réplique à son partenaire d’Amori miei, le toujours impec Enrico Maria Salerno (également réalisateur d’un superbe mélo avec Florinda Bolkan, L’Adieu à Venise). Seul point noir au tableau : l’insupportable chauffeur de taxi interprété par Diego Abatantuono. Difficile de ne pas être irrité par son accent à couper au couteau et par son cabotinage jacasseur (dans ce registre, n’est pas Lino Banfi qui veut…). Heureusement, Sballato, gasato, completamente fuso compte quelques grands moments dignes de l’humour fripon made in Italy. Jugez plutôt. Le temps d’un songe impudique, notre Edwige se change en nonne effeuilleuse… Lors d’une course-poursuite rocambolesque, elle passe d’un véhicule à l’autre et tombe systématiquement sur des allumés de la braguette (dont un sosie de « Er Monnezza », l’un des persos fétiches de Tomás Milián)… Le passage le plus fendard ? Celui où la Fenech interviewe un cinéaste timbré du nom de Brian De Pino (quand l’auteur de Pulsions fusionne avec son compositeur). Là, les clins d’œil fusent : la musique parodie les BO de Zombie et Profondo Rosso, le poster de L’Au-delà (conçu par Sciotti !) s’affiche sur un mur, les fantômes de Shining refont surface… De bien bonnes références pour une facétie affriolante qui saura ravir les aventuriers du cinoche perdu.

Sballato, gasato, completamente fuso. De Steno. Italie. 1982. 1h35. Avec : Edwige Fenech, Diego Abatantuono, Enrico Maria Salerno

HAMMER, 1970-1976 : du sexe et du sang !

En novembre 2020, l’éditeur Tamasa nous livrait un imposant coffret dvd/blu-ray dédié à la Hammer des années 70. Les films ? Les Cicatrices de Dracula, Les Horreurs de Frankenstein, Dr. Jekyll et Sister Hyde, La Momie sanglante, Sueur froide dans la nuitLes Démons de l’esprit et Une Fille pour le Diable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque ces titres feront l’objet d’une rétrospective dans les salles le 27 octobre prochain (si tout va bien). Cet été, des chanceux ont pu assister à quelques avant-premières. L’occasion de mater en copie restaurée des films tournés à une époque où la Hammer connaît de sérieuses difficultés financières et subit de plein fouet la concurrence de l’horreur moderne. Pour remonter la pente et attirer le public, il ne reste plus que deux mots magiques : sex & blood ! La preuve par trois, juste ci-dessous.


FRANKENSTEIN S’EST REBOOTÉ !

Le Pitch. Après avoir sciemment provoqué la mort de son père, Victor Frankenstein (Ralph Bates), jeune homme manipulateur et séducteur, reprend le flambeau et se livre à son tour à quelques expériences macabres. Il engage un pilleur de tombes pour lui fournir les matériaux nécessaires à son travailSource : dossier de presse Tamasa.

Réalisé et coécrit par un pilier de la Hammer (Jimmy Lust for a Vampire Sangster), Les Horreurs de Frankenstein est ce qu’on appellerait aujourd’hui un reboot. Il constitue par conséquent un épisode autonome, une parenthèse dans la saga initiée par Terence Fisher en 1957. Si L’Empreinte de Frankenstein (Freddie Francis, 1964) opérait déjà une rupture avec ses prédécesseurs, il conservait néanmoins l’interprète du Baron : le légendaire Peter Cushing. The Horror of Frankenstein le remplace par un acteur plus jeune, Ralph Bates. Une star montante de la Hammer du début des 70’s. La relève, en somme. Et le Dr. Jekyll de Roy Ward Baker et Brian Clemens ne démérite pas, tant il compose un Victor Frankenstein digne de son aîné. Un aristo cynique, arrogant et d’une froideur inflexible, doublé d’un savant fou prêt à tout pour aller au bout de son expérience. Refrain connu mais relevé par la succulente performance de Bates (ses répliques, sarcastiques à souhait, font mouche plus d’une fois). Mais c’est encore par son ton que le film de Sangster se démarque le plus. Bien loin du premier degré propre aux bandes gothiques des 60’s, Les Horreurs de Frankenstein cède à la comédie. À la comédie noire, évidemment. Le château sert ainsi de décor à un vaudeville macabre où les témoins gênants disparaissent les uns après les autres (et au nez et à la barbe de la police qui mène son enquête). Quant à la créature incarnée par Dave « Dark Vador » Prowse (une sorte de néandertalien musculeux), elle écarte toute tentation parodique pour mieux s’adonner à l’irrévérence (sa rencontre avec une gamine curieuse et imperturbable est l’occasion de railler la naïveté des classiques de James Whale). La conclusion ironique de cette sale blague prométhéenne rompt avec la tradition du climax spectaculaire et nous abandonne sur une note franchement inattendue. Trop peut-être pour les spectateurs de l’époque qui boudèrent le film…

The Horror of Frankenstein. De Jimmy Sangster. Royaume-Uni. 1970. 1h35. Avec : Ralph Bates, Kate O’Mara, Veronica Carlson


« HELLO DOCTEUR JEKYLL ! MON NOM EST HYDE, SISTER HYDE »

Le Pitch. Londres, époque victorienne. Le Dr Jekyll (Ralph Bates) tente de créer un élixir d’immortalité en utilisant des hormones féminines prélevées sur des cadavres frais. Mais dès qu’il boit le sérum, Jekyll se transforme en une femme aussi séduisante que démoniaque, Mrs. Hyde (Martine Beswick) Source : dossier de presse Tamasa.

Le titre annonce la couleur : le nouvel opus hammerien de Roy Ward Baker (après, entre autres, le splendide The Vampire Lovers) ne sera pas une adaptation fidèle du roman de R. L. Stevenson. Une certaine Sister Hyde s’est substituée au Mr Hyde original. Un cas encore plus étrange mais surtout plus sexy, ce qui convient mieux à la firme britannique en ces années 70 naissantes… Le script, ô combien malin, de Brian Clemens (producteur et scénariste de Chapeau melon et bottes de cuir) ose même aller plus loin en amalgamant le docteur Jekyll avec la figure de Jack l’éventreur et en convoquant les résurrectionnistes Burke et Hare (un duo aussi authentique – et sinistre – que le tueur de Whitechapel). Un régal d’hybridation pop auquel il faut ajouter les contours « transgenres » de cette version audacieuse d’un classique de la littérature. Les troubles et les ambivalences liées à l’identité sexuelle se retrouvent donc au centre de Dr. Jekyll et Sister Hyde. Plus obsédé par ses recherches que par les femmes, le doc fait l’objet de doute quant à ses préférences amoureuses. Son double féminin le pousse ainsi à embrasser sa véritable nature, à exprimer des désirs que la société victorienne réprouve. L’hypocrisie de cette dernière est aussitôt débusquée par le pouvoir de séduction de Mrs. Hyde. Face à la tentation, les notables oublient vite leurs bonnes manières et deviennent des queutards comme les autres… Londres et sa part de laideur se manifestent aussi à travers son décor, des bas-fonds entièrement reconstitués aux studios d’Elstree. Ce cloaque recouvert d’un linceul de brume est le témoin sordide d’un combat que se livre les deux locataires d’une même chair. Pour traduire visuellement ce duel à mort, Roy Ward Baker joue avec les reflets d’un miroir, déforme les visages, brise les lignes séparant le masculin du féminin. Mieux encore, il fait de l’envoûtante Martine Beswick un vampire au regard hypnotique, une sorcière à laquelle personne ne résiste. Seule la Hammer pouvait rendre les « monstres » aussi désirables…

Dr. Jekyll and Sister Hyde. De Roy Ward Baker. Royaume-Uni. 1971. 1h37. Avec : Ralph Bates, Martine Beswick, Gerald Sim


SATAN BOUCHE UN COIN

Le Pitch. Excommunié, le père Michael (Christopher Lee) fonde une secte satanique. Il convainc un homme d’offrir l’âme de sa fille Catherine (Nastassja Kinski) pour qu’elle devienne l’incarnation du diable sur Terre à ses 18 ans. À l’approche du jour fatidique, le père de Catherine demande à un spécialiste en sciences occultes de l’aider à sauver sa fille. Source : dossier de presse Tamasa.

Un Hammer tardif et pour cause : Une Fille pour le diable est l’avant-dernier long-métrage produit par le studio (suivra en 1979 The Lady Vanishes, un remake du Big Hitch). Celui-ci devra attendre près de trente ans pour côtoyer à nouveau le grand écran (mais sans renouer avec les fastes de son âge d’or…). Pour l’heure, la firme complètement « marteau » prend ses distances avec l’esthétique gothique d’antan pour mieux s’approprier les tendances horrifiques du moment. Cofinancé avec les Allemands de la Terra Filmkunst, To the Devil… a Daughter s’inspire d’un bouquin de Dennis Wheatley (un auteur déjà à l’origine d’un autre Hammer, Les Vierges de Satan). Une bonne occaz pour prendre le train en marche, celui conduit par le Polanski de Rosemary’s Baby et le Friedkin de L’Exorciste. Bien entendu, l’entreprise ne peut rivaliser avec ses modèles : Une Fille pour le diable peine à faire naître l’effroi tandis que le scénario apparaît un brin confus. Heureusement, à l’image des « diableries » made in Italy (L’Antéchrist, La Maison de l’Exorcisme), le film de Peter Sykes (également réalisateur de Demons of the Mind) se rattrape en nous offrant quelques fulgurances bien épicées. Entre une orgie des plus démonstratives, les caresses visqueuses d’un « evil baby » et le nu intégral d’une Nastassja Kinski pas encore majeure, les hammerophiles peuvent au moins se réjouir d’assister à un spectacle plus vicelard et transgressif qu’un Conjuring… En outre, To the Devil… a Daughter a le bon goût d’opposer deux immenses comédiens. À ma gauche, un Richard Widmark encore vert malgré ses cheveux blancs. À ma droite, un Christopher Lee toujours aussi magnétique lorsqu’il s’agit de flirter avec le Mal. Alors à ses débuts, la toute jeune Nastassja n’est pas en reste et marque déjà les esprits. Son regard presque lascif en fin de bobine laisse planer un soupçon d’ambiguïté et vient nuancer in extremis un ensemble plutôt manichéen. Le doute : l’une des grandes leçons du cinéma de William Friedkin…

To the Devil… a Daughter. De Peter Sykes. Royaume-Uni/Allemagne. 1976. 1h33. Avec : Richard Widmark, Christopher Lee, Nastassja Kinski…

BENEDETTA : Virginie la défroquée

Thriller aussi tortueux que fascinant, faux « rape and revenge » déguisé en vrai satire chabrolienne, exercice de style grinçant dominé par une Huppert impériale, Elle (2016) a magistralement prouvé deux choses. 1/Que Paul Verhoeven n’a rien perdu de sa verve. 2/Qu’il a parfaitement su s’adapter à son nouvel environnement français. En réalité, il l’a carrément secoué, marquant au fer rouge le 7ème art hexagonal (les Pays-Bas et Hollywood se remettront-ils un jour de son passage ?). Aujourd’hui, Benedetta montre à son tour que le mordant, l’acuité et le culot de son auteur sont toujours intacts. Ce projet – 50% religion, 50% sexe, 100% Verhoeven – vient à point nommé pour dynamiter ces temps de politiquement correct, de cancel culture, de wokisme et d'(auto)censure tous azimuts. Car le réalisateur de RoboCop ne prend pas le spectateur pour un gland. Il le force à réfléchir, bouscule ses certitudes, heurte ses convictions. Bref, il le pousse à sortir de sa zone de confort. Dans un texte paru dans Charlie Hebdo (n° 34, 12 juillet 1971), Cavanna définissait l’humour comme « un coup de poing dans la gueule« . Il en va de même pour le cinéma de Paul Verhoeven, ce distributeur de mandales sans égal. Quand il cogne, il ne le fait jamais gratuitement. Choquer le bourgeois ou la Croisette ne l’intéresse pas. Le réduire à un simple provocateur n’a donc aucun sens… À l’instar du journal cité plus haut, l’œil acéré du Batave est plus que salutaire : il est essentiel au monde. Les pisse-vinaigres que cette liberté de ton offense peuvent aller se faire empapaouter au paradis.

Benedetta débute sous les meilleurs auspices. Des soudards échappés de La Chair et le Sang croisent la route de la toute jeune Benedetta Carlini, en partance avec ses parents pour le couvent des Théatines (situé à Pescia, en Toscane). Face aux menaces des malotrus, la gamine invoque la Sainte Vierge quand soudain… l’un des premiers se ramasse une fiente de piaf sur la figure ! D’entrée de jeu, Verhoeven contourne les attentes du public : la violence physique a priori inéluctable est évitée et la prétendue intervention divine ridiculisée. Au-delà du geste sardonique et iconoclaste, Paulo confronte le réel à celles et ceux qui l’interprètent à leur convenance : les croyant(e)s. Dès lors, tout devient une question de point de vue. Point de vue forcément ambigu lorsque seul le doute peut dévoiler les vérités cachées (Qu’est-ce que je vois ? est d’ailleurs le titre français du premier long du Hollandais, Wat zien ik !? aka Business is Business). Pas de certitudes ici, mais des interrogations, des frissons et un éblouissement aussi viscéral que vertigineux. Qui est Benedetta ? Qui est cette nonne du XVIIe siècle affirmant communiquer avec Jésus et s’adonnant aux plaisirs saphiques avec une novice libertine ? Une sainte, une pécheresse, une manipulatrice, une arriviste, une folle, une amoureuse ? Comme avec le cauchemar baroque et symbolique du Quatrième Homme et les « souvenirs à vendre » de Total Recall, Paul Verhoeven ne tranche pas mais aborde son sujet avec toute l’honnêteté intellectuelle qui le caractérise. Au spectateur de se forger sa propre opinion. C’est ainsi que certains films accèdent à l’éternité.

Si Sœur Benedetta reste insaisissable, c’est pour mieux témoigner de la complexité et de la richesse du personnage. Verhoeven n’a pas besoin de la juger ou d’en égratigner l’énigme pour en faire une nana forte et intelligente. Les contradictions de cette héroïne ambivalente servent surtout à démasquer l’hypocrisie de notre chère Église. Une institution qui condamne la sexualité, honnit le corps féminin quand ses « dignitaires » ne pensent qu’au pouvoir et en usent pour torturer son prochain (le nonce décadent joué par Lambert Wilson aurait eu sa place dans le Beatrice Cenci de Fulci). Benedetta prend alors des allures de Game of Thrones clérical, jeu mené dans l’ombre par une religieuse dont l’ascension va ébranler les fondements d’un ordre patriarcal pourri par le dogme. Dans son rapport au sacré, le film se révèle tout aussi subversif : c’est à travers sa foi que la blessed virgin atteint l’orgasme lesbien. Pour Benedetta, l’extase est une expérience autant mystique que charnelle. Ses visions lui permettent de jouir dans son délire et lui font en même temps prendre son pied ici-bas. Et pour cela, notre Néerlandais préféré n’hésite pas à érotiser le Christ sur sa croix (mais sans le slip rouge moulant de l’éphèbe du Quatrième Homme), à transformer une statuette de Marie en gode (fallait oser !). Dans Benedetta, l’irruption du trivial n’a rien de vulgos : il s’agit plutôt de relier le matériel au sublime, l’autre nom de la sensualité. Graduel et subtil puis explosif et incontrôlable, le désir se consume à la lueur d’une bougie, écho pictural à la peinture flamande (on pense au travail du chef-op’ Jan de Bont sur Katie Tippel ou Flesh + Blood).

Cinéaste organique par excellence, Verhoeven s’intéresse moins à la luxure qu’au corps dans sa globalité. Peu porté sur les mensonges cosmétiques et les simulacres du glam’, il préfère se pencher sur tous ces fluides que les tartuffes ne sauraient voir (« Voilà de quoi nous sommes faits : des tripes, de la merde et du jus gluant » écrivait Bukowski dans ses Contes de la folie ordinaire). Baiser, chier, faire gicler du lait maternel de son nibard : c’est aussi ça la vie, n’en déplaise aux apôtres du « bon goût » et autres bienséants faux-derches. Pour l’homme derrière Starship Troopers, la vérité se dissimule dans ce que le corps expulse. Par conséquent, elle se niche sous la peau (et ce même quand elle disparaît, cf. Hollow Man). Mais aussi sur la peau, lorsque celle-ci se découvre. La nudité de Virginie Efira est conquérante, puissante, intimidante. Telle Elizabeth Berkley dansant sur la scène du « Stardust » dans Showgirls ou Sharon Stone croisant/décroisant ses jambes lors de l’interrogatoire de Basic Instinct, la Sibyl de Justine Triet maîtrise son sex-appeal comme elle maîtrise son destin. Après son rôle de bigote dans Elle, Efira confirme que les obsessions verhoeveniennes lui siéent à merveille. Fiévreuse jusqu’au bout des seins, la belgo-française nous fait succomber à la tentation. Et nous rappelle à sa manière que, pour celles et ceux qui savent reconnaître l’inépuisable beauté de l’art, il n’existe ni péché ni blasphème. La toujours formidable Charlotte Rampling ne le sait que trop bien. Tout comme, bien évidemment, l’auteur de ce film-somme, miracle transgressif et flamboyant où Le Nom de la Rose s’acoquine avec la nunsploitation.

Benedetta. De Paul Verhoeven. France/Pays-Bas. 2021. 2h06. Avec : Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia…

SELLE D’ARGENT : they died with their boots on

Un gosse voit son fermier de père se faire flinguer par l’homme de main de Richard Barrett, un propriétaire terrien cupide et sans scrupules. Dans la foulée, le fiston tire sur le meurtrier et lui pique sa selle d’argent… Des années plus tard, le jeune orphelin est devenu un chasseur de primes du nom de Roy Blood (Giuliano Gemma). Lorsqu’on lui propose de liquider l’un des membres du clan Barrett, il se dit prêt à faire le job gratuitement. Mais le jour J, Blood ne peut se résoudre à remplir son contrat : sa cible n’est encore qu’un enfant, un p’tit gars prénommé Thomas (Sven Valsecchi). Au fil des événements, le « bounty hunter » va prendre fait et cause pour ce dernier… En France, Selle d’argent sort pour la première fois en 2018 grâce à l’éditeur vidéo Artus Films. Le dvd/blu-ray confectionné avec soin (comme toujours) par l’ours noir (ou blanc) permet enfin de découvrir dans nos contrées cet opus méconnu de Lucio Fulci. Quarante ans après son exploitation dans les salles italiennes, on peut dire qu’il était temps ! L’heure est donc venue de sauter en selle pour mater le troisième (et ultime) western du réalisateur de Murderock… Rappel des faits. En 1966, les colts chantèrent la mort et ce fut… Le Temps du massacre, chevauchée avec le diable lancée en plein âge d’or du western européen. En 1975, Les 4 de l’apocalypse sèment le chaos et se laissent étreindre par le crépuscule jusqu’à l’étouffement. En 1978, Selle d’argent opère une rupture radicale avec ses tumultueux prédécesseurs. Ce film « tout public » est censé faire renouer Fulci avec le succès, ses derniers longs ayant tous essuyé un bide (même le formidable L’Emmurée vivante). Malheureusement, Sella d’argento (rien à voir avec Dario, c’est juste le titre en VO) ne parvient pas davantage à séduire les spectateurs transalpins…

À la fin des seventies, le western all’italiana tire ses dernières cartouches. Keoma (1976) règle ses comptes sous un ciel de plomb, la « brute » de Sergio Leone dresse une longue file de croix pour Les Impitoyables (1976), Mannaja (1977) manie sa hache comme un Apache… Star du genre depuis les « Ringo » de Duccio Tessari, Giuliano Gemma garde toujours un doigt sur la gâchette. Il vient d’arpenter les grands espaces d’Adios California (1977) et n’hésite pas à remettre son Stetson pour Lucio Fulci. Dans Sella d’argento, le soldat déserteur du Texas de Tonino Valerii (transposition dans l’Ouest sauvage de l’assassinat de JFK) campe un dur au cœur tendre, un charismatique redresseur de torts. En enfilant ce cache-poussière taillé sur mesure, Gemma retrouve instantanément son panache d’antan. Comme à la grande époque du Dollar troué (le Blood adulte fait d’ailleurs son apparition à travers un clin d’œil au film de Giorgio Ferroni), cet ancien cascadeur bondit comme un félin, dégaine avec classe, distribue les bourre-pifs et fait chanter les bastos. Le long-métrage est à l’image de son héros : dynamique, généreux, attachant. Il n’y a donc aucun cynisme dans Selle d’argent. Ce qui fait de lui un western à l’ancienne, presque anachronique dans sa volonté d’ignorer les évolutions du genre. Le classicisme (pour ne pas dire l’élégance) de la mise en scène prouve que le talent de Fulci ne se limite pas à ses capacités d’adaptation (qui mieux que lui peut passer d’un univers à l’autre sans broncher ?). Son savoir-faire, il le met au service d’une péloche qui se tourne progressivement vers la lumière…

À la vendetta que laissait présager une intro sèche et brutale, le script d’Adriano Bolzoni (l’un des scénaristes de Pour une poignée de dollars) préfère se focaliser sur la relation père/fils qui se noue entre Roy Blood et Thomas Barrett Jr. L’âme de Selle d’argent se niche dans cette tendresse inattendue, ces sentiments qui naissent sur une terre aride, cruelle, impitoyable. Au contact du bambin, la colère de Blood s’étiole et son désir de vengeance s’estompe (un parcours similaire à celui de Josey Wales, « hors-la-loi » retrouvant son humanité au gré de ses rencontres). Pour autant, pas question pour l’auteur de Frayeurs d’expurger son récit de toute violence. Comme il l’avait déjà fait dans ses deux Croc-Blanc, le maestro recule les limites du film « familial » et n’aseptise en rien son propos. Les impacts de balles font jaillir l’hémoglobine (un aperçu de La Guerre des gangs qui s’annonce) et même cette tête blonde de Sven Valsecchi n’est pas épargnée (on l’engueule, on le baffe, on le fouette). Bref, on est bien chez Lulu (ou Fufu) ! Ce que confirme la présence de son chef-op’ fétiche, Sergio Salvati, et du trio musical derrière les sept notes en noir de L’Emmurée vivante, « Bixio-Frizzi-Tempera ». Le premier orne ses images d’un éclat diurne inhabituel, les seconds composent pour l’occasion une splendide ballade (le morceau Silver Saddle, chanté par le folkeux Ken Tobias). Celle qui sera l’énigmatique non-voyante de L’Au-delà (la rayonnante Cinzia Monreale) se distingue aussi parmi les seconds couteaux, tout comme l’affûté Geoffrey Lewis (truculent en charognard loqueteux surnommé « Two-Strike Snake »)… Moins traumatisant et tourmenté que les efforts les plus réputés de Fulci, Selle d’argent n’en reste pas moins une œuvre touchante et pleine d’espoir. Une petite pause avant l’ouverture imminente des sept portes de l’enfer…

Sella d’argento. De Lucio Fulci. Italie. 1978. 1h34. Avec : Giuliano Gemma, Cinzia Monreale, Geoffrey Lewis

LA FEMME-OBJET : (s)ex machina

Trop jeune pour te rendre dans une salle spécialisée en janvier 1981 ? Toujours pas abonné à Canal + le 1er mai 1988 ? Ton magnétoscope a avalé (et digéré) ta VHS René Chateau ? Ton pote Thomas P. s’est barré sur la Station spatiale internationale avec ton DVD Alpha France ? Pas de panique ! Grâce aux gars de chez Pulse Vidéo (en collaboration avec les américains de Vinegar Syndrome), tu vas pouvoir te mater en haute déf le film de culte définitif : La Femme-objet. Disons-le d’emblée, cette galette rutilante constitue la plus affriolante des éditions Blu-ray made in France (ex æquo avec la box Possession du Chat qui Fume). Qu’un éditeur se décarcasse pour mettre en valeur le porno dans ce qu’il a de meilleur est une initiative à applaudir des deux fesses. Surtout lorsqu’il n’hésite pas à offrir l’écrin le plus brillant à l’un de ses plus dignes représentants. Traiter avec toutes les considérations cinéphiles le chef-d’œuvre de Dr. Mulot et Mister Lansac n’est que justice. De par son exigence artistique, La Femme-objet parvient à abattre la cloison qui sépare le hard du cinoche traditionnel. Plus qu’une péloche cochonne, c’est une péloche tout court. Une vraie. Conçue par des pros, tournée en pellicule 35 mm et destinée à la projection en salle. C’était le bon temps ! Celui de l’âge d’or, quand les obstacles dressés par la loi de 1975 et son foutu classement X n’avaient pas encore anéanti un genre tout entier. Quand des cinéastes audacieux persistaient à livrer des bandes créatives, originales, personnelles. Des bandes avec beaucoup de baise mais aussi pas mal de sens.

À l’instar d’un Claude Bernard-Aubert (alias Burd Tranbaree) ou d’un Serge Korber (alias John Thomas), Claude Mulot ne débute pas sa carrière en filmant des « belles foufounes et du jus de roupettes » (pour reprendre l’intitulé d’une rubrique du fanzine Médusa). Son CV de metteur en scène, il l’entame néanmoins sous le signe du Bis. Spectateur des salles de quartier, Mulot donne volontiers dans l’anticonformisme. Dès la fin des sixties, il offre une Rose écorchée à Anny Duperey (une jolie incursion dans l’épouvante gothique), pratique une Saignée aussi thérapeutique qu’une bastos dans le crâne (une incision prenant la forme d’un polar insolite, cruel et habité) et scrute les émotions secrètes d’un jeune homme de bonne famille dans Les Charnelles (parmi celles-ci : la « franquienne » Anne Libert). Au mitan des années 70, Claude Mulot utilise le pseudo de Frédéric Lansac et s’essaye à la pornographie sur grand écran. Loin de constituer une contrainte ou un quelconque renoncement, la luxure pelliculée permet au réalisateur/scénariste de s’épanouir. Son entrée dans le « blue movie » hexagonal n’est que le prolongement « explicite » de son œuvre. Sans vendre son sguègue au diable, il aborde le X sans rien sacrifier à son regard d’auteur. Ses friponneries haut de gamme s’élaborent à partir d’idées fortes, font preuve d’irrévérence et d’à-propos, louvoient entre drame et comédie, entre ombre et lumière. Et tout ça entre deux parties de jambes en l’air !

Produit et distribué par l’incontournable Francis Mischkind (le patron du label Alpha France), La Femme-objet est l’ultime contribution de Mulot/Lansac aux films pour adultes (en tant que réalisateur du moins : ses véritables adieux au genre se font avec le script des Délices du Tossing de Gérard Kikoïne, en 1983). Qu’il soit posté derrière la caméra ou seulement devant sa machine à écrire, on doit à notre homme une dizaine de sarabandes pornos. La première est un classique de renommée mondiale : Le Sexe qui parle (1975). Le reste n’a pas à rougir (sauf de plaisir) surtout lorsque revient à l’esprit la délirante et féroce fin du monde de Shocking! (1976) ou ses deux fructueuses collaborations avec Brigitte Lahaie, « belle d’un soir » dans Suprêmes jouissances (1977) et prof débauchée dans Les Petites écolières (1980). Et comment ne pas évoquer le sublimement morbide Mes nuits avec… Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard (1976) ? Impossible. Ce choc (écrit par Mulot, shooté par Didier Philippe-Gérard alias Michel Barny) appartient à ces trésors ayant donné ses lettres de noblesse au hardcore. Un club dont fait aussi partie La Femme-objet. Cet éblouissant chant du cygne relate l’histoire de Nicolas (Richard Allan), un écrivain de SF doublé d’un sex addict. Insatiable jusqu’à la dernière goutte de liqueur séminale, il dévore et épuise ses partenaires. À tel point que ses conquêtes féminines finissent toutes par le larguer. Pour ne pas se retrouver seul face à ses besoins sexuels, le queutard fabrique alors sa « bionic woman ». Ce robot, baptisé Kim (Marilyn Jess), est censé accomplir tous ses désirs. À moins qu’une volonté naissante ne vienne enrayer la machine…

Cinéphage invétéré, fantasticophile averti, Claude Mulot profite de La Femme-objet pour rendre hommage aux pouvoirs de l’imaginaire. Tel Frankenstein, Nicolas joue les Prométhée modernes, se prend pour Dieu, défie la logique et les croyances. À la différence près que le romancier n’agit ni pour la science ni pour l’humanité, mais seulement pour assouvir ses pulsions libidinales. Ce qui n’empêche pas ce geste purement égoïste de provoquer la chute de l’apprenti sorcier et de suivre la même trajectoire que le chercheur monomaniaque de Mary Shelley… La « fiancée » de Nicolas, Kim (un clin d’œil à l’actrice Kim Novak), représente pour son inventeur l’idéal féminin, un fantasme de cinéma à l’image de la Raquel Welch de One Million Years B.C. (l’affiche du film traîne dans le décor, comme celle de Tobor the Great). Cette « Frankenhooker » avant l’heure préfigure les cyber-prostituées de la série Westworld (un parc d’attractions où les visiteurs peuvent forniquer avec des gynoïdes dernier cri) et annonce l’émergence de ces poupées sexuelles de plus en plus perfectionnées (nul doute que les technologies du futur parviendront à faire des femmes des automates consentants…). Visionnaire, La Femme-objet devance également la teen comedy Une créature de rêve (John Hughes, 1985), récit d’une drôle d’expérience menée par deux geeks concevant une nana synthétique. Ou encore la BD de Manara, Le Déclic (le premier tome sort en 1984), dans laquelle un émetteur active une puce implantée dans le cerveau d’une bourgeoise afin de la transformer en nympho (c’est aussi une télécommande qui contrôle Kim)… Et pendant ce temps-là, un jouet R2-D2 trône sur le bureau de notre fou de la braguette. Ce qui ne doit rien au hasard…

ATTENTION SPOILER : SI TU N’AS PAS ENCORE REJOINT LA FEMME-OBJET DANS SON PLUMARD, SAUTE CE PARAGRAPHE !

Dans La Femme-objet, la question de l’intelligence artificielle sert à remettre en cause la place de l’homme au sein du couple. En se révoltant contre son créateur, Kim brise les certitudes de ce phallo de Nico, le fait descendre de son piédestal. Ce serial fucker écrase les femmes sous le poids de sa lubricité, les possède comme bon lui semble puis les accuse de ne pas être à la hauteur. Et si c’était l’inverse ? Ce malin de Mulot opère lors de la dernière bobine un retournement de situation aussi osé qu’ironique. Les rôles s’échangent : le dominant prend la place du dominé. Le maître se mue en esclave. Nicolas devient alors l’homme-objet, Kim une femme-sujet. Rabaissé à son tour au rang de vulgaire sex-toy, le premier se soumet à la seconde et se voit enfin tel qu’il est : un toxico du slibard prêt à s’avilir pour avoir sa « dose »… Le pouvoir change donc de camp. Mais cet élan féministe ne peut compenser la froideur des relations dépeinte par l’auteur du Couteau sous la gorge. Chez lui, la gent masculine est condamnée à s’envoyer en l’air avec des gonzesses factices, des machines programmées pour copuler. En acceptant ce simulacre de volupté, les hommes ne valent pas mieux que des pantins réduits à leurs instincts primaires. Un commentaire prophétique sur l’avenir du X ? Sans doute. Pour l’heure, l’amour est encore une fête. Demain, la chair sera triste et s’étalera sur internet jusqu’à la nausée… Nihiliste mais clairvoyant, La Femme-objet ausculte nos pires travers pour mieux décrire ce qui nous attend. Pour un peu, on se croirait dans un épisode de la série d’anticipation Black Mirror !

Suscitant la réflexion grâce à son étonnante progression dramatique, La Femme-objet n’est pas seulement stimulant sur le fond, il l’est aussi sur la forme. La caméra est libre d’aller où elle veut, caresse aussi bien les visages que les parties intimes, cherche les angles les plus aventureux, se glisse même sous les draps lors d’une étreinte entre le légendaire Richard « Queue de béton » Allan et sa compagne d’alors, Nicole Segaud (alias Hélène Shirley). Quant à la lumière, elle peut se montrer douce et tamisée (le temps d’une séquence, un rayon de soleil se faufile dans la pénombre de la chambre à coucher) ou surnaturelle et baroque (des néons bleus plongent le laboratoire du héros dans des ténèbres fluorescentes). Au travail remarquable fourni par le directeur de la photo François About (assisté de Thierry Arbogast, le chef-op’ de Nikita), s’ajoute la fabuleuse musique de Jean-Claude Nachon. Une partition électro-pop qui émoustille les écoutilles ! Si François de Roubaix avait composé la BO d’un boulard, elle ressemblerait à cette merveille… Précisons également qu’un certain Pitof s’occupe ici du montage. Oui, il s’agit bien du futur réal de Vidocq et Catwoman ! Mais l’épicentre de ce tremblement de chair n’est autre que l’orgasmique, l’aphrodisiaque, l’explosive Marilyn Jess (de son vrai nom Dominique Troyes). Sa « Stepford wife » en cuissardes a l’air si réelle, si chaude, si vivante qu’elle en devient fascinante. Seule une comédienne de talent peut réussir à incarner une telle chimère. Icône d’une époque révolue, mais à tout jamais dans nos cœurs, celle que l’on surnomme « Patinette » n’a pas fini de nous rendre pornostalgiques…

La Femme-objet. De Frédéric Lansac. France. 1981. 1h26. Avec : Marilyn Jess, Richard Allan, Hélène Shirley

A GOOD WOMAN : sympathy for lady vengeance

Une hache encrassée par du sang séché. Une femme déterminée, captive de son objectif. Deux profils aussi acérés l’un que l’autre. Dans la nuit fuchsia, l’arme se confond avec sa propriétaire Ce poster qui claque ne flatte pas seulement la rétine, il nous invite à faire la connaissance de Sarah Collins (Sarah Bolger). Une jeune irlandaise créchant avec ses deux gosses dans un quartier malfamé. Dans cette zone de non-droit, la vie ne lui fait pas de cadeaux. La police lui conseille de « passer à autre chose » lorsqu’elle demande où en est l’enquête sur le meurtre de son mari. Le vigile de la supérette lui fait des « propositions indécentes ». L’assistante sociale la prend pour une conne. Sa mère lui reproche d’avoir épousé un pauvre type. Pire que tout, Tito (Andrew Simpson), un dealer minable venant de barboter de la chnouf à la pègre locale, s’incruste chez elle pour y planquer son larcin. Cette petite frappe terrorise Sarah et la mêle à son trafic de poudre. Pas très malin et surtout très dangereux. Car, non loin de là, l’infâme Leo Miller (Edward Hogg), le boss de ladite pègre, se lance aux trousses de son voleur… Même sans ce foutu Covid, A Good Woman n’aurait jamais eu les honneurs d’une sortie au cinéma. En France, ce film bis/indé tout sauf « standard » débarque en VOD et en DVD chez M6 Vidéo (mais sans l’option Blu-ray, faut pas non plus pousser). Au moins, il n’a pas été récupéré par une plateforme de streaming…

Quoi qu’il en soit, A Good Woman (version courte du titre original A Good Woman is Hard to Find) est une nouveauté non seulement à découvrir mais aussi à défendre. Pourquoi ? Parce que cet inédit de qualité ne s’excuse jamais d’être noir comme l’ébène, violent comme le quotidien des laissées pour compte. Le film frappe fort, cogne juste et en a suffisamment dans le ventre pour susciter l’émotion. Rien à voir donc avec les vulgaires DTV dont raffolent les chaînes de la TNT… Après une dizaine de courts-métrages (le premier, The Sand One, date de 1998), deux longs (Shooting Shona et Road Games avec la grande Barbara Crampton), Abner Pastoll plante sa caméra en Irlande du Nord et en Belgique pour shooter A Good Woman. Seize jours plus tard, c’est dans la boîte ! Quand on a pas le budget d’un Godzilla vs Kong, il faut tourner vite. Et si possible, sans bâcler le taf. Le soin apporté à la forme prouve que ce planning serré n’a pas eu raison de l’entreprise. Mieux que ça, la péloche ne s’autorise aucune afféterie visuelle. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en reluquant le visuel situé plus haut, Pastoll ne se prend pas pour Nicolas Winding Refn. Aux longues poses éclairées au néon du second, le premier préfère affronter le réel sans esbroufe mais avec juste ce qu’il faut de style. Home invasion virant au revenge flick, A Good Woman est un film de genre doublé d’un drame social crédible. Pour cela, pas besoin non plus d’abuser de la shaky cam ou de se la jouer Ken Loach…

De par sa puissance viscérale et son regard sans concession, A Good Woman évoque plutôt l’excellent Harry Brown (Daniel Barber, 2009). Ce vigilante sous-estimé nous présente un veuf (Michael Caine, bouleversant) vivant dans une banlieue londonienne rongée par le narco business et abandonnée par les pouvoirs publics. Le constat âpre et nihiliste de Barber rejoint celui de Pastoll : pour celles et ceux qui habitent au « mauvais endroit », il n’existe pas d’autre choix que de se battre pour trouver une échappatoire. Dans cet abîme urbain, il ne fait pas bon vieillir ou être une nana… À travers le parcours brutal de son héroïne, A Good Woman dresse le portrait d’une femme ordinaire qui, dans ce monde sans merci, devient d’abord une victime toute désignée. Avant de faire d’elle une « brave one » appliquant sa « death sentence », Pastoll et son scénariste Ronan Blaney prennent le temps de lui donner de la chair, un caractère, une âme. En deux, trois séquences bien senties, ces derniers parviennent à rendre leur protagoniste aussi attachante qu’authentique, et ce même dans les moments les plus inattendus (cf. la mésaventure semi-comique autour de la pile déchargée d’un godemichet). Dès lors, le deuil impossible de Sarah et l’amour qu’elle porte à ses enfants deviennent aussi palpables que son désarroi et sa colère grandissante. Et pour cause : le visage marqué de la Miss Collins ne nous est pas inconnu. C’est celui de toutes ces femmes qui peinent à joindre les deux bouts, luttent sans relâche pour se faire respecter et protègent leurs mômes quoi qu’il en coûte. Des « good women », en somme.

À l’instar du génial Sudden Impact (à la fin duquel Eastwood renonçait à coffrer la vengeresse Sondra Locke), Abner Pastoll considère que son ange exterminateur a déjà suffisamment morflé et, par conséquent, refuse de la condamner une seconde fois. Le cinéaste reste aux côtés de Sarah jusqu’au bout, ne la lâche jamais et, surtout, lui offre cette justice que les institutions ont échouée à rendre. En outre, le script a la bonne idée de nous épargner les clichetons du genre (l’acolyte bienveillant ou le bon flic de service sont ici aux abonnés absents), sans pour autant parvenir à éviter toutes les facilités (le « pur hasard » relie l’héroïne au bad guy en chef, un sociopathe incarné de façon un peu trop « théâtrale » par Edward Taboo Hogg). Ces infimes détails ne viennent jamais rompre l’équilibre global, n’entament en rien le réalisme de l’ensemble. Et ce n’est pas tout. A Good Woman possède un autre atout dans sa manche : Sarah Bolger. Retenez bien ce nom ! En guise d’intro, elle nous présente sa figure tachée d’hémoglobine puis file sous la douche afin de purifier son corps de la cruauté qui l’entoure. D’emblée, cette jeune comédienne emporte notre adhésion, nous persuade que cette maman dans la mouise existe bien au-delà de la fiction. Dans le passage le plus extrême du film (pour ne pas dire le plus « tranchant »), elle nous transmet sa rage, sa nausée, sa force. Et quand sonne l’heure de la vengeance, elle se permet même un petit hommage à la regrettée Zoë Lund de Ms .45. Si elle était encore parmi nous, celle-ci aurait certainement remarqué que les yeux clairs de Sarah Bolger irisent le chaos. 

A Good Woman Is Hard To Find. D’Abner Pastoll. Royaume-Uni/Belgique. 2020. 1h37. Avec : Sarah Bolger, Edward Hogg, Andrew Simpson

LA ROUTE DE SALINA : summer of death

Quelque part au Mexique. Un vagabond prénommé Jonas (Robert Walker Jr.) use ses pompes sur la route de Salina. Cerné par un désert de caillasses, il ne demande qu’à se mettre à l’abri de ce soleil qui cogne et enchaîne les rounds. Son vœu est exaucé lorsqu’il aperçoit une maison isolée, refuge inespéré bordant l’asphalte. À peine a-t-il le temps de demander l’hospitalité que la propriétaire des lieux, Mara (Rita Hayworth), l’accueille à bras ouverts. Et pour cause : elle le prend pour Rocky, son fils disparu. Beaucoup trop vanné pour contredire son interlocutrice, Jonas se prête au jeu et file se pieuter à l’ombre. Mais la fougueuse et ô combien charmante Billie (Mimsy Farmer), la fille de Mara, va lui faire passer l’envie de reprendre son chemin… Le vingt-deuxième titre de la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret nous rappelle que Georges Lautner n’est pas l’homme d’un seul film, d’un seul genre, d’un seul style. Si ses incontournables Tontons Flingueurs (1963) ont fait de lui la référence du polar ironique, la carrière de cet auteur populaire ne se résume ni aux répliques immortelles d’Audiard ni aux silencieux qui sifflent comme dans un cartoon. Chez lui, la comédie fricote avec le drame, le Monocle marche ou crève, le septième juré bouffe des pissenlits par la racine. Lautner n’a jamais eu peur de la nuit. Souvenons-nous des Seins de glace (1974), suspense sépulcral adapté de Richard Matheson; de Mort d’un pourri (1977), thriller politique désabusé jusqu’à la moelle.

Faire de Lautner un simple artisan, un bon technicien, serait tout aussi réducteur. Le ranger du côté de l’académisme, de la tradition, serait carrément une erreur. Le réalisateur du Professionnel n’est pas Gilles Grangier ou Denys de La Patellière. Quand Gabin veut lui imposer son propre staff sur Les Tontons Flingueurs, il l’envoie bouler. Faudrait pas prendre le jeunot pour un cave. Visiblement, le boss du clan des Siciliens n’en veut pas trop au petit effronté puisqu’ils tournent ensemble un policier résolument moderne, Le Pacha. Lautner plonge alors Gabin dans un monde qui le dépasse, celui de Mai 68 et du Requiem pour un con de Gainsbourg. Cette France qui bouge attire un Georges Lautner curieux et attentif à l’air du temps. Après avoir abordé le thème de la révolution sexuelle dans Galia (1966), le cinéaste souhaite approcher la contre-culture hippie en transposant à l’écran un bouquin de Maurice Cury, Sur la route de Salina. Avec une équipe aussi française que lui (et des dépenses budgétaires partagées avec l’Italie), le fils de Renée Saint-Cyr part alors aux Canaries pour shooter en anglais ce qui s’intitule La Route Salina. Censé se dérouler au pays d’Alfredo Garcia avec des gringos en guise de protagonistes, cette production internationale nécessite une distribution essentiellement américaine. Flashforward. Notre film sort dans l’Hexagone le 10 novembre 1970. Le public n’adhère pas, les critiques sont mitigées. Lautner tourne la page et embraye sur Laisse aller… c’est une valse ! Pas de bol : La Route de Salina débouche sur l’impasse des joyaux maudits.

À première vue, si Mimsy Farmer se retrouve sur la route de Salina, c’est grâce à sa participation au film culte qui l’a révélée : More (1969). Impossible : cette œuvre phare du mouvement hippie débarque dans les salles pendant le tournage du Lautner. Par conséquent, ce dernier n’a pas pu choisir sa comédienne en fonction du Barbet Schroeder. Pourtant, outre la présence de la fantastique Mimsy, les deux longs-métrages se rejoignent dans leur volonté de capter les soubresauts d’une époque, de se glisser dans la « parenthèse enchantée ». Avec, au bout de l’expérience, le même constat : tous les rêves se brisent au réveil. Au final, les utopies (comme les psychotropes) ne servent qu’à s’enfermer dans une illusion et parviennent rarement à changer le monde… La liberté de vivre pour jouir ne dure qu’au présent, instant fugace où la jeunesse ne s’embarrasse ni du passé ni de l’avenir. Dans La Route de Salina, la mer s’agite comme les corps amoureux de Billie et Jonas. Le soleil n’est qu’un astre polaire en comparaison de ces amants caniculaires s’abandonnant à oilpé sur une plage abandonnée. Du sable noir se colle sur leur peau moite, la marée monte sans pouvoir éteindre leur flamme… Mais avant l’acte, il y a ce moment où le désir devient incontrôlable, où le fantasme déborde sur le réel. Les cheveux encore mouillés par la douche qu’elle vient de prendre, Billie laisse choir sa serviette de bain et se dirige sans dire un mot dans le lit de Jonas. La nudité de Mimsy – naturelle et éclatante – justifie à elle seule l’existence du cinématographe.

Chez Lautner, ce « summer of love » se manifestera sous un angle beaucoup plus fendard dans Quelques messieurs trop tranquilles (1973), récit d’une rivalité opposant des babas cools à des villageois récalcitrants. Rien à voir donc avec La Route de Salina, tragédie précipitant ses personnages dans un gouffre passionnel au fond duquel les sentiments relèvent tous du pathologique. Malgré l’éclosion du « flower power », les idéaux ne résistent pas à la misère mentale et affective. Mieux vaut s’éprendre d’une chimère que de se retrouver seul(e) dans un tombeau à ciel ouvert… Si l’amour des feintes alimente ce simulacre mortifère, c’est pour dissimuler un secret des plus malsains (le giallo n’est pas loin). Les codes du film noir (la voix off du héros relate en flashback ce qui lui est arrivé) entretiennent le mystère jusqu’au dénouement, un twist en forme de retour cruel à la réalité… Celle-ci se manifeste aussi à travers l’immensité aride des décors (mais s’éloigne lors de brèves respirations balnéaires) que le chef op Maurice Fellous dépeint avec goût, c’est-à-dire en écran large (spaghetti western style). De son côté, Lautner s’autorise quelques images oniriques s’inscrivant dans la lignée hallucinogène de Zabriskie Point (1970). Ce classique « sex, drugs and rock’n’roll » se distingue, entre autres, par sa bande-son mythique (avec les Pink Floyd en tête). La Route de Salina n’a pas à rougir de la comparaison, tant la BO du groupe Clinic, de l’orchestrateur Bernard Gérard et du regretté Christophe (alors en pleine mutation musicale) s’impose comme un chef-d’œuvre de rock psyché. Ni plus ni moins.

À l’heure où les jeunes rejettent le mode de vie de leurs parents, le casting de La Route de Salina confronte à sa façon la nouvelle génération à l’ancienne. Cette dernière est représentée par deux vétérans du cinéma américain : Rita Hayworth et Ed Begley. La carrière de l’icône glamour de Gilda (1946) bat de l’aile lorsqu’elle prête ses traits à Mara. Depuis de nombreuses années, la « Dame de Shanghai » lutte contre la maladie d’Alzheimer et son addiction à l’alcool. Ce qui ne l’empêche pas, devant l’objectif de Lautner, de se montrer bouleversante en mère rongée par la solitude et la folie. Petite précision : Lovely Rita tient là son antépénultième rôle. Elle prendra sa retraite deux ans plus tard… Quant à Ed Begley, il tourne ici le dos à son emploi habituel de bad guy carnassier (cf. Pendez-les haut et court, 1968). Et joue un vieil homme dont la dureté s’est muée en tendresse avec le temps. Une prestation touchante, la dernière de son interprète qui disparaît le 28 avril 1970… Face à cet âge d’or d’Hollywood qui s’achève, Robert Walker Jr. (déjà membre de la communauté hippie dans Easy Rider) campe avec justesse un loser thompsonien piégé dans un nid de crotales. Comme lui, nous sommes totalement sous l’emprise de la troublante Mimsy Farmer. À la fois solaire et ténébreuse, la Nina de Quatre mouches de velours gris incarne la plus attirante des ambivalences. Son sourire mutin est un leurre, sa blondeur rayonnante un appât, mais peu importe : les névroses ne sont jamais aussi sublimes que lorsqu’elles s’emparent de cette excellente comédienne. Grâce à elle, La Route de Salina n’est pas seulement poisseux, déchirant et crépusculaire, il est aussi d’une sensualité à faire fondre le bitume.

La Route de Salina. De Georges Lautner. France/Italie. 1970. 1h36. Avec : Mimsy Farmer, Robert Walker Jr, Rita Hayworth

LES DAMNÉS : black leather, black leather, kill, kill, kill

Parmi les trésors de la Hammer que les mordus de « british terrors » peuvent débusquer chez ESC, il y en a un qui sort du lot : Les Damnés. Bien entendu, il ne s’agit pas du premier volet de la trilogie allemande de Visconti mais plutôt du film homonyme de Joseph Losey. Encore une fois, l’édition vidéo permet de (re)découvrir dans des conditions optimales une pièce rare et oubliée. On ne s’en privera pas, d’autant plus qu’il est ici question d’une œuvre atypique. Atypique parce qu’en totale rupture avec les monstres gothiques en technicolor qui ont fait la renommée de la société anglaise. Et surtout, atypique parce qu’un cinéaste étranger à la série B horrifique se retrouve derrière la caméra. Comme vous le savez, Losey n’est pas un habitué des studios de Bray (contrairement à Terence Fisher, par exemple). Après avoir frayé avec Hollywood (le temps, entre autres, de nous présenter son Garçon aux cheveux verts, 1948), le bonhomme se fait blacklister pour ses penchants communistes et s’exile au pays de Peter Cushing. Le court-métrage A Man on the Beach (1956) signe alors la première collaboration entre l’expatrié et la Hammer. Il aurait même pu enchaîner avec une autre production de cette dernière (X the Unknown), si son acteur principal (l’anti-rouge Dean Jagger) ne l’avait pas fait virer du projet… Heureusement, Joseph Losey prend sa revanche avec Les Damnés, un film de commande bien moins impersonnel qu’il n’y paraît…

Simon Wells (Macdonald Carey), un touriste américain, se promène tranquillou à Weymouth, une station balnéaire du sud de l’Angleterre. Lorsque ses yeux se posent sur Joan (Shirley Anne Field), il cède à la tentation. Ce qui n’est pas du goût du frère possessif de la nénette, King (Oliver Reed). Un chef de bande, un malfaisant qui, au coin d’une rue, tabasse le pauvre Simon. Malgré la rouste qu’il s’est pris, ce dernier s’enfuit avec Joan. En voulant semer King et son « motorcycle gang », le couple tombe sur une installation militaire et rencontre des gosses pour le moins étranges… The Damned évolue d’une manière plutôt inattendue. Le film commence comme un drame social sur fond de délinquance juvénile, trace les contours d’une idylle impossible et laisse son argument fantastique dans l’ombre avant de le faire exploser lors du dernier acte. L’introduction électrisée par la chanson pop « Black Leather Rock » (un titre composé par un James Bernard plus habitué à l’épouvante symphonique) semble inscrire l’entreprise dans la sous-culture des blousons noirs popularisée par L’Équipée sauvage (1953). Les « teddy boys » sur lesquels règne un « roi » impétueux et sardonique (Oliver Reed, écrasant de présence) et le duo romantique Simon/Joan entretiennent une rivalité qui ne sert en aucun cas de bouche-trou scénaristique. La traque des seconds par les premiers permet surtout au récit de faire le lien avec ce qui se cache derrière les clôtures d’une base secrète appartenant à l’armée de Sa Majesté…

The Damned. Un titre qui fait de l’œil à Village of the Damned (1960). Et pour cause : la Hammer compte bien profiter du succès de cette péloche assaillie par une horde de blondinet(te)s flippant(e)s. Le roman adapté par Losey (The Children of Light de H.L. Lawrence, 1960) est lui-même déjà inspiré du bouquin à l’origine du Wolf Rilla (The Midwich Cuckoos de John Wyndham, 1957). Pour autant, le réalisateur de Modesty Blaise ne fait pas de ses gamins des êtres malveillants. Mais les victimes d’une nouvelle ère, celle de la bombe atomique qui, en cette période de guerre froide, menace de tout (re)faire péter. Afin de ne pas trop spoiler, je ne rentrerai pas dans les détails. Sachez seulement que Losey en profite pour lancer un cri d’alarme contre le péril nucléaire, dénoncer l’inconscience de ces « maîtres de l’ombre » s’approchant dangereusement du « point limite ». Dans cette histoire, les véritables « salauds » ne ressemblent pas à des petits voyous vêtus de cuir mais à des « adultes » en costard ou en uniforme pour qui la raison d’État prime sur tout le reste. En creux, Joseph Losey dresse un portrait peu flatteur de la perfide Albion, se montre peu amène envers ses institutions. Autant dire que la fameuse « éducation à l’anglaise » en prend un sacré coup, la jeunesse voyant ici leur avenir compromis à cause de leurs aînés… Avant que la Terre ne prenne feu, quelques questions méritent d’être posées : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? Les générations futures s’échoueront-elles sur le « dernier rivage » ?

Avec Les Damnés, celui qui connaîtra la consécration avec The Servant (1963), transcende son sujet, incite à la réflexion et ce sans donner de leçons. Celui qui remportera une palme d’or pour Le Messager (1971) et des césars pour Monsieur Klein (1976) détourne une bande de SF pour en faire une parabole sur l’innocence bafouée. Une démarche qui ne témoigne d’aucune naïveté, comme l’attestent la lucidité implacable et le nihilisme glaçant des dernières images (on a rarement vu un dénouement aussi sombre dans une prod Hammer). Chez Losey, la peur émane du réel, vampires et autres loups-garous ne pesant pas lourd face à la folie des hommes et au pouvoir destructeur de l’atome… Engagé contre les politiques bellicistes mais pessimiste quant au devenir de l’humanité, Les Damnés ne met pas pour autant de côté son sens de l’esthétique. La beauté du noir et blanc (cadré, qui plus est, en « hammerscope » : la classe !) et des décors naturels (les falaises côtières du Dorset) adoucit la mélancolie ambiante sans faire oublier l’imminence d’un probable cataclysme… L’apocalypse se devine également à travers les créations de Freya, l’artiste jouée par une remarquable Viveca Lindfors. Ses sculptures évoquent des corps calcinés, ce qui n’a rien de fortuit… Et maintenant, il faut que je vous cause de la sublime Shirley Anne Field. Dans The Damned, son si doux visage atomise le falot Macdonald Carey et irradie les fêlures de son personnage, une fragile sirène rêvant d’un autre monde. Pas de doute, cette Shirley Anne Field est à se damner…

The Damned. De Joseph Losey. Royaume-Uni. 1962. 1h32. Avec : Shirley Anne Field, Oliver Reed, Viveca Lindfors…

BONUS

Comment vendre un objet aussi singulier ? C’est la question à laquelle la Hammer n’a pas su répondre. Résultat, la promotion de The Damned a été négligée… et les salles désertées. Pourtant, le magazine Film Review avait tout misé sur la renversante Shirley Anne Field. Dans un monde parfait, cette couv aurait fait flamber le box-office…

J’ai fait la connaissance de Shirley Anne Field dans les pages du Hammer Glamour de Marcus Hearn (en couverture : Madeline The Vampire Lovers Smith). Un ouvrage de référence dédié aux plus grandes actrices de la firme au marteau. La photo de la miss, par ailleurs prise sur le set de The Damned (la plage de Chesil ?), m’avait littéralement subjugué (voir ci-dessous)…

Si Shirley Anne Field a été imposée à Losey (qui ne voulait pas d’elle), force est de constater que sans cette comédienne Les Damnés ne serait pas tout à fait le même… On peut aussi admirer cette Anglaise née le 27 juin 1938 (ou 1936 selon les sources) dans plus de soixante-dix rôles, au cinéma comme à la télévision. Sa carrière débute en 1955 et s’étale jusqu’au mitan des années 2010.

La filmo de Shirley Anne Field ne se limite pas à The Damned. Dotée d’un parcours professionnel assez riche, elle a eu pour partenaire Michael Gough (Crimes au musée des horreurs, 1959), Karlheinz Böhm (Le Voyeur, 1960), Laurence Olivier (Le Cabotin, 1960), Christopher Lee (Beat Girl, 1960), Steve McQueen (L’Homme qui aimait la guerre, 1962), Yul Brynner (Les Rois du soleil, 1963), Michael Caine (Alfie, 1966) ou encore Daniel Day-Lewis (My Beautiful Laundrette, 1985)…

À l’instar de Barbara Shelley, Yvonne Monlaur, Ingrid Pitt, Caroline Munro, Valerie Leon, Yutte Stensgaard, Yvonne Romain, Martine Beswick, Marie Devereux, Linda Hayden, Susan Denberg, Veronica Carlson, Dana Gillespie, Victoria Vetri ou les sœurs Collinson, Shirley Anne Field a contribué à rendre les ténèbres hammeriennes encore plus flamboyantes…

UNDER THE SKIN : elle est d’ailleurs

Les ufologues cinéphiles vous le diront : Under the Skin entre aisément dans la catégorie OFNI (Objet Filmique Non Identifié). Car, si les extraterrestres ont souvent envahi le cinéma (même les gendarmes de Saint-Tropez n’ont pas été épargnés), rares sont les péloches du troisième type à être aussi singulière que celle de Jonathan Glazer. Réinventer les grands motifs de la SF, quitte à flirter avec l’abstraction, est le défi que s’est lancé le réalisateur de Birth (starring Nicole Kidman). Qui n’a pas déjà aperçu dans son télescope un engin spatial s’apprêtant à atterrir dans nos contrées ? Qui n’a pas encore croisé des « choses » animées de mauvaises intentions, comme des clowns tueurs venus de l’espace ou des extra sangsues ? La plupart d’entre nous, je présume. Pourtant, les premières images d’Under the Skin nous immergent d’emblée dans l’inconnu. Des cercles fabuleux et des rayons C brillent dans les ténèbres intersidérales, un œil s’ouvre à l’univers en gros plan, une voix tente d’assimiler un nouveau langage. Seul le poète peut imaginer l’infini et le représenter comme dans un rêve. Certes, aller aussi loin que l’insurpassable 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick reste impossible. Mais tout là-haut, au-delà de nos songes les plus fous, Glazer sait que quelque chose nous échappe, nous effraie, nous éblouit… Cette sublime intro hypnotise le spectateur. La suite va le sortir de sa zone de confort pour le précipiter dans des abîmes qui lui sont étrangement familiers…

Lorsque la couleur est enfin tombée du ciel, les lumières s’éteignent brutalement. Nous faisons alors la connaissance de notre « visiteuse » (il ne s’agit pas de Tabatha Cash, bande de p’tits coquins). Who goes there ? Une alien revêtant les formes avantageuses de Scarlett Johansson afin de séduire les mecs. Elle ne veut pas copuler avec eux, elle veut seulement voler leur peau. Littéralement, façon Leatherface. Pourquoi ? Nous ne le saurons jamais. Jonathan Glazer entretient volontairement le mystère et laisse à notre esprit le soin de combler les trous. L’inexplicable s’épanouit davantage dans les ombres… et les recoins les plus sordides de Glasgow. Le cinéaste choisit pour son héroïne stellaire le plus morne des décors, celui d’une Écosse anti-carte postale où la grisaille domine. L’approche quasi documentaire adoptée lors de certaines séquences contribue à fondre l’extraordinaire dans l’ordinaire, l’irréel dans le réel. Une froideur clinique contamine lentement le récit et finit même par provoquer le malaise (pour ça, rien de tel que la vue d’un bébé abandonné sur une plage déserte et chialant à chaudes larmes face à une mer agitée). Sorte d’épisode d’X-Files shooté par Bresson, Under the Skin n’hésite pas à faire basculer cette réalité dans le fantastique pur. Ensorcelés par « ScarJo », des queutards à oilpé se noient progressivement dans les eaux sépulcrales d’une twilight zone plongée dans un noir monochrome. Conçu comme un ballet charnel et morbide, ce piège pour collectionneuse d’épidermes flotte dans l’air vicié du plus soyeux des cauchemars.

Ces parenthèses surréalistes ne sont pas l’unique source dans laquelle Under the Skin puise toute son étrangeté. Son pouvoir de fascination, il le tient également de sa tête d’affiche. Retrouver Scarlett Johansson dans une proposition de cinéma aussi rugueuse produit un décalage insolite, une délicieuse incongruité. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir une star de cette envergure évoluer dans un cadre aussi âpre. D’où un contraste saisissant entre la représentante du glamour hollywoodien et cette œuvre hors-norme. Sans « la jeune fille à la perle » de Peter Webber, Under the Skin ne serait pas tout à fait le même. Plus avenante que le Blob (mais pas moins létale), Scarlett se transforme en obscur objet de désir et promène sa grâce somnambulique au volant d’une camionnette d’occaz. Sur la route, la veuve noire attire les quidams dans ses filets, feint ses émotions et referme aussitôt son visage… Donner vie à ce qui demeure impassible, à ce qui n’est pas humain nécessite de jouer encore plus avec son corps, son aura, sa manière d’être au monde. Qu’elle soit entièrement synthétique (le cyborg de Ghost in the Shell), réduite à des prouesses exclusivement vocales (l’IA de Her) ou qu’elle vienne tout simplement d’ailleurs, la comédienne impose sa présence. Chez Glazer, Johansson se dévoile comme jamais, expose sa nudité en toute innocence (le passage où elle contemple son reflet dans le miroir, examine ses courbes, teste ses articulations, est bouleversant). Sous la peau de la Dano-américaine se cache un météore qui s’illumine dans la nuit.

Le merveilleux n’a pourtant pas sa place dans Under the Skin. Retraçant le parcours meurtrier d’une mangeuse d’homme d’outre-espace, le film s’apparente dans sa première partie à une version expérimentale de La Mutante (faut-il rappeler que la bestiole de ce B passable a été créée par le grand H.R. Giger ?). À mi-parcours, Jonathan Glazer prend un virage narratif passionnant. L’apparition d’un individu au faciès difforme (lointain cousin du John Merrick d’Elephant Man) vient brouiller les repères de la « body snatcher ». Cette confrontation la pousse à s’interroger sur son apparence, à questionner sa différence, à considérer son environnement. Parce qu’on ne peut donner du sens à l’insensé, parce qu’il n’y a rien de plus perturbant que d’être étranger à soi-même, la protagoniste s’égare dans des landes aussi brumeuses que sa quête existentielle. On aurait pu la croire aussi conquérante et redoutable que la Mathilda May de Lifeforce, il n’en est rien : Scarlett Johansson partage davantage de points communs avec le monstre de Frankenstein. Elle a peur. Elle est seule. Mais se retrouve à trois millions d’années-lumière de chez elle (si ce n’est plus). À l’optimisme d’un E.T., Under the Skin lui oppose une vérité occultée par les contes de fées : celle qui semblait être exceptionnelle s’avère en définitive aussi fragile et pathétique que nous. Errer dans les Highlands de Sir Sean ne fait pas forcément de vous une guerrière immortelle.

Under the Skin. De Jonathan Glazer. Royaume-Uni/États-Unis/Suisse. 2014. 1h48. Avec : Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams, Michael Moreland…

LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS 3 : l’amour ne meurt jamais

Re-Animator 2 n’a laissé qu’un seul regret à Brian Yuzna : celui de ne pas avoir suffisamment montré sa « fiancée de Frankenstein » (Kathleen Kinmont, héritière trash d’Elsa Lanchester). De cette frustration est née l’idée de faire d’une « living dead girl » le principal attrait du Retour des morts-vivants 3 (l’affiche du film traduit à merveille cette note d’intention). Il n’en fallait pas plus pour apporter un peu de sang neuf à une franchise démarrant de fort belle manière (Le Retour des morts-vivants, 1985) mais ternie par une suite poussive (Le Retour des morts-vivants 2, 1988). Si le troisième volet partage le même univers que ses prédécesseurs (mais sans en reprendre les personnages), il opère néanmoins un brutal changement de ton. À l’orientation comique des films de Dan O’Bannon et Ken Wiederhorn, Yuzna préfère une approche plus premier degré, voire carrément dark. La preuve avec le pitch of the dead qui suit. Deux jeunes tourtereaux, Curt (J. Trevor Edmond) et Julie (Melinda Clarke), ont un accident de bécane. Alors que le premier s’en tire avec quelques égratignures, la seconde rend l’âme à même le bitume. Totalement dévasté, Curt s’introduit avec le corps de sa dulcinée dans la base militaire où son colonel de père est affecté. Là, ce dernier teste sur des macchabées les effets de la Trioxine, un gaz qui réveille les morts… et sert à faire revenir Julie à la vie. Mais pas pour le meilleur, juste pour le pire…

Que faisiez-vous entre le 1er et le 6 février 1994 ? Vous n’étiez pas au festival Fantastic’Arts de Gérardmer par hasard ? Si oui, vous vous souvenez peut-être que le prix de public avait été décerné au Retour des morts-vivants 3. En ce temps-là, les zomblards n’avaient plus vraiment la cote mais, deux ans après le dantesque Braindead de Peter Jackson, le père Yuzna parvenait à tirer son épingle (sanguinolente) du jeu. Depuis, le récent blu-ray du Chat qui Fume a prouvé que le film n’a pas été oublié. Tant mieux puisque Return of the living dead 3 demeure l’une des franches réussites du moustachu (le déjà cité Bride of Re-Animator et le méchamment satirique Society font aussi partie du peloton de tête). En abordant l’art de la putrescence sous l’angle de la love story tragique, Brian Yuzna drape son œuvre d’une singulière étoffe. L’amour impossible au cœur du récit, impossible parce que les vivants et les morts ne sont pas censés occuper le même monde, pourrit comme la carcasse d’un pendu au soleil mais atteint la transcendance lors d’un final de toute beauté. Le jusqu’au-boutisme de ce romantisme noir dresse le même constat que le traumatisant Simetierre de Mary Lambert : ne pas accepter la perte, aussi injuste soit-elle, d’un être cher engendre inévitablement son lot de malheurs… Dans les deux cas, un baiser « contre nature » vient clore les débats, abolir les frontières, ébranler les normes, sceller les destins. Love never dies.

L’autre mérite du Retour des morts-vivants 3, c’est qu’il ne cache rien de la souffrance physique et psychique de Julie. L’automutilation qu’elle s’inflige est même justifiée. Consciente de son inexorable décomposition, la jeune femme réfrène ses pulsions cannibales en suppliciant sa chair, se fait du mal pour ne pas en faire aux autres. Sa faim s’apaise lorsqu’elle se taillade ou s’enfonce des bris de verre sous la peau. Dans les bras impuissants de Curt, Julie sent son corps la lâcher, lutte contre elle-même, tente de repousser l’instant fatidique où elle ne sera plus qu’une bête sauvage. Dans cette chronique de la douleur, le processus de zombification devient une longue agonie, à l’image du calvaire subi par Le Mort-vivant de Bob Clark. Reflet d’une détresse palpable et d’un chaos charnel, le look cadavérique de Julie inspire des émotions contradictoires. Effroyablement attirante, elle est Eros lacérant Thanatos, l’expression d’un désir nécrophile (un trouble également provoqué par Anna Falchi dans le très pertinemment nommé Dellamorte Dellamore). Que le sexe léchouille les nombreuses plaies de cette héroïne décadente est somme toute assez logique : la miss aurait très bien pu avoir sa place parmi les créatures sadomasos d’Hellraiser… D’une fébrilité émouvante, prenant le contre-pied du cliché de la victime féminine, Melinda (ou Mindy) Clarke incarne l’une des icônes les plus marquantes du « body horror ». Dommage que le reste de sa carrière (le zinzin Killer Tongue, l’embarrassant Spawn et un bon paquet d’épisodes de série TV) ne soit pas à la hauteur de cette performance…

Si Melinda a ici si belle allure, c’est notamment grâce aux maquillages d’une référence en la matière : Steve Vidéodrome Johnson. Ses collègues des effets spéciaux (des pointures comme Chris Nelson ou Wayne Toth) ne sont pas en reste et créent de saisissants cauchemars organiques (mention spéciale à ce zombie difforme qui s’anime soudainement et se déchire la couenne). Toutefois, en raison d’un budget ric-rac, certains trucages peinent à convaincre (les fausses têtes pâtissent d’un rendu bien trop grossier pour faire illusion). Des défauts, Le Retour des morts-vivants 3 en compte d’autres : câbles scénaristiques, figurants à la ramasse, musique cheapo-synthétique… Mais la capacité d’adaptation, le sens du rythme et la générosité gore de Yuzna parviennent à faire oublier ces quelques scories. Puisant son inspiration dans le style baroque des EC Comics (comme son compère Stuart Gordon) et le Day of the dead de Romero, le réalisateur montre les conséquences de l’ingérence militaire dans la recherche scientifique. S’ensuit des expériences interdites menées par une Sarah Douglas exquise en officier fourbe et cruel. Portant élégamment l’uniforme, avec en prime un petit côté Ilsa dans le regard, la comédienne nous rappelle qu’elle a été l’une des grandes « méchantes » des 80’s (Superman 2, Conan le Destructeur, V). Chez Yuzna, elle symbolise l’irresponsabilité des adultes (c’est-à-dire l’armée) face à une jeunesse rejetée et contrainte de fuir dans des égouts aussi délabrés que le corps de Julie. « Engagez-vous » qu’ils disaient.

Return of the living dead 3. De Brian Yuzna. États-Unis. 1993. 1h37. Avec : Melinda Clarke, J. Trevor Edmond, Sarah Douglas