A GOOD WOMAN : sympathy for lady vengeance

Une hache encrassée par du sang séché. Une femme déterminée, captive de son objectif. Deux profils aussi acérés l’un que l’autre. Dans la nuit fuchsia, l’arme se confond avec sa propriétaire Ce poster qui claque ne flatte pas seulement la rétine, il nous invite à faire la connaissance de Sarah Collins (Sarah Bolger). Une jeune irlandaise créchant avec ses deux gosses dans un quartier malfamé. Dans cette zone de non-droit, la vie ne lui fait pas de cadeaux. La police lui conseille de « passer à autre chose » lorsqu’elle demande où en est l’enquête sur le meurtre de son mari. Le vigile de la supérette lui fait des « propositions indécentes ». L’assistante sociale la prend pour une conne. Sa mère lui reproche d’avoir épousé un pauvre type. Pire que tout, Tito (Andrew Simpson), un dealer minable venant de barboter de la chnouf à la pègre locale, s’incruste chez elle pour y planquer son larcin. Cette petite frappe terrorise Sarah et la mêle à son trafic de poudre. Pas très malin et surtout très dangereux. Car, non loin de là, l’infâme Leo Miller (Edward Hogg), le boss de ladite pègre, se lance aux trousses de son voleur… Même sans ce foutu Covid, A Good Woman n’aurait jamais eu les honneurs d’une sortie au cinéma. En France, ce film bis/indé tout sauf « standard » débarque en VOD et en DVD chez M6 Vidéo (mais sans l’option Blu-ray, faut pas non plus pousser). Au moins, il n’a pas été récupéré par une plateforme de streaming…

Quoi qu’il en soit, A Good Woman (version courte du titre original A Good Woman is Hard to Find) est une nouveauté non seulement à découvrir mais aussi à défendre. Pourquoi ? Parce que cet inédit de qualité ne s’excuse jamais d’être noir comme l’ébène, violent comme le quotidien des laissées pour compte. Le film frappe fort, cogne juste et en a suffisamment dans le ventre pour susciter l’émotion. Rien à voir donc avec les vulgaires DTV dont raffolent les chaînes de la TNT… Après une dizaine de courts-métrages (le premier, The Sand One, date de 1998), deux longs (Shooting Shona et Road Games avec la grande Barbara Crampton), Abner Pastoll plante sa caméra en Irlande du Nord et en Belgique pour shooter A Good Woman. Seize jours plus tard, c’est dans la boîte ! Quand on a pas le budget d’un Godzilla vs Kong, il faut tourner vite. Et si possible, sans bâcler le taf. Le soin apporté à la forme prouve que ce planning serré n’a pas eu raison de l’entreprise. Mieux que ça, la péloche ne s’autorise aucune afféterie visuelle. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en reluquant le visuel situé plus haut, Pastoll ne se prend pas pour Nicolas Winding Refn. Aux longues poses éclairées au néon du second, le premier préfère affronter le réel sans esbroufe mais avec juste ce qu’il faut de style. Home invasion virant au revenge flick, A Good Woman est un film de genre doublé d’un drame social crédible. Pour cela, pas besoin non plus d’abuser de la shaky cam ou de se la jouer Ken Loach…

De par sa puissance viscérale et son regard sans concession, A Good Woman évoque plutôt l’excellent Harry Brown (Daniel Barber, 2009). Ce vigilante sous-estimé nous présente un veuf (Michael Caine, bouleversant) vivant dans une banlieue londonienne rongée par le narco business et abandonnée par les pouvoirs publics. Le constat âpre et nihiliste de Barber rejoint celui de Pastoll : pour celles et ceux qui habitent au « mauvais endroit », il n’existe pas d’autre choix que de se battre pour trouver une échappatoire. Dans cet abîme urbain, il ne fait pas bon vieillir ou être une nana… À travers le parcours brutal de son héroïne, A Good Woman dresse le portrait d’une femme ordinaire qui, dans ce monde sans merci, devient d’abord une victime toute désignée. Avant de faire d’elle une « brave one » appliquant sa « death sentence », Pastoll et son scénariste Ronan Blaney prennent le temps de lui donner de la chair, un caractère, une âme. En deux, trois séquences bien senties, ces derniers parviennent à rendre leur protagoniste aussi attachante qu’authentique, et ce même dans les moments les plus inattendus (cf. la mésaventure semi-comique autour de la pile déchargée d’un godemichet). Dès lors, le deuil impossible de Sarah et l’amour qu’elle porte à ses enfants deviennent aussi palpables que son désarroi et sa colère grandissante. Et pour cause : le visage marqué de la Miss Collins ne nous est pas inconnu. C’est celui de toutes ces femmes qui peinent à joindre les deux bouts, luttent sans relâche pour se faire respecter et protègent leurs mômes quoi qu’il en coûte. Des « good women », en somme.

À l’instar du génial Sudden Impact (à la fin duquel Eastwood renonçait à coffrer la vengeresse Sondra Locke), Abner Pastoll considère que son ange exterminateur a déjà suffisamment morflé et, par conséquent, refuse de la condamner une seconde fois. Le cinéaste reste aux côtés de Sarah jusqu’au bout, ne la lâche jamais et, surtout, lui offre cette justice que les institutions ont échouée à rendre. En outre, le script a la bonne idée de nous épargner les clichetons du genre (l’acolyte bienveillant ou le bon flic de service sont ici aux abonnés absents), sans pour autant parvenir à éviter toutes les facilités (le « pur hasard » relie l’héroïne au bad guy en chef, un sociopathe incarné de façon un peu trop « théâtrale » par Edward Taboo Hogg). Ces infimes détails ne viennent jamais rompre l’équilibre global, n’entament en rien le réalisme de l’ensemble. Et ce n’est pas tout. A Good Woman possède un autre atout dans sa manche : Sarah Bolger. Retenez bien ce nom ! En guise d’intro, elle nous présente sa figure tachée d’hémoglobine puis file sous la douche afin de purifier son corps de la cruauté qui l’entoure. D’emblée, cette jeune comédienne emporte notre adhésion, nous persuade que cette maman dans la mouise existe bien au-delà de la fiction. Dans le passage le plus extrême du film (pour ne pas dire le plus « tranchant »), elle nous transmet sa rage, sa nausée, sa force. Et quand sonne l’heure de la vengeance, elle se permet même un petit hommage à la regrettée Zoë Lund de Ms .45. Si elle était encore parmi nous, celle-ci aurait certainement remarqué que les yeux clairs de Sarah Bolger irisent le chaos. 

A Good Woman Is Hard To Find. D’Abner Pastoll. Royaume-Uni/Belgique. 2020. 1h37. Avec : Sarah Bolger, Edward Hogg, Andrew Simpson

Auteur : Zoéline Maddaluna

Cinéphage électrique accro aux terrains vagues de l'imaginaire...

25 réflexions sur « A GOOD WOMAN : sympathy for lady vengeance »

  1. Tu additionnes ici de bons arguments pour avoir envie de découvrir cet inédit… privé de support HD.
    Le genre « vigilante movie » colle avec notre quotidien où l’explosion de la violence s’accompagne de l’aveuglement des politiques de tous bords et autres élites. A croire que l’Histoire se répète depuis Harry le charognard.

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  2. Je ne l’aurais pas mieux dit, Nico. Le « vigilante movie » a connu son essor dans les années 1970, période pour le moins tumultueuse. Aujourd’hui, rien n’a changé : le cinéma se fait le reflet de notre temps et ce qu’il nous montre n’est pas toujours joli joli. De quoi balancer son insigne à la flotte…

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  3. Excellent ! La collection « post-apo italien » de chez Pulse Vidéo s’agrandit. Notre futur sera atomique ou ne sera pas !
    Quant à la trilogie « Angel », j’ai reçu le coffret pas plus tard qu’avant-hier mais je ne l’ai pas encore maté ! Ça sera une découverte pour moi et je t’avoue que je n’ai pas résisté longtemps. Des nanas qui se la jouent Bronson dans les rues malfamées du L.A. des 80’s ? Il ne m’en faut guère plus pour être heureux ! 😃

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  4. Je ne connaissais pas du tout ce film, merci de me l’avoir fait découvert, c’est du genre que j’aime beaucoup ! 🙂 Et en plus, j’adore Sarah Bolger comme actrice, on ne la voit clairement pas assez ! 😉

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  5. Je te dirais ce que j’en ai pensé quand je l’aurai vu ! 😉 Ah, moi je la connais depuis un bon moment déjà, c’est pour ça que je te disais, qu’on ne la voit vraiment pas assez souvent !
    Je l’ai connue dans la « Les Tudors », où elle joue le rôle d’un personnage historique qui me fascine : Mary Tudor, première fille de Henri VIII, et qui deviendra par la suite, La Reine surnommé « Mary la sanglante » ! ^^
    Puis, je l’ai vu dans la série « Once Upon a Time » ou elle jouait merveilleusement la courageuse Aurore (La Belle au bois dormant).
    Et je l’ai vu dans deux films : « Crush », un Thriller vraiment sympa, et « Lazarus Effect », un film d’horreur sympa, mais qui réussi pas a aller a fond dans son concept.
    Voilà quelques pistes, si tu veux en voir plus avec elle ! 😉

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  6. Honte à moi, je n’ai toujours pas vu un seul épisode de la série « Les Tudors » ! Je vais tâcher d’y remédier (en plus, Natalie Dormer joue aussi dedans, je n’ai aucune excuse…). Je vais donc me pencher de plus près sur le travail de cette si talentueuse Miss Bolger…
    J’ai par ailleurs découvert qu’elle avait participé à une première adaptation TV de « Locke & Key » (projet avorté n’ayant pas dépassé le stade du pilote). Sinon, j’aimerais beaucoup découvrir cet autre film avec Sarah Bolger : « The Moth Diaries ». De l’horreur goth emballée par la réalisatrice de « American Psycho »…
    En tout cas, merci à toi pour toutes ces recommandations ! 😉

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  7. Oh oui, c’est une magnifique série à voir ! 😉 Puis, Natalie Dormer est sublime dedans ! 🙂 Et le personnage de Sarah Bolger était un de mes préférés ! 🙂
    Ah, je savais pas pou cette série avorté avec elle. Oh oui, ce film pourrait me plaire aussi, surtout que j’ai enfin découvert « American Psycho » ce week-end justement ! ^^
    De rien, et merci à toi aussi pour les recommandations ! 😉

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  8. Il m’a fallu quelques minutes pour remettre son joli minois. Mais c’est bien Marie la sanglante dans la série The Tudors. Je suis donc convaincu et vais me regarder ça !

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  9. Le film ne m’a déplu, pas emballé non plus à vrai dire .. 5/10 si j’avais à le noter.
    Une impression de déjà vu et un scénar trop attendu et facile à mon goût. Dans le genre ‘Aucun mâle ne sera épargné’ je voterai plutôt Carrie Mulligan dans ‘Promising Young Woman’ que Sarah Bolger ici même, sa façon de faire le taf si je puis dire est autrement plus crédible.
    ++

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  10. Bilan mitigé, donc. Ce 5 sur 10 va faire tache sur le carnet de Sarah Bolger. Une élève douée pourtant ! Ce « Promising Young Woman » m’a aussi tapé dans l’œil. J’ai hâte de voir Carey Mulligan en découdre avec la gent masculine !
    En tout cas, merci d’avoir partagé ton point de vue.

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