L’ANGE DE LA VENGEANCE : welcome to New York

« Aucun mâle ne sera épargné » nous prévient l’affiche (idée déco : celle-ci n’ornerait-elle pas les murs de votre salon avec un certain panache ?). Et croyez-moi, la sentence n’est pas à prendre à la légère. Si la belle dévoile ses longues gambettes, c’est pour mieux attirer sa proie dans une ruelle où personne ne vous entend crier. La feinte s’arrête lorsque le calibre 45 sort de sa cachette en résille pour faire gicler le sang du châtiment. Tel est le rituel adopté depuis son double viol par Thana (Zoë Lund), une jeune muette bossant dans un atelier de confection new-yorkais. Avec elle, la séduction mène à la mort, l’Éros à Thana(tos)… Après trois courts (dont un The Hold Up perpétré en 1972 et n’annonçant en rien celui avec Bébel), une bande cochonne (Nine Lives of a Wet Pussy, tourné en 1976 sous le pseudo de Jimmy Boy L) et un massacre à la perceuse (Driller Killer, 1979, une œuvre Friedkin approved), Abel Ferrara accouche avec L’Ange de la Vengeance de sa première œuvre d’importance, celle qui fera de l’enfant du Bronx un cinéaste à suivre. Pour cela, il s’empare de l’un des sous-genres les plus ambivalents du cinéma d’exploitation (mais pas seulement) : le rape and revenge. Un concept bien corsé qui emprunte autant à l’érotisme (la victime aguiche ses agresseurs avant de les punir) qu’au vigilante movie (le but de la manœuvre : faire payer aux fripouilles le prix de leur crime). Spéciale dédicace à Susan George envoyant du plomb dans la face de ses assaillants dans Les Chiens de Paille. À Christina Lindberg shootant au ralenti l’engeance masculine de Thriller – Crime à Froid. À Camille Keaton prenant un bain moussant avec un pedzouille afin de lui trancher les roustons dans Œil pour Œil. À Sondra Locke explosant les valseuses d’un bourrin à coups de .38 spécial dans Sudden Impact. « It’s no longer a man’s world ».

Mais L’Ange de la Vengeance ne se contente pas d’évoquer le souvenir d’une catégorie de péloche ayant fait les beaux jours des années 70/80. Il fait revivre à l’écran un New York aujourd’hui disparu. Celui de la 42ème rue et de ses alentours malfamés, celui des sex-shops triomphants et des cinoches déglingués, celui des camés et des clodos, celui des putes et des proxos, celui des paumés qui rêvent d’être quelqu’un et cherchent désespérément à prouver qu’ils existent. Il y a quarante ou cinquante ans, cette splendeur pestilentielle et déliquescente surnommée « The Deuce » n’était pas encore javellisée par le maire Rudy « Tolérance Zéro » Giuliani (elle le sera dès son premier mandat, au mitan des 90’s). Ms. 45 (titre original faisant référence au calibre utilisé par Thana) retranscrit la violence qui règne dans ce coupe-gorge à ciel ouvert, dépeint la faune interlope qui mijote dans cette cuisine de l’enfer. À l’instar de William Maniac Lustig ou de Frank Basket Case Henenlotter (deux réalisateurs ayant également bien connu Big Apple à cette époque), Ferrara s’imprègne totalement de ce chaos urbain et en témoigne presque à la façon d’un documentariste. Bénéficier d’un budget limité n’est pas un handicap pour l’auteur de China Girl. Plutôt que de jouer la carte de l’esbroufe intello pour festoche bourgeois, le rebelle Abel préfère coller sa caméra au plus près de la crasse humaine. De cette authenticité captée par un œil fiévreux naît la fiction. Fiction du réel dont la mise en forme révèle toute la maîtrise d’un artiste illuminé mais jamais diminué par son goût pour les paradis artificiels (ce qui ne sera pas toujours le cas, comme le démontrent Snack Eyes et The Blackout). Les images de L’Ange de la Vengeance sont percutantes (cf. la poursuite à pied s’achevant sur la bastos que se ramasse un gus en plein front), certains plans carrément sublimes (Thana posant ses lèvres rouges sur une balle avant d’aller en découdre) et d’autres joliment ciselés (le montage transforme le second viol en pic de tension rongé par une colère sourde).

Néanmoins, le talent de Ferrara réside dans sa faculté de s’approprier un genre codifié, de respecter le cahier des charges tout en déjouant les attentes des spectateurs. Si Ms. 45 demeure l’un des fleurons du rape and revenge, c’est aussi parce qu’il marque sa différence. Ainsi, l’humour (noir, forcément) trouve naturellement sa place dans un film qui n’hésite pas à verser dans l’outrance (chaque jour, Thana bazarde n’importe où un sac poubelle contenant un morceau de l’une de ses victimes). Intimement liés aux quartiers populaires de la Grosse Pomme, des personnages hauts en couleur viennent pimenter le récit (la voisine et son clebs s’incrustent constamment chez l’héroïne) et dévoiler l’humanité qui se cache derrière la misère (le dernier plan avec ledit clebs ne traduit rien d’autre que l’empathie de Ferrara pour sa justicière dans la ville). Mais au détour d’une rencontre tragique dans un bar avec un mec désabusé (Jack Thibeau, l’un des évadés d’Alcatraz de Don Siegel), un désespoir glauque et suintant nous rappelle que la mort est parfois préférable à la solitude, la souffrance, la désillusion… Vivre dans un rêve semble être la meilleure solution pour encaisser la réalité. Une poésie, une étrangeté, un « somnambulisme » (pour reprendre le terme de Jean-Pierre Dionnet) se dégagent alors de l’ensemble. L’Ange de la Vengeance enchaîne les évènements sans chercher la vraisemblance à tout prix, flotte au-dessus de ce monde dévoré par une violence omniprésente (parmi les hommes traînant dans la rue, la vigilante n’a aucun mal à trouver une cible potentielle). Les sonorités agressives, convulsives et obsédantes (et parfois étonnamment funky) du score de Joe Delia (frère de Francis, producteur et chef op du cultissime Café Flesh) renforcent cette impression d’évoluer dans un état second, comme prisonnier d’un songe sauvage et poisseux.

Le carnage final, dans lequel l’ange du titre arbore un seyant costume de nonne lors d’une halloween party, constitue le point d’orgue de ce trip punitif. Zébrée d’éclairs baroques et tétanisée par un ralenti apocalyptique, la séquence libère toute la rage de la flingueuse (dont le look renvoie ici au catholicisme torturé de Ferrara). Plus qu’aux sales types qui l’ont détruite, celle-ci en veut surtout à la terre entière. L’expression d’une détresse aux conséquences dévastatrices qui n’est pas sans rappeler le pétage de plombs télékinétique de Carrie au bal du diable. À l’image de Sissy Spacek chez Brian De Palma, Zoë Lund nous marque au fer rouge en faisant de l’innocence meurtrie la plus impitoyable des armes. Belle comme un cœur qui saigne, la jeune comédienne (dont le tendre minois fait penser à la Nastassja Kinski des débuts) devient avec cette fulgurante prestation une icône de la culture underground. Par la suite, unis par les liens sacrés de l’art et de la défonce, Zoë et Abel Ferrara rédigent ensemble le script de ce coup de boule crapoteux nommé Bad Lieutenant (1992). Avec en bonus, une touchante et troublante séance de piquouze entre la première et Harvey Keitel… En dehors de sa collaboration avec le « King of New York », son CV d’actrice se montre en revanche plus discret (retenons tout de même le Special Effects emballé par Larry Cohen en 1984). Mais au fond peu importe. Engagée, brillante et créative, Zoë Lund (née Tamerlis le 9 février 1962, à NYC) a déployé de nombreux talents au cours de sa tumultueuse existence  : comédienne, écrivaine, scénariste, réalisatrice, poétesse, compositrice, musicienne, mannequin. La gloire peut bien aller se faire foutre. Mais pas la faucheuse. Le 16 avril 1999, alors qu’elle n’a que 37 ans, une crise cardiaque la foudroie après un ultime rail de coke… Dans L’Ange de la Vengeance, ses baisers mortels ont plus que jamais un goût d’éternité.

Ms. 45. D’Abel Ferrara. États-Unis. 1981. 1h20. Avec : Zoë Lund, Albert Sinkys, Darlene Stuto…

She’s got a gun
Just make her day
Don’t fuck with her
She’ll blow you away

She walks the streets at night
And they think she is a whore
She’s gotta deal with you
She’s gonna even out the score

Ms. 45

They don’t let you
She’s gonna make them pay
Now her right is it
You won’t get away

She walks the streets at night
And they think she is a whore
She’s gotta deal with you
She’s gonna even out the score

Ms. 45

She’s got a big gun
She’s gonna make those assholes pay
You fuck with her
She’ll blow your ass away

She walks the streets at night
And they think she is a whore
She’s gotta deal with you
She’s gonna even out the score

Ms. 45

L7, Ms. 45 (1988)

Zoë Lund (1962-1999) 

Ange déchu coincé entre ciel et terre 

Ombre lumineuse emportée par l’enfer

Auteur : Zoéline Maddaluna

Cinéphage électrique accro aux terrains vagues de l'imaginaire...

5 réflexions sur « L’ANGE DE LA VENGEANCE : welcome to New York »

  1. Avec ce film très bien chroniqué et tout ceux que tu cites, tu proposes un joli programme de fin d’année à déguster chez soi, au chaud, alors que dans les salles de ciné les navets et autres Disneylogie s’entassent. 🙂
    Bonnes fêtes à toi.

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  2. Pourtant, j’ai bien failli vous concocter un top 10 des meilleurs téléfilms de Noël… Et pour tout te dire, je n’ai même plus envie d’aller voir le dernier Star Wars… Tout cela est devenu bien trop « propre » pour moi, un peu à l’image de Times Square aujourd’hui… Je préfère la noirceur, la radicalité et l’irrévérence salutaires de « L’Ange de la Vengeance ». Un putain de film à (re)voir, entre la lecture d’un bouquin d’Hubert Selby Jr et l’écoute d’un skeud de Lydia Lunch. Un bon programme anti-Noël/Disney ! Ce qui ne m’empêche pas de te souhaiter également de bonnes fêtes !

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  3. Cette lecture-là, je me la gardais au chaud, pour une tête reposée et, … « nom de dieu de bordel de m…. ! » (sacré Jean-Pierre, jamais bien loin quand l’extase me prend par les roubignoles) c’est un PUTAIN de bon article que tu nous as servi avec ce retour sur « L’ange de la vengeance ». Un titre aux relents d’exterminateur bunuelien, mais qui pourrait tout autant avoir la figure sale de ceux de Curtiz qui sévissaient à quelques rues de là quelques décennies plus tôt.
    Je me souviens de cette belle nonne de Lund, de ce grand film post-scorsesien qui sent le péché mignon de ce coquin d’Abel, et ton évocation me met le frisson !
    Je file me remplir les esgourdes au L7 !

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  4. Oh merci, ton commentaire enthousiaste me fait bien plaisir, voilà qui m’encourage à vous faire partager mes p’tits coups de cœur ! J’ai pu revoir « L’Ange de la Vengeance » en salle lors d’une récente carte blanche offerte au génial Dionnet (dans le cadre de l’Etrange Festival de Clermont-Ferrand). Le monsieur en a profité pour nous présenter le film avec moult anecdotes croustillantes (ses mémoires sont à lire d’urgence). Le bonheur !

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  5. Dionnet est une mine. J’adore ses interventions régulières dans l’émission « mauvais genre » sur Culture.
    Je comprends alors que le film t’ait fait cet effet en le voyant en plus sur grand écran. Mon petit DVD fera l’affaire, faute de mieux.

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