Parallèlement au cycle initié par la Cinémathèque française en ce mois de juillet, Mario Bava a également bénéficié d'une rétrospective chapeautée par le Théâtre du Temple. Le distributeur a ressorti dans nos salles climatisées trois classiques du maestro en version restaurée : La Ruée des Vikings (1961), Les Trois visages de la peur (1963) et Six Femmes pour l'assassin (1964). Rien de tel que Bava pour nous redonner des couleurs.
Deux frères, combattant dans des camps opposés, affrontent le félon qui les a séparés et cherchent à venger la mort de leur père. Pitch : la Cinémathèque française.
L’un des plus beaux fleurons d’une vikingsploitation engendrée, en toute logique, par Les Vikings de Richard Fleischer (1958). Après avoir officieusement coréalisé Le Dernier des Vikings (1961) avec Giacomo Gentilomo, Bava s’offre sa péloche d’aventure rien qu’à lui, son ode « gothique » au guerrier du nord. « Gothique » car, quelque soit le genre, le réalisateur se le réapproprie. Son style, reconnaissable en un clin d’œil, projette une lumière surréaliste sur un monde a priori non surnaturel. Il suffit de voir le repaire des vikings pour s’en convaincre, splendide décor de studio enlacé par les ombres et agrémenté de mille et une couleurs (du rouge, du vert, du violet : on se croirait dans Hercule contre les vampires, péplum mythologique du même auteur). Avec une telle facture baroque, Mario Bava ne peut renier La Ruée des Vikings, d’autant plus qu’il en est également le chef op. On ne s’étonnera donc pas du soin apporté à la photographie (c’est beau, un film en scope), ni du degré de violence et de cruauté un peu plus élevé que la moyenne (mère transpercée par une lance avec son bambin, tête piégée dans une boîte avec une tarentule au ventre noir). Pas besoin d’Hollywood pour accoucher d’une œuvre épique et spectaculaire (bataille, duel à l’épée, attaque de château fort : tout y est), surtout avec un génie du bricolage comme Bava à la barre (les effets sont modestes mais toujours astucieux). Gli invasori (titre original) est aussi l’histoire d’une fraternité contrariée où deux frangins, séparés durant l’enfance, deviennent des ennemis à l’âge adulte. Une tragédie que le robuste Cameron Mitchell porte sur ses épaules, le comédien dominant par sa prestance la plupart de ses collègues (le réalisateur de Lisa et le diable retrouvera le mastard à l’occasion de Six Femmes pour l’assassin et Duel au couteau, une autre histoire de vikings). Son visage taillé à coups de serpe contraste avec la blondeur étincelante des sœurs jumelles, Alice et Helen Kessler. Leur « danse du glaive » constitue par ailleurs un grand moment de sensualité sur pellicule. De quoi nous rendre nostalgique du cinéma de quartier tant défendu par Monsieur Jean-Pierre Dionnet.
Gli Invasori. De Mario Bava. Italie/France. 1961. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Giorgio Ardisson, Alice et Helen Kessler…
Film à sketches. Le Téléphone : une femme est victime de menaces téléphoniques. Les Wurdalaks : une histoire de vampires dans la campagne slave. La Goutte d’eau : le vol d’une bague sur un cadavre provoque d’étranges phénomènes. Pitch : la Cinémathèque française.
Pour produire Les Trois visages de la peur, les italiens de la Galatea Film s’associent avec les américains d’American International Pictures. À travers ce deal, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les boss de l’AIP, espèrent réitérer le succès de leur film à sketches, L’Empire de la terreur (1962). Malheureusement pour Mario Bava, ce partenariat va sérieusement altérer l’intégrité de son œuvre. Aux États-Unis, I tre volti della paura voit l’ordre de ses sketches modifié, sa bande originale remplacée (Les Baxter se charge de refaire le taf de Roberto Nicolosi) et son segment Le Téléphone totalement défiguré (des coupes ont été opérées afin de biffer du montage toute allusion au lesbianisme du personnage de Michèle Mercier, notre si merveilleuse Angélique). Si le massacre s’avère variable selon les pays, Les Trois visages de la peur est depuis quelques temps déjà visible en dvd dans sa version intégrale et brille aujourd’hui de mille feux grâce à la sublime copie du Théâtre du Temple. La moindre des choses pour un long-métrage où les élans chromatiques relèvent de la pure flamboyance. Si les trois histoires ici proposées représentent un bel exemple de cette esthétisme léchée, elles sont aussi le témoignage du savoir-faire peur de Mario Bava. Dans Le Téléphone, le réalisateur de Schock distille l’angoisse à partir d’un objet du quotidien (le téléphone du titre), et ce bien avant Terreur sur la ligne (1979) et Scream (1996). Mise en place aux petits oignons, décor claustro savamment exploité et conclusion mordante : Il telefono, c’est La Fille qui en savait trop condensé en une demi-heure. Les Wurdalaks s’inscrit, quant à lui, dans la veine plus gothique de son auteur. Les anciennes légendes slaves, et plus particulièrement le folklore vampirique, y sont convoquées pour notre plus grand plaisir « hammerien ». En effet, les aficionados du studio british ne peuvent que se pâmer devant ce récit d’une malédiction nocturne et brumeuse hanté par un Boris Karloff tout en sournoiserie maléfique. L’ultime chapitre, La Goutte, laisse carrément des séquelles à cause du rictus effrayant affiché par une vieille morte. Une gueule de cauchemar que les effets prosthétiques et les techniques de maquillage rendent troublante de réalisme (imaginez la poupée Annabelle avec des traits humains plus prononcés). Plutôt inattendu, l’épilogue ne manque pas d’humour et semble nous dire que, si tout cela n’est que du cinéma, la peur demeure malgré tout une émotion bien réelle…
I tre volti della paura. De Mario Bava. Italie/France. 1963. 1h34. Avec : Michèle Mercier, Susy Andersen, Boris Karloff…
A Rome, une série de meurtres est perpétrée dans une maison de haute couture sur des mannequins. Source : la Cinémathèque française.
À la sortie miraculeuse du récent dvd/blu-ray paru chez Studio Canal (dans la collection « Make My Day ! » de Jean-Baptiste Thoret, déjà une référence), s’ajoute aujourd’hui le privilège de se (re)faire Six Femmes pour l’assassin sur grand écran. Un monument précurseur de l’horreur moderne (au même titre que Psychose ou Le Voyeur) et le chef-d’œuvre fondateur du giallo (le thriller made in Italy). Quelques années avant les machinations sexy d’Umberto Lenzi (Si douces, si perverses, 1969) et les premiers succès fulgurants de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970), Mario Bava dresse déjà le manifeste – esthétique et thématique – du genre. En mettant de côté les influences hitchcockiennes de La Fille qui en savait trop (1963), le père de Lamberto laisse ses penchants les plus sadiques s’exprimer et décuple la brutalité de ses meurtres grâce à l’habileté de sa mise en scène. Son tueur masqué, ganté et vêtu de cuir noir (un look fétichiste qui fera école) peut agir à sa guise puisqu’il n’a pas de visage, d’identité. Un boogeyman de slasher avant l’heure, silhouette insaisissable et véloce partisane d’une violence osée pour l’époque, puisqu’elle convie l’érotisme à l’hécatombe (les victimes y sont bien souvent en petite tenue). En pleine possession de ses moyens, Super Mario fait preuve d’une maîtrise technique incomparable (la caméra se déplace constamment avec discrétion et élégance), partage son goût pour les teintes palpitantes et baroques (une forme de réalisme magique naît de cette copulation entre couleurs chaudes et froides) et n’oublie jamais d’être inventif (les interprètes du film posent tous comme des mannequins de vitrine lors du générique d’ouverture). Le raffinement formel de Sei donne per l’assassino sert en réalité de cercueil quatre étoiles aux membres de cette bourgeoisie décadente que Bava s’amuse à dégommer les uns après les autres. Un jeu de massacre annonçant les carnages caustiques de L’Ile de l’épouvante (1970) et La Baie sanglante (1971) mais s’achevant ici sur une note empreinte de romantisme noir. La signature d’un esthète tourmenté qui n’a jamais rechigné à brocarder l’espèce humaine.
Sei donne per l’assassino. De Mario Bava. Italie/France/Allemagne. 1964. 1h28. Avec : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…
Ça y est, je bave. Je ne lis de ces 6 femmes car il attend un jour prochain sous son blister. Les 3 visages est à mes yeux sans doute un des meilleurs films aa sketchs de histoire du film fantastique, traumatisant et puissant. Quand à ces Vikings, ce que j’en lis me donne une furieuse envie de me ruer toutes voiles dehors en direction de ces drakkars colorés et de ces belles Norvégiennes. 😍
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, impossible de ne pas baver devant Bava ! Surtout avec ces trois films là. Je te rejoins sans problème sur « Les Trois visages de la peur », un modèle du genre. Pour « La Ruée des Vikings », n’hésite pas, c’est du pur Bava. Il saura à coup sûr parler au 14ème guerrier qui sommeille en toi ! Quant à « Six Femmes pour l’assassin », j’enfile mes gants de cuir et attends ta future chronique avec impatience…
J’aimeAimé par 1 personne
En y pensant, je réalise n’avoir jamais vu un film de Mario Bava… dans une salle de cinéma ! C’est con à dire, mais c’est le genre de chose que j’aimerai réaliser un jour (je suis loin de Paris), un peu comme de vouloir assister au moins une fois dans sa vie à un concert de tel groupe ou tel artiste. Mais que dis-je !!? J’oublie une projection de ‘La Planète des Vampires’ en copie restaurée lors d’un festival (Cannes), juste avant l’édition digibook-blu ray de La Rabbia.
Question : les ressorties que tu as vues sont proposées dans quelle langue ? Bava a souvent fait des coproductions, c’est pourquoi je tiens à défendre certains doublages français (non je n’ai pas acheté le problématique BR de ‘Six Femmes…’ pour l’instant en tout cas). Dans les années 1960-70, les doubleurs étaient choisis parmi de sacrés acteurs de théâtre ayant et de l’expérience, et une voix qui pose un personnage.
PS : à la fois films de cinéma de quartier et cinéma populaire, j’attends un beau coffret des ‘Angélique’ en version restaurée et tout et tout.
J’aimeAimé par 2 personnes
Je vais essayer de me le programmer courant août.
Je pense que ces Vikings sont faits pour moi car j’avais beaucoup aimé Hercule contre les Vampires et la Planète des Vampires.
J’aimeAimé par 1 personne
Perso, par principe et si c’est possible, je préfère la version italienne. Sinon j’opte pour la VF.
J’aimeAimé par 2 personnes
@nico nsb « La Planète des Vampires » sur grand écran, ça c’est la classe ! En ce qui concerne ces rétrospectives, elles mériteraient de sortir sur davantage d’écrans, afin que plus de monde puisse en profiter. Malheureusement, c’est loin d’être le cas… Pour répondre à ta question, les Bava étaient proposés en version italienne sous-titrée français. Pour ma part, je privilégie souvent la VO même si je reste assez attaché aux VF d’époque… En attendant le futur coffret HD édité par Uncut Movies, tu peux toujours te refaire l’intégrale « Angélique » sur 6ter !
J’aimeAimé par 2 personnes
@princecranoir Alors pas de doute, tu sauras apprécier cette ruée des Vikings à sa juste valeur !
J’aimeAimé par 1 personne
Version italienne, ok merci. Je suis assez méfiant avec le terme « version originale » qu’on lit dans la presse ou ailleurs. Dans le cinéma italien de cette époque, plusieurs nationalités se fréquentaient sur un tournage. Ainsi pour ‘Le Masque du Démon’, quelle est la version à privilégier ? L’italienne ou bien l’anglaise, car Barbara Steele ne parlait pas un mot d’italien à l’époque. Même chose avec ‘Le Bon, la Brute et le Truand’. J’ai pu voir la version longue (géniale !) italienne projetée par la Cinémathèque de ma ville. Mais la VF est tout simplement culte pout plusieurs générations de spectateurs il me semble.
J’aimeAimé par 2 personnes
@princecranoir Quand j’ai le choix et quand je me mate une péloche italienne, je sélectionne aussi la VO. Mais pour certains films américains (ceux de mon enfance), il existe des VF qui ont ma préférence (« Dirty Harry » ou « Predator », par exemple).
J’aimeJ’aime
Pareil et quelque soit la nationalité du film. Mais il y a des cas à part. ‘Le Bon, la Brute et le Truand’ par exemple, un de mes films de chevet. J’ai découvert dans une Cinémathèque la version longue italienne qui passe sans problème car les voix doublées des acteurs américains sont proches de leur voix réelle. Mais cependant, pour moi ce film est tout simplement culte dans sa VF exceptionnelle.
J’aimeAimé par 2 personnes
Die Hard en VF, ça le fait aussi.
Ceci dit, j’ai redecouvert Dirty Harry en le voyant en VO.
J’aimeAimé par 1 personne
@nico nsb Très bon exemple ! J’ai grandi (et vieilli) avec « Le Bon, la Brute et le Truand » et je l’ai toujours regardé en VF. Ce doublage d’époque apporte un charme fou à l’ensemble (oui, culte comme tu dis). En revanche, là où ça pose problème, c’est lorsque tu te mates la version longue en VF : les séquences inédites pâtissent d’un nouveau doublage franchement catastrophique…
J’aimeAimé par 1 personne
@nico nsb Afin de vendre les films à l’international, l’anglais avait tendance à supplanter l’italien… D’où les pseudos « à l’américaine » utilisés à leurs débuts par Sergio Leone (Bob Robertson) ou Mario Bava (John M. Old)…
J’aimeJ’aime
Je ne sais pas si la version longue est disponible en vidéo. Lorsque je l’ai découverte dans une Cinémathèque, c’était en italien.
J’aimeAimé par 1 personne