LE DIABOLIQUE DOCTEUR Z (Jess Franco, 1966)

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Le docteur Zimmer se livre à d’étranges expériences sur le cerveau humain. Violemment critiqué par ses confrères, il succombe à un malaise cardiaque mais fait promettre à sa fille de mener à bien ses travaux. Cette dernière entreprend une série de machinations diaboliques afin de supprimer les savants qui se sont opposés à son père. Source : dvdfr.com

« Incontestablement, Miss Muerte est un chef-d’œuvre, sans doute le meilleur film de la première période espagnole de son auteur ». Voilà comment l’érudit Alain Petit nous présente Le Diabolique Docteur Z – ou Dans les griffes du maniaque – dans son indispensable pavé, Jess Franco ou les prospérités du Bis. Impossible de le contredire tant le cinéaste se montre ici particulièrement inspiré. Grâce au producteur français Serge Silberman et à quelques pesetas venues d’Espagne, l’oncle Jess se voit confier un budget décent, ce qui n’est (et ne sera) pas toujours le cas. Au scénario, l’homme de lettres Jean-Claude Carrière élabore avec le réalisateur ibérique une histoire dont l’argument doit autant à La Mariée était en noir de William Irish qu’à L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. Du premier, le duo ne conserve que l’idée de vengeance; du second, son postulat scientifique prétendant isoler les cellules du bien et du mal. De quoi faire frémir les salles de quartier quand celles-ci étaient encore légion dans les années 1960. À cette époque, Jess Franco participe encore à l’émergence d’un fantastique à l’européenne au même titre qu’un Bava ou un Freda. Depuis L’Horrible Docteur Orloff (aka Gritos en la noche, 1962), le petit Jesús façonne une œuvre à la fois dans l’air du temps et très personnelle. Et pour montrer que ses films s’inscrivent tous dans un seul et même univers, il n’hésite pas à faire des clins d’œil à son propre travail et à renouer avec ses obsessions. Dans Le Diabolique Docteur Z, le nom d’Orloff est mentionné au détour d’un dialogue (le savant fou se paye une réputation à la Frankenstein), l’action se situe dans la ville imaginaire d’Hölfen (là où se déroulent également Gritos en la noche, Le Sadique Baron Von Klaus et Les Maîtresses du Docteur Jekyll) et l’influence principale de Gritos… – Les yeux sans visage de Franju – est encore citée (victime d’une brûlure partielle à la figure, Mabel Karr s’opère elle-même face à un miroir !). Dingue de 7ème art, Jess Franco en profite aussi pour caser ici et là quelques références cinéphagiques. La plus évidente se manifeste à travers la réplique suivante : « C’était Bresson : un condamné à mort s’est échappé ! ». Savoureux ! Mais avant toute chose, l’assistant d’Orson Welles sur Falstaff rend avec Miss Muerte un bel hommage à l’auteur de La Soif du mal. Cadrages variés et dynamiques (chouette contre-plongée totale sous un escalier en colimaçon), noir et blanc expressionniste (donnant à l’ensemble un côté film noir), parenthèses oniriques de toute beauté (Estella Blain hypnotisant Howard Vernon dans un train subitement plongé dans les ténèbres) : d’un point de vue formel, le long-métrage nous apparaît comme soigné, maîtrisé, abouti. Les décors contribuent également à rassasier les mirettes notamment lorsqu’ils convoquent le spectre de l’épouvante gothique et les délices des serials d’antan (le repaire de la fille Zimmer est un manoir abandonné qui cache dans ses souterrains un labo disposant d’un matos extravagant). À cette cuisine bien plus digeste que n’importe quelle émission façon Top Chef, l’ami Jess ajoute ses propres ingrédients, à commencer par un érotisme subtil et suffisamment évocateur pour faire son petit effet. La séquence qui introduit Estella « Miss Death » Blain en est une superbe illustration. Sur une scène de cabaret, une veuve noire en résille tisse sa toile et attire dans ses filets un mannequin, silhouette masculine envoûtée et pétrifiée par le spectacle (le genre de numéro qui en annonce bien d’autres dans la filmo de Franco). Un instant insolite et sensuel, animé par la blondeur irradiante de la merveilleuse Blain. Face à cette actrice et chanteuse disparue trop tôt (en 1982, à l’âge de 51 ans), la diabolique Mabel Karr affiche un regard dément, un faciès austère et un désir de vengeance inébranlable. Outre la présence incontournable de Monsieur Vernon, Franco lui-même et son compositeur fétiche Daniel White (qui signe ici un joli score jazzy) se distinguent au générique en campant des flics débonnaires et décontractés. Un bonhomme plein de ressources, ce Jess. Joyau étrange et lascif, fantasme fétichiste et macabre, titre marquant du midiminuisme et d’un type de cinéma malheureusement révolu, Le Diabolique Docteur Z constitue l’une des réussites majeures d’un auteur souvent incompris et qui ne mérite en aucun cas l’étiquette de tâcheron que certains esprits paresseux lui ont collé. En plus de cinquante ans de carrière, il a fait briller toutes les couleurs du Bis, tout en sublimant d’inoubliables comédiennes telles que Soledad Miranda, Maria Rohm, Rosalba Neri, Marie Liljedahl, Anne Libert, Britt Nichols, Alice Arno, Brigitte Lahaie ou encore cette très chère Lina Romay. Qui dit mieux ?

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Miss Muerte. De Jess Franco. France/Espagne. 1966. 1h27. Avec : Estella Blain, Mabel Karr et Howard Vernon. Maté en blu-ray le 16/06/18.

Auteur : Zoéline Maddaluna

Cinéphage électrique accro aux terrains vagues de l'imaginaire...

15 réflexions sur « LE DIABOLIQUE DOCTEUR Z (Jess Franco, 1966) »

  1. Ah que ça me fait plaisir de lire un peu sur ce bon vieux Jesus Franco, surtout quand il était au top (dans les années 60 et 70, c’est vrai que la suite de son cinéma vers la fin des années 70 et surtout les années 80 était moins glorieuse). Je n’ai étonnement pas encore vu ce film, mais de ces films dans les années 60, j’avais beaucoup aimé Le Sadique Baron Von Klaus.

    Dans les actrices qu’il a sublimé, tu as également Emma Cohen pour le génial Al Otro Lado Del Espajo (Le Miroir Obscène), que je conseille vivement dans son montage Espagnol, et non français très différent.

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  2. Je te conseille vivement ce Diabolique Docteur Z, un diamant noir que je trouve encore plus éclatant que le séminal L’Horrible Docteur Orloff… Pour Franco, les années 80 ont été un peu moins inspirantes, c’est vrai. Malgré tout, l’oncle Jess a survécu à cette décennie – celle qui a provoqué la chute du cinoche Bis européen – et a continué sa carrière tant bien que mal. Cela dit, j’avoue avoir un faible pour son diptyque avec Brigitte Lahaie : Les Prédateurs de la nuit/Dark Mission (1987/1988)… Pour Emma Cohen, bien vu, j’aurais dû aussi la citer tant elle se montre émouvante dans Al otro lado del espejo. Un drame sensitif et mélancolique, un Franco méconnu, personnel, dont la gestation remonte d’ailleurs à l’époque de Miss Muerte…

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  3. Je le met en haut de ma liste de priorités (j’ai une dizaine voir vingtaine de Franco en dvd à voir, plus certains en VOD).
    Les Prédateurs de la Nuit, bon c’est souvent très nanar, mais j’aime beaucoup ce film. Même si entendre les 4 mêmes morceaux en boucle, ça me gonfle un peu à chaque vision. Pas vu Dark Mission, d’ailleurs je ne crois même pas l’avoir, à vérifier (mais plus tard, je pars une semaine chez ma copine dans quelques jours, puis déménagement, donc je risque de pas trop m’y retrouver).

    Oui, pour moi clairement un des meilleurs Franco, notamment car il est personnel, et sa longue gestation se ressent, tout y est réfléchis. Et la musique de la version Espagnole est magnifique également je trouve. Emma Cohen d’ailleurs, j’en étais tombé amoureux (même si maintenant, elle a du biiiiiien changer), et j’ai quelques films assez rares d’elle à voir datant des années 70. Et elle faisait une très courte apparition il me semble dans Les Nuits de Dracula de Franco, où jouait Soledad Miranda d’ailleurs.

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  4. Effectivement, Emma Cohen joue un petit rôle dans Les Nuits de Dracula, celui d’une vampire d’ailleurs (elle n’est même pas créditée au générique, il me semble). De mémoire, on peut aussi la voir dans le western Les Pétroleuses avec Bardot et Cardinale et dans le Cipolla Colt avec Franco Nero. Malheureusement, elle nous a quitté en 2016 mais j’ai hâte de lire tes chroniques sur ses raretés des 70’s car sa filmo reste à découvrir… Sinon, l’éditeur Artus Films vient de sortir quatre péloches de Franco en blu-ray/dvd : La Fille de Dracula, Les Démons, Les Expériences érotiques de Frankenstein et Tender Flesh. Sans oublier Le Chat qui Fume qui s’apprête à nous livrer en HD, Le Journal intime d’une nymphomane et Les Possédées du diable. Franco is alive !

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  5. Pas mieux !
    Belle actualité autour de Jess Franco avec tout plein de films restaurés en blu-rays. Chez Gaumont (Cartes sur table, le Diabolique Docteur Z), chez Artus donc, en précommande actuellement chez le Chat qui Fume, ainsi qu’en import USA chez Severin films (Sinfonia Erotica, the Sadist of Notre Dame ; all zone et vf incluse sur ce dernier titre). A chaque fois c’est du bon travail effectué par les éditeurs d’après les copies disponibles et avec des bonus enrichissants.
    Je vais pouvoir reprendre mon cycle Jess Franco accompagné de la lecture du livre d’Alain Petit (Fr) et de celui de Stephen Thrower (GB) ‘Murderous Passions-volume 1’ (la référence ultime sur Franco pour moi), en attendant la sortie du volume 2 pour la fin d’année.

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  6. Il faudrait que je traîne un peu plus du côté des imports, il existe aussi pas mal de choses alléchantes à l’étranger (le catalogue de l’association Sin’Art est d’ailleurs assez riche à ce niveau-là). Je n’ai pas encore lu le bouquin de Stephen Thrower mais celui d’Alain Petit, oui. En plus de participer régulièrement aux bonus des galettes d’Artus, ce dernier nous a aussi pondu le livre de référence sur Jess Franco (du moins pour l’Hexagone). Pas de doute, tu vas prendre ton panard en le lisant !

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  7. Voilà, c’est bien ce qui me semblait, je ne disais pas de bêtises. J’avais été choqué en le voyant de ne voir aucun gros plan sur ses yeux, connaissant la marque de fabrique de Franco avec ses zooms, et surtout vu son regard.
    Et je ne savais pas qu’elle nous avait quitté…. RIP 😦
    Je suis pressé de pouvoir me procurer quelques Franco en HD, car je n’ai rien contre l’import, mais ça revient souvent cher au bout d’un moment. Mais j’avais craqué lors des sorties Américaines de Vampyros Lesbos et Crimes dans l’Extase, forcément.

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  8. De ce que j’ai pu feuilleter, le livre de Petit est un témoignage d’un fan issu du fanzinat, ayant écrit pour la presse cinéma… et ayant côtoyé et travaillé avec J. Franco pendant des années. Et au final ça donne une tonne d’entretiens précieux.
    Tandis que Stephen Thrower est plus un historien du cinéma. Sa démarche est donc un peu différente, plus approfondie dans l’analyse. Il suffit de voir les fiches de chaque film. Exemple : 2 pages pour ‘Docteur Z’ chez Petit, et plus du double chez Thrower (fiche technique, résumé du film, le tournage, analyse, anecdotes, le casting, la musique, les lieux de tournage, sorties en salle, différentes versions…).
    Et j’ai pu mettre la main sur l’édition limitée (un peu chère), qui est un très beau livre de cinéma. Même chose sur l’énorme volume qu’il a écrit sur Lucio Fulci et réédité luxueusement chez l’anglais Fab Press. Je n’y reviens pas car j’ai déjà parlé en détail de ces deux ouvrages anglais (un anglais accessible) sur mon blog.

    Si tu es fan de bis, je te recommande le site US Severin. Tu connais peut-être ? Cette année ils ont édité des Jess Franco, du Bruno Mattéi et du Laura Gemser en blu-rays (all zone). Et tout ça est proposé soit à l’unité soit en packs (2-3 films+CD+T-shirt+pin’s+poster…). Excellent boulot ! Les prix en dollars sont corrects pour nous en euros. Mais il faut ajouter le port (24 dollars environ, une semaine de délais pour livraison France). C’est donc intéressant pour l’achat de packs (exclusifs au site) plutôt qu’un seul blu-ray.
    https://severin-films.com

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  9. @nico nsb : Merci pour ce comparatif entre le bouquin de Petit et celui de Thrower, du coup il faut vraiment que je me procure ce dernier ! Quant au site de Severin, je m’y rends de ce pas, certains visuels de leurs blu-rays m’ayant déjà tapé dans l’œil…

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  10. Simple, c’est impossible. Enfin pour moi. Malgré des défauts encore plus visibles en copie HD (certains plans flous notamment en fin et début de zooms, sans doute du au tournage éclair), c’est toujours un pur plaisir, entre Soledad, l’ost typique 70s.

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  11. On a aussi de très beaux flous dans Les Inassouvies, un effet de style parfois involontaire mais joliment exploité dans certains films. De Soledad Miranda, je garde aussi un bon souvenir de sa prestation dans Eugénie de Sade, une histoire d’amour cafardeuse dans laquelle la miss forme avec l’excellent Paul Müller un duo marquant.

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  12. Oui c’est vrai 😀 À force d’ailleurs, limite on ne sait plus lesquels sont volontaires et artistiques et ceux qui ne le sont pas. J’avais survolé son Mansion of the Living Dead ou je ne sais plus le titre, un film bis de 85 apparemment désastreux… je devrais peut-être le voir bientôt tiens, ça fera du bien à ma collection si je m’en débarrasse juste après.
    Ah oui Eugénie de Sade, je l’avais chroniqué celui-là, beaucoup aimé. Et outre les prestations, une mise en scène très solide, de beaux plans.

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