LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE (Dominique Rocher, 2018)

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En se réveillant ce matin dans cet appartement où la veille encore la fête battait son plein, Sam doit se rendre à l’évidence : il est tout seul et des morts-vivants ont envahi les rues de Paris. Terrorisé, il va devoir se protéger et s’organiser pour continuer à vivre. Mais Sam est-il vraiment le seul survivant ? Source : madmovies.com

Derrière ce titre poétique, se cache un zombie flick made in France. À moins que ce ne soit plutôt des infectés, puisque lesdits zombies – joyeusement convulsifs et étonnamment muets – peuvent encore courir pour choper leurs proies. Une fâcheuse manie acquise avec 28 jours plus tard et L’Armée des morts (sans oublier L’Avion de l’apocalypse d’Umberto Lenzi, avec un peu plus de vingt ans d’avance). Mais peu importe, puisque le pourquoi du comment n’intéresse pas Dominique Rocher. Les origines de l’apocalypse sont volontairement éludées. De prime abord, on pourrait trouver curieux que le héros de La Nuit a dévoré le monde ne songe un seul instant à allumer la télé ou son smartphone pour savoir ce qu’il se passe. À la place, il préfère consulter les messages d’adieux gardés en mémoire sur les portables de celles et ceux qui sont morts et revivent malgré eux. Sortant tout juste d’une rupture que l’on imagine douloureuse, Sam trouve dans cette solitude imposée par le chaos une façon de prendre sa revanche sur sa vie d’avant. D’être enfin peinard, libre, loin des autres et de leurs règles sociales étouffantes. Avec rigueur et sans aucune digression, le premier acte décrit les rouages de la survie en milieu hostile (sécurisation du périmètre, recherche de bouffe, installation d’un nouveau chez-soi). La topographie des lieux est constamment lisible, ce qui prouve la maîtrise de son réalisateur en matière de gestion de l’espace. Un savoir-faire utile lorsque l’on décide de rester en huis clos pendant près de quatre-vingt-dix minutes. Car l’action de La Nuit a dévoré le monde se déroule entièrement dans un immeuble Haussmannien et ne montre de Paris qu’une rue et un panorama plus général vu d’un toit-terrasse. Minimaliste et efficace, le film prend le parti d’adopter le point de vue de son protagoniste sans jamais le quitter d’une semelle. Jeune homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire, Robinson Crusoé à la sauce Je suis une légende, Sam est d’emblée le type de personnage auquel le spectateur s’identifie, ce que facilite grandement l’interprétation convaincante du Norvégien Anders Danielsen Lie. La bonne idée du script est aussi de montrer les effets du temps qui passe sur ce dernier, de faire défiler les saisons qui – fatalement – amènent avec elles des difficultés de plus en plus grandes. Rester planqué ne change rien à l’affaire : l’hiver finit toujours par venir. Le froid, la dépression, la folie sont là pour nous rappeler à l’ordre. On ne peut pas se mettre à l’écart de la fin du monde et faire comme si de rien n’était. Pensant pouvoir refaire leur vie dans un centre commercial, les survivants du Dawn of the Dead de Romero se laissaient déjà berner par cette illusion. Conserver son humanité et aller de l’avant ne vont pas de soi quand, à l’extérieur, tout part en couille. Voilà les deux principaux enjeux au cœur du long-métrage de Dominique Rocher. Traitant son sujet au premier degré et sans esbroufe postmoderniste, le cinéaste ne prend jamais le genre de haut et se permet même de contrecarrer nos attentes de cinéphage. La Nuit a dévoré le monde ne suit pas la trame zombiesque habituelle, au risque de faire légèrement stagner le récit à mi-parcours. Rien de méchant, l’originalité de l’entreprise est à ce prix. D’autant plus que, question mise en scène, Rocher fait preuve d’inspiration et livre quelques beaux moments. Comme ces funérailles improvisées par Sam après s’être retenu de balancer un corps par la fenêtre. Ou l’étrange « amitié » liant le bonhomme au non-mort Denis Lavant. Ou encore l’apparition de l’admirable Golshifteh Farahani dont la simple voix ferait rebattre le palpitant de n’importe quel zomblard. Ses répliques en français, étreintes sonores relevées d’un accent léger et aérien, caressent nos écoutilles. Son irruption tardive dans le récit constitue à la fois une accalmie et un mirage pour celui qui est probablement le dernier homme sur terre. Peu présente à l’écran, Golshifteh aurait donné une autre dimension à l’ensemble si elle avait tenu le rôle principal. Mais on ne va pas refaire le film. De toute manière, un seul regard suffit à la comédienne pour dissiper les ténèbres et illuminer La Nuit a dévoré le monde. En tout cas, bonne nouvelle : le cadavre du fantastique hexagonal bouge encore.

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La Nuit a dévoré le monde. De Dominique Rocher. France. 2018. 1h34. Avec : Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani et Denis Lavant. Maté en salle le 13/03/18.

Auteur : Zoéline Maddaluna

Cinéphage électrique accro aux terrains vagues de l'imaginaire...

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